Rubrique/revue/19

N°19

L’âge d’or de la télévision culturelle

Dans l’apport du PCF à l’histoire de France, difficile de ne pas mentionner le rôle de gens de culture, d’artistes communistes dont les œuvres ont nourri un imaginaire collectif. Exemple, la contribution, dans les années 1950/1970, des réalisateurs « rouges » de la télévision publique.

Le centenaire du PCF est l’occasion de rappeler les apports des communistes à la société française. On pense assez logiquement aux grands moments de luttes, et d’acquis, dans le domaine social ou économique. Il faudrait aussi évoquer l’apport de créateurs et d’intellectuels communistes à la construction d’un imaginaire français. Dans les années 1950/70, dans ce média très prometteur alors qu’est la télévision, des réalisateurs communistes produisent un nombre considérable d’oeuvres qui vont durablement marquer l’opinion.
La radio-télévision s’est toujours comportée de manière discriminatoire à l’égard des communistes. Il faut attendre la Libération pour trouver des journalistes communistes à la radio d’État, le plus connu sans doute étant Francis Crémieux. Mais ils en seront chassés très vite, dès la « guerre froide » venue. Pour la petite histoire, le parti créa alors une émission radiophonique intitulée « Ici ce soir en France », retransmise par des stations situées dans différents pays de l’Est. Pour René Andrieu, il s’agissait « d’un droit de réponse légitime » face au boycott de la radio d’État. Cette radio cesse d’émettre en 1955. Si Francis Crémieux intègre France-Culture en 1966 avec l’émission « Le monde contemporain », l’information reste totalement verrouillée par le pouvoir gaulliste. La droite a le monopole de la politique sur le petit écran. Cependant, dans le domaine de la création télévisuelle, un genre qui s’invente alors, une bonne partie des réalisateurs sont des communistes, de coeur ou de cartes, ou des proches : Stellio Lorenzi, Maurice Failevic, Raoul Sangla, Jacques Krier, Paul Seban, Jean-Pierre Marchand, Marcel Bluwal, Jean Prat. Ou encore Claude Barma et Claude Coursais. On parlera de « l’école des Buttes Chaumont », du nom des studios de tournage. « A la télévision, on était les Hussards noirs de la République » dit Marcel Bluwal. Sur le sujet, on peut lire l’étude, discutable mais passionnante, d’Isabelle Coutant dans CAIRN.Info,« Les réalisateurs communistes à la télévision. L’engagement politique : ressource ou stigmate ? ».
Ces réalisateurs cohabitent un temps avec des administrateurs gaullistes non sectaires tel Albert Ollivier, plus tard remplacé, en 1964, par le très anticommuniste Claude Contamine. Bref, une sorte de partage s’opère de facto : aux gaullistes la politique, aux communistes la création, qui n’en est pas moins politique. Ils travaillent dans l’esprit de Vitez : « élitaire pour tous ».
« La télévision était l’instrument idéal pour apporter la culture aux gens qui n’allaient ni au théâtre, ni au cinéma, ni dans les bibliothèques, c’était un vrai outil populaire » note Maurice Failevic.
Ces réalisateurs vont adapter des classiques de la littérature française. Ils s’expriment par le biais de dramatiques, de documentaires, de variétés aussi (Raoul Sangla). C’est cette séquence que les historiens de la télévision appelleront « l’âge d’or de la télévision culturelle. »

Des émissions historiques, des séries vont mobiliser les téléspectateurs comme « La caméra explore le temps », 39 épisodes de 1957 à 1966, dont « Les templiers » (1961), « La terreur et la vertu » (1964), « Les cathares » (1965). On songe encore à « L’affaire Calas », à la série « Jacquou le croquant » (1967) d’après Eugène Le Roy, signée Marcel Bluwal. C’est lui qui, en mai 1968, fit tourner, au sens propre, faire le tour, le personnel en grève autour de la Maison de la radio ; on appela cette initiative « l’opération Jericho »…
Une des émissions de « La caméra explore le temps » suscita un vif débat interne entre l’administration de l’ORTF et le réalisateur Stellio Lorenzi : La Terreur et la Vertu, consacrée à la Révolution française. Diffusée en octobre 1964, elle met en scène les personnages de Danton et de Robespierre qui sont, chacun à leur tour, au centre des deux épisodes et s’opposent comme deux conceptions de la République.Danton est représenté en bourgeois bon vivant, à l’humour vulgaire, qui proclame : « Nous avons fait la Révolution pour l’égalité des droits, pas pour l’égalité des fortunes ». Robespierre est une figure intègre voire ascétique.On peut y entendre ces propos : « Le bien du peuple doit être la préoccupation constante de la République. Le vrai but de la Révolution c’est la mise en vigueur de la Constitution en faveur du peuple. Et les ennemis du peuple, ce sont les nôtres. Ce sont les hommes sans vertu et ce sont les riches. (…) Leur intérêt est que le peuple ne sorte jamais de la misère. (…) Nous œuvrons pour la grandeur et la dignité de l’homme. (…) Et ce n’est pas pour un peuple que nous combattons mais pour tout l’univers. Pas seulement pour les hommes qui vivent aujourd’hui mais pour tous ceux qui existeront demain ».
Le directeur de l’ORTF Contamine est farouchement contre ; il pense mobiliser les historiens « officiels » contre le téléfilm. Surprise : ceux-ci soutiennent Lorenzi, Contamine doit céder, l’émission passe.
C’est aussi l’époque des « Dossiers de l’écran », autre émission incontournable.
La fin du monopole de l’ORTF dès 1974, le glissement progressif vers l’audimat, la télé-pub, bref la télé-fric, changent la donne. La dérive, notable sous Giscard d’Estaing, s’accélère sous Mitterrand alors que l’aspiration progressiste à une « autre » télévision était très forte en 1981. Las, sur le petit écran s’ouvre une ère de crétinisation généralisée qui met un terme à l’aventure. Arrive la tête de la télévision des hommes d’affaires, comme Bouygues et leur logique financière ; nombre de réalisateurs constateront alors, non sans étonnement, qu’il était, finalement, plus facile de négocier avec la réaction gaulliste qu’avec ce genre de patrons. Raoul Sangla, qui connaît par coeur la machinerie télévisuelle, regrette au final ce qu’est devenu ce média, « un grand alambique du consensus, un instrument d’aliénation qui avait pourtant une autre destinée ».

Encadré
L’école des Buttes-Chaumont

« De 1950 jusqu’aux premières années de la décennie Soixante-dix, les réalisateurs communistes étaient nombreux à la télévision française. Stellio Lorenzi, Marcel Bluwal, ont été, dès 1950-1951, les chantres des « dramatiques » tournées en direct, adaptations de classiques de la littérature française, faisant appel aux comédiens formés par le théâtre populaire. Fer de lance de ce que l’on a appelé l’École des Buttes Chaumont (qui comprenait d’autres réalisateurs, non communistes, comme Claude Barma, Claude Loursais, Claude Santelli, etc.), ils ont été progressivement rejoints par Jean Prat, Jean-Pierre Marchand, Raoul Sangla, Paul Seban, etc. Jacques Krier enfin, entré à la télévision en 1953, se spécialise rapidement dans le documentaire, autre dimension des « programmes » qui mobilise les réalisateurs communistes. Maurice Failevic l’assiste à partir de 1962, dans ses premières fictions « réalistes », traitant de sujets sociaux contemporains. »
Isabelle Coutant, CAIRN.Info, 2001/1



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