Littérature/confinement

Epidémie, confinement et litterature

(pour dossier Confinement, revue Cause commune, janvier/février 2021)

Depuis la nuit des temps, la fin du monde est un des themes les plus installés de la litterature universelle, avec la Bible (et son arche de Noé), l’épopée de Gilgamesh (et son déluge) ou les évangiles (et l’apocalyse de Jean). Le roman, à son tour, a décliné ce motif sous de multiples formes, catastrophes naturelles, industrielles, militaires, technologiques, nucléaires ( ah ! “Malevil” de Robert Merle, 1972). Le récit d’épidémie en est une des variantes. L’épidémie inspire. Depuis longtemps. On retrouve souvent dans ce genre de textes (qui traite de la maladie comme sujet principal ou comme cadre de l’histoire) certains points communs, le meme désarroi des autorités devant la soudaineté du malheur, le premier reflexe de minorer (ou censurer) le drame, l’insouciance puis l’affolement des foules, la progressive peur panique de la contamination, l’amertume devant la contingence de l’existence et la finitude.
Dans “Oedipe roi” de Sophocle, Thèbes est la proie de la peste. C’est également la peste à Florence (1348) que Boccace décrit dans le “Décameron” : « Combien de vaillants hommes, que de belles dames, combien de gracieux jouvenceaux, que non seulement n’importe qui, mais Galien, Hippocrate ou Esculape auraient jugés en parfaite santé, dînèrent le matin avec leurs parents, compagnons et amis, et le soir venu soupèrent en l’autre monde avec leurs trépassés. »
Plus près de nous, Marie Shelley rédige, huit ans après son Frankenstein, “Le dernier homme” (1826), lequel a survécu à une épidémie de peste, encore ( on serait en 2100 !) Deux des “nouvelles extraordinaires” d’Edgar Poe (à ma connaissance) traitent du sujet, “Le masque de la mort rouge” (1842) et “ Conversation” (1843) : dans la première nouvelle, les survivants d’une épidémie se réfugient dans une abbaye ; la seconde décrit la maladie qui extermine l’espèce (suite à une collision avec une météore). Poe, dit-on, influença M.P. Shiel, auteur (britannique) de “Le nuage pourpre” (1901), ouvrage un peu oublié mais toujours sur ce theme du dernier homme (qui s’appelle ici Adam…).
Les productions sont nombreuses, de qualité mais j’avoue un faible pour “La peste écarlate” (1912) du grand Jack London. L’auteur de “Martin Eden” et de “Le talon de fer” a 36 ans lorsqu’il compose (1912) cet opus.
Quand l’histoire commence, on est en 2073 : un grand père accompagné de son petit fils suivent les traces d’une voie ferrée, inutilisée depuis des lustres, et progressivement reconquise par la nature ; ces deux personnages, vêtus de peaux de bête, ont l’allure d’hommes de la préhistoire. L’ancien raconte, lui qui fut professeur de litterature à l’université de Berkeley dans un autre temps. Il s’appelait alors James Howard Smith ; il explique à l’enfant l’épidémie survenue 60 ans plus tôt, en 2013 donc. Le monde d’abord censura la nouvelle puis se montra incrédule mais la peste frappa vite et fort, semant la terreur. Un serum, paraît-il, avait été trouvé dans la lointaine Allemagne mais trop tardivement. La contagion fut foudroyante. Très vite la défiance se généralisa : “ (un ami) me tendit la main, je reculais avec effroi.” Les coeurs s’endurcirent. “Le temps n’était plus où l’on se dévouait pour les autres. Chacun luttait pour soi.”
L’épidémie ravagea New York, Chicago, puis la Californie, elle raya San Francisco de la carte dans un gigantesque incendie. Les liens avec le reste du monde s’interrompirent : “la race humaine s’enfonce dans une nuit primitive.”
Les riches tentèrent de s’en sortir, mais en vain.
“Ce fut un écroulement total, absolu. Dis mille années de culture et de civilisation évaporèrent comme l’écume, en un clin d’oeil.” Tout retourna à l’état sauvage. L’aïeul erra seul plusieurs années avant de reprendre contact avec de rares survivants, qui avaient reformé de minuscules tribus, violentes.
Alors qu’il déroule son histoire, le patriarche mesure que l’enfant a du mal à le comprendre, des mots lui échappent, des idées lui sont totalement étrangères : l’ancien de Berkeley fait face à un jeune barbare.
Il y a dans ce court roman la matrice des romans de la littérature dite “post apo” qui va suivre. Mentionnons ” La terre demeure” de l’américain Georges Stewart (1949), où un étudiant en écologie descend des montagnes après plusieurs semaines d’isolement et realise (vite) que l’humanité a quasi disparu, emportée par la pandémie ; « Je suis une légende » de Richard Matheson (1954), livre culte comme on dit ; l’incontournable Stephen King avec « Le fléau » (1978) sur une très radicale pandémie de grippe. On
signalera encore « Les années fléaux » de Norman Spinrad (1990) sans oublier « Les yeux des ténèbres » de Dean Koontz qui évoque (en 1981) un virus chinois (de Wuhan) d’origine bactériologique…ou « Pandémia » de l’écrivain de polar nordiste Franck Thilliez (2016). Nombre de ces œuvres ont fait l’objet d’une adaptation cinématographique.
Si l’on revient au récit d’épidémie plus « classique », les incontournables sont “La peste” de Camus (1947) où l’on pense beaucoup à la peste brune du nazisme ; “Le hussard sur le toit” de Giono (1951) ; “Les pestiférés” de Pagnol (1977) sur la peste de Marseille de 1720 ; “La quarantaine” de JM Le Clézio (1995) ; “En un monde parfait” de Laura Kasischka (2009) ; et enfin “Nemesis” de Philippe Roth (2010).

Le thème du confinement est bien sûr présent dans nombre de ces romans, chez Le Clezio par exemple. Il constitue cependant un thème en soi pour nombre d’auteurs. Les histoires, ici, sont peut-être moins aventureuses mais elles ont donné lieu à de très belles œuvres, où on goûte souvent une bonne dose d’humour noir. Le père du genre est certainement Xavier de Maistre (1794) avec son « Voyage autour de ma chambre ». L’auteur (il a alors 27 ans) raconte la mésaventure d’un officier, à Turin, obligé de garder sa chambre 42 jours, suite à une affaire de duel : « J’étais dans ma chambre avec tout le plaisir et l’agrément possible mais hélas je n’étais pas le maître d’en sortir à ma volonté ». Le narrateur va nous parler de son lit, de son chien, de ses meubles, de sa bibliothèque ; peu à peu on le sent de plus en plus sensible à l’imagination, tant et si bien qu’au dernier jour de sa claustration, s’il se sent en état de penser le monde (« l’immensité et l’éternité sont à mes ordres »), il redoute un peu de sortir de sa chambre et de retomber dans l’âpre réalité de lavie quotidienne.
Outre la chambre, le confinement peut se passer dans un hôtel isolé du monde : on pense à « Shining » de Stefan King (1977) ; on retrouve le thème du chalet avec Jean Joubert dans « Les enfants de Noe » (1987) où une famille (en 2036) perdue dans un chalet de haute montagne tente de survivre alors que l’univers est enseveli (définitivement ?) sous la neige.
Il peut aussi s’agir de l’enfermement dans un corps : dans « Le scaphandre et le papillon », Jean-Dominique Bauby (1997) évoque son traumatisme de LIS (locked-in-syndrome), un corps qui ne répond plus à l’esprit.
Des auteurs comme Stefan Zweig (« Le joueur d’échecs »), Sartre (« Huis clos »), Tournier (« Vendredi ou les limbes ») ont alimenté cette veine.
Dans la catégorie polar, enfin, le thème de l’île, du bateau, du train, lieux clos, permettent souvent de construire des intrigues efficaces sur le confinement : on pense à « Mort sur le Nil » (1937) ou « Dix petits nègres » (1939) d’Agatha Christie.

P.S. : plusieurs ouvrages évoqués ici, dont les deux livres « fondateurs », « La peste écarlate » de Jack London et « Voyage autour de ma chambre » de de Maistre, sont dans le domaine public et consultables sur internet ; avis aux amateurs pour le prochain confinement.

Gérard Streiff



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