Revue/Education populaire/36

Revue 36
Un concept moderne et précurseur

L’éducation populaire était à l’ordre du jour d’un rapport (et d’un avis) du Comité Economique, Social et Environnemental (CESE) en 2019. Jean-Karl Deschamps et Christian Chevalier, les auteurs du rapport, l’avaient intitulé « L’éducation populaire, une exigence du 21è siècle. »
« Étudier l ’éducation populaire, c’est étudier, entre autres sujets, l’engagement, la solidarité, la citoyenneté, le bénévolat, le militantisme, l’éducation, le monde associatif et même, plus globalement, l’histoire et la vie de la République » annonçaient les rapporteurs, rappelant qu’il n’existait pas de définition unanimement partagée de cette notion. Chose étonnante, et symptomatique : c’était la première fois que le CESE (et ses prédécesseurs, le CS puis le CES) se penchait sur la question, la première fois depuis la Libération donc.
Pour les deux auteurs, « l’histoire de l’éducation populaire est intimement liée à la République et au pacte républicain, son approche par principe bienveillante et respectueuse, sa reconnaissance que chacun « est capable », ses méthodes innovantes, sa volonté d’émancipation des femmes et des hommes, son implantation dans le territoire de vie sont autant d’aspects qui peuvent contribuer à l’émergence de formes nouvelles de démocratie, d’engagement, de participation, de co-production et d’actions concrètes au plus près des réalités vécues. »
Le rapport montre « la modernité, l’utilité sociale et citoyenne (de l’éducation populaire) alors qu’au fil du temps, les politiques publiques se sont peu à peu désintéressées de cette approche. A l’effacement dans le vocabulaire s’est ajoutée une fragilité due, d’une part, à une nouvelle logique économique fondée de plus en plus sur la mise en concurrence par les appels à projets et d’autre part aux difficultés propres d’adaptation ou de renouvellement de ses modes d’organisation et de sa gouvernance. »
S’il n’y a pas de « définition partagée » de l’éducation populaire, les rapporteurs pointent cependant des constantes : « La finalité transformatrice ; l’objectif de contribuer à l’émancipation individuelle et collective et à la conscientisation des individus ; l’attachement à une démarche pédagogique active qui repose sur le principe que chaque personne est porteuse de savoirs, tous étant sachants et apprenants ; la reconnaissance « du droit au tâtonnement » dans l’exercice du rôle de laboratoire permanent de l’innovation sociale ; le portage des actions par des structures à but non lucratif dès lors qu’elles s’inscrivent au service de l’intérêt général ; l’attachement au développement de la qualité de vie sur les territoires. »

Le document rappelle l’histoire de l’EP (l’importance notamment de la période du Front populaire), estime que trop souvent l’EP joua le rôle de « sous-traitance de l’impuissance publique », insiste sur son « compagnonnage complexe » avec l’éducation nationale.

Ses champs d’intervention sont très divers : santé, prévention, éducation, engagement citoyen, petite enfance, culture, sciences, techniques, sports, activités ludiques, etc.
L’éducation populaire met en jeu une pluralité d’actrices et d’acteurs. Elle est incarnée par des structures collectives aux statuts très divers (associations, collectifs, fondations, CSE, syndicats, partis politiques...). S’y croisent des organismes issus de milieux très divers.

Le rapport s’intéresse aux militants de l’EP et considère qu’il n’y a pas de crise du bénévolat. Plusieurs chiffres sont avancés, qui datent de 2017. Les rapporteurs dénombrent 31 272 000 participations à une action bénévole, ce qui est de l’ordre de 1 425 000 emplois à temps plein. Il quantifie aussi les professionnels salariés : 680 000.

Au passage, il souligne le rôle de la ministre communiste Marie George buffet, qui en 1998 organisa les « Rencontres pour l’avenir de l’éducation populaire » ( rapport de Franck Lepage et « Livre blanc de l’Education populaire » de Jean Michel Leterrier ( « Citoyens, chiche !).

Deschamps et Chevalier tentent enfin d’apporter des « réponses aux mutations en cours ». Concept moderne et précurseur, laboratoire permanent de l’innovation, l’EP est cependant en crise. Dont un aspect important est le sentiment de remise en cause de l’indépendance associative. Les rapporteurs lancent quelques pistes : favoriser l’engagement, modifier la gouvernance (des associations), sécuriser le modèle économique, réussir la transition numérique, améliorer la formation des salariés et des bénévoles.

L’avis du CESE suite à ce rapport préconise cinq axes : « investir dans les politiques publiques d’éducation populaire pour contribuer à réconcilier la société ; développer le lien social pour conforter la citoyenneté ; sécuriser le modèle économique ; former et reconnaître les compétences ; encourager l’engagement et modifier la gouvernance. »
Il est ainsi suggéré de « faire vivre sur tous les territoires, en priorité les plus fragiles, au moins un équipement pluridisciplinaire, lieu de rencontres, de partage et de débat, en mobilisant pour cela les organisations d’éducation populaire de ces territoires » ; « nommer un délégué interministériel à l’éducation populaire » : renforcer « les moyens humains et financiers de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, l’INJEP (…) chargé d’organiser tous les trois ans des assises de l’éducation populaire » ; « créer et animer un fonds de soutien à l’innovation et à l’expérimentation » ; « assurer la synergie de l’action des co-éducateurs avec les établissements scolaires » ; « relancer les colonies de vacances et les classes de découverte » (avec l’idée de trois séjours dans le cadre d’une scolarité) ; épauler les comités d’entreprise et les CSE ; aider les salariés d’entreprises sans CSE ; soutenir la formation des bénévoles et l’engagement des salariés dans la vie associative.
Fin

Le Plan Langevin-Wallon (on parle aussi du Projet Langevin-Wallon) est la grande idée de réforme de l’école issue du CNR et de la Libération ; ce projet est mort-né (saboté) dès les prémisses de la guerre froide. Son chapitre VII (le plan comportait huit chapitres) est consacré à la question de l’éducation populaire. L’esprit de ce texte demeure d’actualité, les modalités, elles, sont plus problématiques.

« L’éducation populaire n’est pas seulement l’éducation pour tous, c ’est la possibilité pour tous de poursuivre au-delà de l’école et durant toute leur existence le développement de leur culture intellectuelle, esthétique, professionnelle, civique et morale. Dans des temps où les progrès des sciences et le renouvellement des idées et des manifestations artistiques ne peuvent manquer de s’accélérer toujours davantage, les générations qui se suivent deviendraient vite étrangères entre elles et les plus anciennes étrangères à leur époque, si cette possibilité ne leur était pas donnée. L’éducation populaire ne doit pas être la simple continuation de l’école avec emploi de méthodes scolaires pour compléter une instruction jugée insuffisante. S’adressant aux adultes elle doit partir de leurs intérêts actuels et utiliser leurs aptitudes d’adultes. Elle doit être à la fois représentée sur tous les points du territoire et garder le contact avec les institutions et les hommes dont la mission est le progrès de nos connaissances culturelles. Elle exige la collaboration de tous à quelque niveau de l’enseignement qu’ils appartiennent : maîtres répandus dans les campagnes et dans les villes d’une part, maîtres des écoles normales et des universités d’autre part. Cette collaboration sera d’autant plus facile que tous les maîtres seront passés par les écoles normales et les universités. Les écoles normales et les universités seront des foyers de culture où les maîtres, en contact direct avec les populations, devront trouver l’assistance et les collaborations voulues pour organiser dans leur propre circonscription des séances instructives ou récréatives, des excursions géologiques, botaniques, archéologiques, etc., des expositions et des festivités soit de caractère régional, soit de caractère national ou mondial. Cette énumération n’a rien de limitatif. La fonction d’éducation populaire est d’importance trop fondamentale pour que les maîtres la remplissent à leurs moments perdus. Elle ne saurait s’ajouter à leurs charges professionnelles déjà lourdes, qui doivent être allégées en proportion. Mais il faut aussi envisager que dans les limites par exemple du canton, des maîtres seront entièrement délégués dans cette fonction. Cette délégation ne sera pas une délégation à vie, mais à temps. Elle permettra d’introduire plus de diversité dans l’existence professionnelle des maîtres, dont la monotonie est parfois trouvée rebutante et peut décourager certains au moment de s’y engager. Des stages d’information pourront être organisés pour les candidats à cette fonction. Si l’armature de l’éducation populaire doit être formée par le personnel enseignant à tous ses degrés, elle devra également s’assurer la collaboration de toutes les organisations, publiques ou privées, dont le but est culturel : associations pour la connaissance du milieu historique ou naturel, pour le développement des arts et de la littérature. Ainsi l’éducation populaire sera un ferment du progrès intellectuel, technique, esthétique non seulement pour les individus, mais pour la collectivité. »



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