Revue/Syndicats/Septembre 2023 ?

Encadré
Syndicats
Une image qui s’améliore

La manière probablement la plus pertinente pour apprécier l’image des syndicats dans l’opinion est de se référer au Baromètre du Cevipof, l’institut de recherche de Sciences Po. En effet si les sondages sur le monde syndical sont nombreux, et divers, le Baromètre, qui scrute l’opinion en posant les mêmes questions depuis près de quinze ans, est un bon repère pour apprécier l’état et l’évolution des sondés sur une assez longue période.
Le premier baromètre a été réalisé en 2009 ; le niveau de confiance des Français s’établit alors à 36% ; à partir de 2013, ce taux n’a cessé de baisser sensiblement jusqu’en 2019 ; à partir de 2020, il a connu une forte remontée pour retrouver, dans ce qu’on appelle la Vague 14 du Baromètre, en février 2023, alors que le mouvement contre la réforme des retraites était lancé, le chiffre de 36%.
Un chiffre de « confiance » moindre que pour d’autres « institutions » (hôpitaux, sécurité sociale, école) mais nettement plus important que celui accordé aux médias (28%) ou aux partis politiques (16%). Comparé à d’autres pays européens, ce taux de confiance est plus fort en France qu’en Italie mais plus faible qu’en Allemagne ou en Grande Bretagne.
En ce même mois de février 2023, une étude de l’IFOP pour le JDD, montrait que les syndicats étaient considérés comme les acteurs qui incarnaient le mieux l’opposition à la réforme des retraites (pour 43% des Français), les partis d’opposition arrivant loin derrière.
Enfin une enquête Kantar (pour la CFDT à l’occasion de son congrès, durant l’été 2022) notait que 56 % des « salariés » (cette fois l’échantillon était plus serré que celui de la population française) faisaient confiance aux syndicats pour défendre leurs intérêts. Cette étude constituait « le meilleur résultat depuis 2013 » (+5 points par rapport à 2019), soit la même tendance à l’amélioration de l’image depuis quelques années déjà notée par le Cevipof. D’autres enseignements de cette même enquête : 88% des salariés pensaient que les pouvoirs publics devraient associer davantage les travailleurs et leurs représentants pour préparer l’avenir ; pour 79 %, les salariés avaient un rôle à jouer dans la redéfinition des modes de travail ; et 80 % jugeaient qu’il fallait renforcer le rôle et les moyens des représentants du personnel dans les entreprises et les administrations.
G.S.

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Macron aime les syndicats désarmés

Emmanuel Macron a des idées bien arrêtées sur les syndicats. Il estime qu’ils ont trop de pouvoirs, qu’ils touchent à trop d’enjeux publics, en somme qu’ils font trop de « politique ». Selon lui, leur compétence devrait (ne devrait que) s’exercer dans le cadre de l’entreprise. Point. Pour le Président, le « dialogue social » tel qu’il s’est construit, bon an mal an, est globalement inapproprié, voire illégitime, avec des prérogatives beaucoup trop étendues. Cet état de fait, juge-t-il, dure depuis trop longtemps, en fait depuis la Libération.
Deux courts textes disent assez bien ses convictions. Dans son manifeste pour la présidentielle publié en 2016 (chez XO), intitulé « Révolution », un programme de près de 300 pages, il ne consacre que quelques lignes (une vingtaine) au fait syndical. Dans le cadre d’un chapitre intitulé « Rendre le pouvoir à ceux qui font » (tout un programme !), il fustige les « appareils sclérosés », évoque « les cumulards de mandats », « une caste repliée sur elle et qui impose ses propres règles ». Certes il se prononce pour « un syndicalisme fort ». Il dit même qu’il devrait disposer de « plus de responsabilisé réelle » mais – et là est probablement l’essentiel –il borne tout de suite ces responsabilités, la compétence syndicale en quelque sorte, à un territoire précis et limité : « les branches et les entreprises ». Autrement dit : le syndicat est utile dans l’entreprise et il n’a pas vocation à sortir de cet espace, à traiter de l’emploi en général, du chômage, de formation ou des retraites…
Emmanuel Macron sera plus explicite sur le sujet à la mi-mars 2017 lors d’un entretien vidéo à destination d’une initiative de la CFDT. Il dit ceci (la citation est un peu longue mais elle vaut le détour) :
" Le cœur de métier des syndicats, c’est la négociation au niveau de l’entreprise et de la branche et beaucoup moins la gestion des grands risques nationaux. (…) L’intérêt général, c’est le législateur qui le porte parce qu’il est élu au suffrage universel. Quand on demande aux syndicats ou aux représentants des employeurs de le porter, on les décale parce que ce n’est pas leur rôle, ce n’est pas leur fonction ou leur mission. Le fonctionnement pervers que l’on a installé, c’est que l’on a demandé aux représentants des salariés et des employeurs de participer à la fabrique de la loi de manière très officielle. Et on leur a dit : faites de la politique. Ce n’est pas leur rôle. (…) L’Etat doit redevenir courageux et il doit prendre sa part de responsabilité pour définir l’intérêt général. Je dis, moi président, je veux reprendre ma part de responsabilité sur le chômage, sur la formation continue parce qu’ils ne sont pas à déléguer aux partenaires sociaux. (…) Je veux que l’on sorte d’un équilibre qui a été défini entre 1945 et 1970 pour entrer dans le XXIe siècle. »
Ces propos, publics mais assez discrètement évoqués, on les trouve dans les archives de la CFDT, sur les sites de « Challenges » ou de « L’Humanité ».
Ils appellent deux remarques.
Emmanuel Macron parle de mettre en cause « l’équilibre défini dès 1945… » De quoi s’agit-il ? On se souvient que les syndicats ont conquis durant la Résistance et à la Libération une place significative dans la vie publique. Le programme du CNR de mars 1944 ( « Les jours heureux »), un projet de démocratisation radicale tant politique qu’économique ou sociale ( prévoyant entre autres l’institution des comités d’entreprise et de la Sécurité sociale) est signé par trois grands acteurs : « les représentants des organisations de la Résistance, des centrales syndicales et des partis ou tendances politiques ». La CGT et la CFTC sont signataires. Une étude de 2017, signée Guy Krivopissko, « La place du syndicalisme dans le CNR », montre même qu’à la Libération, suite aux nouvelles affectations des uns et des autres, les syndicalistes un temps sont majoritaires à la direction du CNR. C’est le secrétaire de la CGT Louis Saillant qui en est élu président en septembre 1944. Ainsi les syndicats ont pris une part majeure dans le renouveau français et l’installation de son modèle social et économique. C’est ce rôle que conteste Macron quand il parle de « sortir de l’équilibre de 1945 » et d’ « entrer dans le XXIe siècle ». Ces expressions font immanquablement penser à ce vœu de l’idéologue (et affairiste) libéral Denis Kessler, dans un article provocateur (revue Challenges du 4 octobre 2007) : « Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde ». Il expliquait (pour s’en féliciter) que les premières mesures prises par le pouvoir sarkozyste avaient ce dénominateur commun : « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du CNR. »

La seconde remarque porte sur la conception du pouvoir selon Macron. L’intérêt général, dit-il, est défendu par l’Etat et l’élu du suffrage universel. Point barre. Les groupes sociaux qui feraient émerger des projets alternatifs se trouvent de fait considérés comme des entraves. Ce n’est pas une surprise : le président confirme ici une conception régressive de la démocratie, un exercice du pouvoir vertical, centralisé. La politique au sens le plus large est considérée comme son « domaine réservé ». Ce qui l’amène à entrer en conflit avec tous ceux que l’on nomme assez grossièrement les « corps intermédiaires », syndicats, partis (ni droite/ni gauche), associations, élus, parlementaires … Ce n’est pas le moindre des paradoxes de voir les macroniens, qui se flattaient d’être l’émanation de la société civile, bafouer ainsi cette même société civile. Macron est caractéristique de ce que Jean-Louis Laville (institut Polanyi), auteur de « La fabrique de l’émancipation » appelle « la technocratie modernisatrice imbue de managérialisme, autrement dit persuadée de pouvoir régler les problèmes de société par des outils de gestion ». Quand ces gens s’aperçoivent que ça ne marche pas, ils perdent pied, paniquent et virent à l’autoritarisme ( en l’occurrence une instrumentalisation de la justice pour décourager les mobilisations). « La reconstitution, dans ses libertés traditionnelles, d’un syndicalisme indépendant, doté de larges pouvoirs dans l’organisation de la vie économique et sociale » : on rappellera, histoire de conclure, cette revendication, qui vient de fêter son 80e anniversaire, figurant en bonne place dans la programme du CNR.

Gerard Streiff



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