Série Journalistes communistes à la radio-télévision (7 épisodes)

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Petite histoire des journalistes et réalisateurs communistes à la radio-télévision (1)

Le PCF revendique sa place à la radio dès les années vingt, si l’on en croit l’historienne Agnès Chauveau dans « L’audiovisuel en liberté » (Presses de Sciences-Po). Il demande alors que les journaux communistes soient cités dans les revues de presse radiophoniques. Il faut cependant attendre la Libération (le programme du CNR plaidait pour la démocratisation de l’information) pour trouver des journalistes communistes à la radio d’Etat. Le plus connu sans doute est Francis Crémieux. Lors d’un entretien en 1997, il me dit : « Le monde des journalistes de la radio est alors partagé entre gens de Londres, d’Alger et de la Résistance intérieure. » Lui-même vient du groupe « Combat ». Il tient d’ailleurs une rubrique « Radio » dans la revue mensuelle de Pierre Seghers, « Poésie » (1947) et un peu plus tard (1949) dans le mensuel du PCF pour l’intelligentsia « La Nouvelle Critique ». A l’aube de la guerre froide, l’ambiance anticommuniste coûte cher à de nombreux journalistes. Francis Crémieux est révoqué en novembre 1948 de la rédaction en chef du « Journal parlé ». Alors même que se déroule la grève des mineurs du Nord-Pas-de-Calais, il réalise une émission anniversaire sur la lutte de cette corporation en 1941, pendant l’occupation nazie. Or, quelques jours auparavant, le Président de la République Vincent Auriol avait demandé au président du Conseil des ministres Queuille « d’éliminer de la radio les communistes qui (prétendait-il) dirigent tout le Journal parlé ». Jean-Noël Jeanneney cite ce texte dans son livre « Une histoire des médias ».
S’appuyant sur ces relations internationales dans le cadre du Kominform (l’Internationale Communiste dans sa version d’après-guerre), le PCF décide de créer une émission radiophonique qui va être retransmise par des stations situées dans les pays de l’Est : l’émetteur se trouve, selon les périodes, en Tchécoslovaquie, en Pologne, en Hongrie ou en Roumanie. Cette émission, quotidienne, est intitulée « Ici ce soir en France ». Sa réception n’est pas toujours d’une netteté absolue et ses moyens relèvent à bien des égards de l’artisanat. Ceux qui ont participé à la réalisation de cette radio parleront plus tard de « bricolage ».
Dans le petit groupe de journalistes concernés, on trouve René Andrieu, futur rédacteur en chef de L’Humanité, André Carrel, qui sera rédacteur en chef de L’Humanité Dimanche, Jean Le Lagadec, responsable ensuite de la rubrique de politique intérieure de L’Humanité, Lucien Barnier qui deviendra un chroniqueur scientifique renommé, Francis Crémieux.
Pour René Andrieu (voir son livre « Un rêve fou »), il s’agit d’un « droit de réponse légitime » du PCF face au boycott de la radio d’Etat. Le taux d’écoute d’ « Ici ce soir » est difficile à évaluer. L’émission est annoncée dans les colonnes de L’Humanité ; elle aurait reçu une abondante correspondance à son adresse parisienne et une des chroniques les plus importantes de l’émission est précisément celle du courrier des auditeurs. Au programme figurent des interviews de dirigeants communistes et du Mouvement de la Paix ; des reportages ; une rubrique littéraire animée par Martine Monod et l’écrivain Pierre Gamarra ; une rubrique cinéma avec Georges Sadoul ; le cycle des mémoires de Marcel Cachin. Eluard participe à une émission de poésie ; des comédiens, des musiciens comme Jean Wiener sont de la partie. Des montages radiophoniques sont mis au point, le plus fameux étant une réalisation de Vladimir Pozner, « Qui a tué HO Burrel ? », sur le thème du maccarthysme aux Etats-Unis. Nés au début des années cinquante, cette radio cesse d’émettre en 1955, notamment à la suite d’un accord international mettant fin à la bataille entre certaines radios de la guerre froide.

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Petite histoire des journalistes et réalisateurs communistes à la radio-télévision (2)
A partir de 1958, avec la radio-télévision gaulliste, les rapports sont très ambivalents. D’un côté la censure politique est implacable. Le discours gaulliste, la propagande officielle occupent tout l’espace des journaux télévisés et les ministres de « l’information » veillent au grain. D’un autre côté, la télé de l’époque (une seule chaîne, en noir et blanc, au début…) accueille ( ou compose avec, ou tolère) des réalisateurs « rouges » qui vont proposer des émissions extrêmement populaires. Ces créations vont marquer durablement l’opinion.
En cette fin des années 50/début 60, la création télévisuelle est un genre qui s’invente. Une bonne partie des réalisateurs qui expérimentent ce nouveau média sont des communistes, communistes de coeur ou de carte, des proches, des compagnons de route comme on disait : Stellio Lorenzi, Maurice Failevic, Raoul Sangla, Jacques Krier, Paul Seban, Jean-Pierre Marchand, Marcel Bluwal, Jean Prat. Ou encore Claude Barma et Claude Loursais. On parlera de « l’école des Buttes Chaumont », du nom des studios de tournage. « A la télévision, on était les Hussards noirs de la République » dit Marcel Bluwal. Sur le sujet, on peut lire l’étude d’Isabelle Coutant dans CAIRN.Info « Les réalisateurs communistes à la télévision. »
Ces réalisateurs cohabitent un temps avec des administrateurs gaullistes non sectaires tel Albert Ollivier, plus tard remplacé, en 1964, par le très anticommuniste Claude Contamine. Bref, une sorte de partage s’opère de facto dans les locaux de l’ORTF : aux gaullistes la politique, aux communistes la création, qui n’en est pas moins politique. Ces derniers travaillent dans l’esprit de Vitez : « élitaire pour tous ». « La télévision était l’instrument idéal pour apporter la culture aux gens qui n’allaient ni au théâtre, ni au cinéma, ni dans les bibliothèques, c’était un vrai outil populaire » note Maurice Failevic.
Ces réalisateurs vont adapter des classiques de la littérature française. Ils s’expriment par le biais de dramatiques, de documentaires, de variétés aussi (Raoul Sangla). C’est cette séquence que les historiens de la télévision appelleront « l’âge d’or de la télévision culturelle. »
Un premier nom : Stellio Lorenzi (1921/1990). Il réalise 39 épisodes, de 1957 à 1966, de la série « La caméra explore le temps », dont « Les templiers » (1961), « La terreur et la vertu » (1964), « Les cathares » (1965). De lui encore « L’affaire Calas » ou la série « Jacquou le croquant » (1967) d’après Eugène Le Roy.
Une anecdote qui témoigne du permanent bras de fer entre réalisateurs communistes et administrateurs gaullistes : une des émissions de Lorenzi suscita un vif débat interne, « La Terreur et la Vertu », consacrée à la Révolution française. Diffusée en octobre 1964, elle met en scène les personnages de Danton et de Robespierre qui sont, chacun à leur tour, au centre des deux épisodes et s’opposent comme deux conceptions de la République. Danton est représenté en bourgeois bon vivant, à l’humour vulgaire, qui proclame : « Nous avons fait la Révolution pour l’égalité des droits, pas pour l’égalité des fortunes ». Robespierre est une figure intègre voire ascétique. On peut y entendre ces propos : « Le bien du peuple doit être la préoccupation constante de la République. Le vrai but de la Révolution, c’est la mise en vigueur de la Constitution en faveur du peuple. Et les ennemis du peuple, ce sont les nôtres. Ce sont les hommes sans vertu et ce sont les riches. (…) Leur intérêt est que le peuple ne sorte jamais de la misère. (…) Nous œuvrons pour la grandeur et la dignité de l’homme. (…) Et ce n’est pas pour un peuple que nous combattons mais pour tout l’univers. Pas seulement pour les hommes qui vivent aujourd’hui mais pour tous ceux qui existeront demain ». Le directeur de l’ORTF (Contamine) est farouchement opposé à ce scenario ; il pense mobiliser les historiens « officiels » contre le téléfilm. Surprise : ceux-ci soutiennent Stellio Lorenzi, Contamine doit céder, l’émission passe.

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Petite histoire des journalistes et réalisateurs communistes à la radio-télévision (3)
D’autres réalisateurs « rouges » de cet âge d’or de la télévision culturelle s’imposent. Marcel Bluwal (1925/2021 ; il est décédé le 23 octobre dernier à l’âge de 96 ans). Issu d’une famille de juifs polonais réfugiés à Montmartre, il resta, après la rafle du Vel d’Hiv 27 mois caché avec sa mère dans une sorte de soupente. Ce téléaste fut aussi un grand metteur en scène. A ses débuts à la télévision, il crée une émission sur la vie des gens intitulée « Et si c’était vous… », saluée par la critique. Il réalise « Le mariage de Figaro » (1961), « Don Juan ou le festin de pierre » (1965), « Beaumarchais ou les 60 000 fusils » (1966), « Le jeu de l’amour et du hasard » (1967). Il adapte Dostoïevski (« Les frères Karamazov ») ; Victor Hugo ( « Les misérables »). Il lance ensuite la série Vidocq, touche au domaine des variétés. « Je traitais tous les conflits en espérant que pour le public, il en sortirait une exaltation révolutionnaire ». En 2008 encore, il signera la série « A droite toute ».
Jean-Pierre Marchand (1924/2018), assistant d’Allegret, Clouzot, Daquin, Gerard Philippe, Ivans, réalise, lui, une série de documentaires sur l’indépendance des colonies françaises en Afrique, collabore à des émissions comme « La caméra explore le temps » (« La conspiration du général Mallet », 1963), « Les cinq dernières minutes » (« La rose de fer », 1966), assure des reportages pour « Cinq colonnes à la Une », collabore à « Eurêka » ou « Discorama ». Il créa le syndicat CGT des réalisateurs.
Raoul Sangla (1930/2021) réalise à partir de 1964 l’émission « Discorama » animée par Denise Glaser, ainsi que de nombreux feuilletons, documentaires et fictions, des comédies musicales aussi. « La télévision est au cinéma ce que le journalisme est au roman » estime-t-il. Il participe à la mise en scène du JT en rendant apparente la technique. Il oeuvrera à l’installation de télévisions locales.
D’autres noms produiront également des œuvres marquantes : Maurice Failevic (1933/2016) réalise par exemple pour « Les dossiers de l’écran » « 1788 » ; « C’était la guerre » ; « Jusqu’au bout » ou des documentaires comme « Les agriculteurs », « Les sangliers » ou (bien plus tard) « L’Atlantide, une histoire du communisme » avec Marcel Trillat.
Jacques Krier (1926/2008) aborde volontiers les sujets sociaux, les entretiens avec « les vrais gens », dans le cadre d’émissions comme « A la découverte des Français » ou « Cinq colonnes à la Une ». Egalement scénariste et écrivain (« Les drôles de voyages d’un camarade errant »).
A Paul Seban (1929/2020), assistant de Renoir, Carné, Astruc, Ivens, Chabrol, Welles…, on doit notamment « Un jeune homme rebelle » ou « Contes modernes : à propos du travail ». Grand prix du documentaire de la Scam, ,il coréalisa « Musica » avec Marguerite Duras.
Sans oublier le très jeune réalisateur Jean-Daniel Simon, à peine plus de vingt ans ces années-là (il « passe » ensuite au cinéma) que l’on retrouve dans les émissions « Pour le plaisir », « Cinéma », « Dim Dam Dom », « Cinq colonnes à la Une » ou « L’âge de.. ».
Côté politique, on l’a dit, l’administration gaulliste contrôle tout. Si Francis Crémieux, dont on a déjà parlé au premier chapitre, intègre France-Culture en 1966 avec une émission mythique « Le monde contemporain », l’information reste totalement verrouillée par le pouvoir gaulliste. La droite a le monopole de la politique sur le petit écran. C’est notamment ce que la rue lui reproche en mai 1968.

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Mettre fin à la tutelle gaulliste sur l’ORTF et « libérer l’information » : ces revendications étaient au cœur des manifestations de mai 1968 ; de très nombreuses affiches vont fleurir sur ce thème, genre « La police vous ment tous les soirs à 20h ».
A la maison de la radio, une partie du personnel vote la grève le 17 mai. Il faudra encore quelques jours pour que le mouvement s’installe, pour y rallier toutes les catégories de l’Office (journalistes, administrateurs, employés, techniciens, réalisateurs, etc…), pour dépasser la peur de représailles gaullistes aussi. Mais cette grève sera une des plus fortes du mouvement de 68, elle va durer jusqu’au 13 juillet, soit 43 jours.
A partir de la déclaration de grève, l’accès de la rue Cognacq-Jay (où se trouve alors la première chaîne) est interdit aux grévistes ; ils se rabattent sur la Maison de la radio. Un témoin de ce mouvement, le chroniqueur d’art Adam Saulnier, raconte : « Les délégués syndicaux et autres représentants du personnel siègent sans discontinuer. Raoul Sangla préside dans le rôle du bon chérif. Rue Cognacq-Jay, c’était le cinéma avant Hitler et le cinéma soviétique des premières années ; nous sommes à la Maison de la radio dans le cinéma américain. »
C’est donc le communiste Raoul Sangla qui anime les échanges au studio 112, réquisitionné par l’Intersyndicale, les débats du « Parlement des 15000 salariés de l’ORTF ».
La grève est studieuse, les débats remettent tout en cause, la politique de l’information et celle des lettres, des arts, du théâtre, du cinéma, du sport, des loisirs, des connaissances. On n’en finit plus d’échanger, de rédiger, de voter. De Saulnier encore : « Des slogans fleurissent sur les murs de Paris. Les murs de la Maison de la radio ne sont pas en reste : « Studio 109 , studio sang neuf ! ». C’est au studio 109 que se tiennent les assemblées générales. Ou « L’émotion tue les motions, les motions tuent l’émotion ».
« L’union des journalistes de la télévision » (UJT) est formée des journalistes qui avaient voté la grève (97 voix contre 23) ; elle publie en juillet des « Notes d’information concernant la crise de l’ORTF et la grève des journalistes de la télévision » qui critique la politique d’information menée jusque là et propose une réforme ambitieuse de l’ORTF, autour de trois axes : indépendance, impartialité, participation des personnels.
Il y eut une autre forme d’action spectaculaire du personnel en lutte, et Stellio Lorenzi y prendra une part active : l’opération « Jéricho ». Il s’agissait de faire tourner -au sens propre, faire le tour- les grévistes autour de la Maison (ronde) de la radio, une manif tournante en espérant faire tomber les murs de la censure …
Au terme de la grève, des avantages sont obtenus au plan des salaires notamment mais rien ne bouge du côté du système d’information. Au contraire le pouvoir qui a senti un moment le média lui échapper ne pardonne pas. Dès 1968, une première vague de licenciements va éliminer entre autres nombre de salariés « rouges » : 64 journalistes et 30 pigistes sont concernés (une émission de FR3, le 4 novembre dernier, parlait de 102 licenciements). Sans parler des « placardisés ». Une seconde vague interviendra en 1974, sous Giscard d’Estaing, avec 274 journalistes touchés et 50 mises à la retraite. ( La même année, 1974, marque la fin du monopole de l’ORTF, le glissement progressif vers l’audimat et la télé pub.) On parlera même un temps de 500 journalistes –syndicalistes, communistes, socialistes- qui auraient été licenciés ou écartés entre 1968 et 1980.

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Dès 1970, le PCF dépose à l’Assemblée nationale une proposition de loi concernant le statut de l’ORTF. « C’est la seule force politique d’opposition qui a un projet défini et cohérent pour la radio-télévision » note l’historienne Agnès Chauveau (« L’audiovisuel en liberté ? », Presses de Sciences Po, 1997). En 1971, dans « Changer de cap », le parti met l’accent sur « la démocratisation des moyens modernes d’information et de diffusion » : création d’une société nationale de la radio et de la télévision, meilleure élaboration des programmes, part essentielle aux créations, place de la création contemporaine, droit des auteurs des émissions radio-télévisées. Peu après (1972), le programme commun de la gauche reprend ces orientations et se propose d’œuvrer « pour le droit d’expression des courants d’opinion » et contre « la censure ». La question du pluralisme à la télé devient une des grandes questions du débat politique de la décennie. Les partis de gauche mettent sur pied un « comité de vigilance » présidé par Edmonde Charles-Roux. Giscard d’Estaing fait semblant de jouer l’ouverture : interrogé par René Andrieu lors d’une conférence de presse en 1978, il prétend vouloir mettre fin à l’ostracisme qui vise les journalistes communistes. Le PCF le prend au mot et dépose aussitôt une série de candidatures pour intégrer les chaînes : Martine Monod, Marcel Trillat, Roger Pourteau, François Salvaing. L’affaire n’a pas de suite.
L’élection de François Mitterrand suscite un vif espoir de libéralisation. Le premier ministre Pierre Mauroy critique le caractère monocolore des présentateurs de télé, appelle à des changements qu’il initie très lentement par ailleurs. Le PCF met l’accent sur le respect du pluralisme et revendique sa place dans les médias publics. L’intégration de journalistes communistes va passer par plusieurs canaux. Il y a d’abord la réintégration des licenciés. Francis Crémieux par exemple retrouve son titre de rédacteur en chef. Marcel Trillat, licencié en 1968, et qui anima un temps la radio libre « Lorraine Cœur d’Acier », devient chef du service Société avec Pierre Desgraupes sur la deuxième chaîne. Outre ce retour des « anciens », le PCF réclame l’embauche de nouveaux journalistes. Ce sera l’objet de négociations interminables avec le parti socialiste. Elles durent de l’automne 1981 à l’automne 1982. Georges Marchais aborde la question avec François Mitterrand puis Pierre Juquin, chargé de la communication, et Jacques Bidou, son collaborateur, gèrent le dossier au quotidien. Côté PS, c’est Georges Fillioud qui dirige. Et qui résiste ! « Chaque nom (de nouveaux journalistes communistes) est arraché plutôt que concédé » selon Jacques Bidou. C’est ainsi que sont nommés à la rédaction de TF1 François Salvaing, Roland Passevant, Jean-Luc Mano, Victoria Llanso ; pour FR3 c’est le cas de Jean-Charles Eleb, Pierre Charpentier ou Michel Naudy, responsable du service politique. « Edouard Guibert négociera la venue à FR3 de onze journalistes sur un effectif de six cents » observe l’historien Jérôme Bourdon.
Combien sont-ils au total ? S’il est possible d’identifier aisément une quinzaine de noms dans les rédactions de TF1, A2 et FR3, soit les personnalités les plus médiatiques, Jacques Bidou parle d’une cinquantaine de cas (59 au total) pour les trois chaînes ainsi que Radio France et les radios et chaînes locales. Ce chiffre est somme toute limité. Si l’on évalue à 1400 environ le nombre total de journalistes du secteur public d’alors, il s’agit de moins de 5% de l’ensemble des journalistes. Ce qui n’empêche pas la droite de crier à « l’entrisme rouge ».

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Années 80 : se met en place une instance de « contrôle » de la télévision, structure qui changera de nom au fil des ans pour devenir l’actuel CSA, organisme tarabiscoté aux pouvoirs limités. En août 1982 est nommé parmi les membres de la Haute Autorité (HACA) le réalisateur communiste Daniel Karlin, auteur de plusieurs séries remarquées en collaboration avec le psychiatre Tony Lainé. Le PCF avait présenté l’écrivain André Stil et Daniel Karlin, seul ce dernier est accepté.
De manière générale, l’intégration des journalistes communistes à la radio-télévision s’avère plutôt difficile, même si la situation varie beaucoup d’un individu à l’autre ( voir mon article « 1981 : des journalistes communistes à la radio-télévision » dans Les Cahiers d’Histoire n°82, 2001). « Poursuivis par leur étiquette, note l’historien Jérôme Bourdon, les nouveaux venus n’ont pas la tâche facile. » Une manière de harcèlement les accompagne : comment peut-on être journaliste et communiste ? Leur répète-ton. Mme Cotta, nouvelle responsable de la Deuxième chaîne conseille aux nouveaux venus de s’effacer : « L’arrivée de journalistes communistes n’arrange pas nos affaires même s’ils se comptent sur les doigts d’une seule main. Il faut dire que nous attendions d’eux qu’ils se fondent dans la tonalité générale de l’antenne. » La même, un an plus tard, promue à la tête de la HACA, s’agace de la singularité de Daniel Karlin, « le vilain petit canard qui ne s’amusait pas des mêmes jouets que nous et qui risquait à tout moment de faire s’effondrer nos châteaux de sable » !
Alors que l’opinion de gauche, communiste singulièrement, attendait beaucoup d’une « nouvelle télévision », rien ne change vraiment. D’où une tension entre le PCF et le PS dès le printemps 1982. Moins d’un an après l’arrivée de la gauche au pouvoir, il est significatif que le premier accroc entre ces deux partis concerne l’audiovisuel. Le PCF est insatisfait de la loi sur l’audiovisuel en préparation et parle de s’abstenir. Le ministre Fillioud, cité par l’historienne Agnès Chauveau, écrit dans une note à Mitterrand : « Il n’est pas sûr que l’abstention des communistes sur un texte de cette nature ne soit pas politiquement une bonne chose vis-à-vis de l’opinion. »
Pour l’historien Jérôme Bourdon, « la victoire de François Mitterrand fait naître d’immenses espérances chez beaucoup de professionnels de la télévision ». Ces espoirs seront vite déçus. L’encadrement change peu. La tutelle du pouvoir est moins affichée mais l’audiovisuel demeure le domaine réservé du chef de l’Etat. La « nouvelle » télévision ressemble finalement beaucoup à l’ancienne. Le divertissement écrase toujours la création. Seul changement notable et redoutable : l’explosion peu après du service public et l’entrée massive du privé. Arrivent à la tête de chaînes télévisées des hommes d’affaires, comme Bouygues, avec leur logique financière. Nombre de réalisateurs vont alors constater qu’il était, souvent, plus facile de négocier avec la réaction gaulliste qu’avec ce genre de patrons.

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Petite histoire des journalistes et réalisateurs communistes à la radio-télévision (7)

Raoul Sangla, qui connaissait par coeur la machinerie télévisuelle, regretta, sur le tard, ce qu’était devenu ce média : « Un grand alambique du consensus, un instrument d’aliénation qui avait pourtant une autre destinée. » La venue du privé, avec sa logique marchande, sa tyrannie de l’audimat, avait finalement dévoyé le petit écran. Quant à l’intégration des journalistes communistes, exigence évidemment légitime, elle aurait été vraiment efficace si elle s’était accompagnée d’une réforme en profondeur du système d’information, ce que le pouvoir mitterrandien refusa. Placés souvent dans des positions délicates, ces journalistes allaient connaître des sorts différenciés. Ne parlons pas, ou peu, de ceux qui vont tout simplement « tourner casaque », l’exemple le plus frappant étant celui de Jean-Luc Mano, journaliste de L’Humanité qui intégra en sa qualité de communiste TF1 en 1983 ; il allait se mitterrandiser bien vite et finir au service de « la com des riches » comme l’écrivit un jour le Nouvel Observateur (il conseillera par exemple le prince de Monaco !). Mais à l’exact opposé, on trouve la figure de Marcel Trillat (1940/2020). Devenu chef du service société sur A2, il participa activement à la rédaction de la chaîne, à l’animation d’un « vrai débat » qui allait durablement marquer le climat de la rédaction. Lors de la première cohabitation (Mitterrand/Chirac), six rédacteurs sont écartés et Marcel Trillat se retrouva, trois ans, en poste à Rome. Il revint comme directeur adjoint de l’information et se porta volontaire pour aller en Arabie Saoudite couvrir la guerre du Golfe. Là, « il sauve l’honneur des journalistes », une expression plusieurs fois entendue dans la bouche de ses confrères. Ainsi, le 2 février 1991, au journal de midi, il dénonce en direct la mise en scène américaine de la guerre et la main mise des médias US sur les informations traitant du conflit. Le soir même on lui demande de redévelopper ce thème à l’antenne. Cette question suscita une polémique. « Libération » consacra une double page à « la courageuse sortie de Marcel Trillat pour qu’enfin l’on sache en France et en direct à quoi s’en tenir sur la qualité des informations transmises depuis le terrain sur le conflit en cours ». Marcel Trillat fut soutenu par la profession mais critiqué par sa hiérarchie. Il se retrouva ensuite correspondant à Moscou pour deux ans. A son retour à Paris, il collabora essentiellement à l’émission « Envoyé spécial ». Son documentaire « Les prolos » est de 2002. Il fut président de la société des journalistes d’A2. Il prit sa retraite en 2006 et réalisa « Silence dans la vallée » (2007), « L’Atlantide, une histoire du communisme » avec Maurice Failevic (2013) et « Les étrangers dans la ville » (2013).
Ajoutons, pour compléter cette série, une petite bibliographie, très incomplète : Roland Passevant : « Journaliste sous haute surveillance » (1987) et « La mafia du 4e pouvoir » (1989) ; François Salvaing : « Parti » (et sa nouvelle « Le sosie ») ; Michel Strulovici, « Evanouissements » ; Jean-François Tealdi : "Journaliste, syndicaliste, communiste - 37 ans d’un combat dans l’audiovisuel" ; Michel Diard : « Journalistes, brisez vos menottes de l’esprit » et « L’avatar du journalisme ».
Pour finir en beauté, signalons la sortie récente d’un coffret (de quatre DVD) d’un grand moment de la télévision rouge : « Emile Zola ou la conscience humaine », une série de Stellio Lorenzi de 1976 (chez Elephantfilm).



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