Edito/Revue/Janvier 2016

Bataille d’idées

Cela se disait depuis des mois, bien avant les attentats de novembre, bien avant le scrutin cauchemardesque des régionales : la droite avait gagné la bataille d’idées. Ça passait en boucle dans le moindre talk-show. L’actualité conforte plutôt le propos. Et appelle quelques remarques.
Premier constat : il y a bel et bien bataille d’idées. Tout un temps, on nous a bassiné en effet avec la mort des idéologies. Les voici de retour. La droite est sur ce créneau depuis longtemps. La révolution conservatrice vient de loin. Rappelons nous l’essai percutant de Daniel Lindeberg, « Le rappel à l’ordre », sur les nouveaux réactionnaires. C’était en 2002. Et depuis la petite armée de gourous réacs n’a cessé de s’étoffer : Finkielkraut, Zemmour, Natacha Polony, Guilluy, Bellamy, Onfray souvent, les zélotes de la Manif pour tous aussi, les bavards du MEDEF, tous ont joué leur petite partition de l’angoisse nationale, du déclassement programmé, de la nostalgie d’un temps béni, de l’identité des gens de souche, de la réussite forcément individuelle, de l’autorité perdue, de la « folie migratoire », de l’islam inquiétant, du choc des civilisations. Les libéraux « de gauche », leur ont donné un bon coup de main, genre Alain Touraine ou Jacques Julliard. Le dossier de ce mois sur « L’Ecole », par exemple, montre bien la férocité du débat d’idées autour de l’éducation, de l’acceptation des inégalités comme donnée naturelle, de la mise à l’écart des milieux populaires, etc.
La furie sectaire ambiante et les convulsions du monde sont venues, à point nommé, pour donner une sorte de « cohérence » à ces discours.

On a l’impression aujourd’hui que dans cette guerre d’idées, la droite et ses épigones avaient fixé l’ordre du jour, choisi les armes et le terrain. La question sociale, les dérives inégalitaires, l’enjeu d’une alternative progressiste, tout cela a été purement et simplement évacué. Au menu, désormais : insécurité, inégalité, identité, immigration. Et confusion, en prime. Ces droitiers ont copié les méthodes des « rouges-bruns », un peu de verbe de gauche, beaucoup de verbes de droite, on mélange le tout et on vend le paquet. La recette a réussi à Le Pen.

La droite a gagné la bataille médiatique

Ces évolutions de l’opinion sont intervenues sur un fond de grave crise de la politique. Et de la démocratie. Quand l’opinion est convaincue que le dernier banquier du coin de la rue a plus de pouvoir que le meilleur élu, quand le poids des promesses trahies devient étouffant, quand le paysage est squatté par des experts en tout genre (sait-on qu’à Athènes, l’expert ne pouvait être élu ?!), quand les Macron se pavanent, le citoyen se dit : à quoi bon ? Et cet aquoibonisme tue la vie politique.

S’il est une bataille que la droite a bien gagné, c’est la bataille médiatique. Ces dernières semaines, l’état d’urgence flottait sur les rédactions. On réprime des grandes gueules, on aligne, on concentre. Le pluralisme est un mot creux. Une poignée de patrons de presse milliardaires affichent sans vergogne leur prétention. La médiocrité des programmations participe d’une crétinisation générale. Et le service public, kidnappé par le discours officiel, singe le privé.

D’immenses chantiers de reconquête s’annoncent donc pour les forces qui n’ont pas renoncé à changer la vie et le monde. On attend des partis qu’ils produisent des idées ; on attend du PCF qu’il prenne sa part dans ce nécessaire renouvellement idéologique. Des forces, plus nombreuses qu’on ne le croit, existent pour cela. Certes la tentation du repli est là ;le débat public tel qu’il est mené, ce cirque médiatique ne donnent pas forcément envie d’intervenir dans ce monde-là. Se coltiner aux barbares n’est pas toujours gratifiant ; on y prend des coups et les dés sont pipés. Mais, comme disait Jean-Luc Nancy, « il y a beaucoup de gens qui pensent », il y a ceux qui font du bruit et ceux qui cherchent à donner du sens à ce monde dérouté. C’est un peu ce que nous tentons de faire ici, à La Revue du Projet. Formons le vœu, en ce début d’année, que notre revue soit à l’avenir plus utilisée, plus sollicitée par les militants.

Gérard Streiff



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