Belle-Ile, avril 2017

Collège de Bourbon-Lancy, Bourgogne ( 4è et 3è)

CLONAGE A BELLE-ILE

Préface

Ne pas se fier aux apparences, comme dit l’expression. Lorsque vous abordez une classe de 4è (de 3è aussi, sans doute) en séance plénière, vous pouvez la trouver prudente, pudique, voire réservée. Et vous vous dites, si vous êtes l’auteur-animateur de l’atelier d’écriture : saurais-je les motiver ? Est-ce que j’aurai le contact ? Et puis très vite vous comprenez que cette discrétion première cache une formidable envie de participer. C’est très exactement ce qui s’est passé dès la première réunion de travail où ces collégiennes et collégiens se sont tous impliqués totalement, librement et, devrais-je dire, joyeusement. Ils ont laissé libre court à leur imaginaire tout de suite. Les idées ont fusé, les mots, les images, les personnages. Les groupes de travail se sont stimulés les uns les autres. Avec les encouragements de leurs profs. Et l’histoire a très vite pris forme. Vous allez la lire, lectrices, lecteurs, et vous y retrouverez, j’en suis sûr, la jubilation de ces jeunes auteurs tout au long de cette superbe semaine à Belle-Ile.
Bravo aux élèves pour leur contribution. Merci aux professeurs pour leur cordialité. Et merci à l’équipe d’Oval pour son hospitalité.

Gérard Streiff

Chapitre un
Mystérieuse découverte

Il y avait un corps sur le sable. Le soleil était au rendez-vous. L’océan était calme.
Saïd et Nadège, deux adolescents de quinze ans, se baladaient au bord de l’eau. Ils étaient tous deux collégiens, partis en colonie de vacances sur l’île. C’était un matin comme les autres. Une sortie était prévue dans un bois près de la plage et ils avaient un exposé à faire.

C’est Nadège qui aperçut la silhouette allongée au loin :
 Hé, Sasa, tu vois ce que je vois, là-bas ? dit-elle, discrètement.
Saïd, qui était en train d’observer les crabes, accourut pour retrouver Nadège.
 Mais non, je t’ai dit tout à l’heure que j’avais oublié mes lunettes !
 Viens, on va voir.
 Attends ! C’est peut-être dangereux. Ne t’approche pas. Il pourrait te faire du mal, tu ne le connais pas. Je préfère aller chercher de l’aide. Je te promets de me dépêcher !
 Allez, chochotte, dit la fille, ne te dégonfle pas ! On ne peut pas le laisser comme ça.
 Bon, ok, on y va.

Saïd avait la peau mate, les cheveux bruns, les yeux bleus. Il était calme, attentionné, amusant et curieux de tout, un peu rondouillard.
Nadège, cheveux châtain clair, les yeux marrons, était petite et mince. Nature et intelligente. Le genre sympa mais très pénible parfois.

DESSIN N°1
Le naufragé sur le sable

Est-ce qu’ils allaient foncer vers le poste de secours le plus proche ? Non, les deux jeunes gens quittèrent le groupe pour aller voir de plus près. Ils posèrent leur panier de fruits de mer qu’ils voulaient vendre à la poissonnerie de Bormor.
Tout en avançant, intrigués, ils se demandaient qui était là. Un animateur de la colonie ? Un suicidé ? Un enfant ? Un migrant ? Comme ce migrant vu dans un reportage, la chemise abîmée, crachant de l’eau et toussant, qu’il fallait rassurer.
Nadège, pleine de tristesse, se posait déjà des questions sur ce personnage. Etait-ce quelqu’un originaire d’Afrique ? de Guinée ?

Les vagues bousculaient le corps.
 Il lui faut de l’eau ! s’écria Saïd.
 Tu es sûr qu’il…qu’il est mort ? demanda Nadège, intimidée.
 Espérons qu’il a encore une chance ! Allons lui apporter de l’eau, répéta Saïd.
Ils prirent leur gourde dans leur sac à dos.

Quand ils furent tout près du corps, ils n’en crurent pas leurs yeux : ils se rendirent compte en effet que c’était le sosie complet… de Nadège : petite et mince, les mêmes yeux marrons, les mêmes cheveux châtain clair.
 Mais…mais… c’est quoi ça, dit la jeune fille ! Saïd, je suis sûre que c’est toi qui as encore fait une blague. C’est vraiment pas drôle !
 C’est pas moi, se défendit le garçon. Pourquoi tu m’accuses tout le temps ? Tu es lourde, là !
 Ben, je sais pas moi, tu fais tout le temps des pitreries en classe pour être intéressant aux yeux des autres ! Alors voilà pourquoi je pense à toi !

Ils étaient en train de se chamailler quand soudain ils se figèrent tous les deux, estomaqués. Saïd porta la main dans ses cheveux, Nadège tomba à genoux sur le sable : le corps avait disparu.

Chapitre 2
Le fantôme de Belle-Ile

Où est passé ce fantôme ? Les deux adolescents, figés, intrigués par cette disparition, regardèrent autour d’eux. Inquiets, ils décidèrent de mener leur propre enquête.
Ils commencèrent par fouiller tous les recoins de la plage. Puis ils trouvèrent dans le sable des empreintes de pas. C’était exactement la même pointure que celle de la jeune fille. Nadège, très motivée, partit la première. Saïd, lui, regardait le paysage, s’amusait à imiter les cormorans.
 Dépêche-toi, gros boulet, j’ai besoin de ton aide.
Le garçon, ne voulant pas la laisser seule, alla la rejoindre. Ils arrivèrent sur les sentiers côtiers et traversèrent des endroits qui leur étaient inconnus.
 Wouaouh, c’est magnifique ! s’exclama la fille. Jamais vu un coin pareil.
 Splendide ! ajouta le garçon.

Il y avait le long du chemin de petites fleurs jaunes.
 Hum, ça sent la noix de coco, dit Nadège.
 Aïe, ça pique, répondit Saïd.
 Hé oui, ce sont des ajoncs d’Europe, répliqua la fille.
 Pas grave ! ajouta le garçon.

Sur le chemin, Saïd trouva un bracelet.
 Nadège, viens voir, j’ai trouvé ton bracelet.
 Mais non, il est autour de mon poignet.
 Etrange, il porte pourtant tes initiales et il est très semblable au tien.
 Non, non, regarde ici, il y a quelque chose de marqué…
 Je n’arrive pas à lire, estima le garçon. C’est trop petit.
 Donne… Oui, je crois qu’il y est écrit : Professeur T.
 Professeur T ? Qu’est ce que cela peut bien signifier ?

Plus tard, du côté de la Pointe des poulains ou de la maison de Sarah Bernhardt, Nadège trébucha et tomba au bord de la falaise. Elle s’était fait une entorse à la cheville et une coupure à la main en tombant sur un caillou. Saïd prit alors une fleur de Vénus parce qu’il savait que ça guérissait des coupures.
Une mouette passa à ce moment-là au dessus d’eux. Saïd sourit :
 Mais qu’est-ce que tu as dans les cheveux ?
Il venait d’y voir du guano de mouette.
 Ha ! Enlève moi ça, rétorqua la fille.

Un moment, le sentier se séparait en deux chemins touristiques.
 Avec ton flair, dit Nadège, dis-moi quel chemin suivre.
 Désolé, là, je ne peux pas t’aider, il faut que tu retrouves ces traces toute seule.
C’est ce qu’elle fit. Au même moment, son téléphone se mit à sonner. C’était le poissonnier de Bornor. Trop occupée, elle ne répondit pas. Mais elle réalisa que le même indicatif sonore résonnait un peu plus loin. C’était le téléphone du clone de Nadège. La chasse à l’homme, ou au clone, continuait.

Ils finirent par tomber, dans un cul-de-sac, sur le sosie de Nadège. Les deux jeunes gens sautèrent sur le « fantôme », le plaquèrent au mur, le ligotèrent et l’interrogèrent :
 Qui êtes-vous ? demanda la jeune fille.
 Qui êtes-vous ? répondit le clone d’une voix metallique.

Les jeunes gens restèrent bouche bée devant cette façon de tout répéter. Estomaqués, ils comprirent qu’il n’y avait rien à attendre de ce personnage.

DESSIN N°2
Des traces de pas

Un peu plus tard, épuisés, ils étaient déjà prêts à aller chercher de l’aide quand il se mit à pleuvoir. Pour se protéger, ils s’abritèrent dans la grotte la plus proche.
On sentait qu’il s’y passait des choses très étranges, on y entendait retentir une multitude de bruits, démoniaques, amplifiés par l’écho.
 D’où vient ce bruit ?
 Aucune idée ; des gouttes qui tombent ?

L’endroit était d’autant plus étonnant qu’on n’y croisait aucun touriste. Etait-ce dangereux ? Avaient-ils bien fait de venir là ?
En pénétrant dans la grotte, Nadège se rendit compte que Saïd était déjà là. Devant elle. Elle se retourna : Saïd, qui la suivait, était là, derrière elle. Terrorisée, elle hurla. Saïd vint la rassurer :
 T’inquiète pas, détends-toi, déclara le garçon.
 Mais qu’est-ce qui se passe sur cette île ? chuchota la fille.
 Je ne sais pas mais tâchons de découvrir ce mystère par nous-mêmes car les adultes ne vont pas nous croire.
 Mais d’abord, questionna la fille, comment je peux savoir si tu es le vrai Saïd et pas un clone ?
 On va chercher sur ce corps-là, dit Saïd en désignant le clone, et voir ce qui nous différencie.
Après quelques minutes, Nadège découvrit un tatouage en forme de tulipe sur la nuque de « l’autre Saïd ».

En sortant de la grotte où ils laissèrent le clone, Saïd trouva au sol un flacon de verre contenant quelques gélules. Il montra sa trouvaille à Nadège qui empoigna le flacon et l’observa avec attention. Puis elle entraîna son compagnon à Palais. Ils se rendirent dans une pharmacie où Nadège sortit avec précaution les gélules de son sac-à-dos.
 Bonjour, dit-elle. Savez-vous à quoi servent ces gélules ?
 Un instant, je vais les analyser, répondit la dame.
Elle alla se renseigner puis revint au magasin :
 Désolés, les enfants, nous n’avons jamais vu ces gélules ici.
 Ce n’est pas grave, on va aller se renseigner ailleurs, dit la jeune fille.

Une fois qu’ils furent sortis de la pharmacie, Saïd déclara :
 La seule personne qui soit assez barjo à Belle-Ile pour créer des gélules comme celles-ci, c’est le professeur Tulipe.
 Très bien, s’empressa d’ajouter Nadège, il faut qu’on le rencontre.

Chapitre trois
Le professeur barjo

Le professeur Tulipe occupait un drôle d’atelier.
Pour s’y rendre – c’était au fin fond de la forêt - il fallait emprunter un itinéraire compliqué, longer les ruines du centre de redressement du domaine de Bruté, suivre le sentier côtier, dépasser une plage de sable blanc sur laquelle était échouée une barque verte, toute cassée, contourner le phare à la Pointe des Poulains, passer devant la maison de Sarah Bernhard.

Il fallait encore escalader des clôtures d’ajoncs d’Europe, et c’était très difficile. Puis traverser une grande rivière et parvenir enfin devant une immense villa, qui dégageait une odeur infâme qu’on sentait à des kilomètres, une villa entourée de panneaux agressifs du genre « Propriété privée », « Ouste », « Du balai ! » « Dégagez ! », etc.

Vers l’entrée, il y avait des toilettes. Là, il fallait sauter sur la cuvette, tirer sur la chasse d’eau et en deux temps trois mouvements, les deux ados allaient se retrouver devant le laboratoire.

Tout au long du chemin, en parcourant tous ces obstacles pour arriver chez Tulipe, Nadège et Saïd avaient essayé d’imaginer qui était ce professeur.
Le garçon avait son explication :
 Pour moi, ce bonhomme croit être l’unique et véritable maître de Belle-Ile. Il a créé des clones pour se défendre contre l’invasion des touristes. Il se dit que les touristes veulent prendre sa précieuse terre !
 Non, à mon avis, réagit Nadège, je vois les choses comme ça : Tulipe est arrivé à Belle-Ile, disons il y a quatre ans, et là il a été traité par les habitants comme un esclave. Soit parce qu’on le prenait pour un fou. Soit parce qu’il était différent à leurs yeux, je ne sais pas. Alors un jour, Tulipe a fui cette misère, il s’est caché en fabriquant pendant des années des clones. Pourquoi ? Mais pour faire la guerre aux habitants ! Pour conduire une révolte contre le village qui l’avait si mal accueilli !

Illustration n°3
Le prof fou

A présent, les deux enfants étaient devant la porte de l’atelier.
Ils toquèrent et patientèrent quelques minutes. Personne ne répondit. Saïd insista. Une voix cria :
 Oui, oui, calmez-vous, j’arrive !

On entendit des pas lourds, on aurait cru des pas de géants. La grande porte s’ouvrit lentement et on aperçut une longue et grande silhouette lugubre.
Cet homme avait de grosses lunettes, une blouse blanche, les cheveux décoiffés légèrement verdâtres. Le parfait cliché du savant fou !

 Qui êtes-vous, bande de voyous ? leur demanda-t-il.
 Nous sommes à la recherche du fabriquant de ces gélules, dit Nadège en lui tendant la boîte.
 Où avez-vous trouvé ça ? Rendez-moi ça tout de suite !
 Nous l’avons trouvé dans une grotte, près d’un clone, un de nos sosies ! Vous nous devez des explications, non ?

Le professeur Tulipe les fit entrer. La demeure était étrange, macabre, un escalier bancal, un couloir interminable. Il y avait plein de fioles partout contenant de l’ADN, d’autres avec des gélules. Dans une salle, plein de clones couraient dans tous les sens. Saïd avait plutôt envie de repartir mais Nadège l’agrippa et le força à l’accompagner.

Ils passèrent devant des machines. Saïd, qui aimait bidouiller ces engins, appuya sur un bouton. Aussitôt, sortit de l’appareil toute une série de clones … de Nadège ! Saïd paniqua : comment retrouver la vraie Nadège ? Il regarda alors les nuques de tous les personnages qui l’entouraient. La seule qui n’avait pas le tatouage de la tulipe, c’était elle.
En colère :
 Mais t’es un boulet, ma parole !
 Ha c’est bon, j’ai pas fait exprès.
 De toute manière, tu fais jamais exprès, dit la fille.

Le professeur Tulipe les attendait.
 Asseyez-vous, dit-il, je vais tout vous expliquer.
 Oui, pourquoi faites-vous tout ça ? Nous vous écoutons.
 Alors voilà, je faisais partie d’une grande armée de pirates qui venait se reposer à Belle-Ile. Une nuit, j’ai entendu mon capitaine se lever avec son second… pour aller cacher un mystérieux trésor, dont il n’avait jamais parlé, à personne ! Depuis ce jour, je suis devenu fou, je me suis mis en tête de retrouver ce trésor. Mais pour cela, il fallait d’abord éliminer l’équipage. J’ai inventé un sérum de vieillissement rapide. Deux jours plus tard, les collègues étaient morts. Depuis, je fouille l’île de fond en comble mais en vain. C’est pourquoi j’ai créé une armée de clones pour m’aider à chercher.

Bizarrement, les deux enfants se regardèrent, avec une drôle de tête. L’histoire était belle mais elle sonnait faux. Ils s’écrièrent :
 Tu es un menteur ! Tu nous mens !
 Mais, mais non, pourquoi dites-vous ça ?
 Menteur !
 Bon d’accord, c’est un mensonge.

Alors il raconta qu’il n’avait jamais eu d’enfants. Et il avait voulu faire des clones de tous les jeunes de Belle-Ile, qu’il considèrerait comme ses propres enfants. Le corps retrouvé sur le sable ? C’était sa première expérience, elle n’avait pas fonctionné, il l’avait jeté à la mer. Pourquoi ce personnage avait disparu ? C’est sans doute qu’il s’était réveillé…

 C’est encore un mensonge ? interrogea Nadège.

Oui, c’était encore un mensonge ! Alors le professeur Tulipe montra, installé sur un sofa, son propre clone. C’était un autre professeur Tulipe, portant un tatouage sur la nuque et seulement trois cheveux sur la tête. Il était ligoté.
 C’est de sa faute, dit le vrai Tulipe. J’ai inventé mon clone, je voulais juste un autre professeur pour m’aider dans mes inventions. Mais je me suis trompé dans mes programmes et cette copie est devenue diabolique. Elle voulait cloner tous les humains pour contrôler le monde.

 Mensonge encore ?
 Bon, alors maintenant, je vais vous donner la vraie explication. Cette fois, c’est vrai.

Il était orphelin. Avec son frère, il avait été emmené au bagne pour enfants de Belle-Ile. A Bruté. C’était une sorte de prison, de maison de « redressement » pour les jeunes qui n’étaient pas sur le droit chemin et malheureusement les orphelins y étaient aussi enfermés.
« J’y ai été recueilli, à l’âge de six ans, avec mon frère, après le décès de mes parents. Un jour, mon frère a eu le malheur de manger son fromage avant les autres et il s’est fait battre à mort. On s’est révoltés, on s’est évadés. Lors de la chasse à l’enfant, je fus le dernier survivant. J’ai donc cloné tous ces enfants afin de venger mes camarades et mon frère.
 Vous êtes fou ! Vivez dans le présent et non dans le passé ! s’exclama Saïd.
 Je sais mais je ne peux plus faire marche arrière, j’ai perdu le contrôle de mes inventions.
 A quoi servent ces gélules qu’on a trouvées ?
 Elles sont faites à base d’eau. Si vous en prenez une, votre corps sera nourri en eau sans avoir bu.
 Génial, dit Nadège, je sais comment arrêter tous ces robots.
 Bien sûr, Nadège ! comprit Saïd. Avec de l’eau, les robots grillent.
Le savant et les adolescents donnèrent des gélules à tous ces clones-robots, aussitôt anéantis.

 Merci les enfants, dit le professeur Tulipe. Mais je vais me sentir bien seul maintenant.
 Vous n’avez qu’à vous fabriquer un petit clone rien que pour vous, votre propre clone, mais réussi cette fois, proposa la jeune fille.
Le professeur Tulipe se fabriqua un jumeau qu’il baptisa professeur Géranium.
Les ados retournèrent à la colo. Saïd annonça à Nadège qu’il l’aimait. Et Nadège lui répondit : pareil !

FIN



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