Série OCTOBRE/CommunisteS

Le groupe « Octobre »
Un théâtre rouge au temps du Front Populaire
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Chapo
De 1932 à 1936, un groupe amateur de jeunes acteurs et actrices, communistes de cœur ou de carte pour la plupart, va monter une série de spectacles militants ébouriffants, créés par Jacques Prévert.

On est au début des années 30, exactement en mars/avril 1932. La crise sociale est violente (misère, chômage). L’extrême droite s’active ( en Allemagne, Hitler est aux portes du pouvoir) et la vie politique est tendue (des élections législatives sont prévues en mai).. Un petit groupe de jeunes gens, acteurs amateurs, membres ou proches du PCF pour la plupart, veut participer à sa manière à l’action ouvrière, aux meetings politiques. Ils ont entendu parler des formes d’action dites « d’ agit-prop » telles qu’elles se pratiquent outre-Rhin ; ils veulent eux aussi faire du théâtre social. Non seulement pour accompagner la campagne électorale des communistes mais pour pouvoir commenter en permanence, à leur manière, l’actualité économique et sociale. Leur histoire a été racontée notamment dans l ‘ouvrage de Michel Fauré, « Le groupe Octobre » (Christian Bourgois, 1977). Dans cette équipe, le plus actif est sans doute Raymond Bussières (25 ans). Il a un petit cheveu sur la langue comme on dit mais qu’à cela ne tienne, il veut absolument jouer la comédie. Lui et ses amis fréquentent alors une troupe de théâtre appelée « Prémices » ; ils trouvent que cette compagnie travaille bien mais ils n’aiment pas les textes. « On ne voulait pas faire du théâtre mais la Révolution… » dit carrément Bussières. Ils font donc sécession et créent « le groupe de choc Prémices ». Ils doivent bien sûr affronter des questions d’organisation, d’intendance mais leur gros souci, c’est le manque de textes percutants, ils ont besoin d’écrits politiques, rouges. « Il nous fallait des textes de circonstances pour aller sous les préaux d’école appuyer les thèmes de la campagne électorale développés par les orateurs » dit une des membres du groupe, Arlette Besset (18 ans). Ils vont alors solliciter Paul Vaillant-Couturier. Besset parle ainsi de lui : « C’était un personnage fascinant, romantique, enthousiaste, cultivé, éloquent et désintéressé qui avait le don de convaincre et de galvaniser les énergies ». Mais le rédacteur en chef de L’Humanité, également poète, écrivain, peintre (entre autres…) est surchargé de travail ; il leur suggère de discuter de leur projet avec Léon Moussinac, spécialiste de l’histoire du théâtre et critique de cinéma reconnu. Ce dernier leur conseille alors de contacter « un gars très marrant, qui a l’air très bien » : il s’appelle Jacques Prévert. A l’époque celui-ci est apprécié d’un petit cercle d’initiés mais il n’a publié qu’un texte ( « Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France »). L’entrevue se passe chez le poète, rue Didot dans le 14è . « Nous étions assez intimidés de cette démarche chez un inconnu, dit Besset, mais forts de la valeur de nos idées et de nos objectifs. Nous savions ce que nous voulions : un sketch sur la presse, fait avec les coupures de journaux de l’époque – ma profession consistait alors à effectuer tous les matins un résumé de revue de presse - illustrant les thèmes de propagande : le capitalisme amène la guerre et la misère ; la social-démocratie a deux visages (l’un, démagogique ; l’autre au service du capital)… »
Un autre témoin de la réunion ajoute : « On lui débite notre histoire à savoir qu’on voudrait un texte sur la presse, en insistant sur le sens de notre démarche et en précisant d’où nous venons. Voulant s’assurer de fabriquer quelque chose qui puisse nous convenir par la manière et le style, il va chercher un manuscrit et commence à nous lire une histoire. C’était cocasse, déconcertant, désopilant, inattendu, un peu à la Marx Brothers. Très curieusement, cela jurait avec l’idée de lui qu’imposait d’abord son personnage. Des yeux globuleux, sous une frange de cheveux coupés court sur le front, un air plutôt sérieux, sinon triste, un peu lunaire à la Buster Keaton, la voix grave, le ton monocorde, enfin le contraire exactement de ce que son esprit baroque peut suggérer. L’accord fut immédiat… »
C’est ainsi qu’à la fin du mois d’avril, Jacques Prévert, accompagné de Jean Paul Le Chanois (futur cinéaste) et de Louis Bonin (alias Lou Tchimoukov), un petit génie de la scénographie, vient remettre à Bussières et ses amis un texte intitulé « Vive la presse ». Cette rencontre marque le début du groupe « Octobre » qui ne porte pas encore ce nom. Ajoutons, pour la petite (et grande) histoire, que ce rendez-vous se passe dans une salle de la CGTU, avenue Mathurin-Moreau, très exactement à l’emplacement de ce qui sera plus tard le siège du PCF, place du colonel Fabien.

Le groupe « Octobre »
Un théâtre rouge au temps du Front Populaire
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De 1932 à 1936, un groupe amateur de jeunes acteurs et actrices, communistes de cœur ou de carte pour la plupart, va monter une série de spectacles militants ébouriffants, créés par Jacques Prévert.

C’est à l’occasion d’une répétition du sketch « Vive la presse », alors que la troupe se cherche un nom, que Lou Tchimoukov propose « Octobre ». L’intitulé s’impose immédiatement à tous, la référence à la révolution russe est éclatante. Comme dit Bussières, on a choisi ce nom « pour qu’il n’y ait pas de gourance ». « Vive la presse » dénonce allègrement, férocement les tares de la presse bourgeoise.
Le scenario est de Jacques Prévert, Jean Paul Le Chanois joue le rôle du capitaliste, Jacques Prévert lui-même incarne le vendeur de « L’ami du peuple », Paul Grimault ( futur auteur de dessins animés) celui de « L’intransigeant », Raymond Bussières vend « Le populaire », etc. Les décors et les costumes sont dans un premier temps assez rudimentaires mais l’équipe invente vite des formes nouvelles. Bussières par exemple, qui représente le journal socialiste, arrive avec une veste rouge puis, son discours fait, il quitte la scène en criant « Au revoir camarades ! » tout en retournant sa veste. Le Chanois joue le capitaliste avec un haut de forme, une redingote et un cigare. Jacques Prévert a du mal à se tenir à son propre texte et improvise volontiers. Le Chanois raconte : « Le seul acteur indiscipliné de la troupe, c’était Jacques Prévert. A chaque représentation, il changeait le texte. Comme je connaissais « Vive la presse » par cœur, j’essayais de le ramener à son texte, excellent, bien écrit. Mais, chaque fois, il partait sur quelque chose de différent. Comme il voyait que le public croulait de rire, il continuait et la scène durait un quart d’heure de plus. Cela avait un effet de surprise considérable sur le public. Les gens n’avaient guère l’habitude ni de Prévert ni de ce genre de spectacle. Comme c’était drôle, on enlevait le morceau à tous les coups. »
C’est à la Fête de L’Humanité de 1932 que le spectacle, donné gratuitement comme toutes les représentations d’Octobre d’ailleurs, est présenté pour la première fois. Gros succès, qui va se répéter à maintes reprises au fil des mois. Le chœur final fait un triomphe, il est même repris dans les manifestations :
« …Attention, camarades, attention
Mourir pour la patrie, c’est mourir pour Renault
Pour Renault, pour le pape, pour Chiappe,
Pour les marchands de viande,
Pour les marchons de canon »
D’emblée la pièce assure une forte réputation au groupe Octobre. Les amis de Prévert s’associent à l’aventure, son frère Pierre Prévert bien entendu, lui-même auteur de plusieurs sketches pour la troupe ( comme « Un brave homme »), Marcel Duhamel, futur patron de la Série noire, Yves Allégret, poète surréaliste devenu cinéaste, etc. La troupe est désormais forte d’une trentaine de membres ; il y a un noyau dur, beaucoup de passages et une foule d’amis qui peuvent monter sur scène pour un unique spectacle.
S’il existe alors plusieurs troupes d’amateurs qui, sous forme de chœur parlé, évoquent les événements politiques (« Masses », « Combat » par exemple), Octobre se distingue par ses textes et sa mise en scène. La troupe participe aux grandes manifestations politiques et sociales, elle commémore la semaine sanglante de la Commune où elle entonne un poème de Prévert :
« …Vingt mille morts
Mais de tout ce sang répandu
Pas une seule goutte n’est perdue
Pas une seule goutte… »
Marcel Duhamel dira par la suite :« Nous jouions comme nous aurions vendu L’Humanité. »
Cette activité transforme Jacques Prévert. « Le groupe Octobre représenta pour les frères Prévert un grand espoir en même temps qu’un vigoureux apprentissage : le moyen de faire la révolution tout en écrivant et en faisant du théâtre » écrit Gérard Guillot dans « Les Prévert ». Jacques Prévert était jusque là un homme de la parole, « un bavard de génie », disait-on, à présent il jette son œuvre sur le papier. « Jacques Prévert a subi une métamorphose, observe l’historien Guillaume Hanoteau. Il a troqué la parole contre la plume. Désormais il écrit. Il écrit beaucoup et vite. »
Ainsi il rédige en une nuit une pièce antiguerre, antimilitariste, anti marchands de canon : « La Bataille de Fontenoy ».

Le groupe « Octobre »
Un théâtre rouge au temps du Front Populaire
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De 1932 à 1936, un groupe amateur de jeunes acteurs et actrices, communistes de cœur ou de carte pour la plupart, va monter une série de spectacles militants ébouriffants, créés par Jacques Prévert.

« La bataille de Fontenoy » est une pièce en un acte, sous-titré « Théâtre aux armées ». Les personnages représentés, et moqués, sont Paul Déroulède, Edouard Herriot, Joffre, Clemenceau, Raspoutine, Poincaré, Nicolas II (joué par Prévert lui-même), il y a là aussi un poilu de 14. Il y est question de chasse aux déserteurs, de marchands de canon, du Comité des Forges (Krupp, Schneider) ; on fustige le sabre et le goupillon. La première est donnée devant le IIe congrès de la Fédération du Théâtre ouvrier (FTOF) et « La bataille de Fontenoy » restera le spectacle le plus souvent joué par le groupe Octobre dans des cafés, des guinguettes, des préaux d’école jusqu’en 1935. Comme souvent, dans un même spectacle d’Octobre, on peut passer du pathétique au comique, de la farce au drame. Rendant compte de cette pièce, un journaliste de L’Echo de Paris, pourtant hostile à la troupe (comme toute la presse de droite), doit admettre que le spectacle connaît un vrai succès populaire : « Les acteurs parlaient faux et étaient grimés à la va-comme-je-te –pousse, mais la joie et la foi des spectateurs suppléaient à ces imperfections. Un gosse en particulier, assis près de moi, récitait chaque réplique un tiers de seconde avant le comédien qui en était chargé ».

On est en janvier 1933. Le 30 janvier le chancelier Hindenburg confie la chancellerie à Hitler. Le groupe Octobre réagit immédiatement. Dans les heures qui suivent l’annonce de cette nomination, Jacques Prévert écrit le texte « L’avènement d’Hitler » que la troupe répète et joue salle Bullier –un ancien bal mobile- le 31 janvier ! Un texte concocté, écrit, répété et joué en 24 heures ! Il se termine ainsi :
(Face à la crise)
« le bourgeois pleure des larmes et grince des dents/
il devient de plus en plus méchant/
comme ce grand homme mythologique/
qui n’était sensible qu’au talon/
le bourgeois n’est sensible qu’au fric/
même quand on lui joue du violon/
il tuerait bien tout le monde pour garder sa maison/
mais il ne peut pas tuer lui-même/
il faut qu’on croit qu’il est bon/
alors il cherche un homme/
comme Diogène/
alors il trouve un homme/
au fond d’un vieux tonneau de peinture/
HITLER…HITLER…HITLER…/
L’homme de paille pour foutre le feu/
Le tueur, le provocateur…/
On présente d’abord le monstre en liberté/
On le présente aux ouvriers/
« C’est un ami, presque un frère/
Un ancien peintre en bâtiment »/
Le moindre mal, quoi/
C’est moins dangereux qu’un général/
Un ancien peintre en bâtiment/
Et maintenant/
Les quartiers ouvriers sont peints couleur da sang. »
Ce spectacle s’ouvre sur une revue de presse, une méthode que Prévert utilise assez systématiquement, où il fait le tour de l’actualité, française ou mondiale, une sorte de revue de presse théâtralisée. Jacques Prévert est un homme indigné par la laideur et la violence du monde, il compose en cette année 1933, de plus en plus et de plus en plus vite, des saynettes, des sketches comme « Le père Noel » ou « Un drame à la cour », plus particulièrement conçu pour Bussières, dit Bubu. Les spectacles attirent un public populaire, des intellectuels de plus en plus nombreux s’y interessent. Parfois André Gide est dans la salle. Cette même année 1933, deux procès retentissants mobilisent l’opinion progressiste, et Octobre réagit. Aux USA, neuf noirs sont accusés à tort du viol de deux blanches et se voient menacés de mort. Prévert écrit, et Octobre joue, « Sauvez les nègres de Scottsborough ».
« Ne laissez pas vos frères noirs aller sur la chaise électrique/
Serrez les rangs/
Serrez les poings/
Un assassinat se prépare/
Tous contre l’impérialisme mondial/
Toutes les races/
Une seule couleur :/
Rouge !... »
En Allemagne les nazis font la chasse aux communistes ; les fascistes organisent un procès « exemplaire », mettant notamment en cause Georges Dimitrov, mais l’accusé se fait accusateur. Le mouvement de solidarité un peu partout dans le monde est puissant. Dans « La tête sur les épaules », Jacques Prévert prend la défense de Dimitrov, de Thaelmann et de leurs camarades. 1933 est marqué aussi par de puissants mouvements de grève. On parle de près de 100 000 grévistes. Le mouvement le plus spectaculaire se passe, en mars, chez Citroën ; le groupe Octobre va y jouer un rôle marquant.

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De 1932 à 1936, un groupe amateur de jeunes acteurs et actrices, communistes de cœur ou de carte pour la plupart, va monter une série de spectacles militants ébouriffants, créés par Jacques Prévert.

Début mars 1933, aux usines Citroën de St Ouen, les salariés constatent une diminution de leur paye. La grève est décidée (autre décision, le vote d’une motion de solidarité avec les ouvriers allemands). Le mouvement s’étend rapidement aux usines de Grenelle et de Javel. Dès qu’ils apprennent l’existence de cette action, le groupe Octobre et Jacques Prévert se montrent, comme d’habitude, incroyablement réactifs. Bussières raconte : « Nous aimions l’action directe. Un jour j’apprends qu’il y a une grève chez Citroën. Je téléphone à Jacques vers 2 heures. Tous les membres de la troupe sont partis travailler, sauf les chômeurs. On se retrouve tous à 6 heures à la maison des syndicats. Jacques nous donne les textes que la secrétaire a tapés en plusieurs exemplaires et à 8 heures et demi, 9 heures, nous jouions le sketch devant les ouvriers chez Citroën. C’était le type même de notre boulot. »
Le texte « Citroën », venu instantanément sous la plume de Jacques Prévert, est donc illico reproduit, répété l’après midi même par les chômeurs de la troupe, appris dare-dare dans la soirée par les autres membres, de retour du boulot, et le 18 mars, au soir, il est joué devant l’AG des grévistes. Au début du spectacle, une actrice avance dans le noir, elle déclare :
« A la porte des maisons closes/
c’est une petite lueur qui luit. »
On voit s’allumer une lumière rouge, un groupe d’acteurs se présente alors :
« c’est la lanterne du bordel capitaliste/
avec le nom du tôlier qui brille dans la nuit/
Citroën…Citroën… »
En ce printemps 1933, en effet, André Citroën a loué la tour Eiffel et son nom s’y affiche. Le texte de Prévert fustige l’argent patronal gaspillé aux jeux, dénonce l’exploitation des salariés, salue la grève ; les mots percutent.
« Les journalistes mangent dans sa main/
Le Préfet de Police rampe sur son paillasson/
Citron ?...Citron ?.../
Millions…millions…/
Et si le chiffre d’affaire vient à baisser/
Pour que, malgré tout, les bénéfices ne diminuent pas/
Il suffit d’augmenter la cadence et de baisser le salaire des ouvriers/
BAISSER LES SALAIRES/
Mais ceux qu’on a trop longtemps tondus en caniches/
Ceux-là gardent encore une mâchoire de loup/
Pour mordre/
Pour se défendre pour attaquer/
Pour faire la grève/
La grève…la grève…/
VIVE LA GREVE ! »
Cette représentation, cette façon de jouer sont « terriblement efficaces », dit Marcel Duhamel ; la pièce « Citroën » va être représentée tout au long des deux mois que dure l’action.
Dans l’ouvrage « Le groupe Octobre » de Michel Fauré, on peut lire cette remarque : « Tout en accomplissant un acte politique d’un rare courage et d’une importante audience, la troupe, par l’ellipse poétique, tend à force de conviction et de travail, vers la perfection spectaculaire. »
Le spectacle impressionne et le groupe Octobre est choisi (avec la troupe « Les blouses bleues » de Bobigny) pour représenter le théâtre ouvrier français au festival mondial du théâtre ouvrier à Moscou l’été suivant.
Le voyage vers l’Union Soviétique se fait sur un cargo, la Cooperaza, qui arbore le drapeau rouge. Dans le grand nord, sur le canal de Kiel, le navire croise des bâtiments de guerre allemands où flotte la croix gammée. Marcel Duhamel raconte : « Les matelots allemands se sont rangés le long de la rambarde pour nous voir passer et les officiers, du haut de la dunette, nous regardent à la jumelle. Et tous les dockers, le long du quai, et même des marins allemands, d’un geste, ferment le poing et le lèvent furtivement à la hauteur de la poitrine pour saluer le drapeau rouge, sans être vus de la passerelle… »
Jean-Paul Le Chanois ajoute : « Le bateau glissait le long des berges. Nous voyions des S.A. et des S.S.se livrer à des répétitions militaires : tir au fusil mitrailleur sur des cibles. Sur le bord du canal, nous apercevions des gens qui faisaient la ronde… C’était absolument bouleversant et insoutenable, ce spectacle… »
A l’escale de Hambourg, certains membres de la troupe prennent contact (secrètement) avec des communistes allemands.

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De 1932 à 1936, un groupe amateur de jeunes acteurs et actrices, communistes de cœur ou de carte pour la plupart, va monter une série de spectacles militants ébouriffants, créés par Jacques Prévert.

A Leningrad puis à Moscou, la troupe est accueillie « comme des Very Important People, dirait-on aujourd’hui, assure Arlette Besset. Excellente organisation pour un pays qui, en 1933, commençait seulement à surmonter ses difficultés internes et où la misère était visible à chaque coin de rue. Tous les groupes étaient logés, nourris, transportés et chaleureusement accueillis dans les clubs, les usines et les théâtres où ils jouaient. » A Leningrad, ils sont logés à l’hôtel Octobre, le bien nommé.
Jacques Prévert est ravi du séjour : « Il y avait des troupes extraordinaires qui venaient de tous les pays, il y avait surtout des troupes russes qui venaient de très loin, de provinces très éloignées, qui jouaient des pantomimes extraordinaires. Nous avons reçu un accueil enthousiaste, les gens comprenaient bien, c’était facile parce que ce sont des choses courtes que l’on pouvait traduire très facilement, et surtout c’était de la pantomime, les Russes étaient ravis, cela leur plaisait beaucoup ».
Au Grand Théâtre de Moscou (où Prévert joue Nicolas II et Hitler), le groupe Octobre remporte le Premier Prix des Olympiades ! Le Chanois avoue : « Je dois dire que nous avions épaté les Russes. Nous en avions beaucoup rajouté et ils étaient très stupéfaits par ce genre de théâtre. »

Sur les impressions d’URSS, en vérité, il y avait dans le groupe des enthousiastes et d’autres plus réservés mais, au retour à Paris, la camaraderie entre membres de la troupe reste intacte, en grande partie grâce au dynamisme de Jacques Prévert : « C’était sa grande époque, dit son frère Pierre, il était brillant, intarissable. » Les répétitions reprennent bientôt avenue Mathurin Moreau.

Les tensions politiques en France s’avivent. Les fascistes s’agitent beaucoup (journées de février 1934), les ripostes antifascistes s’organisent et le groupe Octobre se montre particulièrement actif dans les milieux ouvriers : maisons des syndicats, siège de la cellule communiste du XVIIIe arrondissement, goguettes, bistrots, usines. Un de leurs textes, inédit, proclame : « Travailleurs, attention/ Votre vie est à vous/ ne vous la laissez pas prendre/ Socialistes/ Sans parti/ Communistes/ La main qui tient l’outil ressemble à la main qui tient l’outil. »
La composition du groupe change en permanence, de nouveaux arrivants s’installent.
Au fil des mois, on va y croiser de nouveaux noms, Maurice Baquet (c’est lui, le violoncelliste du film Monsieur Klein de Losey), Paul Grimault, Jean-Louis Barrault, les frères Mouloudji, Gilles Margaritis (grand nom à venir de la télévision française), Roger Blin.
Prévert, ses amis produisent une farandole de pièces : « Une vie de famille », « Actualités 34 », « Les fantômes », « Marche ou crève », « le 14 Juillet », etc ; elles parlent de misère ouvrière, de violences, de luttes, d’espoir, d’unité. Dans « Les fantômes », le chœur final appelle le spectateur à dépasser ses peurs, ses conformismes, à changer : « C’est comme un charnier, un cimetière/ Ils se cramponnent à la vie d’autrefois/ Ils ont peur de la vie nouvelle/ Ils se cramponnent, ils vont tomber/ Viens avec nous, laisse-les tomber. Dehors il va faire beau et le monde va chanter ».
De cette époque survoltée, retenons encore la pièce « Suivez le druide ». Elle est annoncée dans L’Humanité de juin 1935, à l’occasion d’une grande fête bretonne, sous la présidence de Marcel Cachin, donnée par la municipalité communiste de St Cyr l’Ecole. Octobre (Roger Blin est dans le coup) organise une parade monstre, un défilé humoristique et revendicatif, construit des stands puis joue « Suivez le druide », revue bretonne en six tableaux, une Bretagne version lutte des classes (comme « la chanson des sardinières »). Le succès populaire est garanti, la droite dénonce « une odieuse mascarade communiste ». On lit dans le très réactionnaire « L’Echo de Paris » : « Certes les habitants de St Cyr sont habitués après 12 ans de municipalité communiste à voir défiler les hordes révolutionnaires sous leurs fenêtres, à entendre l’Internationale. Jamais cependant l’audace de ces voyous n’était allée jusque là ».
C’est l’époque aussi où Octobre marque un vif intérêt pour le cinéma : « Le cinéma et le groupe Octobre sont si proches l’un de l’autre, observe l’historien Michel Fauré ; le cinéma nourrit certains membres du groupe et Octobre en revanche alimente le cinéma de ses meilleurs talents. »
On retrouve le groupe dans une multitude d’actions militantes, le 29 mars 1934 à la fête des « Comités de défense de l’Humanité », le 25 avril à la Fête des « Amis de l’URSS », le 12 mai à la fête de « Mon Camarade », le 29 juin à celle du « Front Commun », le 20 octobre au gala du Secours rouge international ; et puis la troupe sillonne la banlieue, Asnières, Bagnolet, Suresnes, Ivry, Noisy-le-Grand, Villejuif, Alfortville, Bezons, Survilliers, Garches, Saint-Denis, Gentilly…
C’est aussi sa manière de hâter la venue du Front populaire.

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De 1932 à 1936, un groupe amateur de jeunes acteurs et actrices, communistes de cœur ou de carte pour la plupart, va monter une série de spectacles militants ébouriffants, créés par Jacques Prévert.

Après quelques mois de pause (au second semestre 1935), Octobre se voit propulsé dans le formidable tourbillon qui va conduire le pays vers le Front populaire. Selon Roger Blin : « Nous n’avions cessé d’appeler de nos vœux une telle apothéose. Et nous avions tout fait, très tôt, pour l’avènement du Front populaire. D’abord en nous situant par notre travail sur le plan de la lutte des classes, puis en signant dès 1934 nombre de manifestes pour étendre l’unité d’action. »

Les membres du groupe sont au cœur de toutes les grandes manifestations populaires de ces premiers mois de 1936 : une célébration de la Commune en mai particulièrement imposante : « Les manifestations en l’honneur de la Commune, observe Jean-Paul le Chanois, étaient toujours très massives mais celles de 36 eurent un éclat encore plus grandiose. Le spectacle en lui-même choquait beaucoup car il y avait tellement de monde que certains groupes se juchaient sur de vieilles tombes. Des chœurs parlés fusaient. On disait des textes de Vallès, des poèmes d’Hugo, Verlaine, Rimbaud (notamment « Les Mains de Jeanne-Marie »)… » Il y aura plus tard les cérémonies tout aussi spectaculaires du 14 juillet.
La troupe joue le « Tableau des merveilles », qui sera son dernier spectacle. Une adaptation de Cervantès où l’on retrouve Jean-Louis Barrault, Maurice Baquet, Roger Blin, les frères Mouloudji, Gilles Margaritis, de nombreuses comédiennes aussi. Octobre multiplie les représentations devant le public ouvrier, celui des grèves de 36. Un article de L’Humanité de juillet raconte un de ces spectacles devant plusieurs centaines de grévistes de la Samaritaine et l’accueil de ces derniers : « Cet humour féroce, frénétique, crispé d’un animateur du groupe Octobre, Jacques Prévert, et qui sourd de ces âcres refrains ou poèmes qu’on leur chante, peut-être les déconcerte-t-il un peu mais il les émeut et les fait rire aussi. Ils sentent confusément tout ce qu’il y a de vif, de sain, de rageur et de tendre dans ces jeunes femmes et ces jeunes gens qui croient à la force du lyrisme et à la force du peuple. L’ironie, si difficile à faire comprendre à un public populaire, raille ici ce dont ils souffrent : morale égoïste, « travail libérateur », production inhumaine. Ils sont aussi sensibles à cela qu’à l’admirable clownerie poussée au paroxysme de deux musiciens d’harmonium et de violoncelle qui arrivent à s’enchevêtrer follement dans leurs instruments, leur musique, leurs partitions, leurs chaises, leurs pupitres et leurs propres membres, bras et jambes. »

Mais, comme dit Maurice Baquet, « Le tableau des merveilles, fut au groupe Octobre ce que le bouquet final est au feu d’artifice ». La troupe en effet va se séparer. Etrange décision après un été si flamboyant. Il n’y a pas de fâcheries entre les membres de la troupe, qui garderont des liens entre eux mais l’aventure est terminée. Pourquoi ? Les interprétations sont nombreuses. Peut-être considèrent-ils que la mission fixée, faire entendre une culture populaire, est arrivée à son terme avec la victoire de la gauche ? ou, tout au contraire, anticipent-ils la fin proche du Front populaire, comète qui n’aura duré que quelques mois ? Veulent-ils s’épargner la violence de l’échec à venir ? Des historiens feront état de différences politiques qui traversent alors Octobre, et les raisons de débat sont nombreuses : des différences de vues existent sur certaines orientations du Front populaire (et du PCF), sur la manière de regarder l’URSS, sur la situation espagnole et les divisions entre républicains. On parle aussi de difficultés d’ordre financière de la troupe ou encore de l’attirance de plus en plus forte de ces acteurs/actrices pour le cinéma. C’est probablement Jean-Paul le Chamois qui a la solution : « Je crois que le groupe Octobre a été très touché par les besoins du Front populaire. Le Front populaire avait besoin d’hommes jeunes et dynamiques. Il les a pris parmi ses militants. Ainsi beaucoup d’animateurs de groupes du théâtre ouvrier se sont retrouvés secrétaires de mairie, administrateurs de ceci, responsable de cela, détaché à tel syndicat….Le Front populaire a puisé dans ses forces vives, affaiblissant ainsi considérablement les organismes existants. »
On laissera le mot de la fin à Michel Fauré, historien du groupe Octobre : « La lutte pour le pain, la paix, la liberté reste un combat éternel. Le Groupe Octobre l’a posé en termes d’amitié, de joies de vivre et d’entraide. Telle est son originalité et en même temps le gage que son exemple fera longtemps encore frissonner les « hommes à têtes d’hommes ».



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