Revue septembre 2023

Revue 35
Septembre 2023
Un lobby patronal discret : l’AFEP

117 des plus grandes entreprises françaises forment un lobby aussi puissant que discret, l’AFEP, l’Association des entreprises privées.

Le 1er juillet 2023, Patricia Barbizet a pris la présidence de l’AFEP. Elle a été désignée à ce poste par le conseil d’administration, au printemps, pour succéder à Laurent Burelle, patron de l’équipementier automobile Plastic Omnium (1,3 milliard d’euros de fortune personnelle). L’AFEP est une organisation aussi puissante que discrète : « A l’AFEP, en général, la discrétion est une vertu » écrit Le Figaro Economie.
L’association a été fondée en 1982, ce qui est déjà tout un programme. Cette année-là, en effet, le grand patronat se crut (un court instant) mis en danger par le nouveau pouvoir de gauche. C’est Ambroise Roux, patron de la CGE (Compagnie générale d’électricité) , puissant lobbyiste patronal, qui avait pris l’initiative de fonder cet organisme pour contrer la gauche, en actionnant ses réseaux financiers ou médiatiques. Roux, qu’on appelait « le parrain » du capitalisme français, était un personnage, ainsi décrit par « Libération » : « Tout chez lui respirait le passé : le prénom, le costume trois pièces, le pantalon remonté jusqu’au sternum, le doigt glissé dans le gousset, les cols pelle à tarte, le vocabulaire ourlé de formules désuètes et de gravelures d’un autre âge, le monarchisme affiché, la conception balzacienne des affaires. »
Dès 1983/84, Mitterrand allait mettre beaucoup d’eau (libérale) dans son vin (rosé) et rassurer les possédants. Mais l’AFEP était créée et elle allait exercer, tout au long de ces dernières décennies, et jusqu’aujourd’hui, une pression constante, tout en coulisses, loin des lumières ( genre visiteurs du soir) sur l’Elysée et Matignon, sur Bercy et Bruxelles, pour défendre ses privilèges.
Patricia Barbizet est donc la nouvelle patronne de choc de ces singuliers patrons. (En passant, notons le souci du grand patronat de mettre en avant des femmes à des postes clés comme Estelle Brachlianoff chez Veolia, Sabrina Soussan chez Suez, Catherine Mac Gregor chez Engie, Christel Heydemann chez Orange, etc. Image ou réalité, c’est une autre question. Le machisme de cette caste est bien connu ; petit exemple : Laurent Burelle est membre du « Club des cent », comme bien des stars du CAC40, un club gastronomique parisien interdit aux femmes !).
Patricia Barbizet est un pur produit François Pinault. Elle en a été, trente ans durant, le bras droit (1989/2018). Diplômée d’ESCP Europe, elle fait partie des abonnés des conseils d’administration des grands groupes ; ainsi elle siège au CA de Pernod-Ricard, de CMA-CGM, d’Arcelor Mittal, etc… Accessoirement elle est aussi présidente de la société d’investissement Temaris et associés.
Bref c’est la haute nomenclature capitaliste, des gens qui cumulent sans scrupule et se trouvent souvent à des postes clés où s’imbriquent étroitement l’Etat et le privé. Patricia Barbizet par exemple a présidé « le comité de surveillance des investissements d’avenir » ; il s’agit d’un organisme public, nommé par le (la)premier(e) ministre, composé de députés (5) et de sénateurs (5) pour « conduire les politiques d’innovation » de l’Etat. Elle vient juste d’en démissionner avant de prendre la tête de l’AFEP. Comme dit Laurent Burelle, « elle (P.B.) sait travailler avec des secteurs variés. »
Bref Patricia Barbizet est une pièce importante du dispositif patronal. Elle a déjà siégé à l’AFEP (2014/2018) et présidé (encore !) le Haut comité de gouvernement d’entreprise (HCGE) chargé de contrôler l’application du code AFEP-MEDEF sur les rémunérations des patrons et la « gouvernance ».
Officiellement, l’AFEP s’occupe de compétitivité, d’innovations, de transition écologique. En fait elle intervient très directement dans le processus de décision politique , tant à Paris qu’à Bruxelles. Ses émissaires sont particulièrement actifs lors des débats budgétaires. La journaliste Elsa Conesa notait dans une enquête pour « Le Monde/Le magazine » (15/10/1922) : « Le mandat de François Hollande a été, au final, bien plus favorable aux intérêts de l’AFEP que ses membres n’auraient pu s’y attendre. Crédit d’impôt compétitivité, pacte de responsabilité, allègement de la fiscalité sur les actions gratuites et loi « travail ». Toutes mesures accordées sans aucune contrepartie ».
Les liaisons avec l’équipe Macron sont réelles (mais toujours discrètes). Ainsi Bruno Le Maire est régulièrement l’invité du repas mensuel de l’association. Il y était par exemple le soir du discours de politique générale d’Elisabeth Borne et s’était écrié : « On va travailler ensemble » : « Du miel pour les patrons présents » note Elsa Conesa.
L’AFEP exerce un lobbying important à Bruxelles également. Elle possède depuis 1987 un bureau permanent auprès des institutions communautaires , fort d’une demi douzaine de collaborateurs, de « permanents » ( ?), très actifs sur des dossiers comme la régulation des marchés financiers, le droit des sociétés, le gouvernement d’entreprise, la RSE et assurant le lien entre les entreprises françaises et « des personnalités européennes ». Ce bureau fait la chasse aux normes mais aussi aux subventions, considère (par exemple) la directive européenne en préparation sur « le devoir de vigilance » des multinationales comme « nettement plus dure que la loi française » et s’active donc pour en limiter les ambitions.
L’AFEP a fêté ses 40 ans d’existence au cinquième étage de Beaubourg en octobre dernier, une réception brillante mais pas trop tape-à-l’œil : « Les grands groupes tricolores sont riches, très riches même, mais ils savent qu’il vaut mieux éviter de le montrer » écrit toujours l’enquêtrice du Monde.

Extraits
Le secret est sa marque de fabrique
« Si l’AFEP est méconnue du grand public, c’est qu’elle déploie depuis sa naissance une énergie folle à le rester. Créée en réaction aux nationalisations de 1981, elle demeure pourtant l’un des groupes d’intérêt les plus écoutés en France. Plusieurs dirigeants de grandes entreprises ont d’ailleurs demandé à son président l’autorisation avant de parler au Monde. Y compris Geoffroy Roux de Bézieux, censé être « le patron des patrons ». Et toutes les personnes, une trentaine, interrogées pour cette enquête ont requis l’anonymat. Car depuis toujours, le secret de l’influence de ce lobby patronal qui refuse d’être considéré comme tel, c’est sa discrétion ».
Le Monde Magazine, 15/10/2022

SONDAGE (n°35)
Les jeunes au travail : besoin de reconnaissance et de solidarité

Une enquête de BVA pour la Macif et la Fondation Jean Jaurès (fin 2022) confirme combien le rapport au travail a changé ; c’est particulièrement net avec la nouvelle génération, celle des 18-24 ans. Là, le besoin de reconnaissance, d’être entendu est très fort. « Les jeunes stigmatisent une carence globale d’écoute et de participation alors que ce sont des éléments fondamentaux dans leur recherche d’épanouissement professionnel » note le directeur de la Fondation Jérémie Peltier. Pour 40% des (jeunes) sondés, l’un des rôles principaux d’une entreprise est de donner à ses salariés les moyens de s’épanouir professionnellement. Quand on leur demande ce qui manque surtout aujourd’hui dans l’entreprise, 36% répondent : « la place accordée à la parole et à la participation des salariés » et pour 29% , c’est « un management basé sur la confiance et l’autonomie. » Ces jeunes ont parfois des aspirations paradoxales. Ainsi pour 38% (et même pour 49% de diplômés au delà de bac+3), l’environnement de travail idéal, c’est un bureau attitré. Dans le même temps ils n’entendent pas renoncer au télétravail occasionnel (32%), voire à la possibilité de travailler chez soi quelque fois (44%, et même 63% à partir de bac+3). Ainsi le travail n’est plus limité à un seul lieu ni un seul temps ; toutefois ces jeunes « rejettent les espaces anonymes et sans intimité tels que les open spaces et le flex office (ou « bureau opéré » par équipe). Cela correspond à leur besoin de reconnaissance. »
Les sondés ne semblent pas dupes des « chartes de valeurs « qui fleurissent un peu partout : « si une entreprise a défini de « belles » valeurs mais que la façon dont ses salariés sont traités s’inscrit en décalage avec ces dernières, ils percevront cette contradiction » (J.Pltier).
Les valeurs qui leur donnent le plus envie de travailler dans une entreprise sont le respect (57%), la confiance (44%), l’écoute (29%) et la solidarité (28%). « Il s’agit d’une riposte à une société jugée individualiste et apathique. La notion revendiquée d’épanouissement, assez surprenante, englobe cette quête de sens . »
Notons encore que les jeunes disent préférer les entreprises « locales » aux grands groupes et ils ne sont que 20% à désirer vivre dans des métropoles. « A l’inverse des préjugés les concernant, les jeunes n’ont pas la bougeotte et vivre à l’étranger n’est pas une aspiration majeure » constate encore cette étude.

Propositions de graphiques

Sur quels sujets considérez vous qu’une entreprise doit aujourd’hui s’engager en priorité ?
 préservation de l’environnement 37%
 défense du pouvoir d’achat 25%
 lutte contre les inégalités hommes/femmes 23%
 soutien des jeunes 22%
lutte contre les inégalités 19%

Les trois rôles principaux d’une entreprise aux yeux des jeunes :
 Créer de l’emploi, embaucher des gens 51%
 Donner les moyens à ses salariés de s’épanouir professionnellement 40%
 Etre utile pour la société 38%



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