Obama/Terra Nova

La campagne présidentielle d’Obama
Communication, travail de terrain et nouvelles technologies

Résumé du rapport de TERRA NOVA
GS/30/1/9

« Terra nova », boîte à idées néo-socialiste, a organisé une mission d’études aux USA sur « les techniques de campagnes américaines » et produit un rapport, très dense (140 pages) intitulé « Moderniser la vie politique : innovations américaines, leçons pour la France ».
Sont abordés tous les aspects de la campagne présidentielle : stratégie politique et communication, utilisation des nouvelles technologies (internet, gestion des bases de données, mobiles...), organisation de la campagne, travail de terrain, mobilisation électorale, cadre juridique et financier...
Ce travail collectif porte parfois l’empreinte de communiquants (Euro RSCG, OpinionWay) ou de responsables politiques associés au travail (la plupart proches de Ségolène Royal) ; reste que cette étude est stimulante.
Le rapport se compose, comme son titre l’indique, de deux parties : les leçons des Etats Unis (70 pages) et les (12) recommandations pour la France (30 pages) ; suivent de solides annexes, comportant par exemple un guide du porte-à-porte (door-to-door) en Virginie.

1)Innovations américaines

La victoire d’Obama marquerait, pour le rapporteur, une « réconciliation » des Américains avec la politique, traduite par une mobilisation massive, électorale (63% de votants contre une moyenne de 50) et militante (10 millions ont participé à la campagne, 3 millions ont fait des dons, 1,2 millions ont milité sur le terrain).
Si le rapport ne fait pas l’impasse sur la conjoncture politique qui a joué pour Obama, il insiste sa « campagne de mobilisation, générant un mouvement militant unique ». Avec trois ressorts principaux : le message ; les nouvelles technologies ; l’organisation de terrain.

Le message : on mise sur le « changement » incarné par une personne, Obama ; on sort du rationnel pour l’émotion ; mais on ne se limite pas à une campagne « charismatique », on organise une campagne « de cause, de type caritatif », sur le principe de « l’appropriation : les électeurs deviennent acteurs du changement » ; on glisse du « je » au « nous », « yes, we can », « chacun devient un héros du changement ». Tous les slogans vont tendre vers cette idée.
C’est ainsi, par exemple, que le directeur de campagne poste sur YouTube et expédie militants par e-mails des vidéos qui les informent sur la stratégie de la campagne, pour « leur donner le sentiment de faire partie de la campagne ».
Internet : non seulement Obama se saisit d’Internet mais surtout il réussit à « recruter et organiser massivement les sympathisants grâce à Internet pour les envoyer de manière coordonnée militer sur le terrain. C’est la première campagne fusionnant internet et le terrain ». Ce que le rapporteur appelle le « on » et le « off line » de la campagne.
On n’attend pas que les supporters viennent à la campagne, on va aux supporters. On va où les gens sont, sur les réseaux « sociaux » d’Internet (Facebook, Myspace), communautaires, touchant vite des millions d’internautes : un simple click et ils mettent un pied dans la campagne.
Le don est le premier niveau d’implication ; il y a eu explosion du financement (le double de 2004), un financement populaire fait de petits dons ( moins de 200 dollars), sur le modèle du téléthon ; double avantage : on s’affranchit (?) des grands lobbies et on crée du lien.
L’activité militante ensuite est coordonnée par un « réseau social interne » (type Facebook) qui fait circuler les infos de campagne dans « la communauté Obama », qui met en contact les sympathisants entre eux pour s’organiser en équipes de militants, sur des bases géographiques ou thématiques ; ces derniers peuvent disposer de kits de formation, de « package » de documentation de campagne, de programme de porte-à-porte (listes de démarchage de terrain), listes téléphoniques (phoning). « Chaque militant a le sentiment d’être son propre directeur de campagne » (tableau de bord, argent, rencontres, recrutement, etc). Ce « reporting » donne une grande autonomie aux groupes pour s’auto-organiser et en même temps « permet un contrôle serré de leurs actions par le staff de campagne ».
On utilise les SMS (1,3 millions de mobiles collectés) et les e-mails (13 millions) mais presque uniquement « pour la communication avec les militants et les sympathisants » (infos de campagne).
Enfin il y a une base de données fichant l’intégralité du pays ( le rapporteur parle de « rêve orwellien » ?!). On utilise le maximum de base de données existantes (électorales, commerciales, politiques) pour « obtenir des données individuelles sur tous les électeurs », qui vont servir pour des messages personnalisés, le porte-à-porte. Obama a beaucoup investi dans l’achat de fichiers, y a ajouté la collecte militante (2/3 des infos). A l’arrivée, un monstre baptisé Catalist, fichier unique sur 220 millions de personnes et pouvant aller jusqu’à 600 infos par personne.

Révolution militante : les 1,2 millions de militants obamistes ont contacté (téléphone ou porte à porte) 68 millions de personnes, plus de la moitié des électeurs et « 99% des électeurs cibles ». Dans les élections locales françaises, le porte à porte est souvent le fait du candidat ; ça ne marche donc pas pour une présidentielle, selon le rapporteur. Avec Obama, ce travail de terrain est fait par les militants : « c’est sa principale innovation, une nouvelle communication politique de terrain ».
Extraits : « Ce n’est pas un politicien ou un spécialiste de la politique qui vient s’adresser à l’électeur mais quelqu’un comme lui, un citoyen de base. Mieux, le militant fait campagne dans son voisinage de proximité. Du coup, ce n’est pas un inconnu qui vient parler à l’électeur : c’est un ami, un membre de sa communauté, un voisin. Quelqu’un avec qui existe de ce fait un lien de confiance. La communication se fait entre pairs : c’est une communication « peer to peer ». Cette communication a une efficacité exceptionnelle : les études de la campagne montrent qu’en porte-à-porte, on retourne une voix toutes les quatorze portes ».
Cette communication suppose que l’on fasse confiance aux militants, qu’on leur lâche la bride : la méthode avait été pratiquée par Obama à Chicago et théorisée par le sociologue Saul Alinski. Oui mais..., dit le rappoorteur, ce n’est pas de l’autogestion : « cette mobilisation de terrain est très fortement encadrée par un déploiement du staff de campagne sur le terrain », une organisation pyramidale où l’organisateur ne parle pas à l’électeur mais gère les militants, les forme, assure le lien social entre eux. Un appareil de 2700 « organisateurs » salariés et 5000 bénévoles quadrillent les militants. Obama a considérablement investi dans cette activité : 200 millions d’euros, soit un quart de son budget de campagne.

2)Recommandations pour la France
Cette seconde partie est moins forte, plus discutable, plus marquée de préoccupations politiciennes et notamment la volonté d’installer durablement, sur un modèle américain, la bipolarisation, en éliminant les « petits » partis par exemple.
On y retrouve d’un côté des recommandations adressées aux partis : créer un parti de masse, introduire un système de primaire ouverte, investir dans le militantisme de terrain, réorganiser le parti autour d’un système d’information centré sur le réseau social et ses militants, préparer les campagnes en amont.
D’autre part, le rapporteur suggère des pistes au législateur : réduction du nombre des candidatures, accorder plus de temps aux campagnes, decomplexer les budgets de campagne.

j’ajoute quelques remarques en vrac :
* on peut dire de la campagne d’Obama qu’elle a été à la fois ultracentralisée et ultradéconcentrée.
* au seul niveau du vocabulaire, noter l’usage martelé (aux USA) du terme de changement, terme simple et efficace, unique et plastique à la fois, « ambigüe » dit le directeur de campagne, face au terme de statu-quo ; ça fait un peu penser à l’usage, détourné, par Sarkozy, du mot « réforme » face à immobilisme (p 16)
* on sent bien que l’utilisation des militants, ici, tient plus du marketing, d’une technique de vente que de la citoyenneté ; le rapporteur montre la « manipulation » en disant qu’il faut « donner le sentiment » (à la base) d’être maître de son destin alors qu’en réalité, le chef décide ( l’expression revient souvent, p 24, p26... )
* l’accent sur le « professionnalisation » (et la mise un peu au second plan du politique) est déplaisant mais on sent que cette technocratisation ne déplaît pas au rapporteur
* l’argumentation qui est suggérée au militant est plus d’ordre personnelle que politique ( du genre : « moi, par exemple, je vote obama car dans mon histoire, dans ma famille... »), quitte à conseiller à la personne visitée de se reporter au site s’il veut plus d’infos proprement politiques
* le mot d’ordre « yes we can » est venu en fait de slogans poussés dans les meetings par les gens eux mêmes
* les salles de meetings configurées en cercle et non en estrade ( cf Ségolène Royal)
* il y a à la fois « démocratisation » de la campagne et un bourrage de crâne insensé ; on parle de saturer l’électeur avec des pubs par ex qui doit être vue « 30 fois en une semaine par chaque téléspectateur » ou de passer jusqu’à 9 ou 10 fois chez un hésitant pour l’inscrire sur une liste électorale !
* on notera l’obsession d’Obama à contourner les intermédiaires, à court-circuiter les leaders d’assoc, etc, pour parler directement aux gens ; même chose en ce qui concerne les journalistes : on participe aux grandes émissions nécessaires mais on contourne autant que possible les journalistes, intermédiaires peu sûrs, pour parler directement aux gens ( et ici la pub politique, spécificité américaine, joue tout son rôle)
* on notera aussi qu’en règle générale les Républicains avaient souvent commencé à expérimenter (en petit) les « techniques » qu’obama fera en très grand (sans l’intuition du rôle du militant)
* obama dépense trois fois plus que mccain en pubs radio-télé
* le poids démentiel de l’argent : il est question au total de plus de deux milliards de dollars dépensés dans toute la campagne
* la mise en fiche de tout un peuple est limite côté libertés publiques ; le rapporteur ne s’en inquiète pas trop ; il cherche même dans ses conclusions à voir comment composer avec la CNIL
* la comparaison des listes des gros donateurs (p 65) est passionnante ; au moins six grandes firmes versent, beaucoup, aux deux !
*Les leçons à tirer pour la France sont d’un intérêt inégal : lire ce qui concerne le militantisme, l’internet, l’inscription sur les listes jusqu’au dernier moment ; le reste est un peu politicien, voire dangereux ( place de l’argent, fichage, bipolarisation).



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