Kanapa/Puzzle/Gebuhrer

Olivier Gebuhrer se sent déterminé.
2 h ·
SUR « LE PUZZLE KANAPA »
J’en entendis parler, gamin, chez moi . Mon père se plaignait de sa brutalité. Probablement sa première période. Le temps passa … Les études m’amenérent à Strasbourg … en Septembre 1968 .Je venais d’adhérer au PCF en Juin à Paris . Là , je fis , entre autres, la connaissance de Gerard Streiff dont les éclats de rire étaient et sont légendaires …Nous nous perdîmes de vue un temps , puis nous nous retrouvâmes …Pour celles et ceux qui n’auraient pas lu sa somme , thèse de Doctorat sur Jean Kanapa , dont il fut un proche si on ose dire , l’ouvrage qu’il signe : « Le Puzzle Kanapa » est un « must » . Petit- grand ouvrage . On y parcourt un demi- siécle de la politique du PCF .
Un militant ordinaire mais impliqué comme je le fus, n’y rencontre aucune fausse note ; rien dans le rappel de ces années de tourmente ne vient percuter ma propre expérience . On n’y apprend rien qu’on ne susse et on y réapprend tout .
Les bréves allusions à mon propre itinéraire qu’on trouvera ici n’ont pas pour objet la moindre comparaison avec le personnage d’exception décrit dans cet ouvrage : un vermisseau ne se compare pas à un titan.
J’arrivais à Strasbourg avec des convictions mais sans bagage .
Une nouvelle université commença pour moi ; au fond , c’était la même découverte que celle qui me fit voir , sorti des classes préparatoires ,et en première année de Licence , qui était commune aux Eléves de l’Ecole d’Ingénieurs et aux Etudiants (es) , que , croyant tout savoir en mathématiques , en fait , je ne savais rien .
Sans doute , est il possible d’objecter que mon milieu familial avait créé une certaine prédisposition ….L’adhésion au PCF et le cas échéant , l’implication qu’elle induit , n’a jamais rien d’automatique et chaque itinéraire est singulier, irréductible . Mes amis d’adolescence étaient brillants et sartriens. J’étais tout sauf la première caractéristique et quant à Sartre ,je m’obligeais à en lire ; les pièces de théâtre oui , la Nausée non . Mon père , encore lui , ne l’aimait pas . Il le trouvait , non sans quelque raison , parfaitement désespérant . A Nancy , la seconde année d’Ecole me plongea dans la dépression . Mon père m’incita à lire « Matérialisme et empiriocriticisme » . Cela sauva ma vie ultérieure . J’avais déjà une première expérience soviétique , quelques années auparavant. Dans ce camp de jeunesse , il y eut une rencontre « politique » . J’entendis là par des responsables du Komsomol , un éloge de de Gaulle , que je ne pus supporter : chez nous , j’en avais assez entendu pour avoir quelques idées à ce sujet . Je me lançais dans une philippique qui stupéfia l’auditoire .Les responsables du Komsomol firent la tête . Ce gamin osait proférer des idées intolérables mais cette intervention qui n’était que le cri d’un adolescent qui avait lu « La Question » et VU le défilé de la grande grève des « Gueules Noires » et qui ne pouvait à aucun titre prétendre à être « politique » , rencontra un succès inattendu de la part de l’auditoire qui sans doute , déjà, préféra un discours « spontané » et dépourvu d’apprêts à la langue de bois , plutôt qu’une adhésion à une déclaration tonitruante . En tout cas, c’était les années 60, je rentrais de ce séjour , enthousiaste . J’y avais vécu des moments inoubliables avec une jeunesse dynamique , chaleureuse , sans souci d’avenir , et dans mon pays , c’était loin , très loin d’être le cas pour autant que je puisse le savoir : la Guerre d’Algérie battait son plein ….
A Strasbourg , comme je l’ai dit , j’avais découvert l’immensité de mon ignorance et les exigences militantes ne me l’auraient pas pardonné longtemps .Je passais par une phase de « bolchévisation » et me durcis. Autant que j’en puisse juger par l’ouvrage en question , Kanapa était insupportable mais , à mon niveau minuscule , c’était mon cas. Un collégue mathématicien connu et âgé , avait été militant trotskiste et sans doute considérant qu’il avait affaire à un jeune sincére mais dévoyé entreprit de faire mon éducation en m’obligeant à lire Trotski dans le texte …Ce que je fis avec application et cela eut pour conséquence la confirmation de ce que j’avais lu par ailleurs : Trostki ne serait jamais mon truc .Il neigeait ce jour là et la guerre du Vietnam battait son plein…Je proposais par courtoisie à mon Collègue de le ramener chez lui. Dans la voiture , la conversation porta sur cette guerre ignoble . Il trouva le moyen de me dire : « La question est de savoir qui au sein des dirigeants vietnamiens est favorable à la négociation et qui est contre » . Je trouvais ce propos parfaitement déplacé et lui dis, tout de go : « Sortez Monsieur , vous êtes fou ! » ….. Ça donne une idée des attitudes « intolérables » …… Il est très probable que les « attitudes intolérables » au PCF ne concernaient pas que Jean Kanapa mais il est vrai qu’un dirigeant est un dirigeant et un militant, un militant . En sens inverse , il est aussi vrai que : « quid licet Jovi, non licet Bovi ».
J’avais entendu parler du Comité Central d’Argenteuil mais je ne pris connaissance des textes que très récemment. Sans doute ,le centre de la discussion fut étrangement plombée par la grande dispute Garaudy vs Althusser alors que le contenu d’Argenteuil concerne des questions majeures tout autres et sur lesquelles il eût été bon de revenir ce qui ne fut pas le cas dans les périodes ultérieures . Argenteuil marquait un tournant relativement à la création quelle que fut son domaine . Ce Comité Central ouvrait des pistes mais il appelait d’évidence des travaux ultérieurs qui n’eurent pas lieu . La « question » des intellectuels pour le PCF est une récurrence évidemment davantage aigüe au moment des grandes évolutions politiques .
On ne pouvait pas passer complétement à côté du débat même en ces années 70 où la question du Programme Commun vint envahir tout la paysage .Garaudy ne présentait pour moi aucun intérêt à cette date , il avait évolué comme on sait , mais Althusser faisait même à Strasbourg l’objet de discussions chez certains intellectuels dont l’adhésion au PCF était récente , dans la foulée du Programme Commun , et très sensibles au « rigorisme » du célèbre philosophe mais les contributions à l’époque déjà importantes de Lucien Séve , m’avaient éclairé, Althusser me sembla une expression désincarnée dans laquelle je ne me retrouvais pas .Là dessus , comme on sait , éclata la phrase « Les intellectuels derrière leur bureau… » et une longue traversée du désert commença pour ce qui me concerne : tous ceux qui avaient adhéré au début de ma présence à l’Institut de Mathématiques , ne supportérent pas et partirent sur la pointe des pieds .La phrase n’était pas de Kanapa mais il est douteux qu’il s’en soit offusqué .
Nous entrons là , pour ce qui me concerne , dans une phase de maturité relative .Gérard Streiff souligne à plusieurs reprises que les évolutions stratégiques et politiques de cette période furent souvent « imposées » d’en haut , comme on dit . Y avait -il un autre choix possible ? En tout cas , plusieurs de ces mouvements considérables furent pour moi des pierres miliaires . La façon dont le PCF « fonctionnait » , de toutes façons , ne permettait pas autre chose que « le fait accompli » mais il est sur que la question de la « dictature du prolétariat » fut à la fois pour nombre d’intellectuels dont j’étais , une libération considérable , et simultanément un gros souci interne . Ma cellule s’était longuement confrontée au probléme sans trouver de solution d’ailleurs . Nous pensions tous que la mise en œuvre du Programme Commun ouvrirait des perspectives à des changements bien plus importants encore et que de ce point de vue justement la « dictature du prolétariat » , quelles qu’en soient les contorsions dont on cherchait à l’affubler, fermait les portes . Mitterrand ne se fit pas faute d’appuyer sur la dent gâtée sans que ce fût l’unique raison d’en finir avec une conception datée . Mais au lieu de voir se développer une impulsion nouvelle à la suite de l’abandon fracassant , la fameuse phrase bloqua tout.
J’ignorais évidemment la part prise par Jean Kanapa dans ces évolutions fondamentales : elles correspondaient pleinement à ma propre expérience et cela me suffisait amplement. Dans ces années de fièvre , j’eus une sorte de chance d’assister à une sorte de grand Séminaire organisé par Jean Kanapa sur la politique extérieure de la France qui donna lieu à un ouvrage collectif qui n’apparait pas chez Gérard Streiff (mais c’est à peine un reproche) ( « L’impérialisme français aujourd’hui » , je crois ). Cette réunion me fit grande impression . Jean Kanapa ne s’y comportait pas du tout en autocrate , veillait soigneusement à ce que TOUS les sujets soient explorés , éventuellement , en rappelant que l’objectif de l’ensemble n’était pas le cénacle savant mais une phase dans l’élaboration d’ une politique pour le PCF qui allait , dans un avenir proche se trouver au gouvernement. L’aréopage qu’il avait constitué était un chef d’œuvre . On avait rassemblé là la fine fleur des compétences en la matière . Ce Séminaire donnait irrésistiblement l’idée d’un parti en ordre de marche vers des changements historiques puissants .
Je ne commenterais pas la suite ni cette phrase extraordinaire prononcée à la Télévision lors d’un grand entretien par Jean Kanapa : « Il nous arrive d’y réfléchir » . Il parlait des désaccords fondamentaux existants alors entre le PCUS et le PCF sur la question du socialisme …. Ce « Il nous arrive…. » pèse encore aujourd’hui les tonnes de l’Histoire . En quelques phrases , on voit Gérard Streiff brosser à la fois l’intense réflexion de Jean Kanapa, les résistances auxquelles il se heurta et malgré tout les avancées politiques auxquelles il conduisit de façon essentielle . A contrario , il y eut l’épisode tragique en fait de la dernière rencontre à Moscou, Jean Kanapa n’était plus : G Marchais avait proclamé urbi et orbi que cette rencontre donnerait lieu à un constat des désaccords entre nos partis mais de cela il n’y eut pas trace , comme on le sait .
De cet ouvrage magistral , que dire d’autre pour le présent et l’avenir . En étant optimiste , le PCF a lui aussi connu sa phase d’adolescence , inévitable dans un long processus historique . La démarche révolutionnaire est toujours à réinventer .De ce point de vue , il n’existe aucune différence de principe entre la progression de la démarche scientifique et ce qui peut ou non propulser le seul parti proclamant que son objectif est de contribuer à sortir du capitalisme ….En étant pessimiste , on peut considérer qu’il y a un temps pour les faux pas et qu’il n’y a plus de temps pour eux aujourd’hui . Il faut un jour sortir des « grues métaphysiques » si toutefois on projette de changer le monde réellement existant.En prenons nous le chemin ? T


Sciences Po - Centre d’histoire

Présentation du contenu du fonds Kanapa/Streiff composé de documents qui ont servi à l’élaboration de la thèse de doctorat d’histoire soutenue par Gérard Streiff à l’IEP de Paris en 2000, sous la direction de Jean-Noël Jeanneney.

Des archives sont également disponibles aux Archives Départementales de Seine-St-Denis (Bobigny).



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