Revue du projet n°14, février 2012

http://projet.pcf.fr/18904

L’Eglise catholique, la crise et la mondialisation

Gérard Streiff

Mondialisation, crise financière, réglementation : le Vatican, dans un document officiel du Conseil pontifical « Justice et paix », a rendu public cet hiver un document qui met en cause « le libéralisme économique sans règles ni contrôles », critique les tentations protectionnistes, appelle à une taxation des transactions financières, à une recapitalisation des banques et souhaite une autorité financière mondiale. Un texte inquiet, une démarche ambitieuse, avec ses limites.

« Les dirigeants de Wall Street doivent s’asseoir et réfléchir avec discernement pour savoir si leur gestion actuelle des finances mondiales sert les intérêts de l’humanité et l’intérêt général » : ces propos n’émanent pas d’indignés madrilènes ou new-yorkais mais du cardinal Peter Turkson, un Ghanéen, responsable du conseil pontifical Justice et paix, en quelque sorte le ministère chargé des questions sociales du Vatican. Courant octobre 2011, ce conseil a publié un document, d’une vingtaine de pages, intitulé « Pour une réforme du système financier et monétaire international dans la perspective d’une autorité publique à compétence universelle ».
Le texte analyse les méfaits de la crise financière mondiale, avance une série de propositions immédiates et donne sa vision du monde de demain ; il appelle quelques remarques.
UN. Le statut du texte lui même. Il ne s’agit pas d’une encyclique, il n’en a pas la force doctrinale mais c’est un document officiel qui engage le pape. Prudents, certains clercs allument déjà des pare-feux ; le responsable du bureau de presse du Vatican, par exemple, note que ce n’est « pas un document pontifical et qu’il n’émane pas de la Secrétairie d’Etat ». Des subtilités qui sont probablement à l’image de divisions qui traversent, sur ces enjeux, la direction de l’Eglise.

DEUX. La situation de crise est assez fermement décrite.
« L’actuelle crise économique et financière a révélé des comportements égoïstes, marqués par la cupidité collective et l’accaparement des biens à grande échelle. (…) Ce qui est en jeu c’est le bien commun de l’humanité et son futur même. Plus d’un milliard de personnes vivent avec moins d’un dollar par jour, les inégalités ont énormément augmenté dans le monde. (…) Personne ne peut se résigner à ce que l’homme vive comme un loup pour l’homme. »

TROIS. Le texte est une critique vive du libéralisme. Il fustige « un libéralisme économique sans règles et sans contrôle », « l’existence de marchés monétaires et financiers à caractère principalement spéculatifs, dangereux pour l’économie réelle, surtout celle des pays faibles », « la domination de l’utilitarisme et du matérialisme, de l’individualisme et de l’idéologie technocratique » (voir ci-dessous).

QUATRE. Le texte entend réaliser une synthèse de la réflexion sociale de l’Eglise depuis un demi-siècle ; on sera attentif à l’évocation ici de grands moments progressistes de la pensée catholique contemporaine, notamment au début des années soixante, une séquence qui semblait un peu oubliée. Pour le journal La Croix, le document « se situe avec vigueur dans la droite ligne des encycliques sociales de Jean XIII ». Et le texte dit : « Ainsi que le rappelait déjà Jean XXIII dans Pacem in terris (1963), le but de l’Autorité publique est avant tout de servir le bien commun. Aussi doit-elle se doter de structures efficaces, c’est à dire à la hauteur de sa mission et des attentes dont elle est dépositaire. Ceci est particulièrement vrai au sein d’un univers mondialisé qui rend les personnes et les peuples toujours plus reliés entre eux et interdépendants mais qui montre aussi l’existence de marchés (...) spéculatifs. »

CINQ. Le conseil pontifical réaffirme la primauté de l’éthique, et de la politique, « sur l’économie et la finance ». Il envisage trois mesures qui sont autant de « premiers petits pas » selon Mgr Mario Toso, secrétaire du conseil pontifical : la taxation des transactions financières ; la recapitalisation des banques, sous réserve de comportement « vertueux », et « en vue du financement de l’économie réelle » ; la séparation des activités de dépôt et d’investissement.
Si l’on prend acte, au positif, de « l’existence de clubs et de groupes plus ou moins grands de pays plus développés ( du G7 au G 20), on ne peut pas ne pas remarquer que cette tendance ne semble pas respecter en plein le principe représentatif, en particulier des pays moins développés ou émergents ».

SIX. Au delà de ces mesures, l’ambition du document est de tendre vers « une autorité financière mondiale ». Ici la visée du Vatican est résolument mondialiste. Le document condamne l’autarcie : « une forme corrompue de nationalisme est restée suivant lequel l’Etat estime pouvoir, de façon autarcique, réaliser le bien de ses concitoyens » ; il prend acte de l’échec du FMI « qui a perdu sa capacité de garantir la stabilité des finances mondiales », appelle à la création d’une « Banque centrale mondiale » et plus largement d’une « Autorité publique mondiale (…) à mettre en oeuvre graduellement, dans le respect de la diversité et de l’identité des peuples ». Pour Tukson, cette « Autorité » ne doit pas être un « Moloch, un super-pouvoir destiné à asservir » mais un idéal calquée sur l’expérience de l’ONU. Une Autorité pouvant « créer les conditions indispensables à l’exercice de marchés efficaces, favorisant une solidarité fiscale globale », pour « une distribution équitable de la richesse mondiale ».

SEPT : Pour une famille de nations. Le texte se conclut ainsi : « Aujourd’hui, tout cela (le nationalisme) semble surréel et anachronique. Aujourd’hui toutes les petites ou grandes nations, de même que leurs gouvernements, sont appelées à dépasser cette « situation de nature » qui voit les Etats luttant entre eux en permanence. Malgré certains aspects négatifs, la mondialisation réunit davantage les peuples, les incitant à s’orienter vers un nouvel « état de droit » au niveau supranational, situation étayée par une collaboration plus intense et plus féconde. Suivant une dynamique analogue à celle qui, dans le passé, a mis fin à la lutte « anarchique » entre les clans et les royaumes rivaux, en vue de la constitution d’Etats nationaux, l’humanité doit aujourd’hui s’engager dans la transition entre une situation de luttes archaïques entre les entités nationales et un nouveau modèle de société internationale, plus unie, polyarchique, respectueuse de l’identité de chaque peuple, dans le cadre de la richesse variée d’une unique humanité. Un tel passage, qui a d’ailleurs déjà timidement commencé, assurerait aux citoyens de tous les pays – quelles qu’en soient la dimension ou la puissance – la paix et la sécurité, le développement, des marchés libres, stables et transparents. Selon Jean-Paul 2, « de même qu’à l’intérieur des Etats... le système de la vengeance privée et des représailles a été remplacé par l’autorité de la loi, de même il est maintenant urgent qu’un semblable progrès soit réalisé dans la communauté internationale ».
On notera que le texte est d’une extrême discrétion sur l’Union européenne.

Pour Jean-Marie Guénois, du Figaro, l’Eglise sait de quoi elle parle en matière d’économie mondiale, elle qui est implantée dans 2800 structures à échelle de la planète et « dispose d’une batterie d’experts avec ses 1500 universités catholiques » ; il ajoute : « La sortie de ce texte est animée par une forte et nouvelle inquiétude : le risque de dégradations sociales qui pourraient dégénérer en violence et menacer à terme les démocraties ».

Projet d’encadré

Le libéralisme vu par le Vatican
« Qu’est ce qui a poussé le monde dans une direction aussi problématique ? Avant tout un libéralisme économique sans règles ni contrôles. Il s’agit d’une idéologie, d’une forme d’a priorisme économique qui prétend tirer de la théorie des lois de fonctionnement du marché et celles dites lois du développement capitaliste, en en exaspérant certains aspects. Une idéologie économique qui fixe à priori les lois du fonctionnement du marché et du développement économique sans se confronter à la réalité risque de devenir un instrument subordonné aux intérêts des pays qui jouissent concrètement d’une position avantageuse au plan économique et financier. (…) A la base des inégalités et des distorsions du développement capitaliste, on trouve en grande partie, en plus de l’idéologie du libéralisme économique, l’idéologie utilitariste, c’est à dire l’organisation théorique et pratique selon laquelle ce qui est utile au plan personnel conduit au bien de la communauté ».

(Extraits du document pontifical)

SONDAGE
Principales préoccupations
Pour soi ou pour le pays

Gérard Streiff

Intitulée Panel électoral 2012, une enquête Ipsos/Logica Business Consulting pour Le Monde, le Cevipof, la Fondapol et la Fondation Jean-Jaures (fin 2011) porte sur un échantillon de taille exceptionnelle : 6000 personnes inscrites sur les listes électorales et représentatives de la population française âgée de plus de 18 ans.
Elle montre que les enjeux économiques et sociaux sont ceux qui préoccupent le plus les Français, loin devant l’insécurité, l’environnement ou le nucléaire ; elle indique aussi que les électeurs distinguent assez nettement ce qui les préoccupe pour le pays et ce qui les concerne personnellement. La crise, le chômage, les déficits font partie de la première catégorie ; le pouvoir d’achat, les retraites, les impôts préoccupent avant tout les individus.

Proposition de deux graphiques

Quelles sont les questions qui vous semblent les plus préoccupantes pour la France :

La crise 48%
Le chômage 33%
Les déficits 29%
Le pouvoir d’achat 26%
Les inégalités 23%
L’immigration 21%
La Santé 19%
L’école 16%
Les retraites 15%
Les impôts 15%
L’insécurité 15%

Quelles sont les questions qui vous semblent les plus préoccupantes pour vous :

Le pouvoir d’achat 55%
Les retraites 34%
Les impôts 33%
La crise 25%
La Santé 22%
Le chômage 16%
Les inégalités 16%
L’insécurité 15%
L’école 13%
L’immigration 11%
Les déficits 7%



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