8 février 2011

Imiter la vie

Lu sur Médiapart : Gilles Sainati est magistrat, du côté de Béziers. La
détresse humaine, il connaît. Il rend 1000 jugements par an et voit
défiler à longueur d’audiences un public paupérisé de gens qui tirent le
diable par la queue, qui tentent de s’en sortir, de survivre, qui
décrochent parfois. Bref, il connaît la musique. Et pourtant, il ne
cache pas son étonnement devant un phénomène nouveau et qui tend à se
répéter : les chariots pleins à ras bord, abandonnés en plein magasin,
avant le passage en caisse. C’est pas du vol ni de l’oubli ; c’est quoi
alors ? Tout simplement ceci : il existe désormais des « clients », des
familles entières, qui viennent au grand magasin, la cathédrale de notre
XXIe siècle, le temple de la modernité ; qui font des courses comme tout
le monde ; qui choisissent, hésitent, préfèrent telle ou telle marque ;
ils empilent tout ça au gré de leur longue pérégrination entre les
gondoles. Ils se montrent, saluent sans doute au passage des voisins,
des connaissances, ils s’affichent comme des familles normales, poussant
un caddie normal dans une grande surface normale. Mais au moment de
passer à la caisse, ils savent bien qu’ils ne pourront pas payer. Alors
ils abandonnent le chariot. Et ils fuient, ils filent en douce, ils
passent au portique « Sans achat ». Honteux ? Rêveurs ? Défaits ?
Enragés ? On en est là. Comme dit le juge, « le temps de cerveau
disponible a envahi toute la sphère du bon sens. On est réduit à
consommer non plus pour vivre mais pour imiter la vie, le modèle qu’on
nous fait miroiter. »

Gérard Streiff


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