Kanapa/Huma/janvier 2022

Le puzzle Kanapa
Variations de France Culture

Jean Kanapa aurait eu 100 ans en décembre dernier. Formé par Sartre ( ce dernier est son prof au lycée Pasteur de Neuilly), ce jeune agrégé de philo passe à Marx - et au PC, à la Libération. Il fait preuve aussitôt d’un sens peu commun de l’initiative et se fait remarquer par Laurent Casanova alors responsable du secteur Intellectuels. Celui-ci le nomme rédacteur en chef du mensuel « La Nouvelle Critique ». Des années durant, Kanapa y incarne le militant stalinien pur et dur, parce que c’est la ligne, et parce qu’il manifeste dans cette tâche une ardeur particulière. Il aime les formules-choc, les sentences provocatrices, les sorties définitives. Parfois il en fait trop et se fait traiter de « crétin » par son ancien mentor, Sartre.
Il faut dire que durant ces années de guerre froide, et d’anticommunisme très primaire, on ne se fait pas de cadeau dans les échanges politiques.
C’est un roman d’Elsa Triolet, en 1956, « Le monument », qui interroge Kanapa (ainsi qu’un long séjour dans les pays de l’Est, à Prague puis à Moscou) et l’amène à envisager peu à peu une autre conception du communisme que celle du soviétisme ambiant. Aux côtés de Waldeck Rochet puis surtout de Georges Marchais, il poursuit ce travail d’élaboration d’un communisme démocratique. On retrouve peu ou prou sa plume dans « La marche de la France au socialisme » (1966), dans « Le manifeste de Champigny » (1968), dans « Le défi démocratique » de Georges Marchais (1973), dans les textes du XXIIe congrès du PCF (1976). Jusqu’au projet, à peine esquissé, de l’eurocommunisme, en 1977. Il décède à la fin de l’été 1978, terrassé par le cancer ( certains parlaient de lui comme futur ministre des affaires étrangères en cas de victoire de la gauche…)..
L’histoire « officielle », quand elle évoque (rarement) Jean Kanapa, tend à ne retenir de lui que la première étape de sa vie et à effacer l’autre pan de son existence. Son nom est associé assez systématiquement au stalinisme, bien plus rarement à l’eurocommunisme. C’est pourtant le même homme qui glorifia Staline et initia le communisme de liberté. Les différentes pièces du puzzle ont toujours autant de mal à se placer bien entre elles. Je viens d’en faire encore l’expérience l’autre jour à France culture
Je suis invité par Guillaume Erner pour parler de mon livre « Le puzzle Kanapa » ( Editions La Déviation). L’entretien est dense, bref, correct. On parle des décennies 40/50, de Sartre, de Staline, de Casanova, de Jdanov, de La Nouvelle Critique, d’Edgar Morin, du « complot des blouses blanches », d’Elsa Triolet. L’émission passe le 26 décembre. Mais le 27, le site web franceculture.fr la résume ainsi : « Kanapa : un intellectuel passé en politique tellement extrême qu’il ira jusqu’à renier ses origines juives pour soutenir des thèses antisémites ».
Du grand n’importe quoi, assez à l’image d’un air du temps confus, et finalement inquiétant.

Gérard Streiff

P.S : Kanapa était aussi un romancier remarqué. Les éditions La Déviation ont eu la bonne idée de republier une de ses nouvelles « La crise ».



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