Revue mars2/2022

Sondage janvier 2022

Inégalités de genre : ça s’aggrave !

La troisième édition du baromètre « Priorité(s) femmes » menée (au printemps 2021) par la société Kantar pour la Fondation des Femmes est sans appel : l’opinion considère que les inégalités de genre s’aggravent en France. « On note un net recul de la satisfaction en matière d’égalité femmes-hommes » dans tous les domaines estime Gaïdic d’Albronn, une responsable de l’institut d’enquête. C’est dans le cadre professionnel que les critiques sont les plus vives : 29% des sondés seulement trouvent que l’égalité femmes/ homme « a atteint un niveau satisfaisant ». »Lorsqu’on arrive pour la première fois en entreprise, les discriminations basées sur le genre sont beaucoup plus flagrantes que lors des études » note la présidente de Fondation des femmes. Avec une différence nette entre les genres. 36% des hommes se contentent de la situation contre 23% des femmes, un chiffre qui tombe à 17% chez les moins de 35 ans. Seul aspect encourageant : les jeunes hommes se montreraient plus critiques que leurs aînés.
La crise du Covid, forçant les citoyens à se replier sur la sphère intime, a également accéléré la prise de conscience des inégalités dans la sphère familiale.

Proposition de graphiques

Pourcentage de Français (sur trois ans) considérant que l’égalité entre les femmes et les hommes a atteint un niveau satisfaisant :
Dans l’espace familial
69% (2019)
66% (2020)
59% (2021)
Dans l’espace public
50% (2019)
51% (2020)
44% (2021)
Au niveau professionnel
34%( 2019)
32%( 2020)
29% (2021)

Dans le monde professionnel, par rapport à celle des hommes, la situation des femmes est…
Le salaire : 83% moins bonne
Le risque de harcèlement : 82% moins bonne
Les revenus au moment de la retraite : 79% moins bonne
Les conséquences sur la carrière d’avoir des enfants : 78% moins bonne
Les possibilités d’évolution de carrière : 74% moins bonne
La prise en compte de l’évolution familiale : 60% moins bonne

Succession, transmission : un rituel monarchique

Dans les romans d’Agatha Christie, à la toute fin de l’histoire, il y a souvent un moment particulièrement tendu : quand
un notaire procède, en présence de Hercule Poirot, le fameux privé belge, à l’ouverture du testament devant les acteurs du drame, une scène qui coïncide souvent avec la révélation de l’identité du coupable ; on pourrait dire que cette séquence est une manière d’allégorie de la transmission capitaliste. Transmettre, succéder : le sujet obnubile les possédants qui ont fait leur la formule de Gambetta : y penser toujours, n’en parler jamais. Pourtant, dans le capitalisme dynastique qui nous environne, la question tourne à l’obsession.
Ce que confessait un jour Marie-Odile Amaury (343è fortune de France), patronne du groupe du même nom ( L’Equipe, ASO Amaury Sport Organisation, organisateur du Tour de France) : « Ce qui me motive le plus, c’est de transmettre à mes enfants le groupe construit par mon mari et mon beau-père. » On répète volontiers que Bolloré aurait adapté, structuré son empire en fonction des attirances de ses descendants. Mais assurer la passation est tout un art qui évoque immanquablement les rites monarchiques. D’ailleurs Jean-Luc Lagardère (voir article joint) avait, dit-on, nourri son fils Arnaud de la lecture de « Mémoire de Louis XIV pour l’instruction du Dauphin », une lecture qui semble avoir peu profité au rejeton, ceci dit.
Quatre grands principes semblent ici s’imposer. Premier principe : le dauphin est en règle générale l’aîné, une règle qui s’accompagne d’exception. Martin Bouygues fut un deuxième choix, et de ce fait surnommé par quelque malicieux le « benjamin surprise ».
Second principe : dans ces milieux de la fortune, on entretient le mythe que l’héritier se serait fait seul ; il aurait déployé ses multiples talents en s’essayant à toutes les fonctions de la société et il aurait gravi (péniblement, sans doute pas, mais symboliquement, c’est sûr) toutes les marches vers le pouvoir. A entendre l’argumentaire patronal, voir un héritier hériter serait presque une surprise. Martin Bouygues cite volontiers les mots du fondateur, Francis Bouygues, mots devenus un mantra dans cette société : « Mon père avait la conviction que les hommes et les femmes doivent bénéficier des mêmes chances et évoluer grâce à leurs compétences et leurs volontés. » Oui mais, comme le fait observer la journaliste Anne-Sophie Mercier, « En attendant ce moment, tout en restant président, il vient de passer la main et de faire de son fils Edward son dauphin. Chez Bouygues, on est tous égaux sur la ligne de départ mais, à la fin, c’est toujours un Bouygues qui gagne. »
Troisième principe : la formation du dauphin est l’objet d’attentions particulières. Sortis des meilleures écoles, l’héritier est tout un temps cornaqué, il a droit à un tuteur, un précepteur, une sorte de mentor ou de régent, c’est le mot qui convient le mieux ( un dey chez les Ottomans). Ainsi Edward Bouygues, 37 ans, est chapeauté par Olivier Roussat, directeur général du groupe, ancien PDG de Bouygues Télécom. Chez Kering, François-Henri Pinault est formaté par Serge Weinberg, ex chef de cabinet de Fabius, proche de Macron et responsable de Sanofi. Alexandre Mérieux a été sous la tutelle de Jean-Luc Belingard, un des pontes du Big Pharma à la française.
Quatrième principe : le soutien de la cour. Le grand patron est très attentif à la cohésion du clan. L’intégration du clan (et dans le clan) se manifeste par des réunions régulières de famille. La transmission par héritage de pouvoirs, de fortunes, de patrimoines est un rituel essentiel dans ces familles. Le dominant accorde un intérêt particulier à ces passages de témoins et à la manière de pérenniser ses pouvoirs. Il sait d’expérience qu’un hiatus dans le clan peut faire exploser en vol la saga. Car si les membres du groupe dirigeant ont les mêmes intérêts de classe, ils ne sont jamais à l’abri de conflits d’égo. On se rappelle l’histoire récente du groupe Lacoste où la famille s’est divisée et finalement la société fut vendue à un groupe suisse. Eviter les conflits, arrondir les angles : il existe des sociétés ad hoc pour cela, comme « Associés en gouvernance » par exemple. Elles sont chargées de colmater les brèches éventuelles ; ce travail consistant à ressouder la tribu peut aller jusqu’à des thérapies de groupe. Chez Dassault où quatorze petits enfants se partagent 88% des actions, Serge, le patriarche, avait prévu un comité des sages pour parer à d’éventuels conflits internes, avec des personnalités comme Denis Kessler ( de la SCOR), Jean-Martin Folz (ex PSA) ou le notaire Bernard Monassier.
« Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. » Peu avant la Révolution, Beaumarchais dénonçait dans Le mariage de Figaro les privilèges liés à l’héritage et son rôle dans la reproduction d’une société de classes. On n’est certes plus en 1778, quoique…

Gérard Streiff

Chez Arnault, ça se passe comme ça

« Pour Bernard Arnault, 72 ans, patron de LVMH, la passation de pouvoir a toujours été un enjeu crucial. Il a strictement encadré l’éducation de ses cinq enfants, qui, en attendant qu’il décide lequel sera apte à prendre sa place, se font les dents au sein du groupe paternel. Tous les mois, ils se retrouvent à six autour de la table, dans un des salons du neuvième et dernier étage du 22 avenue Montaigne, siège de LVMH. Les cinq enfants issus de deux mariages – Delphine, Antoine, Alexandre, Frédéric et Jean – y entourent leur père, Bernard Arnault. Ils se ressemblent tant : grands, longilignes, le front haut, les yeux clairs, tous d’une parfaite politesse, avec cette allure impeccable composée grâce aux marques du groupe – Dior, Vuitton, Berluti, etc. – qui leur donnent toujours un peu l’air de sortir du pressing. Ces six-là se parlent plusieurs fois par jour. La plupart habitent à côté les uns des autres, dans les quartiers chics de Paris. Ils se croisent régulièrement dans les défilés de mode, et il y a toujours l’un des frères, ou leur sœur, pour accompagner le père, propriétaire et PDG du numéro un mondial de l’industrie du luxe.(…) La réunion mensuelle au siège est cependant d’un genre particulier. Elle tient à la fois du déjeuner de famille et du miniconseil d’administration et, par-dessus tout, d’un cours de haut vol sur la pratique des affaires. Antoine Arnault, 44 ans, l’aîné des garçons, au regard velouté et à la barbe de trois jours, soucieux d’humaniser l’image du clan, ne présente pas tout à fait les choses comme cela, bien sûr. « C’est une occasion de se retrouver et de se raconter nos vies… », minimise-t-il. Son père lui-même rectifie pourtant sans fard : « Ne nous racontons pas d’histoires, on parle surtout des enjeux du groupe. » C’est lui, du reste, qui dresse chaque mois sur son Ipad, avec son habituelle rigueur glaçante, l’ordre du jour de ce déjeuner. Le repas, forcément diététique, ne doit pas durer plus d’une heure trente. La nomination d’un créateur, l’ouverture d’une boutique, le rachat d’une marque… Le patriarche soumet tout au jugement de ses enfants, distribuant la parole à chacun. »

Raphaelle Bacquet, Vanessa Schneider, Le Monde, 26/7/21



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