Cause Commune/Mai 2021

Pour n° de mai

Tous frères ? Chiche.

Rétrograde au plan des mœurs, la papauté se montre plus ouverte en matière sociale comme l’indique la dernière encyclique du pape François intitulée « Fratelli tutti ».

L’encyclique, hautement politique, est un peu passée inaperçue. Elle a fait tousser les libéraux qui ont vite changé de sujet alors que les antilibéraux semblaient regarder ailleurs. Quant à l’église française, elle avait l’air plus soucieuse de la désertion de ses lieux de culte, crise sanitaire oblige, que de la propagation de ce document. Il s’agit pourtant d’un texte important, d’une certaine radicalité.
« Fratelli tutti, Tous frères », la lettre encyclique du pape François porte en sous-titre « Sur la fraternité et l’amitié sociale ». Il y reprend un certain nombre de thèmes déjà abordés par le pape dans des discours récents, médiatisés ( ses combats pour les pauvres, les migrants, les chômeurs, les délaissés, contre le racisme et pour une culture de la rencontre). Mais, en prenant la forme d’encyclique, ces thématiques deviennent incontournables pour le monde catholique : ils prennent en effet « force d’enseignement ecclésial », comme on dit. Ces propos font désormais partie du patrimoine de l’Eglise.
La lettre a été signée sur la tombe de Saint François : le symbole est fort. Le pape rappelle en effet, au début de sa missive, la visite (assez incroyable) de François d’Assise en 1219 au Sultan Malik-el-Kamil, en Egypte. « Ce voyage, en ce moment historique marqué par les croisades, révélait encore davantage la grandeur de l’amour qu’il voulait témoigner, désireux d’étreindre tous les hommes.(…) Nous sommes impressionnés, huit cents ans après, que François invite à éviter toute forme d’agression ou de conflit et également à vivre une soumission humble et fraternelle, y compris vis-à-vis de ceux qui ne partagent pas sa foi. Dans ce monde parsemé de tours de guet et de murs de protection, les villes étaient déchirées par des guerres sanglantes entre de puissants clans, alors que s’agrandissaient les zones misérables des périphéries marginalisées ». Quand le pape évoque 1219, il nous parle aussi bien évidemment de 2021. Il ajoute avoir été inspiré, pour écrire cette encyclique, par le Grand Imam Ahmad Al-Tayyeb » rencontré à Abou Dhabi. Les citations de l’imam ouvre et termine la lettre, ce qui est une première dans un texte de cette solennité de l’Eglise catholique.

L’encyclique commence par une condamnation radicale de l’individualisme, synonyme de solitude, et signant l’échec d’une certaine mondialisation. Elle se poursuit par une critique implacable du libéralisme (« le dogme de foi néolibéral »), du « nationalisme xénophobe », du racisme et plaide pour « l’humanisme que renferme la foi (qui) doit garder un vif sens critique. »

Se plaçant à l’exact opposé du topo macronien sur les premiers de cordée, l’encyclique priorise l’aide aux derniers :
« Nous devons reconnaître la tentation qui nous guette de nous désintéresser des autres, surtout des faibles. (…) En période de crise, le choix devient pressant. Il y a deux types de personnes : celles qui prennent en charge la douleur et celles qui passent outre ».
Le texte condamne l’argument de fatalité, la « paresse sociale et politique » qui revient à dire que les choses ne changeront jamais et « qui sert en fait la dictature invisible des vrais intérêts cachés. »
Il salue « les mouvements populaires rassemblant des chômeurs, des travailleurs précaires », il les qualifie de « poètes sociaux » qui oeuvrent non pas pour les pauvres mais « avec les pauvres » et qui participent d’ « une économie populaire et de production communautaire. »
La lettre comporte un développement très fort sur les migrants : « Aussi bien dans les milieux de certains régimes politiques populistes que sur la base d’approches économiques libérales, on soutient que l’arrivée des migrants doit être évitée à tout prix. » Or personne ne peut être exclu, « peu importe où il soit né. Chaque pays est également celui de l’étranger. Il importe d’appliquer aux migrants arrivés depuis quelque temps et intégrés à la société le concept de citoyenneté, de renoncer à l’usage discriminatoire du terme minorités. » Bref « les migrants, si on les aide à s’intégrer, sont une bénédiction, une richesse, un don qui invitent une société à grandir. »
L’encyclique évoque en termes intéressants (et très probablement agaçants pour les possédants) la question de la propriété privée « ni absolue ni intouchable » et celle « de l’usage commun des biens » (voir encadré). Elle juge, enfin, impensable l’idée de guerre juste : « Nous ne pouvons plus penser à la guerre comme une solution, du fait que les risques seront probablement toujours plus grands que l’utilité hypothétique qu’on lui attribue. Face à cette réalité, il est très difficile aujourd’hui de défendre les critères rationnels, mûris en d’autres temps, pour parler d’une possible guerre juste. Jamais plus la guerre. » Et il propose de créer, « avec les ressources financières consacrées aux armes ainsi qu’à d’autres dépenses militaires » un Fonds mondial en vue d’éradiquer la faim et pour le développement des pays les plus pauvres, « de sorte que leurs habitants ne recourent pas à des solutions violentes ou trompeuses ni n’aient besoin de quitter leur pays en quête d’une vie plus digne ». Dans le même ordre d’idées, le pape se prononce pour l’élimination des armes nucléaires. Les militants de la fraternité que sont les communistes trouveront sans aucun doute dans tous ces éléments de bonnes raisons de dialoguer.

Extraits
Sur la propriété

« Je propose à tous quelques paroles de saint Jean-Paul II dont la force n’a peut-être pas été perçue : « Dieu a donné la terre à tout le genre humain pour qu’elle fasse vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne ». Dans ce sens, je rappelle que « la tradition chrétienne n’a jamais reconnu comme absolu ou intouchable le droit à la propriété privée et elle a souligné la fonction sociale de toute forme de propriété privée. » Le principe de l’usage commun des biens créés pour tous est le « premier principe de tout l’ordre éthico-social » ; c’est un droit naturel, originaire et prioritaire. Tous les autres droits concernant les biens nécessaires à l’épanouissement intégral des personnes, y compris celui de la propriété privée et tout autre droit « n’en doivent donc pas entraver mais bien au contraire faciliter la réalisation » comme l’affirmait saint Paul VI. Le droit à la propriété privée ne peut être considéré que comme un droit naturel secondaire et dérivé du principe de la destination universelle des biens créés ; et cela comporte des conséquences très concrètes qui doivent se refléter sur le fonctionnement de la société. Mais il arrive souvent que les droits secondaires se superposent aux droits prioritaires et originaires en les privant de toute portée pratique. »
Alinéa 120 de l’encyclique papale.

RUBRIQUE SONDAGE MAI 2021

L’Ugict-CGT publie depuis six ans avec l’institut Viavoice un « baromètre des professions intermédiaires ». L’étude publiée l’hiver dernier était particulièrement intéressante car elle concerne des métiers qui se retrouvent souvent en première ligne durant la crise sanitaire : infirmières, techniciens médicaux, préparateurs en pharmacie, professeur des écoles, fonctionnaires de catégorie B, administratifs, agents commerciaux…
Des métiers bien souvent en manque de reconnaissance. 37% seulement des sondés s’estiment reconnus. Comment se manifeste la reconnaissance ? par le regard positif des autres (67%), par l’évolution professionnelle (31%), par le salaire (30%).
Côté rémunération, 63% des sondés estiment que leur salaire est en décalage avec leur degré d’implication (c’est le cas de 69% des femmes et de 84% de salariés de la fonction publique hospitalière).
Un signe du profond échec du Ségur de la Santé, selon Sophie Binet de l’Ugict, car le mécontentement des salariés de l’hôpital est de 20 points supérieur aux autres professions.
Autres conséquences de la crise du Covid : la peur pour son emploi gagne du terrain et une défiance croissante à l’égard des nouvelles technologies, souvent assimilées à de nouvelles formes de surexploitation.

Dans votre travail, avez-vous le sentiment d’être reconnus ?
Non : 49%
Oui : 37%
Sans avis : 14%

Diriez-vous que votre rémunération est en adéquation avec :
*votre temps de travail réel : oui 47%, non 50%
*votre qualification : oui 45%, non 53%
*votre implication : oui 35%, non 63%.

Dans votre vie professionnelle, quelles sont vos trois priorités :
 mon équilibre vie privée/vie professionnelle 63%
 mon salaire 56%
 le sens de mon travail 45%
 la sécurité de mon emploi 30%
 ma charge de travail 25%
 ma retraite 16%



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