Martinez

Du domaine des murmures

L’histoire d’une femme qui dit non, en plein Moyen âge. Esclarmonde, 15 ans, doit épouser Lothaire de Montfaucon, noble violent, batailleur, trousseur de filles ; devant l ’hôtel, devant toute la société réunie, elle dit non, déclare appartenir à Dieu, au Christ ; pour marquer sa détermination, elle se tranche l’oreille, refusant de devenir « le pudique récipient du mâle ». Elle est condamnée à être enfermée dans une cellule collée à la chapelle du château mais elle aspirait à cette vie de recluse, dans une fosse remplie de paille. Le matin de sa mise au tombeau, elle est violée par un soudard. Neuf mois après, elle donne naissance à un garçon, Elzéar. On crie au miracle, à la sainte. Sa prison devient un lieu de culte et de commerce, la « poule aux oeufs d’or » pour les marchands de bondieuseries du coin.

Une histoire superbement, une phrase forte et poétique à la fois, qui allie bien le réalisme et le sublime religieux. Il faut du talent pour écrire une épopée sur une recluse ; c’est que Esclarmonde pousse les siens (le père qui la déteste, les frères, les seigneurs voisins) à partir en croisade pour libérer le tombeau du Christ à Jérusalem ; il y a là des pages extraordinaires, hallucinées.

Mais le diable aussi est de la fête : au fil des ans, Esclamonde croit de moins en moins, s’agace du fanatisme des pénitents qui la consultent ; elle sait que « la frontière est mince entre sainteté et hérésie ». La fin, terrible, est à la hauteur de ce roman sur le pouvoir (des princes et des religieux), sur les femmes qui disent non, sur la crédulité, le fanatisme, la folie.
Carole Martinez a remporté moult prix pour son précédent roman, le coeur cousu (2007) ; elle avait commencé par un polar jeunesse (le cri du livre, réédité sous « l’oeil du témoin »).

Gallimard

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