L’Outre mer a besoin d’actes forts

Détresse sociale, héritage colonial : la situation est tendue dans les Dom-Tom. Entretien avec Jean-Louis Le Moing, responsable du secteur.

Question : Guéant boudé à la Martinique, Le Pen huée à la Réunion... La droite et son extrême semblent particulièrement bousculée par l’outre-mer...

JLLM : Cet accueil est justifié. Les déclarations récentes du ministre de l’intérieur sur « la valeur des civilisations » ont été ressenties comme une provocation dans des territoires et par des populations profondément marqués par l’esclavage. Et le discours de haine du Front national se devait d’être rejetée dans l’ile profondément métissée de la Réunion. Plus largement, l’outre-mer est le lieu où les candidats se bousculent à quelques semaines de la présidentielle, mais rien ne semble devoir changer pour ces populations. Pourtant, l’outre-mer a besoin d’actes forts, pas de gesticulations. Les cinq départements (Dom) et les autres collectivités d’outre-mer (Com) cumulent 2 à 3 fois plus de chômeurs que la métropole, jusqu’à 6 fois plus d’allocataires du RMI, des prix des denrées de première nécessité insupportables, une pauvreté massive, une jeunesse frappée par l’insuffisance d’emploi ... Cette situation de détresse sociale, le sentiment d’un avenir bouché furent à l’origine d’un mouvement social d’une ampleur rarement égalée entre janvier et mars 2009 aux Antilles, en Guyane et à la Réunion. Les populations se sont levées contre les discriminations, les dépossessions dont elles sont victimes. Car il y a aussi l’héritage colonial qui perdure et les discriminations raciales insupportables qui persistent. Les questions de classe et la lutte contre les discriminations raciales issues de l’esclavage continuent donc de s’entrecroiser et de se nourrir, notamment aux Antilles.

Question : Tu dis que l’outre-mer a besoin d’actes forts, peux-tu préciser ?
Les mouvements sociaux dans les DOM portaient l’exigence d’une remise en cause profonde du mode de développement de ces territoires, du dépassement de leur situation de dépendance : ce que les progressistes nomment la « colonisation de consommation ». Pour lutter contre la dépendance absolue aux transferts sociaux, il faut favoriser le développement endogène. Cela implique une politique de substitution dans la production agricole et industrielle, avec une fiscalité dynamique soutenant cette nouvelle politique ; des outils financiers impliquant l’épargne locale et les fonds publics, y compris européens. Cela passe également par une vaste réforme foncière. Cela implique la possibilité d’accords commerciaux et d’échange et des coopérations régionales. Une action sociale énergique est tout autant nécessaire. Il faut de même travailler à la reconnaissance et à la transmission de l’histoire et de l’identité des populations, extirper les relents colonialistes et les discriminations raciales qui perdurent. Cette reconnaissance de l’ensemble de valeurs culturelles des populations issues de l’esclavage est un des éléments de la dynamique populaire. Le programme de Front de gauche évoque la question de l’outre-mer ainsi : « Nous favoriserons un nouveau modèle de développement pour un progrès humain endogène en rupture avec le modèle actuel de dépendance inégalitaire. » Cette position est appréciée par de nombreuses forces qui agissent en faveur de la responsabilité et du développement.

Question : La notion d’autonomie, le concept d’indépendance semblent structurer le débat politique outre-mer. Quid de ces idées pour le PCF ?
Effectivement, les clivages classiques gauche-droite, qui fonctionnent en France hexagonale, ne font pas le tour de la question dans des îles ou sur des territoires situés à des milliers de kilomètres de la métropole, façonnés par l’esclavage,la colonisation, les dominations. De plus, l’histoire singulière de chaque territoire appelle des réponses adaptées et ces réponses ne seront donc pas les mêmes en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie, aux Antilles, en Guyane, ou encore à la Réunion ou à Mayotte... Mais partout, l’outre-mer a un urgent besoin d’outils nouveaux de développement. Le statut politique des Dom, issu de la départementalisation, a certes généré des progrès - chèrement acquis par les luttes des populations - mais il est aujourd’hui à bout de souffle. Il doit évoluer. La question de la responsabilité est cardinale, pour permettre aux ultra-marins de formuler et mettre en œuvre leurs projets de développement. Aucun modèle ne peut prévaloir en ce domaine ; le débat existe en France, y compris au sein du Front de gauche. Il reste que, en toutes circonstances, les communistes soutiennent tout processus visant à développer la responsabilité et la maîtrise par les populations concernées des questions liées à leur devenir. Pour les communistes, la responsabilité est une question de justice, de respect, mais aussi d’efficacité.

Propos recueillis par Gérard Streiff



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