Marchais/Humanité/novembre 2022

Le 18 décembre 1972, Georges Marchais devenait secrétaire général du PCF. Il y a cinquante ans, donc. L’homme était alors au mieux de sa forme physique : un mètre quatre vingt, quatre-vingt deux kilos, un front immense, la chevelure fournie, les yeux bleus, souvent brillants de malice, sous d’épais sourcils , un menton carré, il dégageait entrain et force. Alain Duhamel parlait d’« un grand gaillard à la silhouette de grenadier de la garde impériale ». Marchais possédait une élocution très particulière, aux accents un peu traînants (Ah, le grand capital ! qui fera les délices des imitateurs). Il aimait séduire, il savait faire, il pouvait aussi, si besoin, mimer parfaitement une colère. Très vite il installa un « parler vrai » dans les médias et y imposa son autorité. Son succès dans la vie publique ne tenait pas seulement au fait qu’il était « une nature », selon l’expression de Charles Fiterman ; il passait la rampe parce qu’il incarnait avec force la France populaire. Face à des journalistes qui étaient, vrai ou faux, du côté de l’élite, face à la plupart des politiciens de l’époque, de plus en plus « ENArchisés », il avait un parler simple, efficace, et des millions de gens allaient s’identifier à lui « « qui n’a pas fait l’ENA » comme il aimait le répéter. Il était l’avocat du citoyen de base, du téléspectateur lambda. Alors que la gauche venait de signer le programme commun, il ne se fait pas d’illusion sur le PS : « Les traits permanents (de ce parti) sont, au-delà de la volonté réelle ou non de promouvoir des réformes sociales et démocratiques, la crainte que se mettent en mouvement la classe ouvrière et les masses, l’hésitation devant le combat de classe face au grand capital, la tendance au compromis avec celui-ci et à la collaboration de classe ». Il est clair qu’il va tendre à se renforcer à notre détriment, dira-t-il encore devant la direction communiste (mais ce texte ne sera rendu public que des années plus tard). Pour mieux affirmer l’autorité communiste, Georges Marchais va écrire « Le défi démocratique » (1973), son livre majeur. Où il combine communisme et libertés, pourfend l’étatisme, prend ses distances avec les pays de l’Est, avance des pistes fortes (les 40 heures hebdomadaires, une municipalité à Paris, des nouvelles prérogatives aux régions ). Les années soixante-dix vont être des années de feu, marquées par un renouvellement significatif du parti. Porté par l’enthousiasme propre à cette période (voir les municipales du printemps 1977 par exemple), est-ce qu’il s’illusionne sur la force communiste d’alors ? Le fait est qu’ au terme d’une fulgurante campagne présidentielle, en 1981, il tombe de haut : la mobilisation fut exemplaire mais le parti perd un quart de ses voix. Et découvre un peu tard la vague libérale qui est en train de ravager l’opinion ( « il y aurait trop de fonctionnaires ! et les chômeurs pourraient faire des efforts… »), vague dont nous connaissons encore les effets. Commence un lent repli électoral, et certains vont le taxer « d’homme de l’échec » (Marcel Rigout). Propos injustes qui oublient l’essentiel dans ce recul : le tsunami libéral justement, la détermination de la social démocratie à casser le courant révolutionnaire, l’affaissement lamentable des pays de l’Est. Pourtant Georges Marchais assumait sa part de responsabilités et dans un autre ouvrage important, « Démocratie »(1990), lucide sur la situation internationale, sur le stalinisme, il aborde de front, franchement, les difficultés qu’il a rencontrées, les maladresses qu’il a pu commettre, les pièges dans lesquels il était tombé, comme « le bilan globalement positif », l’intervention en Afghanistan, etc.
On peut légitimement penser qu’il ne souhaitait pas demeurer aussi longtemps à la direction du PCF. Un moment il avait imaginé céder la main à Charles Fiterman mais cette hypothèse s’effondra en 1984. Alors qui ? Sur les conseils de Madeleine Vincent, il choisit Robert Hue. Le 28è congrès approuva. Mais vite Marchais regretta son choix. A l’automne 1997, il s’opposait à la nouvelle équipe dirigeante qui souhaitait, dit-il, changer le nom du parti. De santé désormais plus fragile, il est hospitalisé le 7 novembre et meurt le 16. Il y a vingt cinq ans. Il est mort au combat en quelque sorte. Il eut droit à un vibrant hommage populaire, mais le mépris de classe s’afficha également, jusque chez Rocard qui prétendait que Marchais venait « d’un petit milieu ». Retenons cette nécro signée Jorge d’Hust dans « Libération Champagne » : « Tous ceux qui l’ont connu se souviennent d’abord d’un homme politique chaleureux, combatif. Sa plus grande réussite est certainement d’avoir évité l’embourgeoisement de son parti. Le PCF reste un parti de militants, proches des gens, défendant sur le terrain les ouvriers licenciés et les plus faibles. Ce n’est peut-être pas un très grand legs aux yeux de l’Histoire mais dans la vie de tous les jours, sur le plan humain et de la solidarité, c’est loin d’être insignifiant ».

Gérard Streiff



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