Extrême droite

Comprendre et combattre le Front national
Alain Hayot, responsable du secteur Culture, présentait devant le Conseil national, samedi 13 décembre, un rapport sur le Front national où il appelait à prendre la mesure du problème et à conduire une contre-offensive. Entretien avec le rapporteur.
La première partie de ton rapport s’intitule « De quoi le FN est-il le nom ? »
Dans une quinzaine de pays, car il ne s’agit pas d’un phénomène franco-français, est en train d’émerger une nouvelle droite réunissant des forces issues d’une droite néo-conservatrice décomplexée et d’une extrême droite néo populiste tout aussi décomplexée. En Europe parce que c’est le projet européen ultra libéral, austéritaire et mondialiste qui a servi de déclencheur et qui nourrit plus que jamais ce mouvement. C’est à cette échelle que s’expriment fortement les craintes des européens sensibles au fait que l’Occident, blanc et chrétien, est en train de perdre sa domination sur le monde. C’est donc d’abord en termes de défense de la « civilisation » contre toutes les « forces du mal » qui nous viennent des « continents », des « religions », des « races » hier sous tutelle, que ce mouvement s’est construit. Cette convergence se fait autour d’une idéologie que je qualifierais de national-populiste. Celui-ci se pose en alternative au libéralisme mais en aucun cas au capitalisme car la national-populisme porte lui aussi le projet d’une société marquée par les dominations, les inégalités et toutes les formes d’exclusion.
Dans ton rapport, tu interroges ensuite ce national-populisme : « de quoi est-il le symptôme » ?
Trois processus me semblent importants à analyser pour mieux comprendre et combattre le FN. En premier lieu, bien sûr, il y a la crise sociale, son cortège de précarisation généralisée, de divisions fortes et surtout un immense processus de désocialisation : affaiblissement des politiques sociales, démantèlements des services publics, déstabilisation de l’ensemble des solidarités que la société française a produit depuis la Libération et le CNR. C’est cela qui provoque les angoisses pour l’avenir avec la hantise du déclasement. S’installe alors un imaginaire de la peur qui suscite des divisions, des replis sur soi, le racisme mais aussi des pertes de repères idéologiques permettant aux idées obscurantistes et rétrogrades de se répandre. Il y a ensuite la crise politique et le FN qui n’a pas été mêmé au pouvoir s’appuie sur cette méfiance pour mieux apparaître comme une force politique neuve. Enfin on est en train d’assister à l’émergence d’une véritable crise de sens. Jamais le « no futur » n’a été autant partagé. Les anciens modèles politiques émancipateurs sont en crise. L’idée même de pouvoir transformer le monde est mise en cause. Il y a un air du temps qui valorise le passé, s’inquiète de toutes formes de diversité culturelle, de toute avancée novatrice. L’absence d’alternative à gauche permet ce face à face mortifère entre libéralisme et populisme.
Alors, comment combattre le FN ?
La contre-offensive contre l’extrême droite suppose d’ouvrir plusieurs chantiers et de les mener avec constance, détermination, courage politique. En préalable, il nous faut déconstruire le discours populiste et le combattre avec l’ambition de reconstruire une hégémonie culturelle fondée sur des idées, des thèmes comme la nation, l’immigration, la lutte des clases, la République, la laïcité, le sécuritarisme, l’anticapitalisme. Cette bataille d’idées, pour être efficace, doit s’incarner dans des débats politiques. Trois chantiers sont à développer. Le chantier de la solidarité : il s’agit de renouer les liens de la solidarité, malgré ou plutôt en respectant les différences, et de le faire en repensant les formes de la citoyenneté ; c’est un véritable processus de repolitisation des enjeux de société qu’il nous faut engager partout dans l’entreprise, la cité, l’école et les espaces culturels. Le chantier de la refondation de la République, des formes du pouvoir et de la démocratie (6è République, démocratie directe, laïcité ouverte). Le chantier de la construction citoyenne d’un projet d’une société d’émancipation humaine. De ce dernier point, je dirais que c’est le chantier majeur contre le populisme mais aussi contre le libéralisme et contre toutes les formes de domination et d’aliénation, ce que nous avons appelé u communisme de nouvelle génération.
Le rapport a-t-il suscité un débat ?
Oui, un débat dense pour souligner par exemple la centralité de cet enjeu du FN : ce n’est pas une affaire d’experts de l’extrême droite mais une question centrale de notre activité politique. Populisme et libéralisme sont deux variantes réactionnaires qui tentent d’occuper le maximum de terrain. Le populisme se veut une alternative au libéralisme mais c’est d’abord une autre vision du capitalisme, ont souligné des intervenants, un capitalisme avec retour aux frontières, fermetures, concurrences exacerbées, nationalismes outranciers et risques de guerre. Le débat a porté sur la crise sociale : il y a division comme jamais de la société et désocialisation également. On a parlé de la place du FN dans les médias, de la nécessaire reconquête de l’hégémonie idéologique et culturelle, de la nécessairebataille d’idées, à l’entreprise notamment, où il faut mieux identifier le conflit capital/travail, reconstruire une solidarité salariale ; on s’est accordé à dire que la question culturelle ( les valeurs, les mots, l’imaginaire) était centrale. Plusieurs interventions ont porté sur les trois chantiers évoqués dans le rapport : l’urgence d’en finir avec les divisions (urbains/périurbains, forces populaires/classes moyennes, gens « de souche » et gens « d’origine »), l’absolu besoin aussi de recréer de la solidarité ; en matière de l’aïcité, exacerber les différences devient un obstacle au combat de classe, il faut construire du commun ; l’importance d’inventer un nouveau projet émancipateur a étéplusieurs fois évoquée. Sur la droitisation de la société, disons que le débat entre nous continue.
Propos recueillis par Gérard Streiff



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