Entretin Pierre Laurent

Prendre l’initiative d’une véritable dynamique politique
 
Entretien exclusif avec le secrétaire national du PCF sur le climat politique et idéologique de la rentrée, le bilan des rencontres de la gauche anti-austéritaire, l’agenda de travail des communistes. Un immense effort politique est nécessaire, dit-il ; les communistes doivent être concrètement utiles à la construction de l’alternative.
 
Comment est-ce que tu apprécies la politique du gouvernement ?
 
La politique gouvernementale persiste d’une manière insensée dans une très grave erreur pour le pays, qui consiste à penser que l’écrasement de la dépense publique et l’allègement de fiscalité pour le capital restent la pierre angulaire de toute politique économique. Ces choix-là sont aggravés après chaque annonce gouvernementale : on entend ces jours-ci des déclarations sur l’indemnisation du chômage, sur la politique familiale qui continuent d’aller dans le sens de la baisse des dépenses sociales et publiques. On continue de déprimer très gravement l’activité nationale, une activité qui se déprime aussi au plan européen, et même l’Allemagne, présentée comme le modèle, donne des signes économiquement inquiétants. Le diagnostic qui est le nôtre depuis des mois se confirme. Si on persiste dans cette voie-là, les difficultés vont aller grandissant sur tous les plans pour les Français comme pour le pays. Donc l’urgence est de promouvoir le plus vite possible les conditions d’un changement de politique pour mettre le cap, au contraire, sur la relance sociale.
 
On assiste en même temps à un pilonnage incroyable de l’idée, de l’idéologie libérale ces temps-ci. 
 
C’est même un martelage assourdissant. Dès qu’un salarié, dès qu’une profession se lèvent pour dire « Stop au massacre social » dans lequel on veut nous enfermer, il est stigmatisé de manière très violente. Il est frappant de voir que les arguments qui ont été utilisés contre les pilotes d’Air France, en lutte contre la compagnie low-cost Transavia, ont été, mot pour mot, les mêmes arguments avancés contre les cheminots. Par ailleurs, contre l’évidence de tous les résultats, de l’absence plutôt de résultat de cette politique, on continue de prôner avec un aplomb incroyable les recettes libérales alors même que tous les indicateurs attestent de leur très grave échec. On a l’impression que si le martelage est aussi fort, c’est parce que le gouvernement n’arrive pas à provoquer l’adhésion à ses solutions. Le pouvoir pense que la contrainte idéologique, ce forcing doivent être assez forts pour tuer dans l’œuf toute velléité d’ouvrir un débat alternatif. Ce qui est terrible, et c’est ce qui crée le fossé politique qui grandit de jour en jour entre la société et les dirigeants du pays, c’est que dans ses profondeurs, le pays se rend compte, je crois, de l’impasse très profonde de ces choix. Et le pays a à la fois le sentiment qu’il faut sortir d’urgence de cette impasse et en même temps le sentiment que c’est très difficile à faire, à cause de cette contrainte insensée et permanente pour refuser le débat d’alternative sur les choix politiques actuels.
 
Tu as participé ces dernières semaines à plusieurs initiatives marquantes, l’Université d’été du PS, la Fête de l’Humanité, les deux rencontres du week-end du 4 et 5 octobre avec « Un monde d’avance et « ? » ; est-ce qu’on peut faire un point ?
 
Les initiatives que nous avons prises pour aller au dialogue direct avec les socialistes et les écologistes ont eu un écho extrêmement important et ont ouvert justement l’espoir qu’un dialogue pouvait reprendre, qu’une construction commune pouvait peut-être reprendre entre les forces qui refusent les politiques d’austérité. Ces rencontres ont confirmé le rejet majeur de la politique actuelle, y compris dans les rangs du parti socialiste. Et elles ont confirmé qu’il y avait un dialogue possible sur des axes très convergents : la relance sociale plutôt que la finance et l’austérité, le besoin d’une nouvelle industrialisation du pays compatible avec l’ambition d’une véritable transition écologique, la nécessité de l’investissement public au service de ces objectifs-là, au plan national comme au plan des collectivités territoriales, la nécessité de dépasser les institutions monarchiques de la Ve République pour aller vers une VIè République, le besoin d’affirmer à nouveau les valeurs d’égalité de la gauche contre les discriminations et contre les racismes. Donc ces rencontres illustrent la possibilité de ce chemin alternatif à l’acharnement gouvernemental actuel. Mais ce qui me frappe aussi avec ces rencontres, et c’est la deuxième chose, c’est qu’entre l’existence de ce potentiel et sa concrétisation dans une véritable construction alternative, il y a du chemin. Et ce chemin ne se concrétisera, et ne deviendra une réalité, que si nous produisons dans le pays, et à tous les niveaux, localement, régionalement, nationalement, un immense effort politique de mobilisation, de rencontre et un patient travail de rassemblement. Parce que, sans cet effort politique, on peut en rester à la juxtaposition des critiques, à l’énoncé d’intentions convergentes mais sans que cela se traduise par une véritable dynamique politique constructive. Et cette dynamique, c’est à nous d’en prendre l’initiative. Donc, je dirais que les rencontres faites sont un signal fort, elles montrent un chemin possible, mais l’essentiel reste à faire pour concrétiser le potentiel révélé par ces initiatives politiques.
 
D’où le rôle du PCF ? Son calendrier est chargé, les mille rencontres, la conférence nationale, la convention industrie, deux sessions du conseil national…
 
La décision que nous avons prise en juin de tenir une conférence nationale du parti début novembre, parce que nous sentions que la crise politique et le besoin d’alternative étaient en train de murir à très grande vitesse, cette décision s’avère totalement pertinente dans la situation présente. Je pense que l’objet central de la conférence nationale, et des débats préparatoires, doit être de discuter comment nous sommes concrètement utiles à la construction de l’alternative. La conférence nationale ne peut pas être seulement une conférence de constat de la situation politique, ça doit être une conférence nationale tournée vers la prise d’initiative politique, militante à tous les niveaux. Le conseil national a décidé mille rencontres pour l’alternative. Il faut que la conception de ces rencontres, l’élargissement maximum de ces rencontres, les suites que nous voulons donner à ces rencontres, dans l’action, tout ça doit être discuté dans la conférence nationale. Ces mille rencontres doivent servir à relancer la mobilisation des forces du Front de gauche, sur le terrain. Et pour nous, relancer le Front de gauche, c’est lui faire franchir une étape qualitative sur les objectifs de rassemblement qu’il se fixe. Il faut aussi discuter de cette question. La conférence nationale tombe à point nommé pour mutualiser nos expériences et en tirer des leçons pour notre action politique immédiate. Cette conférence nationale doit être aussi l’occasion, et nous avons décidé d’y consacrer une matinée entière, de nourrir l’échange sur nos propositions,
notre projet, et de donner de la visibilité aux axes les plus structurants de ce projet. C’est à ces deux questions, les chemins de l’alternative et le projet que nous voulons porter, que je consacrerai l’allocution de clôture, dimanche 9 novembre.
 
Propos recueillis par Gérard Streiff



Site réalisé par Scup | avec Spip | Espace privé | Editeur | Nous écrire