Le faux/Revue Les refusés, été 2014

Le faux de James Dexone

Dexone était aux anges. James Dexone, auteur britannique de polar, avait obtenu le droit de visiter la morgue parisienne. Le bonhomme commençait à être connu en France ; c’est lui qui avait décidé d’écrire les nouvelles aventures de Sherlock Holmes. Sa nouvelle série marchait pas mal.

Il se pointa donc, ce mardi, en début d’après midi, à l’Institut Medico Légal, quai de la Râpée. Genevieve Dirlach, la directrice, l’accueillit. Elle était surprise de le voir seul. Dexone ne parlait pas français et à l’Institut, ce jour là, il n’y avait pas un seul anglophone. Dirlach elle-même avait oublié ses rudiments depuis longtemps.
 You … alone ? tout seul ?
 Alone, yes, rougit l’auteur.

Ils se sourirent, hochèrent ensemble la tête. Dirlach n’était pas bégueule et l’Anglais n’avait pas l’air trop compliqué ; ils devaient pouvoir s’entendre si chacun y mettait du sien. On allait se débrouiller avec les moyens du bord.

Dirlach réalisa qu’elle pouvait tout de suite lui proposer un cadavre de toute beauté, un type qu’on avait retrouvé le matin même au Jardin des Plantes, à deux pas donc, assis sur un banc, et décapité, proprement décapité.
Enfin, proprement, c’était façon de parler, le costar du personnage sans tête ( au fait, on ne l’avait pas retrouvée) était inondé de sang mais le cou, lui, était sectionné net, pas de bavure, pas de bout de chair qui pendait, pas de morceaux d’os éparpillés. Du beau travail.

Le décapité avait du passer la nuit assis, le cadavre en avait gardé la position. Pourquoi personne ne l’avait vu ? Mystère. Il n’avait pas encore été déshabillé, encore moins examiné.

Dexone regarda le corps, fasciné.
 Interesting !
 Yes, very ! s’exclama Dirlach.
L’Anglais était penché sur le cou ; il eut comme une révélation.
 Scythe ! dit il avec assurance.
Dirlach opina, perplexe.
 Scythe ! répéta l’autre.

Il disait quoi, le British ? La directrice se sentait démunie .
 Scythe, scythe, insistait son visiteur.

On sentait qu’il cherchait désespérément des repères. Il saisit un feutre, sortit un carnet, esquissa…un marteau et une faucille, montrant de sa plume ce dernier instrument.
 Scythe ?!

Dirlach était paumée. Un marteau, une faucille ?! C’était quoi, le message ? Il pensait que c’était un coup des cocos ?
 No no ! murmura-t-elle, no reds, no politics !

L’Anglais sentait qu’on s’égarait quand il repéra un ordinateur.
 Internet ? demanda-t-il ?
 Yes internet, of course, dit-elle soulagée.

Dirlach trouvait qu’elle s’améliorait en peu de temps.
Le type pianota quelques mots ; elle comprit qu’il cherchait un dictionnaire franco anglais.
 Hoou, se mit il à chantonner, ravi de sa découverte.
 Yes ? l’encouragea Dirlach.
 Faux !
 Faux ?
 Le faux !
 Le faux ? What le faux ? se permit-elle.
 Le faux ! You know ?

Il mima le geste du faucheur.
 Le faux ! Le faux !

La suite de l’enquête devait lui donner raison : le tueur à la faux avait encore frappé.

Gerard Streiff



Site réalisé par Scup | avec Spip | Espace privé | Editeur | Nous écrire