ACTUALITE
Version radiophonique de ma nouvelle "Travail d’enquête", publiée il y a un siècle par la revue de Nancy "Les refusés", qu’on peut écouter sur la radio associative RCN.radio.org (5 janvier 2024)
http://www.rcn-radio.org/index.php/album/quelles-sont-les-nouvelles/
Au programme de 2023 :
Sortie du septième volume de la série "Les enquêtes de Chloé Bourgeade", Le sosie, aux éditions La Déviation ; de la nouvelle "Prologue" dans la revue "Les Refusés" (Nancy) et de l’étude "Petite histoire des journalistes communistes à la radio-télévision" dans la revue "La Pensée" (412).
Un résumé de ma conférence sur le RN à Strasbourg (août 2023)
HYPERLINK "https://isabellevolat.fr/2023/08/31/strasbourg-aout-2023-2/
"https://isabellevolat.fr/2023/08/31/strasbourg-aout-2023-2/
Belle critique de "Marie Claude Vaillant Couturier" par Françoise Perrier-Argaud dans "Réveil" de décembre 2022, mensuel des églises protestantes du Centre-Rhône Alpes
Superbe article de Christine Le Garrec sur son site "A vos marques...tapage" à propos de "Octobre" (Histoires de lire, n°59)
Critique de la biographie de Marie-Claude Vaillant-Couturier dans "Le Patriote Resistant"
Soirée d’hommage à Jacques Couland (4/2/1922) :
https://fb.watch/aZIwmGWGps/
Echo du "Puzzle Kanapa", éditions La déviation :
https://www.babelio.com/livres/Streiff-Le-puzzle-Kanapa/1330980
et chronique sur France Culture (1/12)
Bonnes critiques de "Marivo" dans "Les cahiers d’Histoire"
https://journals.openedition.org/chrhc/16435
et dans Libresens
http://libresens.blogspot.com/
Sorties 2021 :
La bio de Marie-Claude Vaillant-Couturier intitulée "Marivo" aux éditions Ampelos.
Parution de l’ouvrage collectif "Nouvelles Buissonnières. Arthur Rimbaud à Douai" aux éditions NordAvril (avec ma nouvelle "La lettre manquante").
"Octobre à Paris", le cinquième tome des enquêtes de Chloé Bourgeade ( La déviation).
et
"Je suis RAZAN. Un visage pour la Palestine", sous la direction de Chantal Montellier, aux éditions Arcane 17
Coordination du numéro de Cause Commune pour les 150 ans de la Commune de Paris
Nouvelle "Simple formalité" dans la revue Les Refusés 22 (septembre 2021).
Rappel (de 2020) :
Mon Abécédaire amoureux du communisme aux éditions du Petit Pavé.
Dans la série "Les enquêtes de Chloé Bourgeade", aux éditions La déviation, on trouve "Le demi frère", "Meurtre sur la Zad", "Napalm d’or" , "September" et "Octobre à Paris
.
A noter aussi :
"Tête de serpent", un roman jeunesse, éditions La déviation
Ainsi que "Général Fabien" dans "Rouge cent", un recueil de nouvelles noires sur le centenaire du PCF (Arcanes 17).
AUTRES INFORMATIONS
Echos des livres sur Marie-Claude Vaillant-Couturier et sur Jean Kanapa
https://www.monde-libertaire.fr/?article=Portraits_de_staliniens_
Echos du débat sur le centenaire du PCF à Tarbes le 3 octobre 2021
https://www.ladepeche.fr/2021/10/04/les-100-ans-du-pc-a-la-fete-de-lhuma-9829945.php
Voir les critiques de livres "express" sur le site de la médiathèque d’Ivry ; le café littéraire à la Médiathèque de Bonneuil (20 février) sur les sites de la Médiathèque et de la Ville (plus de 200 vues). Les vidéos des cafés littéraires de la Médiathèque d’Ivry du 14 novembre et du 9 décembre 2020 peuvent être regardées sur le site de la ville ; celle du café de Chevilly/Larue (11 février) est consultable ici :
https://www.youtube.com/watch?v=FeJRpgprlaQRetour ligne automatique
https://www.youtube.com/watch?v=Uz0In19RETkRetour ligne automatique
https://www.youtube.com/watch?v=aa6rdrNmItARetour ligne automatique
https://www.youtube.com/watch?v=5sMF-BssIEwRetour ligne automatique
https://www.youtube.com/watch?v=4mBTuafuP0QRetour ligne automatique
https://www.youtube.com/watch?v=pN-a0W6jbuk
Toujours à Chevilly, la rencontre avec l’écrivain Colin Niel a été filmée.
Le salon polar de Neuilly-Plaisance (avril) est repoussé en 2022.
Pour voir le café littéraire du 9 décembre 2020 (rencontre avec l’autrice Amélie Lucas-Gary), aller sur le site de la mairie d’Ivry, secteur Médiathèque
Pour voir le café littéraire du 14 novembre 2020, aller sur le site d’Ivry ou composer
https://mediatheque.ivry94.fr/syracuse2/bib-drive.aspx
Participation au documentaire de la télévision russe sur l’anniversaire de Nuremberg ; je commente le témoignage de Marie-Claide Vaillant-Couturier
https://yadi.sk/i/Sv6eOEWQP-tBsA
Une chronique de Gilles Vidal sur "Le demi-frère"
http://chroniques-noires-gilles-vidal.over-blog.com/2019/03/a-frerot-frerot-et-demi.html
Italie : Amnistie pour les années de plomb
Le répertoire BALZAC de la SGDL (qui reprend et actualise le catalogue de la BNF) identifie 105 oeuvres, 105 ouvrages à mon nom ( à ce jour, 28 octobre 2018) ; ne sont pas pris en compte ici les participations à des recueils collectifs.
Le roman Grognards.net à l’émission de JM Demetz
https://www.facebook.com/jeanmarc.demetz/videos/10213996481958971/
Le site Wikipédia actualisé
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gerard_Streiff
Après ma visite à l’école Carnot d’Argenteuil le 1er février 2018
http://blog.ac-versailles.fr/cm2bcarnot/index.php/
et
http://blog.ac-versailles.fr/cm2acarnot/index.php/
Ma page sur le site de La maison des écrivains et de la litterature (MEL) :
http://www.m-e-l.fr/,ec,249
Rubrique controverse
Back in the USSR
Auteur : Gérard Streiff
http://www.causecommune-larevue.fr/back_in_the_ussr
"La guerre des petits soldats", chez Flammarion, première parution 2003, réimprimé en 2011, a été vendu à ce jour (2017) à 9500 exemplaires.
Le polar "Retour de flamme"(Jasmin) avait été nominé pour le prix Lion d’or du 15è festival du polar de Neuilly/Plaisance (93)
Voyage au pays des Soviets sur France Culture (Marie Chartron)
https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/cent-ans-apres-la-revolution-russe-heriter-de-1917-44-voyage-au
Belle chronique sur Mortelles primaires de
l’oncle Paul
http://leslecturesdelonclepaul.over-blog.com/2016/12/collectif-mortelles-primaires.html
et de Claude Le Nocher
http://www.action-suspense.com/2016/11/collectif-mortelles-primaires-ed.arcane-17-2016.html
Article sur Leslie Kaplan dans La Revue du Projet d’octobre
http://projet.pcf.fr/92369
Les éditions Gulf stream signalent que "Le bouclier de Gergovie" est une des quatre meilleures ventes de juin 2016 !
Une nouvelle noire sur le site de L’Humanité
https://soundcloud.com/humanite-fr/une-nouvelle-originale-de-gerard-streiff
Paru sur le site MEDIAPART
: https://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet/article/170516/les-francais-et-la-politique-une-profonde-insatisfaction-democratique
La Revue du Projet en revue
http://projet.pcf.fr/7451
Critique de "Franco la muerte" sur le site K-libre
http://www.k-libre.fr/klibre-ve/index.php?page=livre&id=4475
Rencontre/débat avec des collégiens
https://www.youtube.com/watch?v=8sB3EXdHD20
A propos de l’eurocommunisme (Rome, 2015)
https://www.youtube.com/watch?v=46GaESwxcq0
Entretien autour de Histoire et polar (2001)
https://www.youtube.com/watch?v=b0kLosteC6Q
Critique de "Franco" :
http://l.archipel.contre-attaque.over-blog.fr/2015/08/livre-franco-la-muerte-que-reste-il-du-franquisme-des-annees-plus-tard-par-laurent-novart.html
"Retour de flamme" : critique de Gilles Vidal
http://chroniques-noires-gilles-vidal.over-blog.com/2015/06/napalm-springs.html
Rencontre à l’école St Pierre de Bergues autour de La guerre des petits soldats
http://ecolesaintpierre-bergues.fr/bienvenue/rencontre-avec-un-auteur-parisien/
Images du spectacle "Le Ciel m’a tuer", interprété par Jean-Pierre Thiercelin, sur Youtube (Ligero 2014)
Merci à Olivier Thirion pour sa dédicace de sa nouvelle "Faux en écriture", Revue Les Refusés, n°16
Reportage sur la nuit de France Télévisions au Palais de Tokyo (pour le Festival de Cognac)
http://www.cerclenoir.com/frame_gen_accueil.htm
"Le cagibi" peut être commandé à
La déviation
1 bis rue de la boucherie
76490 Caudebec en caux
www.ladeviation.eu <http://www.ladeviation.eu>
0967389918
0610826518
Le débat du "Club de la presse" de Lille sur le site
http://www.clubdelapressenpdc.org/les-mardis-de-l-indo-interrogent-sur-le-role-des.html
La nouvelle édition de "La guerre des croûtons" est sortie chez "Points sur les i" : trois résidents d’une maison de retraite, politiciens madrés, font le mur et reprennent le pouvoir...
Images du spectacle donné en bords de Loire (09/13) dont mon texte "La clé"
http://youtu.be/yKo8rMbPpJM
"Le bouclier de Gergovie" est recommandé par le Ministère de l’Education nationale dans le cadre de l’opération "Lectures pour les collégiens".
Adaptation audio de la nouvelle "Pigeon Viol" (Ska) ; lecture par Virginie Champagne (Collection Mathieu Farcy).
Le roman jeunesse "La mer disparue" (éditions du Bout de la rue) nominé au prix "Lionceau noir" du Salon polar de Neuilly-Plaisance 2014).
"Le mystère du colombier", atelier d’écriture avec les CM2 d’Isabelle Dordain, école Pierre et Marie Curie de Pavilly, est lauréat (1er prix ex-aequo) du prix "Voyage en ville" (Académie Rouen).
Le polar "Entourlooping" (avec Mateo Montesinos), aux Nouvelles Editions Krakoen, <http://www.krakoen.fr/>
salué par Claude Mesplède (dans sa chronique de mai d’Options) et par Max Obione sur son blog, fut, un temps, pré-sélectionné pour le Festival de Cognac 2013.
Six de mes livres publiés avant 2001 (et non réédités) figurent sur le site ReLIRE de la BNF (voir Relire) en vue d’une édition numérique.
"Un soldat allemand dans la Résistance française" (Oskar) est dans la sélection "Livres pour enfants" (10 ans et plus) des bibliothèques de la ville de Brest
Le roman jeunesse "Le port du désert" était dans la sélection du jeune lecteur au Festival 2005 de Lamballe
Site (partiellement) mis à jour le 17 mars 2018
LE REVE DU CAPITAINE BROUKER
OU
ENQUETE, MODE D’EMPLOI
Gérard Streiff
ou
vanzavelberg
versus
esposito
Quelque soit l’heure, la gare de Lens offre toujours le même spectacle. Les figurants changent mais la mise en scène est la même. Dans le hall, il y a plusieurs tribus, celle des pétrifiés, têtes levées, les yeux sur les panneaux ; celle des sprinters, contournant, enjambant, disparaissant côté des quais, de la ville ou du métro ; celle des fouineurs qui zigzaguent entre les passants, comme s’ils étaient à la recherche d’un rendez vous manqué. Et puis il y a la brasserie, avec le clan des assis. Du genre anxieux silencieux toujours en avance ou retardataires bavards, espérant prendre le train suivant. Sans parler des moineaux. Ceux d’ici sont particulièrement culottés : ils s’invitent dans les travées des cafés, picorent sur les guéridons, passent de client en client avec une rare effronterie.
L’un d’eux partage justement les miettes du petit déjeuner du capitaine Brouker et son nouvel adjoint, Olivaro. Cheveux roux en brosse, tête ronde, silhouette épanouie, le capitaine est deux fois plus volumineux que le jeune homme, tignasse noire, teint mat qui l’accompagne.
Olivaro est dans ses petits souliers.
Non seulement capitaine venu chercher train d’Avignon, s’attendait pas tel honneur
mais Tomber sur Brouker pour son premier stage, bonjour l’angoisse ! Le bonhomme est une institution à la PJ. Il est l’auteur d’un manuel élémentaire sur l’enquête qui est le livre de chevet des élèves de toutes les bonnes écoles de police. On dit « Le Brouker », comme on disait, au bahut, le Lagarde et Michard.
Sitôt café avalé, Capitaine embarque jeune homme première enquête
Le vieux aime faire la leçon. Même aux aurores.
– Chez les flics, petit, la reine des enquêtes, c’est la criminelle. Tu m’entends ?
– Oui monsieur.
– Monsieur, monsieur ? ! On dit capitaine, petit, on dit capitaine.
– Oui capitaine.
– J’espère que tu aimes écrire, petit.
– Bin…
– Parce que dans la crime, on passe un temps fou à écrire, tu sais ça ?
– ? !
– On est un peu les greffiers de la mort.
Brouker semble content de sa formule ; il la répète :
– Oui, les greffiers de la mort ; et il s’agit pas d’écrire n’importe comment, il y a des règles, une méthode.
– Par exemple ?
– Hé bien, tu arrives sur les lieux du crime, un appart, n’importe où, un type est à terre, un couteau entre les épaules, tu mettrais quoi dans ton rapport ?
– Que…cet homme est mort ?!
– Tu vas trop vite, petit. De la méthode. Il faut aller du général au particulier, ok ?
– ?!
– Tu commences par décrire le coin. L’adresse, la date ; ok ? Tu comprends, c’est pas pour toi que tu écris, ni pour le public. Le flic ne doit pas se prendre pour un romancier ; tu as un lecteur, un seul, le magistrat ; et l’autre, il a trente dossiers à se taper dans la matinée, ou à l’heure, les grands jours ! Alors il faut qu’en quelques lignes, il arrive à situer le décor de ton histoire, ok ?
Olivaro opine.
– On continue. Tu passes à l’objet du délit. Le corps. On le protège, le corps.
– Comment ?
– En enfilant des gants, par exemple. Te voilà devant le corps, donc. Vas-y, à toi d’écrire maintenant : tu dois présenter la scène. Allons-y alonzo !
Olivaro gonfle les joues, soulève les sourcils, hésite.
– C’est pas sorcier. On va s’intéresser à quelle heure il est mort, le gus. Dans les polars il y a toujours un type pour donner l’heure à la minute près. Mais dans les faits, c’est un peu plus compliqué, c’est même souvent approximatif, ce qu’on peut raconter sur l’heure et le jour. Et puis faut décrire la position du bonhomme, chercher des traces, des indices.
– Des empreintes ?
– Absolument ; on mettra de la poudre, sur les objets que la victime, et l’assassin, ont pu tenir. Le problème, c’est que souvent il y en a trop, des traces. C’est le cas d’ailleurs à Strasbourg avec mon tueur de vieilles, tu verras.
– Des taches ?
– Excellentes, les taches. Ca peut être du sang, va savoir, du vieux sang séché.
– Un cheveu ?!
– Oui, c’est bon ça, le cheveu !
– Pourquoi ?
– Facile à étudier, et ça conduit souvent à son propriétaire. Faut se dire que l’assassin a forcément laissé une trace. Après ces préliminaires, on fouille. Tout. L’appart, la vie du mort …Il faut toujours partir de la victime. C’est d’elle que tu vas remonter au suspect. Faut trouver son jardin secret, il y en a un, forcément. A un moment, tu vas voir, tu en sauras vite plus sur lui que toute sa famille réunie, sur ses petites manies, ses cachotteries. Plus tu connais la victime, plus vite l’identité de l’auteur du crime arrivera.
Le moineau s’était carrément installé sur la table et sirotait deux larmes de café qui restaient dans la soucoupe.
– Boivent du café les piafs maintenant ? s’étonne le capitaine qui poursuit : Tu sais, petit, la « crime », c’est le rouleau compresseur quand elle s’y met.
– Carrément ?
– Carrément. Non seulement on écrase tout mais on est lent comme la machine ; il n’y a pas longtemps, j’ai mis la main sur un type ; l’enquête durait depuis quatorze ans : tu imagines la tête du bonhomme quand il nous a vu arriver. Quatorze ans après, il avait refait sa vie. Pourtant il a pigé tout de suite ; il n’a pas fait de difficulté, il nous a suivi, ça n’a pas traîné.
Olivaro reste songeur. Quatorze ans…
– Alors, dis-moi, comment on fait pour trouver une piste ?
– Hé bien …
– On sonde les témoins, on décortique le carnet d’adresses, on fait une enquête de voisinage. On part de l’idée qu’il y a quelqu’un qui a vu quelque chose. Ou une enquête de passage : tu sais que la victime passait par un lieu précis tous les jours à telle heure ; tu te colles à cet endroit, tu interroges, tu demandes aux habitués s’ils n’ont pas remarqué un truc inhabituel.
– Le portrait robot ?
– Bien ! c’est bon ça, le portrait robot pour retrouver un suspect ; mais faut déjà disposer de choses précises. Il y a encore les écoutes téléphoniques, c’est surveillé comme méthode mais bon, on peut essayer.
– Ou les écoutes informatiques ?
– Ou informatiques, exact.
C’est une vraie volière qui squatte la table à présent. Le serveur fait mine de vouloir chasser les intrus. Brouker lui dit de laisser tomber.
– Bon, tu trouves un suspect, tu l’arrêtes, il y a la garde à vue ; ça consiste en quoi ?
Le capitaine ne laisse pas à son adjoint le temps de répondre.
– D’abord, oublier l’idée qu’on fait parler les gens à coups de bottins et de projecteurs dans les yeux ; ça, c’est du cinéma ! On n’a jamais rien avec cette méthode, c’est inefficace au possible ; on n’interroge pas par la force. Dis toi qu’on est en face d’un mur et qu’il va falloir le démonter, bout par bout, brique par brique.
– ? !
– Première règle : ne jamais attaquer bille en tête avec le crime ; ça, c’est zéro pointé ; tu prends ton temps, tu as 48 heures devant toi, OK ?
– OK !
– Règle opposée : ne pas oublier le moment venu de poser la question, la bonne question.
– ?!
– Je connais un cas où des collègues cuisinent près de 40 heures un bonhomme ; puis les flics, crevés, vont manger une pizza ; une secrétaire assure la permanence, elle demande au gars pourquoi il a tué ; il avoue ; elle lui fait remarquer qu’il n’avait rien dit jusque là, il répond : mais on ne me l’a pas demandé !
Olivaro éclate de rire puis se reprend.
– Autre règle : faut empêcher le bonhomme de dire non ; c’est un jeu, un jeu psychologique ; je connais un autre cas, c’est quelqu’un qui garda le silence pendant 46 heures. Motus pendant 46 heures, faut le faire, non ? À la 47e, il avoue mais assure ne rien vouloir signer ; j’étais coincé, j’avais rien d’autre contre lui. Résultat : on n’a pas pu l’embarquer, il est sorti libre une heure après !
Leur razzia terminée, les volatiles s’attaquent à une tablée voisine, occupée par des touristes effarouchés.
– T’inquiète pas trop, petit. C’est dur pour un flic même doué de tenir tous les fils. En fait, c’est le groupe qui mène l’enquête ; on échange, on discute. Tu sais, les meilleurs enquêteurs sont des gens mariés, avec des enfants.
– Ha bon ?
– Oui, les journées sont dures, on a tendance, après, à picoler, si on est seul, trop libre ; on plonge vite. T’es marié au moins ?
– Bin, non.
– T’es homo ?
– Non plus.
– C’est pas bon, petit. Faut régulariser. Faut te marier !
– Je savais pas, capitaine.
– Te voilà averti.
Olivaro a l’air déconfit. Brouker poursuit.
– Y a pas de crimes parfaits, y a que des enquêtes imparfaites. Une enquête sur trois foire.
– C’est beaucoup.
– C’est beaucoup, oui.
Le capitaine reste songeur. Il regarde sans la voir l’agitation du hall puis sursaute :
– Tu sais à quoi je rêve, petit ?
Olivaro, prudent, fait des yeux ronds, ne répond pas.
– Et ca me prend souvent !
– Ha bon !
– A écrire !
– Ecrire ?.
– Ecrire, oui.
– Des rapports ?
– Non, pas des rapports ! Ni des manuels. J’en écris à longueur d’année des rapports. Non, mon rêve, c’est d’écrive des romans.
– Des romans ?
– Et quel genre de romans, figures-toi ?
– Sais pas.
– Des romans policiers !
– Des romans policiers ?
– Oui des polars, quoi ! J’adorerais écrire des polars.
– C’est drôle ça !
– C’est ce que tout le monde me dit : c’est drôle de vouloir écrire un polar quand on est flic. Mais je ne vois pas pourquoi ? Il y a pas de rapport, si j’ose dire !
– Bin si, quand même un peu.
– Non, il n’y a pas de rapport. Il y a même un monde entre l’enquête et le roman. L’enquête, c’est d’abord des corps déchiquetés, des proches hystériques ; et le pire…
– Oui ?
– Le pire, c’est l’odeur ; Ca pue, la mort, c’est pas croyable, ce que ça pue ! Au bout de quelques heures, bien sûr. L’odeur, je te jure, c’est ce qui a de plus pénible dans ce boulot. Une odeur qui colle à la peau, on a l’impression de la trimballer sur soi.
Il fait un geste de la main devant son visage comme pour chasser un fantôme.
– Et puis une enquête, c’est austère. On passe la moitié du temps sur l’ordinateur, à pianoter ; et l’autre moitié à « planquer », à pister d’éventuels coupables. On s’ennuie beaucoup dans ce boulot, tu le sais ?
– ?!
– Or, avec les romans, pas de cris à subir, pas de viande explosée sous les yeux, pas d’odeur, surtout, pas d’odeur ! Et pas de temps mort, non plus. On y court tout le temps ; on se marre, souvent, enfin, quand il est bon, bien sûr. Et puis pas de paperasses à remplir. Le pied, non ?
Un ange passe. Le capitaine appelle serveuse, règle. Les flics se lèvent. Brouker regarde son adjoint.
– Alors, petit ? Tu veux toujours être flic ?
– Oui capitaine.
ENQUETE, MODE D’EMPLOI
ou
LE REVE DU CAPITAINE BROUKER
Gérard Streiff
Quelque soit l’heure, la gare de l’Est offre toujours le même spectacle. Les figurants changent mais la mise en scène est la même. Dans le hall, il y a plusieurs tribus, celle des pétrifiés, têtes levées, les yeux sur les panneaux ; celle des sprinters, contournant, enjambant, disparaissant côté des quais, de la ville ou du métro ; celle des fouineurs qui zigzaguent entre les passants, comme s’ils étaient à la recherche d’un rendez vous manqué. Et puis il y a la brasserie, avec le clan des assis. Du genre anxieux silencieux toujours en avance ou retardataires bavards, espérant prendre le train suivant. Sans parler des moineaux. Ceux d’ici sont particulièrement culottés : ils s’invitent dans les travées des cafés, picorent sur les guéridons, passent de client en client avec une rare effronterie.
L’un d’eux partage justement les miettes du petit déjeuner du capitaine Brouker et son nouvel adjoint, Drouin. Cheveux blancs en brosse, tête ronde, silhouette épanouie, le capitaine est deux fois plus volumineux que le jeune homme qui l’accompagne. Les deux flics attendent le Paris-Strasbourg de 8h20. Drouin est dans ses petits souliers. Tomber sur Brouker pour son premier stage, bonjour l’angoisse ! Le bonhomme est une institution à la PJ. Il est l’auteur d’un manuel élémentaire sur l’enquête qui est le livre de chevet des élèves de toutes les bonnes écoles de police. On dit « Le Brouker », comme on disait, au bahut, le Lagarde et Michard.
Le vieux aime faire la leçon. Même aux aurores.
– Chez les flics, petit, la reine des enquêtes, c’est la criminelle. Tu m’entends ?
– Oui monsieur.
– Monsieur, monsieur ? ! On dit capitaine, petit, on dit capitaine.
– Oui capitaine.
– J’espère que tu aimes écrire, petit.
– Bin…
– Parce que dans la crime, on passe un temps fou à écrire, tu sais ça ?
– ? !
– On est un peu les greffiers de la mort.
Brouker semble content de sa formule ; il la répète :
– Oui, les greffiers de la mort ; et il s’agit pas d’écrire n’importe comment, il y a des règles, une méthode.
– Par exemple ?
– Hé bien, tu arrives sur les lieux du crime, un appart, n’importe où, un type est à terre, un couteau entre les épaules, tu mettrais quoi dans ton rapport ?
– Que…cet homme est mort ?!
– Tu vas trop vite, petit. De la méthode. Il faut aller du général au particulier, ok ?
– ?!
– Tu commences par décrire le coin. L’adresse, la date ; ok ? Tu comprends, c’est pas pour toi que tu écris, ni pour le public. Le flic ne doit pas se prendre pour un romancier ; tu as un lecteur, un seul, le magistrat ; et l’autre, il a trente dossiers à se taper dans la matinée, ou à l’heure, les grands jours ! Alors il faut qu’en quelques lignes, il arrive à situer le décor de ton histoire, ok ?
Drouin opine.
– On continue. Tu passes à l’objet du délit. Le corps. On le protège, le corps.
– Comment ?
– En enfilant des gants, par exemple. Te voilà devant le corps, donc. Vas-y, à toi d’écrire maintenant : tu dois présenter la scène. Allons-y alonzo !
Drouin gonfle les joues, soulève les sourcils, hésite.
– C’est pas sorcier. On va s’intéresser à quelle heure il est mort, le gus. Dans les polars il y a toujours un type pour donner l’heure à la minute près. Mais dans les faits, c’est un peu plus compliqué, c’est même souvent approximatif, ce qu’on peut raconter sur l’heure et le jour. Et puis faut décrire la position du bonhomme, chercher des traces, des indices.
– Des empreintes ?
– Absolument ; on mettra de la poudre, sur les objets que la victime, et l’assassin, ont pu tenir. Le problème, c’est que souvent il y en a trop, des traces. C’est le cas d’ailleurs à Strasbourg avec mon tueur de vieilles, tu verras.
– Des taches ?
– Excellentes, les taches. Ca peut être du sang, va savoir, du vieux sang séché.
– Un cheveu ?!
– Oui, c’est bon ça, le cheveu !
– Pourquoi ?
– Facile à étudier, et ça conduit souvent à son propriétaire. Faut se dire que l’assassin a forcément laissé une trace. Après ces préliminaires, on fouille. Tout. L’appart, la vie du mort …Il faut toujours partir de la victime. C’est d’elle que tu vas remonter au suspect. Faut trouver son jardin secret, il y en a un, forcément. A un moment, tu vas voir, tu en sauras vite plus sur lui que toute sa famille réunie, sur ses petites manies, ses cachotteries. Plus tu connais la victime, plus vite l’identité de l’auteur du crime arrivera.
Le moineau s’était carrément installé sur la table et sirotait deux larmes de café qui restaient dans la soucoupe.
– Boivent du café les piafs maintenant ? s’étonne le capitaine qui poursuit : Tu sais, petit, la « crime », c’est le rouleau compresseur quand elle s’y met.
– Carrément ?
– Carrément. Non seulement on écrase tout mais on est lent comme la machine ; il n’y a pas longtemps, j’ai mis la main sur un type ; l’enquête durait depuis quatorze ans : tu imagines la tête du bonhomme quand il nous a vu arriver. Quatorze ans après, il avait refait sa vie. Pourtant il a pigé tout de suite ; il n’a pas fait de difficulté, il nous a suivi, ça n’a pas traîné.
Drouin reste songeur. Quatorze ans…
– Alors, dis-moi, comment on fait pour trouver une piste ?
– Hé bien …
– On sonde les témoins, on décortique le carnet d’adresses, on fait une enquête de voisinage. On part de l’idée qu’il y a quelqu’un qui a vu quelque chose. Ou une enquête de passage : tu sais que la victime passait par un lieu précis tous les jours à telle heure ; tu te colles à cet endroit, tu interroges, tu demandes aux habitués s’ils n’ont pas remarqué un truc inhabituel.
– Le portrait robot ?
– Bien ! c’est bon ça, le portrait robot pour retrouver un suspect ; mais faut déjà disposer de choses précises. Il y a encore les écoutes téléphoniques, c’est surveillé comme méthode mais bon, on peut essayer.
– Ou les écoutes informatiques ?
– Ou informatiques, exact.
C’est une vraie volière qui squatte la table à présent. Le serveur fait mine de vouloir chasser les intrus. Brouker lui dit de laisser tomber.
– Bon, tu trouves un suspect, tu l’arrêtes, il y a la garde à vue ; ça consiste en quoi ?
Le capitaine ne laisse pas à son adjoint le temps de répondre.
– D’abord, oublier l’idée qu’on fait parler les gens à coups de bottins et de projecteurs dans les yeux ; ça, c’est du cinéma ! On n’a jamais rien avec cette méthode, c’est inefficace au possible ; on n’interroge pas par la force. Dis toi qu’on est en face d’un mur et qu’il va falloir le démonter, bout par bout, brique par brique.
– ? !
– Première règle : ne jamais attaquer bille en tête avec le crime ; ça, c’est zéro pointé ; tu prends ton temps, tu as 48 heures devant toi, OK ?
– OK !
– Règle opposée : ne pas oublier le moment venu de poser la question, la bonne question.
– ?!
– Je connais un cas où des collègues cuisinent près de 40 heures un bonhomme ; puis les flics, crevés, vont manger une pizza ; une secrétaire assure la permanence, elle demande au gars pourquoi il a tué ; il avoue ; elle lui fait remarquer qu’il n’avait rien dit jusque là, il répond : mais on ne me l’a pas demandé !
Drouin éclate de rire.
– Autre règle : faut empêcher le bonhomme de dire non ; c’est un jeu, un jeu psychologique ; je connais un autre cas, c’est quelqu’un qui garda le silence pendant 46 heures. Motus pendant 46 heures, faut le faire, non ? À la 47e, il avoue mais assure ne rien vouloir signer ; j’étais coincé, j’avais rien d’autre contre lui. Résultat : on n’a pas pu l’embarquer, il est sorti libre une heure après !
Leur razzia terminée, les volatiles s’attaquent à une tablée voisine, occupée par des touristes effarouchés.
– T’inquiète pas trop, petit. C’est dur pour un flic même doué de tenir tous les fils. En fait, c’est le groupe qui mène l’enquête ; on échange, on discute. Tu sais, les meilleurs enquêteurs sont des gens mariés, avec des enfants.
– Ha bon ?
– Oui, les journées sont dures, on a tendance, après, à picoler, si on est seul, trop libre ; on plonge vite. T’es marié au moins ?
– Bin, non.
– T’es homo ?
– Non plus.
– C’est pas bon, petit. Faut régulariser. Faut te marier !
– Je savais pas, capitaine.
– Te voilà averti.
Drouin a l’air déconfit. Brouker poursuit.
– Y a pas de crimes parfaits, y a que des enquêtes imparfaites. Une enquête sur trois foire.
– C’est beaucoup.
– C’est beaucoup, oui.
Le capitaine reste songeur. Il regarde sans la voir l’agitation du hall puis sursaute :
– Tu sais à quoi je rêve, petit ?
Drouin, prudent, fait des yeux ronds, ne répond pas.
– Et ca me prend souvent !
– Ha bon !
– A écrire !
– Ecrire ?.
– Ecrire, oui.
– Des rapports ?
– Non, pas des rapports ! Ni des manuels. J’en écris à longueur d’année des rapports. Non, mon rêve, c’est d’écrive des romans.
– Des romans ?
– Et quel genre de romans, figures-toi ?
– Sais pas.
– Des romans policiers !
– Des romans policiers ?
– Oui des polars, quoi ! J’adorerais écrire des polars.
– C’est drôle ça !
– C’est ce que tout le monde me dit : c’est drôle de vouloir écrire un polar quand on est flic. Mais je ne vois pas pourquoi ? Il y a pas de rapport, si j’ose dire !
– Bin si, quand même un peu.
– Non, il n’y a pas de rapport. Il y a même un monde entre l’enquête et le roman. L’enquête, c’est d’abord des corps déchiquetés, des proches hystériques ; et le pire…
– Oui ?
– Le pire, c’est l’odeur ; Ca pue, la mort, c’est pas croyable, ce que ça pue ! Au bout de quelques heures, bien sûr. L’odeur, je te jure, c’est ce qui a de plus pénible dans ce boulot. Une odeur qui colle à la peau, on a l’impression de la trimballer sur soi.
Il fait un geste de la main devant son visage comme pour chasser un fantôme.
– Et puis une enquête, c’est austère. On passe la moitié du temps sur l’ordinateur, à pianoter ; et l’autre moitié à « planquer », à pister d’éventuels coupables. On s’ennuie beaucoup dans ce boulot, tu le sais ?
– ?!
– Or, avec les romans, pas de cris à subir, pas de viande explosée sous les yeux, pas d’odeur, surtout, pas d’odeur ! Et pas de temps mort, non plus. On y court tout le temps ; on se marre, souvent, enfin, quand il est bon, bien sûr. Et puis pas de paperasses à remplir. Le pied, non ?
Un ange passe. Le haut-parleur annonce l’installation du train pour Strasbourg quai 22. Les flics, comme des automates, se lèvent. Brouker regarde son adjoint.
– Alors, petit ? Tu veux toujours être flic ?
– Oui capitaine.
LE REVE DU CAPITAINE BRUMENT-VARLY
Gérard Streiff
A cette heure matinale, la gare d’Evreux offrait le même spectacle que toutes les gares de France et de Navarre. La mise en scène était classique. Dans le hall, il y avait plusieurs tribus, celle des pétrifiés, têtes levées, les yeux sur les panneaux ; celle des sprinters, contournant, enjambant, disparaissant côté des quais ou de la ville ; celle des fouineurs qui zigzaguaient entre les passants, comme s’ils étaient à la recherche d’un rendez vous manqué. Et puis il y avait la brasserie, avec le clan des assis. Du genre anxieux silencieux toujours en avance ou retardataires bavards, espérant prendre le train suivant. Sans parler des moineaux. Ceux d’ici étaient particulièrement culottés : ils s’invitaient dans les travées des cafés, picoraient sur les guéridons, passaient de client en client avec une rare effronterie.
L’un d’eux partageait justement les miettes du petit déjeuner du capitaine Brument-Varly et de son nouvel adjoint, Blocier. Cheveux blancs en brosse, tête ronde, silhouette épanouie, le capitaine était deux fois plus volumineux que le jeune homme qui l’accompagnait. Les deux flics arrivaient de Paris. Ils avaient été invités par leurs collègues normands pour suivre l’enquête sur « le décapité de l’Iton ». Un notable avait été retrouvé, sans chef, sur les bords du fameux cours d’eau qui traversait la ville. Le mode opératoire faisait penser à une série de meurtres étranges, survenus en bord de Seine, dont s’occupait, sans succès jusqu’à présent, Brument-Varly. Le capitaine voulait voir de plus près si le crime d’Iton relevait bien de la même veine.
Blocier était dans ses petits souliers. Tomber sur Brument-Varly pour son premier stage, bonjour l’angoisse ! Le bonhomme était une institution à la PJ. Il était l’auteur d’un manuel élémentaire sur l’enquête qui était le livre de chevet des élèves de toutes les bonnes écoles de police. On parlait du « Brument-Varly », comme on disait, au bahut, le Lagarde et Michard.
Le vieux aimait faire la leçon. Même aux aurores.
– Chez les flics, petit, la reine des enquêtes, c’est la criminelle. Tu m’entends ?
– Oui monsieur.
– Monsieur, monsieur ? ! On dit capitaine, petit, capitaine.
– Oui capitaine.
– J’espère que tu aimes écrire, petit.
– Bin…
– Parce que dans la crime, on passe un temps fou à écrire, tu sais ça ?
– ? !
– On est un peu les greffiers de la mort.
Brument-Varly sembla content de sa formule ; il la répéta :
– Oui, les greffiers de la mort ; et il s’agit pas d’écrire n’importe comment, il y a des règles, une méthode.
– Par exemple ?
– Hé bien, tu arrives sur les lieux du crime, sur les bords de l’Iton par exemple ; le type est là, le chef coupé, tu mettrais quoi dans ton rapport ?
– Que…cet homme est mort ?!
– Tu vas trop vite, petit. De la méthode. Il faut aller du général au particulier, ok ?
– ?!
– Tu commences par décrire le coin. L’Iton, Evreux, la date ; ok ? Tu comprends, c’est pas pour toi que tu écris, ni pour le public. Le flic ne doit pas se prendre pour un romancier ; tu as un lecteur, un seul, le magistrat ; et l’autre, il a trente dossiers à se taper dans la matinée, ou à l’heure, les grands jours ! Alors il faut qu’en quelques lignes, il arrive à situer le décor de ton histoire, ok ?
Blocier opina.
– On continue. Tu passes à l’objet du délit. Le corps. On le protège, le corps.
– Comment ?
– En enfilant des gants, par exemple. Te voilà devant le corps, donc. Vas-y, à toi d’écrire maintenant : tu dois présenter la scène. Allons-y alonzo !
Blocier gonfla les joues, souleva les sourcils ; il bloquait.
– C’est pas sorcier. On va s’intéresser à quelle heure il est mort, le gus. Dans les polars, il y a toujours un type pour donner l’heure à la minute près. Mais dans les faits, c’est un peu plus compliqué, c’est même souvent approximatif, ce qu’on peut raconter sur l’heure et le jour. Et puis faut décrire la position du bonhomme, chercher des traces, des indices.
– Des empreintes ?
– Absolument ; on mettra de la poudre, sur les objets que la victime, et l’assassin, ont pu tenir. Le problème, c’est que souvent il y en a trop, des traces..
– Des taches ?
– Excellentes, les taches. Ca peut être du sang, va savoir, du vieux sang séché.
– Un cheveu ?!
– Oui, c’est bon ça, le cheveu !
– Pourquoi ?
– Facile à étudier, et ça conduit souvent à son propriétaire. Faut se dire que l’assassin a forcément laissé une trace. Après ces préliminaires, on fouille. Tout. Les bords de la rivière, la vie du mort …Ici, on connaît son identité, c’est plus facile. Il faut toujours partir de la victime. C’est d’elle que tu vas remonter au suspect. Faut trouver son jardin secret, il y en a un, forcément. A un moment, tu vas voir, tu en sauras vite plus sur lui que toute sa famille réunie, sur ses petites manies, ses cachotteries. Plus tu connais la victime, plus vite l’identité de l’auteur du crime arrivera.
Le moineau s’était carrément installé sur la table et sirotait deux larmes de café qui restaient dans la soucoupe.
– Boivent du café les piafs maintenant ? s’étonna le capitaine qui poursuivit : Tu sais, petit, la « crime », c’est le rouleau compresseur quand elle s’y met.
– Carrément ?
– Carrément. Non seulement on écrase tout mais on est lent comme la machine ; il n’y a pas longtemps, j’ai mis la main sur un type ; l’enquête durait depuis quatorze ans : tu imagines la tête du bonhomme quand il nous a vu arriver. Quatorze ans après, il avait refait sa vie. Pourtant il a pigé tout de suite ; il n’a pas fait de difficulté, il nous a suivi, ça n’a pas traîné.
Blocier resta songeur. Quatorze ans…
– Alors, dis-moi, comment on fait pour trouver une piste ?
– Hé bien …
– On sonde les témoins, on décortique le carnet d’adresses, on fait une enquête de voisinage. On part de l’idée qu’il y a quelqu’un qui a vu quelque chose. Ou une enquête de passage : tu sais que la victime passait par un lieu précis tous les jours à telle heure ; tu te colles à cet endroit, tu interroges, tu demandes aux habitués s’ils n’ont pas remarqué un truc inhabituel.
– Le portrait robot ?
– Bien ! c’est bon ça, le portrait robot pour retrouver un suspect ; mais faut déjà disposer de choses précises. Il y a encore les écoutes téléphoniques, c’est surveillé comme méthode mais bon, on peut essayer.
– Ou les écoutes informatiques ?
– Ou informatiques, exact.
C’était une vraie volière qui squattait la table à présent. Le serveur fit mine de vouloir chasser les intrus. Brument-Varly lui dit de laisser tomber.
– Bon, tu trouves un suspect, tu l’arrêtes, il y a la garde à vue ; ça consiste en quoi ?
Le capitaine ne laissa pas à son adjoint le temps de répondre.
– D’abord, oublier l’idée qu’on fait parler les gens à coups de bottins et de projecteurs dans les yeux ; ça, c’est du cinéma ! On n’a jamais rien avec cette méthode, c’est inefficace au possible ; on n’interroge pas par la force. Dis toi qu’on est en face d’un mur et qu’il va falloir le démonter, bout par bout, brique par brique.
– ? !
– Première règle : ne jamais attaquer bille en tête avec le crime ; ça, c’est zéro pointé ; tu prends ton temps, tu as 48 heures devant toi, OK ?
– OK !
– Règle opposée : ne pas oublier le moment venu de poser la question, la bonne question.
– ?!
– Je connais un cas où des collègues cuisinent près de 40 heures un bonhomme ; puis les flics, crevés, vont manger une pizza ; une secrétaire assure la permanence, elle demande au gars pourquoi il a tué ; il avoue ; elle lui fait remarquer qu’il n’avait rien dit jusque là, il répond : mais on ne me l’a pas demandé !
Blocier éclata de rire.
– Autre règle : faut empêcher le bonhomme de dire non ; c’est un jeu, un jeu psychologique ; je connais un autre cas, c’est quelqu’un qui garda le silence pendant 46 heures. Motus pendant 46 heures, faut le faire, non ? À la 47e, il avoue mais assure ne rien vouloir signer ; j’étais coincé, j’avais rien d’autre contre lui. Résultat : on n’a pas pu l’embarquer, il est sorti libre une heure après !
Leur razzia terminée, les volatiles s’attaquaient à une tablée voisine, occupée par des touristes effarouchés.
– T’inquiète pas trop, petit. C’est dur pour un flic même doué de tenir tous les fils. En fait, c’est le groupe qui mène l’enquête ; on échange, on discute. Tu sais, les meilleurs enquêteurs sont des gens mariés, avec des enfants.
– Ha bon ?
– Oui, les journées sont dures, on a tendance, après, à picoler, si on est seul, trop libre ; on plonge vite. T’es marié au moins ?
– Bin, non.
– T’es homo ?
– Non plus.
– C’est pas bon, petit. Faut régulariser. Faut te marier !
– Je savais pas, capitaine.
– Te voilà averti.
Blocier avait l’air déconfit. Brument-Varly poursuivit.
– Y a pas de crimes parfaits, y a que des enquêtes imparfaites. Une enquête sur trois foire.
– C’est beaucoup.
– C’est beaucoup, oui.
Le capitaine resta songeur. Il regarda sans la voir l’agitation du hall puis sursauta :
– Tu sais à quoi je rêve, petit ?
Blocier, prudent, fit des yeux ronds, ne répondit pas.
– Et ca me prend souvent !
– Ha bon !
– A écrire !
– Ecrire ?.
– Ecrire, oui.
– Des rapports ?
– Non, pas des rapports ! Ni des manuels. J’en écris à longueur d’année des rapports. Non, mon rêve, c’est d’écrive des romans.
– Des romans ?
– Et quel genre de romans, figures-toi ?
– Sais pas.
– Des romans policiers !
– Des romans policiers ?
– Oui des polars, quoi ! J’adorerais écrire des polars.
– C’est drôle ça !
– C’est ce que tout le monde me dit : c’est drôle de vouloir écrire un polar quand on est flic. Mais je ne vois pas pourquoi ? Il y a pas de rapport, si j’ose dire !
– Bin si, quand même un peu.
– Non, il n’y a pas de rapport. Il y a même un monde entre l’enquête et le roman. L’enquête, c’est d’abord des corps déchiquetés, des proches hystériques ; et le pire…
– Oui ?
– Le pire, c’est l’odeur ; Ca pue, la mort, c’est pas croyable, ce que ça pue ! Au bout de quelques heures, bien sûr. L’odeur, je te jure, c’est ce qui a de plus pénible dans ce boulot. Une odeur qui colle à la peau, on a l’impression de la trimballer sur soi.
Il fit un geste de la main devant son visage comme pour chasser un fantôme.
– Et puis une enquête, c’est austère. On passe la moitié du temps sur l’ordinateur, à pianoter ; et l’autre moitié à « planquer », à pister d’éventuels coupables. On s’ennuie beaucoup dans ce boulot, tu le sais ?
– ?!
– Or, avec les romans, pas de cris à subir, pas de viande explosée sous les yeux, pas d’odeur, surtout, pas d’odeur ! Et pas de temps mort, non plus. On y court tout le temps ; on se marre, souvent, enfin, quand il est bon, bien sûr. Et puis pas de paperasses à remplir. Le pied, non ?
Un ange passa. Brument-Varly venait de repérer ses collègues normands venus les chercher. Il se leva, regarda son adjoint.
– Alors, petit ? Tu veux toujours être flic ?
– Oui capitaine.