Crise des migrants

L’opinion publique pèse en faveur de changements
Face au drame des réfugiés, l’émotion populaire, les gestes citoyens commencent à faire bouger les dirigeants européens. Entretien avec Lydia Samarbakhsh, responsable du secteur international du PCF
Ton appréciation sur l’évolution de la crise ?
La diffusion, partout sur le net, de la photo de cet enfant mort, échoué sur une plage sans pouvoir atteindre avec sa famille l’Europe, a suscité une émotion populaire, partout, à un point extrêmement élevé. Il y avait déjà avant cette photo des gestes, des actions de solidarité, en Italie, en Grèce, de la part de populations qui n’avaient pas grand-chose mais qui partageaient tout avec les réfugiés, qui ont essayé de sauver la vie de ceux qui se noyaient ... Les dirigeants européens, en particulier les Allemands et les Français, sont aujourd’hui obligés de tenir compte de cette opinion publique et de ces élans de solidarité. Il y a eu, au mois d’avril, au moment des premiers desastres, des naufrages, des premiers morts, une musique qui s’est installée en confondant migrants et réfugiés , en stigmatisants les migrants, les immigrés ; or c’est une même fuite pour la vie qui pousse les migrants comme les réfugiés à essayer de se trouver un avenir hors des zones de conflit, de crise. Bref, les opinions populaires ont pesé dans les changements de politique qui se manifestent de la part de l’Allemagne et de la France. Il s’agit pour ces pays à la fois de répondre à l’urgence de la situation humanitaire des réfugiés mais aussi de reconsidérer la politique des visas en Europe vis à vis des migrants dans leur ensemble. On ne peut pas opposer les uns aux autres , faire une hierarchie dans la détresse des situations.
Ton opinion sur la position du gouvernement français ?
Elle consiste aujourd’hui à prendre en compte l’émotion populaire dans le pays, en annonçant accepter finalement la répartition de l’accueil des refugiés que la Commission européenne essaie de faire passer depuis des mois. Mais à l’heure qu’il est, on n’a aucun élément sur l’ampleur des moyens qui vont être réellement dégagés, l’ampleur de l’aide et du soutien de l’État aux collectivités territoriales. Il y a là une zone d’ombre qui n’est pas compréhensible de la part du gouvernement. A propos de moyens, c’est une raison supplémentaire de mettre un coup d’arrêt aux politiques d’austérité qui étranglent les collectivités territoriales ; ça veut dire empêcher la coupe sombre d’environ trois milliards et demi d’euros et y ajouter au moins deux milliards d’euros pour être en mesure d’accueillir non seulement les 24 000 réfugiés mais mettre en place les dispositifs nécessaires pour leur accueil.
D’autre part, il y a un lien direct qui est fait, par le pouvoir, entre la situation des réfigiés et la guerre en Syrie, avec l’annonce, dans un premier temps, d’opérations de survol du territoire syrien en vue d’un engagement français dans des frappes aériennes dans le cadre de la coalition dirigée par les Etats Unis. Or, depuis que cette stratégie a été engagée en Irak et en Syrie, on dénombre plus de 3000 frappes qui n’ont pas empêché l’État islamique de progresser. Donc dans l’attitude du gouvernement, il y a, je pense, la préoccupation de répondre à une urgence humanitaire, de se faire l’écho de l’opinion mais il y a une absence de vision et d’ambition politique, c’est à dire de construire des réponses politiques au niveau de cette crise qui n’est pas simplement une crise des réfugiés, une crise migratoire mais une crise du monde et de son fonctionnement, du poids des logiques de puissances.
Et nos propositions ?
Elles sont de trois ordres. Un : répondre à la situation d’urgence avec la nécessité pour la France d’être à la hauteur des conventions qu’elle a signées, relatives aux réfugiés, des normes préconisées par le Haut Commissariat auprès des réfugiés de l’ONU, de mettre en place les dispositifs necessaires pour sécuriser le parcours d’arrivée en Europe de ces réfugiés, leur installation transitoire puis perenne ; ça passe aussi par des moyens qu’il faut prévoir en matière de dispositif médico-social et sanitaire, de scolarisation des enfants, de langue, de suivi des situations professionnelles. Donc c’est répondre à la situation d’urgence avec un plan qui prend en compte l’ensemble de ces étapes. Deux : au plan européen, ça necessiterait que notre pays soit un des fers de lance d’une remise à plat complète de la politique des visas ; nous contestons le fait que les migrants, notamment économiques, représentent une menace pour l’équilibre des pays membres de l’Union européenne. Trois : au plan international, ça veut dire que la France et l’Union européenne doivent jouer un autre rôle, dans le cadre de l’ONU : chercher à construire les espaces, les cadres, les processus de résolution politique et diplomatique des conflits ; ça veut dire enfin remettre à plat toute la politique d’aide publique au développement.
Propos recueillis par Gérard Streiff



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