Revue 38 mars mai 2024.Presse régionale

Revue 38
Mars mai 2024
Au secours, la presse régionale disparaît

La presse quotidienne régionale (ou PQR) se porte mal. La disparition du journalisme local participe de l’uniformisation et de la desinformation.

La presse régionale est une force. Elle est lue chaque mois par 43 millions de lecteurs, les deux tiers de la population. Elle concerne 51 titres (et 91 versions locales) ; elle est vendue à 6,6 millions d’exemplaires ; elle emploie 5700 journalistes (2019), le tiers de la presse écrite. Et pourtant…
Les mauvaises nouvelles s’accumulent. Le « Quotidien de la Réunion », quasiment le dernier journal de l’île, est en liquidation judiciaire. La région lui a donné de quoi vivre encore trois mois. Il y a peu la « Dépêche de Tahiti » et « France-Antilles » ont été (provisoirement ?) sauvés de justesse par l’intervention d’un repreneur. Plus généralement les plans de départ ou d’économies se multiplient dans les différents titres régionaux. C’est le cas du « Dauphiné libéré », de « Vaucluse matin », de « La Provence », du « Midi libre » ou de « la Voix du Nord ». Les syndicats naturellement s’inquiètent et mobilisent. Même « Ouest France », qui sort à près de 700 000 exemplaires (le premier titre de la presse française, loin devant « Le Monde » à 350 000 exemplaires) a vu ses comptes dégradés.
Un récent rapport du Sénat (juillet 2022), sous un titre plutôt euphèmisant (« Accompagner la rénovation de la presse quotidienne régionale »), s’alarme.
Les sénateurs rappellent pourtant que « la presse quotidienne régionale est un maillon essentiel de la démocratie », « un élément majeur de la vie locale et démocratique » ; qu’il existe un lien ancien entre titres et territoires. Et pourtant la POR serait « menacée dans son existence même ».

Si les chiffres de diffusion de la PQR semblent plus stables que ceux de la presse nationale, cette résistance est apparente, le recul des ventes des titres régionaux est aussi à l’œuvre. Et singulièrement depuis la pandémie. Le rapport pointe des faiblesses de ce média : développement numérique insuffisant, publicité en recul, outil industriels onéreux, crise (et prix) du papier, contraintes environnementales. Il est aussi question de la concurrence, au niveau des régions, de chaînes locales, de BFMTV, d’éditions de FR3 ; d’ailleurs plusieurs groupes de presse produisent désormais eux-mêmes leur chaîne locale.

Le rapport plaide pour une réforme du portage (et du postage), il parle d’accélérer la transition numérique, de valoriser la presse locale. Il envisage une aide de l’Etat « ponctuelle », « spécifique », « à calibrer », « avec précaution », bref il reste prudent en la matière (compte tenu « de l’état très dégradé des finances publiques », un refrain bien connu) mais il précise tout de même : « Cette aide serait réservée aux titres les plus en difficulté, en tenant compte de la situation financière des groupes auxquels ils sont rattachés ». Et la mission d’information sénatoriale « conclut à la nécessité pour l’Etat d’accompagner le secteur dans sa mutation, sans pour autant se substituer aux éditeurs dans la redéfinition de leur modèles économique. »

Est-ce que ce vent mauvais pour la PQR nous viendrai des Etats Unis où les titres locaux sont en voie de disparition ? Une récente étude de l’université Northwestern montre en effet qu’entre fin 2019 et mai 2023, près de 450 journaux ont cessé leur publication et des régions entières connaissent à présent de véritables déserts médiatiques. Comme disent les sénateurs, « la disparition du journalisme local participe à la propagation de la désinformation, la polarisation de la vie politique et à l’érosion de la confiance dans les médias ».

Encadré
Intervention du sénateur communiste Jérémy Bacchi
Nous partageons les inquiétudes sur l’avenir de la PQR, à laquelle les Français sont attachés, mais il y a tout de même des leviers à activer. Plusieurs problématiques s’imposent à nous, parmi lesquelles le coût du papier. À ce titre, je partage la recommandation visant à utiliser les crédits de France Relance pour la filière papier. Les problèmes à laquelle celle-ci est confrontée ne relèvent pas seulement de la conjoncture, ils sont antérieurs à la crise inflationniste actuelle, ils durent dans le temps, et cela risque de faire disparaître certains titres. Le coût des transports est, lui, plus lié à la conjoncture et pèse également sur les titres, même s’il est indirect et concerne surtout la distribution.
Concernant les autres difficultés, le virage du numérique n’a pas toujours été pris dans les temps, alors même que les ratios de recettes entre papier et numérique vont de un à quatre. Toutefois, le coût du passage au numérique est très lourd et certains des titres, parmi les deux tiers d’entre eux qui ne sont pas affiliés à un grand groupe, ne peuvent le financer. Cela pose la question de la concentration des titres et de la pluralité de la PQR.
Les préconisations vont plutôt dans le bon sens, même si je serais allé plus loin. Elles prennent la mesure de la problématique. Suffiront-elles à enrayer le déclin de la PQR et les coups conjoncturels que celle-ci subit ? Nous ne le saurons que dans quelques années, et j’espère qu’alors il ne sera pas trop tard.
Enfin, il nous faut analyser la baisse d’engagement des collectivités locales, lesquelles sont de grandes contributrices aux budgets de la PQR au travers des annonces légales et des publicités. Or leurs budgets sont en baisse, avec un impact dramatique. Cela nécessite donc une certaine anticipation pour que les entreprises de presse puissent disposer de ressources plus diversifiées. L’événementiel est, certes, une possibilité, mais le marché n’est pas infini et les événements qui fonctionnent bien ont souvent été créés il y a des décennies, quand la PQR disposait encore des ressources propres suffisantes pour leur donner naissance.



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