Sociétal

SOCIETAL

Sociétal : relatif à la société, à ses valeurs, ses institutions, dixit Le Larousse. Lequel précise que le terme, un tantinet barbare, est récent, il serait apparu en 1979. Il a fait fortune ces dernières années dans la rhétorique politique et le jargon médiatique, sous la forme d’adjectif puis de nom, queue de la comète appelée « le phénomène de société ». Certains lui contestent encore sa légitimité. Le romancier Mathieu Larnaudie, par exemple, écrit dans « Acharnement » ( Actes Sud, 2012) : « Je me laissais finalement attraper par l’une de ces infectes et dégradantes émissions de « débats » que je regarde encore régulièrement afin de me tenir informé des mots d’ordre de circonstance, des plis rhétoriques utilisés par les personnels politiques en présence, des grossières thématiques qu’on nous vend comme étant des phénomènes de société du moment, supposés concerner sans exception tous les citoyens de ce pays, en refléter les préoccupations profondes, et qui ne sont bien sûr, la plupart du temps, que les sujets de discussion ciblés, définis et lancés par le pouvoir pour orienter et légitimer sa stratégie dans l’opinion publique ».
Prenons acte de la polémique et dépassons la car le sociétal, au même titre que le social ou l’économique dans leur domaine de compétence, concerne désormais, qu’on le veuille ou non, l’ensemble des problèmes de moeurs et de règles des individus en collectivité. Est ainsi un progrès sociétal tout ce qui favorise l’émancipation, l’autonomie humaine. Si le mot avait existé, on aurait pu (les médias auraient pu ) qualifier de sociétale l’IVG ou plus tard l’abolition de la peine de mort.
Le problème avec ce terme aujourd’hui n’est pas dans sa définition, il est dans une posture politique qui oppose souvent et artificiellement social et sociétal.
Un dessin de Plantu, à la Une du journal Le Monde le 13 décembre dernier, en donne un bon exemple : sur la moitié gauche de la caricature, Harlem Désir, premier secrétaire du PS, hilare, exhibe deux pétitions (Mariage pour tous et Vote pour tous), chapeauté d’un titre générique « Réformes sociétales » et sur la partie droite, des ouvriers en colère exigent des « Emplois pour tous ». Cette manière de faire, d’utiliser le sociétal comme un leurre, de l’opposer de fait au social, sous prétexte d’habileté politique est, dirons-nous, caricaturale.
Il y a là un côté chiffon rouge dont parle par exemple Le Figaro : « Si ces réformes (sociétales) continuent d’exporter vers le FN l’électorat ouvrier et permettent de conserver au PS l’électorat bobo, le premier parti à en faire les frais ne sera-t-il pas, cette fois-ci, l’UMP ? Le stratagème avait aidé Mitterrand en son temps, pourquoi ne servirait-il pas Hollande aujourd’hui ? »
Mais le jeu du sociétal contre le social n’est pas que posture politique. Il y a aussi une conception (et une ambition) de la gauche qui est en jeu. Certains opposeraient volontiers gauche sociale et gauche sociétale. Serge July par exemple ( voir ma rubrique Idées) prétend que 1968 et ses suites ont signifié la victoire des aspirations sociétales contre ce qu’il appelle « le grand soir » et que nous nommerons le social.
On contestera cette façon de voir, on contestera aussi la fermeté de cette « gauche sociétale », si elle existe, en la matière : le pouvoir aujourd’hui ne fait pas preuve d’une grande assurance sur les questions du mariage pour tous ou du vote pour tous, c’est le moins qu’on puisse dire.
En créant une fausse opposition (progrès social ou progrès sociétal ), on divise artificiellement, on affaiblit la cause qu’on prétend servir.
L’ambition communiste serait plutôt de défendre dans un même mouvement, et avec une égale énergie, social et sociétal. Mariage, vote, emploi pour tous ! Smic et moeurs, même combat !

Gérard Streiff

Gagnant – gagnant

La formule a une sonorité étrange, un petit côté gnan-gnan. Elle nous vient des Etats-Unis, où l’on parle là-bas du win-win, ce qui est déjà un peu plus agréable à l’oreille. Attention : gagnant-gagnant ne veut pas dire que, dans une opération x, une tractation, un échange, je vais gagner deux fois ; ni que dans un face à face, les deux parties vont gagner de manière égale. C’est un peu plus retors. Le « concept », ou plutôt la technique a déjà une longue histoire ; elle été expérimentée dans le domaine des jeux ( à propos de la répartition de gains), de l’éducation ( concernant un conflit parents/enfants) et du management (solutionner une lutte sociale).
La notion de gagnant-gagnant, qu’affectionnent le MEDEF ou les politiciens libéraux ( et sociaux-libéraux), se pare des vertus du partage, de l’équilibre, je gagne et tu gagnes ; en fait, il s’agit d’un partage très inégalitaire, genre pâté d’alouettes ( une alouette et un cheval...). Pas question de diviser le gain en deux. Prenons un gâteau. Mme Parisot dira au syndicaliste salarié : à vous la cerise, à moi le gâteau. C’est du gagnant-gagnant dans ce sens où chacun part avec quelque chose, mais il y a là un sens très particulier de la répartition. Le win-win ou le gagnant-gagnant, c’est jamais du 50/50, plutôt du 99/1. Ou encore : à moi le réel, à toi le symbolique ou à moi le fond, à toi la forme.
Quel est alors l’intérêt du win-win ? C’est faire croire, dans un conflit, un face à face, une négociation (salariale, politique, diplomatique), qu’il n’y a pas de perdant. C’est permettre au vaincu de « sauver l’honneur », de garder les apparences d’une non-défaite, c’est soumettre l’autre avec son consentement, c’est abattre l’adversaire en lui laissant croire -et surtout en laissant paraître- qu’il est toujours debout. C’est de l’entourloupe et dans les écoles de formation du patronat, on doit passer pas mal de temps à ce petit jeu : faire en sorte que l’exploité perde la mise mais pas la face.

Gérard Streiff



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