L’individu invalidé

*Passionnante audition du sociologue Robert Castel, l’autre jour, au
siège du PCF, à l’initiative du « Lieu d’études sur le mouvement des
idées » (LEM). Auteur d’une oeuvre abondante, dont on retient notamment
« Les métamorphoses de la question sociale » (1995), Rober Castel vient
d’écrire, au Seuil, « La montée des incertitudes ».*

« Jusqu’aux années 70, tous pensaient que demain serait meilleur. Nous
étions inscrits dans une dynamique de progrès » dit-il. Or aujourd’hui,
les trois quarts des Français pensent que la situation de leurs enfants
risque d’être inférieure à la leur. Ce bouleversement participe d’ « un
changement en profondeur des rapports sociaux » : on sort du capitalisme
industriel du XIX ème pour un « nouveau régime plus agressif sous
l’hégémonie du capitalisme financier international. »

Comment en est-on arrivé là ? Robert Castel développe sa réflexion en
trois temps, qui correspondent aux trois parties de son livre :
Transformation de l’organisation du travail ; montée de l’insécurité
sociale ; transformation du statut de l’individu.

Il dit du travail que c’est « l’épicentre des transformations. »

Le capitalisme industriel a commencé à s’implanter d’une manière très
sauvage. Il a fallu un siècle de lutte, de négociations, de compromis
pour permettre un équilibre entre les intérêts du marché et les intérêts
du monde du travail. Mais peu à peu le statut de l’emploi se fissure et
avec lui les protections. Aujourd’hui, c’est l’époque de la
dérégulation, de la précarisation, du travailleur pauvre.

Deuxième point : Le travail a une incidence directe sur le régime des
protections sociales.

Ces protections sont construites sur la base du travail stable. Mais
elles sont affectées dans leur financement par le chômage de masse et la
précarisation . Elles sont également affectées dans leur structure même.
Un nombre croissant de personnes ne peut plus bénéficier de protections.
Se dessine un autre type de protection qui obéit à la logique des minima
sociaux. Mesures qui se développent autour des politiques d’insertion.
Ces protections sont inférieures à celles qui sont construites à partir
du travail. Ce sont des protections médiocres. « Les frontières entre
travail et assistance se brouillent, on peut être partiellement un
travailleur et un assisté. C’est une régression dans le régime du travail. »

Dernier point de la réflexion de Robert Castel, qui n’est pas le moins
stimulant : Le statut d’individu.

La dégradation du travail, des protections, entraine une dégradation de
l’individu, de sa capacité à exercer ses responsabilités dans la société.

« Pour pouvoir se conduire comme un individu, il faut des supports, des
conditions. C’est de la solidité du statut de l’emploi que le travail
tirait l’essentiel de ses ressources. Lorsque le socle s’effrite,
l’individu peut se retrouver invalidé. Ce que le chômeur perd avec ses
ressources,

c’est son identité sociale. » Robert Castel parle de « précariat » qui
n’est plus une situation provisoire mais peut devenir une condition, une
strate de la division du travail, un infra salariat. Qu’est ce que c’est
qu’être un individu dans ces conditions ?

Pour lui, « la dégradation du compromis social avec le capitalisme
industriel est irréversible. Le capitalisme financier est profondément
pervers, il a provoqué la déstabilisation du marché du travail, la
marchandisation du travail. »

En conclusion, il note que si l’avenir est incertain, ça veut dire aussi
que le pire n’est pas certain….

« Serait-il possible d’élaborer une sorte de nouveau compromis social et
chercher un équilibre entre les exigences du marché et des droits, des
protections ? Concilier nécessité de mobilité et sécurité, trouver des
formules pour lutter contre la précarité en essayant d’assurer des
sécurités dans le parcours professionnel par exemple. » Il faut, dit-il,
transférer des droits qui étaient attachés au statut de l’emploi à la
personne du travailleur, réaffirmer l’importance du droit. Il évoque « 
l’accès à la sécurité sociale garantie pour rester un individu à part
entière dans notre société. Pour sortir de cette tendance dominante à la
marchandisation, il y a des choses qui ne se vendent pas. »

Dans la discussion, il a beaucoup été question de réformisme et de
révolution mais aussi de globalisation, de précarisation, du marché, de
l’Etat, etc. Animateur du LEM, Michel Laurent a souligné combien la
réflexion et l’échange qui a suivi apportent leur pierre à la
refondation d’un vrai projet de gauche.

G.S.



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