Un article refusé

Article refusé par la revue "Les temps modernes"

Le puzzle Kanapa

« Tout homme est deux hommes, et le plus vrai est l’autre ».

Jorge Luis Borge

Gérard Streiff

Docteur de l’IEP de Paris

Intellectuel et dirigeant communiste, Jean Kanapa (1921-1978) est un
personnage emblématique de l’histoire du communisme français de l’après
guerre. Il est pour beaucoup demeuré l’archétype de l’intellectuel
stalinien. Dans Autocritique, Edgar Morin brossa de lui un terrible
portrait : « Délégué à l’injure aveugle, Kanapa fut du même coup enfermé
dans le plus mesquin de lui même et promu aux grandes responsabilités
politiques » ^^1 <#sdfootnote1sym> .

En fait, on distingue dans l’itinéraire de cet homme six étapes : ses
années de formation et son passage de Sartre à Staline ; son expérience,
dix ans, à la tête de la revue La Nouvelle Critique ; ses séjours à
l’Est (Prague, Moscou, La Havane), pendant dix ans encore ; son intimité
et sa collaboration avec Waldeck Rochet puis avec Georges Marchais ; sa
participation active, de 1975 à 1978, à la direction du PCF, sur une
orientation dite « eurocommuniste » ; sa vie posthume enfin, tant il est
vrai que ses archives furent amplement – et publiquement- disputées.

Personnage assez exceptionnellement détesté, mais entouré aussi d’une
camarilla d’inconditionnels, Jean Kanapa est un homme excessif. Il a la
fâcheuse habitude d’en faire trop. Il en « rajoute » et l’avantage de
cet inconvénient, c’est qu’en forçant le trait, il est un bon
révélateur. Il indique des lignes de force de l’histoire communiste que
masquent des profils plus lisses. Cette singulière histoire rend
intelligible une étape, essentielle, de l’existence du PCF, et éclaire
utilement, entre autres choses, "l’ère Marchais".

UN HOMME EN GUERRE

Des sources relativement abondantes ^^2 <#sdfootnote2sym> m’ont permis
de cerner, autant que faire se peut, les différentes facettes du
personnage. Nous avons d’ailleurs bénéficié d’un accès privilégié aux
archives du PCF, et pu mettre à jour une somme conséquente de documents
inédits, inventoriés et longuement présentés dans ce travail.

C’est évidemment le politique qui domine ; mais on peut aussi se faire
une idée du Kanapa philosophe, journaliste, écrivain ou encore du Kanapa
intime.

Au commencement, il y a un homme en guerre. Jeune sartrien, Kanapa
polémique avec toutes les autres écoles. Après guerre, il entre en
conflit avec Sartre. Ecrivain dit « prolétarien », il bataille au nom du
réalisme. Cet état ne le quitte guère. Et c’est parce qu’il est en
guerre qu’il est repéré par le parti, par Laurent Casanova plus
exactement. Celui-ci se sert de Kanapa pour « gauchir » le secteur des
intellectuels, qu’il est chargé de recomposer fin 1947. De son côté,
Kanapa se sert du parti pour faire « sa » guerre. Il y a là une sorte de
pacte initial entre le PCF et lui.

Sa violence et son expertise sont reconnus par le parti, lui assurent
une promotion rapide, une autorité ( ou une haine) tenace. Dans une
certaine mesure, Kanapa impose au parti son rythme, son énergie. Certes
le contexte de guerre froide prime. Mais, dans ce cadre, Kanapa fixe
souvent la règle du jeu. Lui qui connaît le père de l’existentialisme
comme personne fait merveille dans sa croisade antisartrienne puis dans
son engagement en faveur d’un jdanovisme « à la française ». Il fait
partie de ces jeunes intellectuels, fantassins de la bataille
idéologique, dont la direction sait attiser les passions, et qu’elle
couvre, en cas d’excès. Et ceux-ci, Kanapa en est le parfait exemple,
déploient une énergie outrancière que rien ni personne ne canalisent
vraiment. A les lire et les suivre, ce ne sont pas des mercenaires qui
travaillent à la commande mais des imprécateurs outranciers, qui se
sentent libres de leurs faits et gestes. Arthur Kriegel raconte cette
anecdote qui situe assez bien Kanapa en 1956 : « On n’est pas venu au
communisme pour pratiquer ce terrorisme (stalinien) » dit le premier. « 
Parle pour toi » lui répond Kanapa.

Aux lendemains du Xxe congrès du PCUS, celui-ci est à la fois écarté et
promu, comme correspondant du PCF à Prague, dans l’ersatz
d’Internationale qui, après le Kominform, se met alors sur pied. C’est
toujours cette même fulgurance, cette pertinence aussi qui feront de lui
alors un expert « diplomatique » écouté de Thorez, puis, par ce biais de
l’international, et à partir de 1968, un conseiller recherché et enfin
un dirigeant éphémère.

Les pratiques de « croyance » et « d’obéissance » se posent donc pour
lui dans des termes un peu particuliers. Cet homme s’est fait un parti
sur mesure ; jusqu’au bout il aura de ce parti, lui qui y a passé sa vie,
une image un peu abstraite d’ailleurs. Jacqueline Colombel ^^3
<#sdfootnote3sym> , qui le côtoya après guerre, décrit assez bien sa
maladresse de jeune militant. Ce mal-être demeurera. Cet homme n’est pas
un héritier du parti ; ses parents, sa culture familiale sont à cent
lieus du communisme ; il n’a pas du PCF une image religieuse, il
n’entretient pas avec lui les complicités ou les haines qu’on ressasse
souvent dans les familles ; il y voit d’abord un parti politique ( c’est
sans doute un point important qu’il partagera avec Georges Marchais).

Plus généralement, cet homme a un rapport singulier au monde. Le réel
est pour lui souvent une reconstruction. Ce philosophe, ce romancier,
passe par le livre pour saisir la vie. C’est dans un roman ( Comme si la
lutte entière, son premier livre, paru en 1946) qu’il décrit le mieux sa
rencontre avec le communisme, sous l’Occupation, et son désamour avec
Sartre ; il continuera, avec quatre autres récits et recueils de
nouvelles, à aborder, entre autres choses, les enjeux et l’âpreté de la
lutte politique. Dans son dernier livre, Les choucas, en 1967, il évoque
pour la première fois la question des camps staliniens, sujet que ni le
Kanapa journaliste, ni le Kanapa politique n’ont abordé par ailleurs.

C’est encore par le roman, mais celui des autres, qu’il passe pour
comprendre certains enjeux proprement politiques. L’ouvrage d’Elsa
Triolet de 1957 Le Monument, sur le divorce entre le créateur et le
politique, semble le secouer – et le faire bouger- bien plus
profondément que le rapport Khrouchtchev ou l’invasion de la Hongrie.

Kanapa est lui même un personnage de roman. Dans un récent livre de
mémoires, Pierre Daix ^^4 <#sdfootnote4sym> rapporte qu’il assistait à
une représentation récente de la pièce Les mains sales ; dans la salle,
écrit-il, il était probablement le seul à savoir qu’Hugo, c’était Kanapa
 ! Ce jeune révolutionnaire bourgeois qui rêve son parti en 1947-48,
c’est Kanapa en effet, Sartre l’admettra de fait plus tard .

UN PERSONNAGE FLOU

Une autre caractéristique de cet homme universellement vu comme une
croquemitaine, un être cassant et tranchant de tout : Kanapa est un homme
flou. S’il était un tableau, ce serait plus un personnage de Bacon qu’un
héros des icônes du réalisme-socialiste.

On dispose de plusieurs brouillons de textes demeurés inédits. Kanapa
avait ainsi ébauché une pièce de théâtre ( « La Peste » en 1944),
plusieurs nouvelles, des bouts de roman. Ses personnages, dessinés là en
secret, sont des hommes qui doutent, des hommes doubles, des hommes sans
personnalité, des hommes vides simplement emplis du désir des autres,
des hommes pris pour des autres. “ Kanapa est, sans aucun doute, un
personnage plus complexe et subtil que la rumeur publique ne le dépeint
”^^5 <#sdfootnote5sym> estime Arthur Kriegel, qui un temps le côtoya.

Homme sans personnalité ? la formule peut surprendre le concernant, lui
qui a toujours semblé si immédiatement identifiable ; sa présence était
remarquée, son affirmation incontestable ; il affichait au contraire une
vraie personnalité ; mais était-ce la sienne ? ou plutôt ce qu’on en
percevait la résumait-elle entièrement ? et quelle était alors son
identité ?

Quelle que soit la façon d’aborder le puzzle Kanapa, l’homme semble
traversé par des contradictions assez radicales.

Communiste ? certes, il l’est, mais tellement atypique. C’est à ses
débuts un militant gêné ; souvent regardé de travers par ses pairs
thoréziens, puis les ronds de cuir de l’Est, ou les gens du haut
appareil comme Gaston Plissonnier ; ses vraies (et rares) amitiés sont,
au fil des années, soit le communiste hors norme Renaud de Jouvenel, qui
l’introduit dans la mondanité rouge, soit le chrétien Pierre de
Boisdeffre. Par exemple. L’homme est distant avec les siens. A Prague,
c’est un fossé qui existe entre lui et les apparatchiks locaux, comme le
rappelle l’un d’eux dans ses mémoires ^^6 <#sdfootnote6sym> .

Il est de la famille sans en être ; il en souffre, parfois, surenchérit
sans doute, pour se faire accepter… mais il se sait différent, et rien
n’abolira jamais cette différence. Entre lui et les siens persistera une
distance à laquelle, finalement, il semblait tenir ; les témoins, d’un
bout de sa vie à l’autre, de ses compagnons de l’après-guerre à des
proches du temps de l’eurocommunisme, utilisent, symptomatiquement, le
même adjectif pour caractériser son comportement : aristocratique.
Kanapa est un aristocrate rouge.

Cet intellectuel méprise l’intelligentsia. Pourtant, intellectuel, il
l’est jusqu’au bout des ongles, transformant tout, sa vie, ses luttes,
ses amours, en mots, en idées et concepts, pour analyser, assembler,
comprendre. Or cet intellectuel déteste les intellectuels, ce théoricien
exècre les hommes de théorie, ce philosophe se moque de la philosophie.
Ce n’est pas chez lui une lubie mais une constante.

Cet amoureux est un moralisateur. Ou inversement. L’ancien sartrien eut
tôt fait, le jdanovisme venu, de lever le drapeau de la morale. Sus à la
pornographie, écrit-il dans Les Lettres Françaises dès 1948 . Puis il
revint tant et plus sur le moralisme rouge au long de la décennie
cinquante, se retrouvant avec des intellectuels de l’autre bord pour
prôner une sorte d’ordre moral , que certains à gauche ne manquent pas
de dénoncer. Il en édulcore ses romans. Et il invoque à nouveau cette
thématique de la morale, lors du XXIIe congrès du PCF en 1976, de
manière tonitruante, alors même que ce parti se présente en pleine
relance modernisatrice.

Pourtant l’amour de la femme habite cet homme, qui jamais ne contrariera
son désir de séduire.

Voilà un beau paradoxe de ce personnage : homme froid, ascète glacial,
doctrinaire intimidant, Kanapa était la passion faite homme. Il ne peut
croiser la femme sans tenter de la séduire . Il fréquenta des femmes
fameuses, les Simone, de Beauvoir ou Signoret ; il connut l’amour-
passion, pour Claudine qu’il enleva à sa famille et pour laquelle il se
fâcha avec son père ; il nourrira une sorte d’amour entravé pour la
compagne de cet ami baroque, de Jouvenel ; il fut amoureux fou d’une
belle Bulgare, puis de Valia, jeune Soviétique, puis de Danièle, sa
dernière compagne. Ses passions épousent souvent ses grandes séquences
politiques (ou peut-être est-ce l’inverse ?), habitent ses romans, le
premier singulièrement. Trois fois mariés, des dizaines de fois « 
fiancés ». Ce caractère entreprenant lui vaut moult dénonciations auprès
des autorités communistes.

Ce romancier tord sa plume. Il aurait sans doute pu faire une carrière
littéraire ; son premier livre, Comme si la lutte entière… , rencontre un
réel écho ; il avait le savoir-faire, l’envie et l’âme d’un romancier.
Beaucoup l’ont dit, Jean Marcenac, Louis Aragon, d’autres encore. Ce
désir l’habita longtemps, si l’on en croit les bribes de romans et
nouvelles figurant dans ses archives ; mais il sabote ce bout de lui,
sans doute le plus intime. « La politique gâche la plume » disait-il.

Jouisseur, il prend volontiers une posture sacrificielle ; il attaque
puis adopte la pose du martyre qui attend les coups. On pourrait dire
que cet homme ne s’accepte pas, ou qu’il fonctionne en ne s’acceptant
pas ; qu’il déploie une belle énergie pour faire cohabiter toutes ses
facettes, maîtriser l’ensemble.

Un jour, sans doute, cet homme eut peur. De ne pas s’y retrouver. A
force de brouiller les pistes, qui était-il au juste ? où était la
personnalité de ce sectaire libéral, de cet outrancier travaillé par le
doute, de ce russophone qui rêvait d’être américaniste ? un simple « 
reflet » comme il l’écrit, un effet de mode, de tendance, de courant,
une opportunité ?

S’est-il dit qu’il était au fond travaillé par de naturelles
contradictions, qu’ainsi était l’humaine condition, qu’il changeait sans
changer, qu’il épousa certes mille combats qui le constituèrent, mais
que dans cette affaire, il ne fut pas qu’un buvard, il imprima sa
marque, il manifesta sa personnalité dans ce qu’elle a de plus intime,
la passion, l’égale passion qui le porta toute sa vie ; il ne fut pas
que porte-voix, il donna à son discours, amoureux ou politique, son
irréductible accent.

Sans doute s’est-il dit tout cela ; il dut penser que cela se tenait,
mais que cela ne faisait pas le compte non plus. Il restait une part de
mystère, d’incohérence, d’inexploré, d’inexplicable. Comme dans ces
mosaïques antiques, laborieusement reconstituées, il peut manquer des
pièces, perdues, et ces vides empêcheront à jamais de parfaire le puzzle.

UN FAISEUR DE ROI(S)

Ainsi en est-il de son rapport au chef. Cet homme est plutôt un
solitaire, mais il a cette particularité d’entretenir des rapports
singuliers avec le chef, dont il sait attirer l’attention, anticiper les
désirs, consolider le pouvoir. Kanapa, c’est l’homme du chef, qui a pu
s’appeler Jean-Paul Sartre, Laurent Casanova, Maurice Thorez, Waldeck
Rochet, Georges Marchais. Ce n’est pas rien, comme palmarès. C’est même
unique. Le chef exerce une réelle fascination sur lui. Et inversement.
Alors, Kanapa, courtisan ? comme le décréta Roland Leroy ^^7
<#sdfootnote7sym> . L’explication est courte. Son lien au dirigeant
n’est pas de la flagornerie, il relève plutôt de l’exigence ; il tisse
avec lui une complicité facile, nourrit une sorte d’oubli de soi dans
l’autre, derrière l’autre, comme une perte – et une révélation- dans
l’autre, dans cet autre là qu’il sert, qu’il façonne en partie, qu’il
compose ou recompose. On a envie d’écrire que Kanapa fait le chef, au
double sens où il le constitue, le conforte, l’étaye et où, par ce
biais, il est lui même le chef. Certes, plus il avance dans la vie, en
âge et en expérience, plus ce scénario est vrai : avec Waldeck Rochet et
Georges Marchais singulièrement.

Quel rapport avec sa propre image du père ? Kanapa fut un fils
colérique, qui se brouilla avec son père, qu’il renia à sa façon ( « dis
à ton père… » écrit-il à sa sœur pendant la guerre), avec qui il ne se
réconcilia jamais ( il connut lors de sa mort, aux dires de témoins, une
terrible crise d’angoisse). Sa vie durant, cet homme, qui fut un père
incertain et officiellement un dirigeant éphémère, sembla se comporter
en fils modèle et modelant le père.

Kanapa entre dans la peau de l’autre. Et çà marche. On peut ainsi penser
que Kanapa écrit ce que l’autre attend qu’il écrive . Non pas qu’il
n’ait pas d’idées : son intelligence, sa clairvoyance, sa lucidité
semblent unanimement reconnus. Non pas qu’il n’ait pas réellement une
éthique propre, ni connu une évolution personnelle que l’on retrouve
dans la trajectoire stalinisme – khrouchtchévisme – eurocommunisme. Il
n’est pas borné, il est organisé ; il n’est pas un fanatique mais il est
« le fanatique QU’IL FAUT ETRE », selon la formule d’une dédicace d’un
de ses livres à son fils.

On se dit alors que ses variations de discours n’obéissent pas seulement
à une évolution logique, exclusivement politique, suivant l’itinéraire,
classique, du sectaire qui s’entrouvre, par exemple. On se dit aussi que
ses replis tactiques – après 1956 ; en 1961 ; en 1969 ; en 1978 -
n’expriment pas seulement de la prudence. Si le sujet n’était si « grave
 », on dirait que Kanapa, un peu, partage le « complexe de Zadig » que
mit en scène le réalisateur Woddy Allen : il est thorèzien avec Maurice
Thorez, waldeckiste avec Waldeck Rochet, marchaisien avec Georges
Marchais. Il ne s’agit pas ici d’opportunisme mais d’incorporation de
l’autre.

Ca marche parce que l’autre accepte cette intrusion, et parce que lui
adhère parfaitement au personnage, à la personnalité du chef.

Ca marche dans les deux sens, dirait-on. Et tant que les deux acceptent.
C’est tout à fait le cas avec Waldeck Rochet, en 1967/68, expérience
interrompue par la mort (figurée) du chef, ou avec Georges Marchais,
entre 1975/77, jusqu’à ce que ce dernier semble prendre du champ.

Il y a sans doute dans cette posture un élément de jouissance, il y a
aussi une part mortifère. Cet oubli dans l’autre, c’est un peu aussi une
mort à soi. Ou une illusion de repousser sa propre mort, peut-être. La
mort accompagna Kanapa sa vie durant : cet homme maladif dès sa
jeunesse, cloué au lit quand les siens s’insurgeaient, tétanisé chaque
fois qu’il prenait l’avion, et dieu sait s’il le prit, évoqua dans tous
ses romans l’incurable maladie.

La référence à la mort est si forte chez lui que certains de ses proches
ne manqueront pas d’associer son échec politique, en 1978 – qui est
peut-être autant échec d’un projet eurocommuniste qu’échec d’un certain
rapport à Georges Marchais- et sa propre disparition ; c’est
l’association que fait le romancier Pierre Olivieri, quand, dans « 
Premier mai », il le compare à « un sombre chouca couvant de terribles
secrets qui tuent » ^^8 <#sdfootnote8sym> .

« QU’EN (N’)A PAS » EN FAIT TROP

Donc Jean Kanapa ne change pas ; ou il change sans changer. En politique
aussi. Il fut libertaire sartrien, puis marxiste politzerien, puis
communiste « prolétarien », puis jdanovien, puis stalinien, puis
casanovien, puis thorezien, puis waldeckiste, puis marchaisien, puis
eurocommuniste, souvent avec de « brutales discontinuités », comme
l’écrit le romancier Kanapa.

Toujours il mit une égale passion pour dire et dédire, faire et défaire.
Sartrien il pousse le goût de la liberté jusqu’aux frontières de la
folie, dit son amie Mme Lamblin. Stalinien, il crie haro sur les blouses
blanches alors même que Moscou les innocente. On lui demande de
critiquer Mascolo, il assassine Sartre. Thorezien, il clame en 1956 sa
nostalgie de la « belle école » jdanovienne, alors même que Thorez
cherche à éviter les vagues et que lui-même, Kanapa, est un adorateur du
Monument antistalinien d’Elsa Triolet. Quand il écrit sur les
encycliques, il fait preuve d’une telle érudition qu’il épate les gens
d’Eglise eux mêmes. Khrouchtchevien, il assure que le départ de ce
dernier était nécessaire pour la relance du khrouchtchevisme. Quand il
s’agit, en 1977, de revenir sur l’attitude du PCF face au XXe congrès,
il transforme le Bureau Politique du PCF en tribunal fustigeant la
vieille garde thorezienne. Ses propositions sur l’Europe ou la force de
frappe mettent tous ses pairs (ou presque) devant le fait accompli. Etc…

Ses excès lui joueront des tours. D’autant que, souvent, il laissera
entendre qu’il aimait çà.

Cet homme, à l’itinéraire si diversifié, semblait d’ailleurs – ou
affectait de - passer d’une étape à l’autre sans le moindre regard sur
le passé ; jamais devant les siens il n’évoquait des phases antérieures
de son histoire. Il affectait d’être un homme sans histoire.

Son outrance sert ; elle permet d’amorcer le mouvement, de hâter le pas
 : puis elle le dessert : on trouve généralement qu’il en rajoute.
Kanapa, qu’on peut aussi entendre comme « qu’en (n’)a pas », en fait
trop, toujours. Homme-passion, homme-excès, ce personnage emblématique a
le mérite de forcer le trait, il montre, à la caricature, les envies et
les hésitations de la direction communiste.

LE FONCTIONNEMENT DU PC

Dans un brouillon de roman, Kanapa se demande s’il n’est pas un « reflet
 ». Mais le reflet fonctionne dans les deux sens. Ainsi, on peut penser
que derrière son itinéraire personnel, c’est aussi une histoire du
communisme français, dans son premier cercle, qui se dessine là. Les
archives aidant, l’histoire de Kanapa est un poste d’observation
offrant, successivement, trois points de vue : d’abord sur l’univers des
intellectuels communistes, de 1947 à 1958 ; sur le monde de
l’international - à partir de 1958 ; enfin sur le premier cercle
dirigeant à partir de 1968.

De manière générale, on peut peut-être mieux appréhender comment le PCF
fonctionne, comment « ca marche », c’est à dire comment, en permanence,
s’élabore la ligne, comment, en permanence, se recomposent les sphères
de direction, comment, en permanence, se négocie le rapport à Moscou.

L’élaboration de la ligne est l’objet d’incessantes discussions,
rarement publiques, le plus souvent biaisées, tout un jeu complexe et
fluctuant. Ces débats sont constants. Il existe peu de périodes d’absolu
statu quo d’idées dans le PCF. Pierre Daix dit que la phase la plus
calme dans sa vie de permanent se situa entre 1951 et 1953. Or, même là,
on perçoit des discussions internes. Certes, plus l’archive est de
qualité, plus elle donne à voir ce travail d’aménagement. Mais on
retrouve ce processus à l’œuvre tout au long de ces années, de 1947,
avec les discussions sur le jdanovisme, à 1977 et les tourments suscités
par l’eurocommunisme.

La décision arrêtée, le débat est souvent rude pour la faire passer « en
bas » - et souvent ça ne passe pas.

Ce phénomène est peut être un peu plus pointu dans le milieu des
intellectuels communistes. On connaît par exemple la grande rupture qui
est intervenue en 1956 entre l’intelligentsia et le PC ; mais des
cassures n ‘avaient cessé d’émailler les rapports entre ces deux mondes
depuis l’après-guerre. Marguerite Duras, Jean Mascolo, Robert Antelme,
Pierre Hervé, Henri Lefebvre : avant 1956, la chronique des séparations
est déjà fournie.

Cette tension constante est bien sûr perceptible dans le débat d’idées
couvert par le mensuel La Nouvelle Critique que pilote Kanapa ces années
là. Ainsi cette revue est à l’avant garde pour lancer le mot d’ordre
stupéfiant de « sciences bourgeoises et sciences prolétariennes » dès
1949 ; mais dans ces mêmes colonnes Laurent Casanova calme le jeu dès
1951. L’objectif du « réalisme » en art est lui l’objet d’une discussion
interminable, où l’on n’en finit plus d’apporter des précisions, des
mises au point, des rectifications, des ajustements. Les questions de
pédagogie, la méthode Freinet notamment, divisent longtemps lecteurs et
rédacteurs. Etc…

On s’aperçoit que chaque pan d’organisation du PCF a sa force d’inertie.
Quand tout va bien, l’impression d’une synergie est forte ; mais quand il
y a crise, chacun travaille pour "soi". On observe par exemple ce
phénomène à deux moments très différents de l’itinéraire étudié, au
commencement et à la fin de la carrière de notre personnage, lors de
séquences où les archives sont nombreuses, précises, détaillées : c’est
le cas de ce que l’on peut appeler « l’affaire Duras » en 1949-50 puis
lors de l’épisode « eurocommuniste » en 1977. A chaque fois, on
s’aperçoit que la direction, l’encadrement et les militants ont, chacun,
leur rythme propre.

Dans le cadre de cette permanente redéfinition, on observe un (fort)
tropisme radical, voire néo-gauchiste du communisme français. La force
de ce courant est telle qu’elle risque de déséquilibrer l’ensemble dès
qu’il y a flottement. On le perçoit lors des débats sur le jdanovisme ;
puis au moment de la crise avec les intellectuels de la rue Saint-Benoît
^^9 <#sdfootnote9sym> ; au cours des hésitations des années 1951-1953 ;
dans les tentations chinoises qui furent fortes au sein du PCF
(1956-1961) ou lors des relations difficiles avec Khrouchtchev ; dans
l’affaire portugaise de 1974 ou encore lors des résistances à
l’eurocomunisme.

Ce tropisme prend des habillages divers, mais il est le point de
convergence de nombreux communistes. Sans faire intervenir cette donnée,
on comprend mal pourquoi il existe un loyalisme aussi massif à l’égard
de la direction ; aucune règle d’obéissance ne donnera le mode d’emploi
de ce fait.

Dans le même esprit, le périmètre du pouvoir, de l’équipe directionnelle
se compose et se recompose en permanence. Derrière l’apparente présence
du chef, il y a une constante redéfinition des zones, des tâches, des
équipes. Cela dépasse les lieux proprement institutionnels (
Secrétariat, Bureau Politique, Comité Central…). L’attitude de Jean
Kanapa en 1975-78 est de ce point de vue caricatural ; il passe en
permanence par dessus la tête des instances régulières.

Kanapa participe à ces différentes recompositions, dans l’équipe
thorezienne, jusqu’en 1961 ; après le « meurtre » de Laurent Casanova ,
début 1961, il contribue à la mise à l’écart de Roger Garaudy, à
l’installation de Georges Marchais, à la marginalisation de Roland Leroy.

Ce mouvement de recomposition s’opère avec une double caractéristique.

Si le Bureau Politique et surtout le Comité central ont peu de pouvoir
de décision, si celui-ci réside toujours autour du secrétaire général,
cet autocratisme implique aussi une attention constante aux
organisations départementales, aux fédérations. Paris est toujours
attentif à ce qui se dit là, et cette écoute induit un certain ( et très
relatif) démocratisme dans le fonctionnement interne. L’opinion de cette
catégorie de cadres ( les directions fédérales) participe à l’équilibre
de la ligne générale.

On note ensuite un poids écrasant du thorezisme. C’est une constante
tout au long de ces décennies. Un élément à peu près intouché. Les
hommes, les idées, le moralisme de l’ère thorezienne restent en place.
Et Kanapa fait avec. C’est le moins qu’on puisse dire. Quand, en 1976,
il doit arracher au congrès son accord sur l’abandon de la thèse de la
dictature du prolétariat, il galvanise les délégués en faisant diversion
avec la question de la morale, invoquant l’exemple venu de « Maurice »…

La seule mise en cause publique du « commandeur » sera l’énonciation, en
janvier 1977, par le biais d’une déclaration du Bureau Politique, du
mensonge thorezien de 1956 ( quand l’ancien dirigeant prétendit ignorer
l’existence du rapport Khrouchtchev). L’affaire n’aura pas de suite.

Le PCF nourrit - ou subit - un thorezisme de fait, entretenant des
nostalgies puissantes, jusqu’à ce jour.

L’URSS ET LUI

La biographie de Kanapa est très liée aux grands enjeux internationaux,
à l’évolution du Mouvement communiste international, le MCI. Il
fréquente peu l’Est avant le Xxè congrès du PCUS. Il a certes séjourné à
Prague, à Sofia, à Berlin. Mais sa connaissance de ces pays reste alors
limitée. Les choses changent à partir de 1957-58 : représentant le PCF à
la revue internationale de Prague, puis correspondant de L’Humanité à
Moscou, et plus tard encore « patron » de la section de Politique
Extérieure du PCF, la « Polex », il va devenir un familier de ces pays.
Son itinéraire nous renseigne beaucoup sur le mouvement communiste
international de la « troisième phase » - la phase des Conférences
internationales (1957-1976)- après celles du Komintern puis du
Kominform, et surtout sur les rapports entre le PCF et le PCUS..

Kanapa connaît parfaitement ce dossier.

Ici aussi, il donne l’impression de vouloir détricoter dans la deuxième
partie de son existence politique le maillage dogmatique très serré
qu’il a lui même tressé dans une vie antérieure. Dans l’un et l’autre
cas, il va mettre la même détermination. Dans l’un et l’autre cas, il
finira par s’isoler.

Dès 1957-58, il fréquente à la revue de Prague une génération de
nouveaux cadres soviétiques, plutôt libéraux, qu’il retrouve à Moscou
dès 1963 ( et qui formeront souvent, vingt ans plus tard, l’ossature de
l’équipe gorbatchévienne). En poste dans la capitale soviétique, alors
qu’est relancée la déstalinisation, il semble découvrir l’ampleur de la
répression stalinienne. Après le départ de Khrouchtchev, il prend assez
vite la mesure du caractère conservateur de la restauration brejnevienne
mais il est prisonnier d’un double langage : il expose ouvertement son
approche critique de la politique moscovite dans ses correspondances
avec Waldeck Rochet mais continue d’aligner des papiers plutôt
conformistes dans L’Humanité.

Il est néanmoins engagé dans une orientation conflictuelle avec Moscou
qui se manifeste en 1968, lorsqu’il épaule le secrétaire général du PCF
dans sa démarche autonome vis à vis de l’Est ; il devra réviser à la
baisse ses positions jusqu’en 1974-75 : il entraîne alors Georges
Marchais – trois ans durant- sur sa ligne « eurocommuniste ». Mais là
encore, il en fait trop ; on le lui laisse entendre.

Comme si toujours entre lui et le Pc devait exister un certain malentendu.

L’INTROUVABLE AGGIORNAMENTO

L’histoire de Kanapa, c’est celle d’un introuvable aggiornamento, celle
d’occasions manquées, comme avec une certaine obstination. A le suivre,
on retrouve le balancement répété des tentatives de réforme et des
mouvements de retrait qui marquent l’aventure communiste, cette envie
d’expérimenter autre chose dès 1947 vite abandonnée, cette tentative de
réouverture vers 1954 promptement contrariée, cet essai vers 1960-1961
(affaire Casanova) qui n’est pas transformé, la relance de 1967-68
aussitôt freinée, le nouveau départ en 1975-77 qui n’aboutit pas…

On voit bien certaines raisons qui feront obstacle au « réformisme
kanapiste » : l’homme entend réfuter une conception autoritaire du
communisme, mais sur un mode lui même autoritaire ; il déstalinise la
doctrine, pas l’organisation ; il impose un train de réformes tiré d’en
haut, sans la moindre consultation, ou presque : l’abandon de la
dictature du prolétariat, la critique de l’Est, le lancement de
l’eurocommunisme, les changements de position sur le Parlement Européen
ou la force de frappe ; chaque fois, ces dossiers sont négociés en petit
comité, mettant le parti devant le fait accompli ; si sa ligne électrise
la fraction la plus "éclairée" du PC, la masse des militants traîne ; en
règle générale, très peu d’informations filtrent sur le cheminement des
décisions, sur les débats de la direction. La force de Kanapa, c’est
qu’il savait parfaitement comment marchait la direction, comment
marchait Marchais, si l’on peut écrire ; sa faiblesse, c’est qu’il a
suffi que Waldeck Rochet chute, que Georges Marchais hésite, que le
centre de gravité de la direction oscille pour que çà ne marche plus.
Sous le regard indifférent des militants impréparés.

Ceux-ci par exemple vont magistralement rater le débat sur l’Est, à
partir de 1975. Kanapa, les archives en font foi, livre une partie de
bras de fer avec Moscou.

Dans la foulée du XXIIe congrès, il hausse le ton à l’égard de la
politique moscovite. De retour du XXVè congrès du PCUS, le patron de la
« polex » rapporte une vision catastrophée de la réalité soviétique.
Mais son « information » reste limitée à l’élite du PCF, les militants
en sont exclus.

Les débats de l’automne 1976, critiques pour les pays socialistes, que
Kanapa encourage dans les colonnes de France Nouvelle, au tirage bien
plus confidentiel que L’Humanité, paraîtront abscons aux adhérents ; ces
derniers ignoreront les missives et interventions répétées des
Soviétiques d’octobre 1976, de mars et mai 1977, comme les propos
grossiers des Tchèques à l’adresse du PCF. On leur cachera la rencontre
des partis français et soviétique de l’automne 1977. En se pliant à
cette loi du secret, Jean Kanapa voit sa démarche affaiblie. Et l’« 
omerta » est telle que des militants inattentifs ne décèleront même pas
le changement de ligne, quand en 1978-1979, le PCF remet le cap à l’Est.

Or ce problème de méthode fragilise Kanapa précisément là où il est le
plus en difficulté, du côté de l’Est ; il semble en effet avoir
mésestimé le poids durable du philosoviétisme, de ses innombrables
réseaux et échos dans le parti ; car enfin, l’un des enseignements de
cette histoire, c’est la place envahissante, durablement envahissante de
l’URSS dans la vie communiste française, URSS réelle, URSS symbolique,
URSS imaginaire, peu importe. Moscou pèse, comme Rome pour le Chrétien,
interminablement.

Remarquons que si le poids du philosoviétisme toutes ces années là est
une donnée incontournable, ici aussi, les choses ne sont pas univoques.
L’attachement du PCF à Moscou n’est pas acquis une fois pour toutes.
Certes l’aura de l’Urss après guerre est grande et son prestige pour les
communistes français peu discutable. En même temps, on s’aperçoit que
cet attachement est aussi l’objet d’une attention constante de la
direction. Comme si, en permanence, il convenait, au fil de ces années,
de consolider, re-fabriquer, reconstruire, réactualiser cette image
soviétique. C’est patent en 1947-48, où l’on remet l’Urss au goût du
jour ; après 1956, on pressent un flottement et il va falloir
reconstruire l’autorité de l’Urss en s’inscrivant dans le discours « 
moderniste » de Khrouchtchev ; après 1968, les communistes français sont
dans une posture de défiance et l’Urss va être l’objet, au sein même du
PCF, d’une véritable entreprise de réhabilitation, à partir de 1971 ;
après une période de « froid » entre les PC français et soviétique, de
1975 à 1977, Paris se rabiboche en 1978-1979.

Le soviétisme du Pcf est donc une construction permanente.

Certes, après chacune de ces étapes, on ne revient pas à la case départ,
à proprement parler ; chacune de ces crises accentue malgré tout une
manière de distanciation entre l’élève et son modèle ; mais ce processus
est si ténu, si fragile, marqué par d’incroyables pesanteurs.

Moscou dispose-t-elle donc encore de tant moyens d’action sur le PCF ?
Sans doute des gestionnaires économes redoutaient le manque à gagner
d’une rupture franche ; et des cadres timorés craignaient pour « l’unité
 » du parti ; on mesure là l’inertie philosoviétique à l’œuvre au sein de
la direction et dans de larges secteurs militants, dans le même temps où
existe une profonde incrédulité à l’égard de cette « conception »
singulière du socialisme, ni social-démocrate, ni soviétiste prônée,
entre autres, par Kanapa, et que l’on appela " l’eurocommunisme".

Pourquoi cette conception ne marche pas ? Parce qu’ « en haut », on se
dit que le Parti n’en veut pas, qu’on se défie de « la base » ? Parce
qu’ « en bas », de fortes réticences demeurent ? Sans doute. Reste qu’il
n’y a pas eu une volonté politique ferme de la direction, plus
exactement qu’il n’existait pas un rapport de forces suffisant au sein
de cette direction permettant d’expérimenter ce « réformisme », alors
qu’il était assez largement attendu par de larges fractions de l’opinion
communiste. Ainsi un sondage de la Sofres, réalisé en avril 1977 – que
Kanapa conservait précieusement- montrait avec force, selon Alain
Duhamel, que « les Français distinguent de plus en plus l’Eurocommunisme
du socialisme tel qu’il existe dans les pays de l’Est ».

On peut raisonnablement penser que les générations qui adhèrent au
communisme français après 1968 sont le plus souvent au mieux
indifférents au fait soviétique, et fréquemment même antisoviétiques ;
ils sont disponibles pour entendre un autre discours : de très nombreux
témoignages vont dans ce sens ; or la direction - mais peut-être faut-il
dire le lobby soviétique de la direction - parviendra finalement à les
rallier à une orientation pro-soviétique ; elle réussira à mobiliser ces
nouvelles générations sur une image pourtant bien défraîchie, celle de
l’URSS de la stagnation brejnevienne, de la répression de la dissidence,
du marasme. Pourquoi cette ligne-là « marche » ? Parce qu’elle bénéficie
d’un encadrement ( réseaux de Gaston Plissonnier, de Roland Leroy, etc…)
qui a fait défaut aux « eurocommunistes » ; et parce que ces cadres ont
réussi à identifier dans l’imaginaire de ces nouveaux venus la
radicalité communiste ( ce positionnement très « à gauche » qui est une
constante de l’histoire racontée ici) et la mythologie soviétiste, alors
même que l’aiguisement du débat d’idées ( reaganisme, thatcherisme,
etc…) permettait une certaine réactivation de l’esprit de « camp ».

D’où ce malentendu final : après Kanapa, la direction s’installe dans
une posture conflictuelle durable avec la « social démocratie » et, dans
l’attente de jours meilleurs, parie sur l’aura retrouvée (ou
retrouvable) des pays de l’Est. Alors que Kanapa, qui connaît cet enjeu
de longue date, semble ne se faire guère d’illusion sur la solidité des
sociétés concernées, sur la qualité de son personnel politique, sur la
gravité de la crise qui les traverse. Pressent-il le ratage à venir ? le
fait est que, sur son lit de mort, du fond de son délire comateux, il
tint encore à dire : « L’URSS, quel gâchis ».^^10 <#sdfootnote10sym>

1 <#sdfootnote1anc> MORIN Edgar, Autocritique, Paris : Seuil, p.109,
édition 1994

2 <#sdfootnote2anc> Archives publiques, du PCF, de la famille, de
proches ou personnelles.

3 <#sdfootnote3anc> COLOMBEL Jacqueline. La nostalgie de l’espérance,
Paris : Stock, 1997, 380p.

4 <#sdfootnote4anc> DAIX Pierre. Tout mon temps, Paris : Fayard, 2001, p 109.

5 <#sdfootnote5anc> Correspondance, 25 avril 2000.

6 <#sdfootnote6anc> TCHERNIAIEV, A.S. Maia jisn i moie vremia. Moscou :
Mejdounarodnié Otnachénié, 1995.

7 <#sdfootnote7anc> LEROY Roland, La quête du bonheur, Paris : Grasset,
1995, 237p.

8 <#sdfootnote8anc> OLIVIERI Pierre, Premier mai, Paris : Amaurote, 1994,
p.38.

9 <#sdfootnote9anc> STREIFF Gérard, Procès stalinien à Saint Germain des
Prés, Paris : Syllepse, 1999, 140p.

10 <#sdfootnote10anc> Témoignage de Jérôme Kanapa.


Sciences Po - Centre d’histoire

Présentation du contenu du fonds Kanapa/Streiff composé de documents qui ont servi à l’élaboration de la thèse de doctorat d’histoire soutenue par Gérard Streiff à l’IEP de Paris en 2000, sous la direction de Jean-Noël Jeanneney.

Des archives sont également disponibles aux Archives Départementales de Seine-St-Denis (Bobigny).



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