La revue du projet, octobre 2010 (n°1)

La rentrée des "think tanks" (UMP et PS)

Ça pense beaucoup, à droite comme à gauche, en cet automne 2010. Ça sonde, ça scrute, ça interroge. Comme la rentrée sociale et politique, la rentrée idéologique est mouvementée. Allons voir ce qui se passe du côté de l’UMP et du PS. Dans un prochain numéro, on pourrait examiner l’état des lieux dans « l’espace critique ».

Si ça pense fort ( on n’a pas dit que ça pense bien, c’est une autre histoire), il y a à cela au moins une double raison. Le monde est de plus en plus complexe, indéchiffrable et tous les acteurs de la vie publique ont besoin de s’y retrouver, au moins de poser des repères. L’autre aiguillon, c’est la perspective de 2012. Cette séquence électorale obsédante pousse à une longue préparation. L’UMP comme le PS ont besoin de montrer qu’ils se renouvellent, qu’ils innovent, se modernisent...

Le socle libéral

A la présidentielle de 2007, l’UMP avait pris un temps d’avance. Sous l’impulsion du couple Sarkozy-Fillon, ce parti avait décliné pendant des mois, lors de séminaires et d’ateliers, une série de thématiques nouvelles ; la droite avait dépoussiéré et décomplexé son argumentaire. Son insistance sur l’importance de la bataille d’idées joua beaucoup, à l’arrivée, dans le succès de son candidat. En 2012, Sarkozy va se trouver dans des dispositions moins favorables. Ses politiques sont discutées, la crise financière est passée par là et ses penseurs sont divisés. Certes la plupart des gourous libéraux ( Pascal Salin, Christian Saint-Etienne, Guy Sorman, Alain Minc...), qu’on imaginait fragilisés par la débâcle boursière, sont pourtant remontés imperturbablement sur leur dada : ce n’est pas le libéralisme qui est en crise, c’est l’Etat ; il y a trop d’Etat, il faut amplifier les dérégulations, les dérèglementations, les privatisations et « revenir au véritable capitalisme » .
Si certains peuvent admettre que la pensée libérale est en crise, c’est avec précaution. Genre Luc Ferry qui dit : « Il semble à nouveau qu’on ne puisse plus être libéral et « gentil ». C’est dommage parce que plus que jamais nous allons avoir besoin d’un libéralisme intelligent. » La toile de fond, c’est donc un libéralisme intouchable. Sur cette base, les penseurs de droite, comme les politiques, se divisent sur la manière de mener la guerre des idées. Il y a ceux qui poussent à l’affrontement gauche/droite, à la radicalisation. On en a un exemple, chaque semaine, dans les chroniques d’Ivan Rioufol, du Figaro. Il flirte avec le populisme, et, sur fond de croisade anti-musulmans et de choc des civilisations, nourrit en somme l’idée qu’en ces temps de globalisation, « entre soi, on s’en sortira mieux ». Sans aller jusque là, tout se passe comme si ce choix de la « droitisation » des idées était aussi celui de l’Elysée. C’est l’opinion d’un politologue comme Jérôme Jaffré : Sarkozy pense, dit-il, que la gauche est peut-être populaire mais idéologiquement, la droite reste la plus forte et gagnera en dernière instance sur ses idées : « Sarkozy est à la recherche d’arêtes idéologiques susceptibles de créer une opposition maximale entre droite et gauche » . Nombreux, à droite, redoutent que sur cette voie, ce soit le Front National qui ramasse finalement la mise. C’est probablement l’opinion d’un homme comme Dominique Reynié, professeur à Sciences Po et directeur de la Finpol, Fondation pour l’innovation politique, liée pourtant à l’UMP : « Réduire la distance (avec le FN), c’est prendre le risque d’ouvrir des voies de passage. » Notons encore qu’à droite, il y a ceux qui se positionnent « ailleurs » : Michel Maffesoli, par exemple, avocat de la « postmodernité », martèle l’idée que le progrès a fait son temps, que les gens sont pressés de jouir, ici et maintenant ; il vante le « local », le « tribal », plaide pour l’abandon de la valeur travail, mise en avant par Sarkozy, et la réinvention de la droite par le ludique, l’hédonisme ( Il apprécie la mode des « apéros géants »).

Le MEDEF et sa mythologie

Accordons une mention à part, dans ce remuement idéologique, au MEDEF. Depuis la fin des années 90, sous l’impulsion de Denis Kessler et de François Ewald, ex-maos passés au patronat, l’organisation va fournir, via les universités d’été notamment, et avec le soutien d’abord de Ernest-Antoine Seillière puis de Laurence Parisot, des grilles de lecture très pointues. Ils vont notamment développer une longue réflexion sur le « risque » : les entrepreneurs sont des « riscophiles », des chevaliers des temps modernes, face à des acteurs sociaux craintifs, obsédés de « protection » et de « couverture sociale ». Toute une mythologie du patron d’aujourd’hui. L’université d’été 2010 du MEDEF, autour de la mondialisation, s’intitulait « l’étrangeté du monde ».

Le PS et « Care »

« La chasse aux idées bat son plein au PS » estime Le Figaro . Dès son arrivée rue de Solférino, Martine Aubry a mis place le « Laboratoire des idées », structure officielle chargée de préparer 2012, sous la direction de Christian Paul. Ce dernier répète qu’à la prochaine présidentielle, « le PS sera bien mieux préparé qu’en 2007 », qu’il s’agit de « réinventer une pensée globale » ; ce laboratoire a déjà produit plusieurs rapports. A la droite du PS mouline la structure « Terra Nova » (voir encadré). La « Fondation Jean Jaurès », structure plus ancienne, propose aussi des notes et prévoit la prochaine parution d’un livre, cosigné de Benoît Hamon et de la sociologue Virginie Martin, sur « L’égalité femmes hommes ».

Si le PS bouge les idées, les limites de ce mouvement sont vite perceptibles. Il y a d’abord le côté « instrumental » de ce travail, volontiers souligné par les commentateurs . Il y a surtout le fait que si ce parti pense plus à gauche, il reste dans un choix de gestion purement libérale. Un exemple : l’entrée dans le vocabulaire socialiste de la notion de « care ». Ce terme anglais signifie soin ou bien-être, il englobe à l’origine toutes les relations entre soignant et soigné. L’idée est proposée par Fabienne Brugère, philosophe du « Laboratoire » (ou du « lab » comme on dit au PS) à Martine Aubry ; cette dernière récupère la notion dont elle fait l’axe du futur programme socialiste. Le message, c’est : regardez comme nous prêtons attention à autrui ; mais c’est aussi une manière de tout renvoyer aux individus, à leur responsabilité personnelle avec, sous entendue, l’idée que l’Etat ne peut pas tout... Dire : aidons nous nous mêmes, n’est-ce pas, en partie, une autre façon de dévaloriser le politique ? La question sociale est renvoyée à chacun. Une façon, non libérale, aussi, de remettre le couvert contre « l’assistanat ». Comme l’observe le politologue Rémi Lefebvre , « si cette notion devient le coeur du système idéologique socialiste, la question des inégalités perdra toute sa centralité. »

Encadré

Terra Nova
Créée en 2008, l’association « Terra Nova » est présidée par Michel Rocard et dirigée par Olivier Ferrand. Proche de DSK, ce groupe entend peser sur la politique du parti ; c’est lui par exemple qui a lancé l’idée des primaires ; il produit des notes et des essais sur des sujets divers, la réforme des retraites, les leçons de l’échec des Bleus en Afrique du sud, Internet et la campagne électorale d’Obama, l’identité nationale ou les rapports franco-brésiliens... Ferrand, qui dit apprécier les travaux de l’Institut Montaigne sur l’école ( « Cela rejoint ce que dit DSK »), prône une « sécurité sociale professionnelle » pour « compenser la désindustrialisation inévitable » . Incarnant une ligne droitière, sociale-démocrate, « Terra nova » veut « refonder la matrice idéologique de la gauche progressiste ». Alors qu’on demandait à Michel Rocard, cet été, si le PS pouvait se prévaloir de la social-démocratie, il répondait : « Le PS est trop en dehors du coup, car il n’a jamais vraiment accepté l’économie de marché. Sans doute à cause d’un trop grand voisinage avec le Parti Communiste » . L’association compte publier une synthèse de ses travaux fin 2010.

Gérard Streiff

Voir dans le même numéro le
Sondage sur le déclassement social.

http://projet.pcf.fr/7452



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