Le piège de l’abstention

in L’Humanité, 24 février 2010

Selon des instituts, elle pourrait atteindre 50%

L’abstention aux régionales a eu tendance à grimper depuis le premier
scrutin de ce genre (voir tableau). Le résultat de 2004 infléchissait un
peu la courbe : 38%. On l’explique par le climat politique d’alors, une
forte volonté de sanctionner le gouvernement Raffarin, et comme un désir
de revanche après le scrutin frustrant des présidentielles de 2002. Le
contexte actuel est bien différent. Une certaine dépolitisation du
scrutin, aujourd’hui, est à la fois entretenue par le pouvoir et portée
par le conformisme médiatique. L’Elysée, dans un premier temps, a voulu
faire des élections de mars un rendez-vous politique fort. Sarkozy
faisait des moulinets. Fillon, à son premier meeting à Angers,
trompetait sur la « reconquête ». Ce scénario est abandonné. Sarkozy
fait le minimum syndical, façon d’écrire. Xavier Bertrand se montre peu.
L’UMP réduit la taille de ses initiatives. On dit que les barons
sarkozystes, en province, retirent même le sigle UMP de leurs affiches
et la jouent localo-local. Dans le même temps, les rares sujets
politiques qui retiennent l’attention des radios et des télés, en règle
générale, sont à la marge du scrutin :« On ne s’intéresse qu’à Frêche et
à la candidate voilée du NPA, dit la tête de liste du Front de gauche en
Ile de France, Pierre Laurent ^^1 <#sdfootnote1sym> . Or les gens que je
vois tous les jours sont dans les urgences du chômage et de la précarité. »

Pour Bruno Jeudy, du Figaro, « Rarement une campagne régionale aura
aussi peu intéressé les Français. Les électeurs potentiels connaissent à
peine les dates du scrutin. » Propos un brin pervers de la part d’un
journal sarkozyste payé pour savoir que la ligne éditoriale est de faire
profil bas.

On entend dire parfois : les gens ne savent pas à quoi sert la région ;
et ils ne feraient pas le lien entre cette élection et leur vie de tous
les jours. L’argument est à relativiser. Si l’abstention a grandi au fil
des scrutins, ce n’est sans doute pas par une méconnaissance de plus en
plus forte des compétences régionales mais en raison d’un doute
croissant sur l’utilité du politique de façon générale.

Le Figaro, encore lui, écrit encore : « le contexte de crise économique
ne favorise pas le débat autour de propositions régionales. Préoccupés
par les questions d’emploi et de fins de mois difficiles, les Français
ne se retrouvent pas dans les discours des candidats. » C’est spécieux
car il est des candidats, ceux du Front de gauche singulièrement, qui
mettent fort l’accent sur le refus des inégalités, le besoin de mettre
les richesses du pays au service du développement, de l’emploi, des
transports, du logement social, de l’éducation, de la formation. Le lien
entre scrutin régional et vie des gens existe donc, mais on l’évacue le
plus souvent du débat public.

Chiffrer l’abstention pour les instituts est toujours compliqué car « on
ne dit pas qu’on n’ira pas voter » (Marianne2). Mais des instituts comme
le CSA commencent à parler d’un risque d’abstention record, de l’ordre
de 50%. Il n’est pas dit que la droite, en dernière instance, profite
vraiment de cette non-mobilisation mais ce qui est sûr, en même temps,
c’est que celle-ci pénalise beaucoup « le vote protestataire » pour
reprendre une expression de Bruno Jeanbart, directeur d’OpinionWay, et
il y range le Front de gauche. Même son de cloche de part de Jérôme
Fourquet, directeur adjoint de l’Ifop : « On voit bien que les couches
populaires et les jeunes ne se sentent pas concernés ; cela explique les
faibles intentions de vote pour les listes protestataires. » Les mêmes
politologues disant encore que la campagne pourrait s’animer les deux
dernières semaines, que les gens rentreraient enfin dans le match.
Dernier indice : on dit que l’incertitude est forte parmi les électeurs
de gauche, que la volatilité de leur vote serait grande. Bref, jusqu’au
dernier moment, des électeurs socialiste ou écologistes pourraient être
tentés par un vote Front de gauche, par exemple. Voilà autant de pistes
à explorer jusqu’au 14 mars, autant de réserves à mobiliser.

Gérard Streiff

1 <#sdfootnote1anc>Cité par Le Figaro du 16/2/10



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