Dossier AQUARIUM

La C.I.A. et le P.C.F.
Opération Aquarium (1/5)

Avec mes remerciements au secteur Archives ainsi qu’à Dominique Durand

L’immeuble de la direction nationale du PCF, place du colonel Fabien, fut tout un temps espionné par les services secrets américains. Un fonds d’archives l’atteste. Retour sur une affaire qui fit du bruit au milieu des années 70.

Gaston Plissonnier en avait déjà vu de toutes les couleurs dans sa longue vie de dirigeant. Pourtant le secrétaire national du PCF ( les moqueurs l’avaient surnommé « le secrétaire perpetuel ») dut être plutôt surpris ce jour du printemps 1975 où un inconnu lui fait savoir que « la CIA m’a chargé de vous surveiller ». L’homme lui tendit un papier où étaient indiqués son nom, son adresse (Massy), son numéro de téléphone. Vérification faite, ces coordonnées étaient corrects. Il était marié, avait deux enfants et s’appelait Joseph Marchal, citoyen belge et espion américain. Ce quinqua avait une longue expérience et de soudains scrupules. A l’évidence, il ne s’agissait pas d’un mythomane mais bien d’un agent qui avait décidé de libérer sa conscience, de manger le morceau comme on dit. Par précaution, par pudeur aussi sans doute, Gaston Plissonnier se voyait mal en train de confesser le personnage. Il lui proposa de rencontrer un jeune étudiant, Dominique Durand, et le journaliste communiste Alain Guérin, pour poursuivre cet échange qui s’annonçait plutôt passionnant. Marchal accepta. Il accepta aussi que ses rencontres soient enregistrés sur magnétophone. Ainsi commença, au milieu de cette année 1975, une série d’entretiens secrets entre un espion américain et des « émissaires » communistes français.

Un mot sur le contexte : Giscard d’Estaing alors est au pouvoir depuis peu mais la contestation, politique et sociale, est forte. La gauche a le vent en poupe, elle vient de signer un « programme commun ». Le PCF pèse dans les 20%, entame sa démarche « eurocommuniste » ; le nouveau PS se renforce, et tout le monde s’attend peu ou prou à ce que la coalition des gauches l’emporte bientôt. Beaucoup en rêvent, ici ; certains paniquent, ailleurs, du côté américain notamment. Et puis c’est àParis que se tiennent les négociations sur la fin de la guerre au Vietnam. Washington veut suivre de près cette actualité. Dans ce but, la C.I.A. va mettre de gros moyens pour comprendre (et entendre) ce qui se passe dans cette capitale et notamment du côté du Colonel Fabien. Paris devient un « nid d’espions » comme dira l’écrivain Faligot. Mais la Centrale américaine va connaître un problème assez inédit, un imprévu, et c’est ici que commence notre histoire : un de ses espions a des états d’âme, des ranceurs, il est aussi pris de doute. Incroyable mais vrai, comme dit l’expression populaire.

Marchal va donc avoir six longs échanges avec ses deux correspondants communistes. Il va raconter avec beaucoup de précisions son parcours d’espion.Le premier entretien se passe dans une voiture, qui va rouler sur le périphérique pendant toute la discussion. Histoire d’éviter d’éventuels micros, enfin d’autres micros que ceux de Guerin et Durand. Les entretiens suivants se passeront dans un grand hôtel (Le Méridien de la porte Maillot). A chaque fois Marchal demandera si on avait bien vérifié l’état de la chambre,de la salle de bain, etc… Ces discussions se dérouleront notamment le 6 juin, le 25 juillet , le 8 décembre 1975 et courant janvier 1976. Pourquoi Marchal se mettait-il à table ? Disons qu’il agissait autant par aigreur à l’égard de son propre « Service » et de sa direction (des histoires de rémunérations…) que par bienveillance tardive à l’égard des communistes français. Dans sa jeunesse, il avait participé à la résistance antinazie en Belgique, il lui restait sans doute des traces de ses années de formation.

Ceux qui l’ont connu parlent d’un Monsieur-tout-le-monde. Aucun signe particulier, pas même un accent belge. Né en 1923, près de Givet, résistant, il se retrouva dans les « services » belges après guerre. Il mena diverses affaires en Afrique avant de travailler pour l’OTAN (il montra tous ses états de service). En 1971, il est sollicité par la C.I.A. pour « travailler » à Paris. Un Américain, venu de Francfort, Allemagne (QG des forces US en Europe) , le fit passer au detecteur de mensonges. A la suite de quoi, il est engagé. Washington a alors une obsession : le Vietnam . Les USA, qui croyaient ramener ce pays à l’âge de pierre comme avait dit un de ses militaires, étaient en échec sur le terrain, en échec aussi dans les têtes : un puissant mouvement anti-guerre l’avait contraint à négocier. Ces négociations se passent à Paris. La C.I.A. veut absolument connaître les intentions des diplomates vietnamiens. Aussi elle va traquer les résidences où ils séjournent, sonder les murs, poser des micros, tout écouter, traduire, informer autant que faire se peut, Kissinger , le négociateur US, des reflexions de Hanoï. Marchal fait partie de ces espions (il s’agissait chaque fois d’équipes importantes), il donne des dates, des adresses, des noms, il décrit dans le détail comment les services s’infiltrent dans les appartements visés ( ils auraient placé un jour un micro dans un matelas) , comment ils achètent, louent, occupent les lieux voisins des responsables vietnamiens ; comment l’Agence envoie des spécialistes (certains ont travaillé sur le Watergate), venus soit de Francfort, soit de Washington, pour des actions très ponctuelles. Leur job ? tester les outils d’écoute les plus sophistiqués du moment. Un jour, des collègues maladroits ( il donne leurs prénoms) ont traversé complètement avec leur sonde le mur mitoyen donnant sur une des résidences vietnamiennes. Craignant que les « victimes » ne s’en rendent compte, on gèle l’opération, les « spécialistes » reprennent l’avion, les autres se mettent au vert, une semaine, deux semaines, le temps de voir. Mais leur « erreur » n’est pas repérée (genre quelque poussière de platre tombé dans l’appartement inspecté), tous se remettent au travail.

La C.I.A. et le P.C.F.
Opération Aquarium (2/5)

L’immeuble de la direction nationale du PCF, place du colonel Fabien, fut tout un temps espionné par les services secrets américains. Un fonds d’archives l’atteste. Retour sur une affaire qui fit du bruit au milieu des années 70.

Lors des différents entretiens avec Marchal, à l’hôtel Le Méridien de la Porte Maillot, l’ordre du jour est assez informel ; à en juger par les compte-rendus d’archives, la discussion pouvait passer du coq à l’âne. Marchal livra en vrac une série d’informations, toujours confirmées par des documents peu contestables (lettres, papiers divers). Par exemple il signala qu’un cadre (en retrait de la direction fédérale) d’une fédération du Sud avait écrit, en janvier 1975, au consulat américain de Marseille. Il offrait ses services aux Américains pour les informer (de l’intérieur) de l’actualité communiste. Le consulat réagit avec retard, sans doute pour vérifier les faits. Il envoya même un courrier, au contenu très neutre, pour accuser reception ; le correspondant américain s’appelait – ou se faisait appeler plutôt- Walter Allee. Au final ça ne se fera pas. Pourquoi ? Dans le fonds d’archives on assure que l’homme, le candidat taupe, aurait entretemps adhéré au PS…
Après l’espionnage des Vietnamiens, Marchal fut aussi, un moment, affecté à la surveillance de personnalités soviétiques ( l’un d’eux résidait rue de la Faisanderie). Le groupe de Marchal pouvait aussi favoriser la sortie de dissidents de pays de l ‘Est avec la méthode suivante : un agent se rendait en voiture (de grosse voiture) en Bulgarie où il laissait le véhicule et de faux papiers d’identité ; il revenait en France par avion ; l’opposant russe pouvait accéder sans trop de problème en Bulgarie ; il y récupérait l’automobile et sa fausse identité, et passait à l’ouest, par la Grèce.

Cependant l’essentiel de l’activité d’espionnage de Marchal va très vite consister à espionner le siège de la direction nationale du PCF, le tout nouvel immeuble de la place du colonel Fabien. Une partie du bâtiment alors est encore en travaux. Marchal vit cette nouvelle fonction comme une promotion ; il doit aussi s’attendre à une meilleure rétribution (ce qui, semble-t-il, ne se fera pas et l’agacera fortement).
Le travail de son équipe consiste à repérer tous les mouvements des dirigeants, des employés du siège, et si possible à infiltrer des micros dans l’immeuble.
Les Americains ont trois dirigeants communistes dans le collimateur : Georges Marchais, Gaston Plissonnier, Jean Kanapa. Marchais : il est alors en pleine gloire, politique, médiatique. Un des objectifs est de poser un micro dans sa voiture. Manifestement cet objectif sera atteint, les « services » réussitonr à « sonoriser » (comme ils disent) son véhicule où se trouvait aussi le chauffeur (et pargois le garde du corps). Marchal se souvenait de l’enthousiasme de sa hierarchie à l’annonce de ce « succès » . ( Evidemment, aussitôt avertie, la direction prendra les mesures adéquates…).
Plissonnier : il a la réputation de tout savoir sur tout, depuis toujours, il fut donc amplement ciblé. C’est sa maison personnelle, un pavillon dans les Hauts de Seine qui doit être particulièrement visé. Les services ne sont pas regardants en matière financière et sont prêts à louer ou acheter tout lieu proche du pavillon. Selon Marchal, ils sont alors équipés pour écouter efficacement jusqu’à 200 mètres de distance. Ils vont même faire venir « en urgance » de Washington des experts en écoute pour apprécier le terrain, les meilleures possibilités d’écoute, etc.
Kanapa : les archives contiennent cette phrase de Marchal : « Kanapa c’est le principal » dira Marchal. Il faut dire qu’il était a la fois le principal conseiller de Marchais et le chef de la « polex », la section internationale du PCF. Il connaissait parfaitement le mouvement communiste mondial et encourageait une orientaion « eurocommuniste ». La presse parfois le présentait comme un possible ministre des affaires étrangères en cas de victoire de la gauche aux prochaines élections. Alors ils pistent Kanapa et il leur vient une idée étonnante, même si tout est étonnant dans ce dossier. Il est demandé à Marchal et à tous les agents d’être extremement précis dans leurs descriptions de Kanapa, taille, visage, look, tics, cheveux, costumes, habitudes. Il avait un type bien marqué, c’était un homme fin, élégant, le visage sévère, les cheveux plaqués, un peu l’air –avec tout le respect qu’on lui doit- d’un officier britannique de l’armée des indes, genre david niven… La CIA demande donc sur lui une profusion de détails : leur idée, c’est de « fabriquer » un sosie de Kanapa ! De se servir de ce doublon pour fouiller notamment son appartement (à Bagnolet) lorsqu’il serait occupé à Fabien ou en voyage. Envisageaient-ils que le faux Kanapa trompe la vigilance des gardes et entre àaussi à Fabien ? Un face à face entre Kanapa et son sosie dans un ascenseur de Fabien n’aurait pas manqué de sel…
Nous verrons la semaine prochaine comment la CIA « filochait » pareillement les nombreux employés du siège.

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La C.I.A. et le P.C.F.
Opération Aquarium (3/5)

L’immeuble de la direction nationale du PCF, place du colonel Fabien, fut tout un temps espionné par les services secrets américains. Un fonds d’archives l’atteste. Retour sur une affaire qui fit du bruit au milieu des années 70.

Marchal confirme que le siège du PCF est l’objet d’une surveillance constante.
Dans son dispositif, la « Central Intelligence Agency » (CIA ) possède un appartement 83 boulevard de la Villette, à deux pas de « Fabien », d’où sans doute elle tente d’écouter ce qui se passe dans l’immeuble de verre. Aux alentours du batiment, une équipe, où opère Marchal, est chargée de noter tous les mouvements, les entrées et sorties, de véhicules et d’employés, un travail méthodique avec, par exemple, établissement de listes interminables des plaques d’immatriculation. Avec la complicité de la police de Poniatowski, le ministre de l’intérieur de l’époque, l’agence n’aurait guère de mal à identifier les propriétaires et leurs adresses, puis de choisir des objectifs plus précis. Marchal raconte alors une technique simple pour entrer contact-si on peut dire- avec un de ces propriétaire : repérer le véhicule en stationnement près du lieu où il réside, donner ( discrètement, de nuit par exemple) un petit coup (de marteau) sur la carrosserie, laisser un billet d’excuse sur l’essuie glace avec un numéro de téléphone, attendre. Lors de la rencontre qui suit, immanquablement, l’ agent (avec son nom d’emprunt) se montre très conciliant, indemnise sans problème, cherche à sympathiser, suggère -pourquoi pas –de se revoir pour un apéro , etc…
Place du colonel Fabien, les agents disposent d’une valise-caméra qui photographie les voitures et les individus. Le matériel est un peu encombrant et Marchal demanda un jour s’il n’y avait pas moyen d’installer un « soum », ( du mot sous-marin), c’est ainsi qu’on désigne en argot policier ces camionnettes qui semblent stationner ad vitam etaenam à la même place et d’où on procéde à une surveillance discrète d’un quartier… On lui répondit texto : « Non, les Français le font ! » Comme quoi il y avait du beau monde autour du siège communiste ces années-là !

La surveillance vise aussi à identifier les employés, une partie du moins –Marchal dénombre 175 personnes occupés alors à Fabien, un chiffre assez vraisemblable. Les agents doivent donner de brèves descriptions de ces homme, de ces femmes : âge, taille, couleur des cheveux, habillements, etc. Si le « centre » le demande, ils peuvent prendre certaines personnes en filature. Un même agent n’assure pas toute la « filoche », plusieurs se relaient ; ou alors il « tronçonne » son travail, par exemple le premier jour, il va suivre la cible de Fabien au métro, le jour suivant il l’attend du métro pour aller jusqu’à une correspondance du RER, le jour d’après du RER au domicile,etc.

Quand il est établi (par le centre) que la cible vaut le coup, l’agent cherche la rencontre. Si la rencontre se fait, trois moyens de pression sont possibles, la corruption, l’exploitation d’un point faible ou la séduction.
Corruption : les Américains répètent à Marchal que tout s’achète. Pour l’Agence, « des offres de mensualités de l’ordre d’un million d’anciens francs doivent être irresistibles ».
Séduction : il peut être demandé à l’agent de repérer si la personne suivie porte une alliance ou pas. Des collaboratrices ( plus rarement des collaborateurs) sont ciblées, leurs modes de vie inspectés. Marchal parle d’un agent dont ce travail de séduction était en quelque sorte la spécialité. Il détailla , pour s’en moquer avec Guerin et Durant, une histoire où cet « expert » avait réussi une première approche, il géra une puis deux rencontres préliminaires pour finalement se prendre un râteau !
Point faible : l’agent doit chercher si la cible est sensible à certaines dérives , alcool, sexe… La CIA s’interesse particulièrement aux services « périphériques » de Fabien, en particulier les agences de nettoyage/entretien et la cantine ; elle va repérer un responsable d’une agence d’entretien qui mènerait une vie privée tumultueuse, avec un petit penchant pour les « partouzes ». Marchal ira même plusieurs soirs de suite sous les fenètres du bonhomme pour vérifier si le lieu était « chaud ». Quoi qu’il en soit, un agent va prendre contact avec lui en prétendant être propriétaire d’importants locaux de bureaux (qui seraient proches de Fabien) et solliciter les services de sa société. A l’évidence, ici, les contacts iront assez loin.
Pour finir, un détail qui montre l’ingéniosité de nos espions : on fume dans les bureaux à cette époque ; il y a donc des cendriers partout et notamment des cendriers estampillés Ricard, interchangeables ; l’objectif était de récuperer un de ces objets ( facile à manier et à remplacer) ; des techniciens (venus tout exprès) y incorporeraient un micro et le cendrier ainsi « armé » reprendrait sa place.

Gérard Streiff

La semaine prochaine on verra comment « travaille » la CIA.

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La C.I.A. et le P.C.F.
Opération Aquarium (4/5)

L’immeuble de la direction nationale du PCF, place du colonel Fabien, fut tout un temps espionné par les services secrets américains. Un fonds d’archives l’atteste. Retour sur une affaire qui fit du bruit au milieu des années 70.

Des longs entretiens entre Marchal, Guerin et Durand, il ressort que le foncrionnement et l’activité de la CIA à Paris sont très hiérarchisés, très compartimentés aussi. Il y a les agents de terrain, les agents de base comme Marchal : ils ne sont jamais de nationalité française ou américaine, ils sont Belges, ou Allemands, parfois Hongrois. Ils se présentent sous la couverture de représentants de commerce ou d’agents immobiliers. Ces petites mains sont choisies en fonction du travail qu’on attend d’eux ; on va prendre par exemple un ex mannequin s’il est chargé de séduire une cible ; pour assurer une filature, un ancien agent de sécurité de l’Otan fera très bien l’affaire. Si ces personnages venaient à rencontrer des problèmes avec les autorités, ils seraient exfiltrés du pays sans difficulté, en évitant toute complication diplomatique.
Au dessus des agents, il y a les analystes, les chefs de l’opération. Eux sont Américains.
Ce sont eux qui récupèrent toutes les infos recueillies, qui classent, qui trient, qui font tourner leurs machines, qui relancent si nécessaire les agents dans leurs recherches.
Marchal cite cet exemple : la Centrale avait entendu dire que des dirigeants communistes résidaient dans telle tour, ou telle cité d’une banlieue proche ; elle souhaitait avoir les noms de tous les résidents de l’immeuble afin de les donner à ses ordinateurs et voir quels recoupements elle pourrait faire avec ses propres fichiers.
Ces analystes font carrière dans l’Agence, ils ont le statut d’« officiers » et bénéficient d’une couverture diplomatique.
D’ailleurs le numéro de telephone qu’ils donnent à leurs espions est tout simplement celui de l’ambassade. Selon Marchal, les contacts avec la hiérarchie se passaient ainsi : au standart de l’ambassade, l’agent demandait le poste X ; là il déclarait souhaiter parler à Y. Si on lui répondait : « désolé il/elle ne travaille plus ici » ( en ajoutant sans doute quelques formules convenues), cela signifiait que l’agent avait rendez-vous à telle heure dans telle brasserie avec son « correspondant ». En règle générale, ce genre d’entretiens se passait dans le quartier de l’Etoile ou près d’une station de métro de la ligne 1.

Ces services américains jouissent sous le giscardisme en gloire d’une assez large impunité. Le fait que les maîtres espions puissent être joignables directement à l’ambassade américaine, même sous une forme vaguement codée, en est un signe. On n’ira pas jusqu’à dire que l’agence agit alors à visage découvert mais disons qu’elle opère sans trop prendre de précautions.
Comme l’annonce Marchal, ce que reprendra d’ailleurs Alain Guérin quelques mois plus tard dans un article de l’Humanité dont nous reparlerons, la CIA organise ainsi en plein Paris aussi bien ses acrivités de « contrôle » du personnel que des stages d’entrainement des agents, toutes choses qui supposent une certaine logistique (et qui doit se voir des services français).
Les stages d’ « entrainement » ou de « drilling » des agents se déroulent dans divers appartements parisiens dont l’un est situé non loin du métro Abbesses dans le 18è arrondissement. Ces stages comportent des cours théoriques sur des thèmes tels que « la démocratie américaine » ou « pourquoi il faut lutter contre le communisme », des cours pratiques aussi, par exemple de « filature », avec des projections de films, des exercices de mémorisation.
D’autre part, la CIA aime contrôler régulièremente son personnel en le faisant passer au « détecteur de mensonge », un appareil censé mesurer les émotions d’un individu quand il est interrogé ; c’est une règle, semble-t-il, intangible de cette organisation. Ces séances se passent soit dans un grand hôtel du quartier des Tuileries, soit dans un appartement proche de La Motte-Picquet-Grenelle.

On a parlé des agents et des officiers/analystes, reste les spécialistes. Eux sont sollicités pour des opérations ciblées. Ils viennent tout exprès de Francfort/Main, QG de la CIA en Europe, ou de Washington (on présenta à Marchal l’un d’eux comme un ancien du Watergate…).
Leur mission ? la pose d’un matériel d’écoute sophistiqué par exemple ou le repérage d’appartements ou d’immeubles à louer ou acheter comme bases d’espionnage des environs.
En règle générale ils déconseillaient toute opération sur des cibles logées en HJM : trop compliqué pour obtenir des appartements voisins dans ce secteur public…
En revanche, si la cible résidait dans le privé, ils n’hésitaient guère à louer ou acheter les appartements (ou pavillons) à proximité. Leur mission, précise et limitée, une fois remplie, ils retournaient à leur camp de base.

La semaine prochaine, nous verrons comment « l’Opération Aquarium » a pris fin.

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La C.I.A. et le P.C.F.
Opération Aquarium (5/5)

L’immeuble de la direction nationale du PCF, place du colonel Fabien, fut tout un temps espionné par les services secrets américains. Un fonds d’archives l’atteste. Retour sur une affaire qui fit du bruit au milieu des années 70.

Tout s’arrête en janvier/février 1976. Pourquoi ?
L’agence doit réaliser au fil des semaines qu’il se passe quelque chose d’anormal dans la surveillance du siège du PCF. Chaque fois qu’elle marquait un point ( par exemple avec la pose d’un micro dabs la voiture de Marchais ou l’établissement d’un contact apparemment prometteur avec un homme du service Entretien) , cet avantage était contré assez vite : la voiture « sonorisée » est changée, la taupe est « remarciée » et ne travaille plus à Fabien. Bizarre. Les paranos de la CIA flaire l’embrouille. Car tout se passe comme si le parti avait un espion chez les espions si l’on peut dire. Marchal finit par être soupconné. On sait ( il l’aurait dit à Gerin et Durand ?) qu’il passe à nouveau au détecteur de mensonges avec un spécialiste venu tout exprès de Francfort. Trois jours de passage au détecteur, c’est dire si ses employeurs avaient un gros doute.
Ensuite Marchal disparaît. On ne sait pas ce qu’il est devenu.

Lui n’a pas du être étonné d’être soupçonné par l’agence, il s’y attendait.
Dès l’été 1975, selon les archives, il se sent filoché, pense que son telephone est sous écoute.Il en parle à Guérin, lui demande si c’est le PCF qui le piste ? Il ne doit pas trop y croire et sent bien que c’est sa maison-mère qui l’a à l’œil.
Marchal savait qu’il exerçait un métier précaire…Il s’y attendait et il s’y préparait. Marchal a le sens de la débrouille. Un jour il parla d’un proche ( un autre espion) qui avait travaillé pour la sécurité de l’Otan, qui avait réalisé des centaines de fiches, prêtes à être vendues ou publiées…
Et on apprend, toujours à la lecture des archives, qu’il avait une habitude : il déposait systématiquement dans un coffre en Belgique le double de tous ses rapprots à la CIA, de tous ses contacts avec les gens de l’ agence et il menaçait, c’est ce qu’il dit à Guerin, de publier ses mémoires si on lui cherchait des poux. « Je tiens pas à me faire descendre » avouera-t-il textuellement.

Le fait est que, vers la fin janvier 1976, le contact avec Marchal est coupé. Et le 16 février 1976, sur une pleine page du quotidien L’Humanité, Alain Guerin fait sensation en révélant l’essentiel de l’affaire sous le titre « Opération Aquarium : comment à Paris la CIA espionne ». Il y détaille les diverses formes de l’espionnage américain et politise l’affaire. On se permettra cette courte citation : « Lorsque nous avons eu connaissance des faits dont nous venons de donner quelques exemples on ne saurait dire que nous avons été à proprement parler surpris ; nous savions depuis longtemps que l’espionnage et la provocation contre les partis communistes et les organisations de gauche sont selon le mot de Philip Agee (ex agent) « la pain quotidien opérationnel de pratiquement de pratiquement toutes les stations de la CIA ». On remarquera toutefois que cette réflexion d’Agee concerne plus spécialement la région du monde où il a été en fonction, , une région précise, l’Amérique du Sud dont on sait qu’elle est considérée depuis longtemps par l’impérialisme nord-américain comme sa « chasse gardée ». Alors une question se pose : la france doit-elle aussi désormais être considérée comme telle ? Le pouvoir giscardien en est-il arrivé à un stade supérieur de l’atlantisme où les « services spéciaux des puissances de l’Alliance ne se borneraient plus à fournir aux Américains des renseignements sur les communistes et à leur prêter main forte à l’occasion - ainsi que le rappelait encore récemment le Washington Post - mais où les Etats-Unis pourraient disposer du territoire de leurs « alliés » comme d’un pays conquis où la France serait devenue une zone colonisée dans laquelle ils auraient toute latitude d’installer leurs propres services pour « doubler » les services français sans doute considérés en l’occurrence comme débiles ? »

Guerin ne donne alors pas le nom de Marchal ( il le donnera des années plus tard dans son dernier livre). Sans verser dans le romantisme, on peut émettre ici deux hypothèses. Guerin (et le PCF) dit en quelque sorte aux Américains via cet article : Un, on est au courant de vos combines, maintenant vous arrêtez les frais (despionnage). Deux, on est au courant pour Marchal, laissez le en paix .
Il y aurait toujours une famille Marchal qui réside dans cette partie de Belgique, non loin de Givet, selon Dominique Durand, qui ajoute : « Si Marchal était son nom véritable. » En effet, rien ne prouve que les papiers qu’il avait présentés à Guerin et Durand étaient vrais. Son passeport par exemple avait été renouvelé à Bujumbura, au Burundi, ancienne colonie belge devenue récemment indépendante

Cette histoire n’est pas une fiction, répétons le. Un beau fonds d’archives à Fabien le prouve. Voir aussi l’article cité de L’Humanité du 16/2/1976 ; le livre d’Alain Guerin « Ne coupez pas, je raccroche » aux éditions Le temps des cerises (épuisé, dit-on). Un documentaire télévisé, réalisé par le journaliste Nicolas Bourgoin, comprenant un long entretien avec Dominique Durand , est en préparation ; il devrait être programmé début 2021.

Gérard Streiff



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