Revue, avril 2016

Retour sur le rapport OXFAM
« Toujours plus pour ceux qui ont déjà tout »

Gérard Streiff

Le rapport de l’association Oxfam sur l’état des inégalités dans le monde a fait (un peu) les gros titres en ce début d’année. On a surtout retenu l’état sidérant des inégalités dans le monde mais l’étude pointe aussi les secteurs où l’accumulation de richesses est la plus forte ( la santé devant la finance !) ; elle dénonce l’entreprise de corruption des Etats et propose des alternatives car, dit-elle, « les inégalités croissantes ne sont pas inévitables ».

Oxfam est une confédération internationale d’une vingtaine d’organisations qui travaillent en réseau dans plus de 90 pays « à la construction d’un avenir libéré de l’injustice qu’est la pauvreté ». Dans un rapport intitulé « Insatiable richesse : toujours plus pour ceux qui ont déjà tout », elle montre que « le patrimoine mondial se concentre de plus en plus aux mains d’une petite élite fortunée ». En clair, les 1 % les plus riches en 2014 détenaient 48 % des richesses mondiales et 99 % de la population se contentaient des 52 % restants. Cette tendance est appelée à s’accentuer. Ainsi on estime qu’aujourd’hui ces 1 % les plus riches possèderaient plus de 50 % de la richesse.
D’autre part, les biens des personnes les plus riches (80 personnes cumulant 1900 milliards de dollars en 2014) augmentent de plus en plus rapidement alors que la richesse de la moitié la plus pauvre de la population décline depuis 2010 ! Dit autrement, 80 individus possèdent autant de biens que 3,5 milliards d’humains !
Reprenant les données de « Forbes », Oxfam identifie 1645 milliardaires. Un tiers sont Américains ; un tiers viennent d’une famille riche et ont hérité. Il s’agit à 90 % d’hommes, et 85 % ont plus de 50 ans.
L’étude montre ensuite que « les plus riches ont bâti et fait fructifier leur fortune grâce aux activités et aux intérêts perçus dans quelques secteurs économiques importants ».
Les sources de richesse les plus fréquentes, comme on s’y attendait, sont les secteurs de la finance et de l’assurance, mais les domaines où l’accumulation de richesse est la plus rapide semblent être les activités de pharmacie et de santé, domaines tout particulièrement rentables.

Les milliards de la corruption

Autre enseignement de l’étude : les possédants dépensent des sommes considérables en activité de « lobbying », anglicisme qui désigne une très vieille opération communément appelée « graisser la patte ». Il s’agit d’avoir l’oreille des Etats, des administrations et des politiques. Ainsi les financiers américains, en 2012, ont dépensé 571 millions de dollars dans les campagnes électorales, et 400 millions de dollars de lobbying plus classique en 2013.
Le secteur de la santé américain, en 2013, a dépensé lui près de 500 millions de dollars. (Le même secteur n’a investi que 18 millions de dollars dans la lutte contre Ebola). Oxfam insiste sur le fait qu’il s’agit ici de chiffres « officiels », de frais de lobbying déclarés. On imagine sans peine que les sommes réellement « placées »sont bien plus considérables.
Dans l’Union européenne, la finance dépense 150 millions de dollars de lobbying par an en direction des institutions de Bruxelles, et pour les secteurs pharmacie/santé, le chiffre s’élève à 50 millions de dollars par an.
« Les chiffres réels sont probablement très supérieurs, dit Oxfam. Cette sous-estimation est également due à l’absence d’un registre obligatoire à l’échelle européenne pour fournir des informations fiables et permettre un suivi adéquat du lobbying industriel ».
Concernant le lobby pharmaceutique en Europe, Oxfam ajoute : « L’inscription au registre de transparence est volontaire et de nombreuses entreprises pharmaceutiques choisissent de ne pas déclarer leurs dépenses. Si elles étaient convenablement consignées, les dépenses consacrées aux activités de lobbying par le secteur pourraient s’élever chaque année à 91 millions d’euros ».

Cet argent permet aux milliardaires et à leurs mutinationales un accès direct aux législateurs, que ce soit à Washington ou à Bruxelles. Aux USA sont notamment ciblés par ce lobbying le budget fédéral, le crédit, la fiscalité, la santé, les transports, la défense, l’énergie et le nucléaire.
« Les activités de lobbying, observe le rapport d’Oxfam, sur les questions fiscales peuvent saper directement les intérêts publics, car une réduction de la charge fiscale sur les entreprises limite les fonds disponibles pour les services publics élémentaires ».
Sur cette question plus précise du lobbying et de la corruption en Europe, on lira avec intérêt une étude complémentaire, de 2014 (disponible en anglais sur Internet) d’un think tank européen, Corporate Europe Observatory (CEO), intitulée « La puissance de feu du lobby financier » (The fire power of the financial lobby). On dénombre 1700 lobbyistes du secteur financier à Bruxelles, plusieurs centaines d’organisations lobbyistes pro finance ( on parle de 700). Les britanniques y sont bien représentés. Le rapport du COE, cité par Oxfam, dit encore que « 75 % des conseillers siégeant aux groupes d’experts réunis par la Commission européenne et conseillant les législateurs ont des liens directs avec les milieux financiers » et que « L’influence et le pouvoir destructeur des marchés financiers sont devenus évidents . La puissance de feu du lobby à résister aux réformes qu’il n’aime pas a été évidente » sur toute une série de dossiers (dérivés, agences de crédit, régles comptables, etc...).

Enfin, la dernière partie du rapport, la cinquième, est intitulée « Les inégalités croissantes ne sont pas inévitables » et comporte plusieurs propositions alternatives (voir encadré ci joint).

Encadré
L’inégalité n’est pas fatale

Oxfam a lancé en octobre 2014 une campagne intitulée « A égalité ! » appelant les Etats, institutions et entreprises à « lutter contre les inégalités extrêmes ». Voici pour information l’intitulé des têtes de chapitre -et quelques extraits- de ses principales revendications :

1) Faire travailler les Etats pour les citoyens et lutter contre les inégalités extrêmes. Engagements spécifiques : s’accorder pour que l’éradication des inégalités économiques extrêmesd’ici 2030 figure comme un des objectifs de l’agenda post 2015 ; créer des commissions nationales sur les inégalités ; divulguer les activités de lobbying sur la place publique ; promouvoir la liberté d’expression et de la presse.
2)Promouvoir l’égalité économique et les droits des femmes. Engagements spécifiques : dédommager le travail de soins non rémunéré ; mettre fin aux écarts salariaux entre hommes et femmes ; promouvoir l’égalité des femmes en matière de succession et de droits fonciers ; collecter des données pour évaluer la manière dont les femmes et les filles sont touchées par les politiques économiques.
3)Verser aux travailleurs un salaire décent et combler le fossé avec les primes vertigineuses des dirigeants. Engagements spécifiques : passer de salaires minimum à des salaires décents ; passer à un ratio maximum de un à vingt entre le plus haut salaire et le salaire médian ; promouvoir la transparence sur les salaires ; promouvoir les droits des travailleurs à se rassembler et à faire grève.
4)Partager équitablement le fardeau fiscal pour uniformiser les règles du jeu
5)Supprimer les échappatoires fiscales internationales et combler les lacunes en matière de gouvernance fiscale
6)Rendre les services publics gratuits et universels d’ici 2020
7)Modifier le système international de RetD et la tarification des médicaments, de manière à ce que l’ensemble de la population ait accès à des médicaments adaptés et abordables
8)Mettre en place un socle de protection sociale universelle
9)Cibler le financement du développement afin de réduire les inégalités et la pauvreté et de renforcer les relations entre les citoyens et leur gouvernement

Pour plus d’information, on visitera le site www.oxfam.org



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