Révolution numérique

Une rencontre féconde

Les Etats généraux de la révolution numérique se sont tenus, les 18 et 19 mars, Espace Nimeyer. Pourquoi une telle initiative ? Et quelle suite lui donner ? Entretien avec Yann Le Pollotec, membre du Conseil national du PCF et responsable « Révolution numérique ».

Tu as dis que le numérique est devenu un nouveau champ de la lutte des classes. Pourquoi ?

Le numérique exacerbe la contradiction capital/travail et attaque la question du travail sur trois fronts. Un : il y a ce qu’on appelle l’uberisation, c’est à dire une attaque frontale contre le compromis du salariat, passé à la fin des années quarante. L’uberisation parcellise le travail, se développe autour du capitalisme de plateforme et a tendance à faire sauter les contrats de travail ; les gens se retrouvent dans une situation de salarié à la tâche, sans protection sociale. Il y a des combats qui se structurent pour que ces gens soient requalifiés dans un cadre salarial -ce qu’ils ne souhaitent pas toujours, ou qu’ils bénéficient de droits comme tous les travailleurs. Ils se font en effet extorqués leur force de travail. Deux : il y a le « digital labour », tout le travail gratuit que nous faisons pour les plateformes numériques. Par exemple on dit qu’on va mettre à jour gratuitement Windows 10 mais en fait on se transforme gratuitement en testeurs de Windows 10. On est dans une situation où, de plus en plus, nous travaillons gratuitement pour les grandes firmes du numérique sans le savoir. Trois : c’est l’automatisation, avec le Big Data, les machines « apprenantes » (learning) et la robotique, qui conduit à la destruction de toute une série d’emplois très rapidement, postes qui sont loin d’être remplacés par de nouveaux emplois. Ceux-ci seront soit des emplois très qualifiés (qui demanderontnt formation et sécurisation), soit des emplois peu qualifiés mais entre les deux, les travaux moyens, payés correctement, risquent de disparaître ou d’être tirés vers le bas salarialement. Tout cela demande de poser en grand dans la société l’exigence d’une baisse drastique du temps de travail et la sécurisation des parcours professionnels, voire aller vers une généralisation de ce qui était le fondement du statut de l’intermittent du spectacle. Bref, on voit que si on ne s’occupe pas de la révolution numérique, elle s’occupe de nous… C’est un véritable enjeu de lutte des classes et celle-ci ne peut plus s’organiser comme cela se faisait au 20è siècle. Il y a de nouvelles formes de lutte qui utilisent les réseaux sociaux, qui mettent en cause les réputations des firmes. Une vraie bagarre qui se joue maintenant, dans la capacité à s’approprier politiquement ces nouveaux enjeux, y compris les questions technologiques.

Quel fut l’esprit des Etats généraux de ce week-end ?

On a voulu confronter, pour débattre et construire ensemble, plusieurs populations : ceux qui font la révolution numérique, qui ont une conscience politique, se réclament du partage, de la coopération, du bien commun, qui veulent changer les choses ; puis les experts, des universitaires, qui ont une vision globale ; les syndicalistes ; et les militants du parti communiste. Il s’agissait de les faire travailler ensemble. Et je dirais que la mayonnaise a pris. Il y a eu vraiment de la rencontre, de la rencontre féconde. Il y a eu beaucoup de plaisir à se voir, une volonté de continuer.

Quel bilan, et quelle suite,justement ?

On a eu plus de deux cents personnes, sur deux jours. ( A ajouter, je dirais, aux 350 présents, l’autre fois, lors de l’échange entre Pierre Laurent et Bernard Stiegler). Il y a eu des découvertes, deux types de découverte en vérité. Bien souvent les militants ont mesuré que ce n’était pas des enjeux inintelligibles, qu’il avaient leur mot à dire ; et les activistes de la révolution numérique ont été agréablement surpris d’avoir une autre vision de la politique. Comme la majorité des Français, ils pensaient que les politiques ne servaient plus à grand-chose et c’est une autre image qu’ils ont eu ce week-end . Tous les présents se sont d’ailleurs engagés à faire venir d’autres personnes une prochaine fois. Et tous appelent à une nouvelle édition des Etats généraux qui aura probablement lieu en octobre 2017.

Propos recueillis par Gérard Streiff



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