Notes 2007

27/7/7

NOTE GS

• Le capitalisme triomphe mais le capitalisme devient fou
Regain d’articles et d’études ces derniers temps sur le capitalisme.
Une assez bonne introduction sur ce sujet est fournie par les 7è journées économiques d’Aix (début juillet 2007) à l’initiative du cercle des économistes : « Quel capitalisme pour le 21è siècle ? »
La tonalité générale des débats a été plutôt à l’inquiétude : le capitalisme a triomphé partout mais le capitalisme est un système « déséquilibré » note La Tribune.
La force du capitalisme ? Il est plastique, pragmatique, multiple, adaptable. Il est divers : modèle anglo-saxon (lequel n’aurait cependant pas obtenu la domination mondiale voulue), modèle d’Europe continentale, modèle autoritaire d’Etat.
Mais quelle est sa base commune ? la propriété des moyens de production ? Mais les capitaux sont largement publics en Chine par exemple ? Ou l’accumulation de profit ?
Problème n°1 : il est fragilisé par sa financiarisation (fruit de la mondialisation et des nouvelles technologies). Le total des actifs financiers en circulation représente trois fois le PIB mondial (140 000 milliards de dollars) ; les instruments dérivés sont deux fois plus importants (286 000 milliards de dollars en 2006). L’argent est souvent chinois...
Problème n°2 : le spéculateur l’emporte sur le producteur, avec performances élevées, rapides, d’où « crainte réelle » et « risque aggravé » disent nos experts.
Problème n°3 : il suscite une opposition croissante. « Une réaction d’hostilité » avec « d’un côté les antimondialistes », de l’autre « les nationalismes ». Il est « toujours plus inégalitaire, engendrant toujours plus d’injustices. » Dans l’article que lui consacre Le Nouvel Economiste, deux mots reviennent fort : « efficacité » du système d’un côté, « colère » des populations de l’autre...
Le philosophe et universitaire (Karlsruhe) Peter Sloterjick a eu cette formule :
« Le néolibéralisme vise à faire baisser les coûts de la paix sociale. Avec la fin du communisme, la menace a disparu. Aujourd’hui la vocation de la gauche est de gérer la banque mondiale de la colère ».

Slama du Figaro qualifie la résistance au capitalisme de « phénomène des plus inquiétant », dit qu’il y a « urgence à rendre de nouveau intelligible le vivre ensemble » et trouve que « le capitalisme a surtout besoin de nouveaux repères et de sens ». Il faut « réconcilier efficience capitaliste et responsabilité sociale ».

Les solutions (capitalistes) à la crise capitaliste ? Le Cercle des économistes recommande une « gouvernance » mondiale plus « efficiente », via le FMI, la BM, l’Europe etc... Voeux pieux ?

On retrouve à Aix une thématique développée dans de nombreux essais ces dernières années : le capitalisme est en train de devenir fou ; ou encore : « Il faut sauver le capitalisme des capitalistes ». On remarquera que ce thème (la « folie » du capitalisme), très fort en 2005, a été subitement (et complètement) mis en sourdine durant la présidentielle (autre effet de la maîtrise du débat d’idées par la droite ces derniers mois ) mais revient dans l’actualité.

On retiendra encore cette appréciation de Favilla des Echos : « Les grands débats idéologiques sur la légitimié ou l’illégitimité du capitalisme sont derrière nous sauf chez certains nostalgiques de la gauche classique. Car comme le marché le capitalisme est un fait. » Mais quelques lignes plus loin, il ajoute que ce capitalisme rime avec « défaillance des fonds spéculatifs », que l’intérêt des actionnaires « pèse dangeureusement sur l’équité du partage économique avec les salariés, les sous-traitants, les clients ou les banquiers », qu’il cause « des dégâts collatéraux infligés aux marchés, aux processus industriels, aux équilibres sociaux » et que : « (ce capitalisme) risque de menacer à terme les équilibres sociaux, le tissu économique, la transparence ou l’Etat de droit ». Rien que ça.
Question : comment relancer le débat sur la « légitimité » du capitalisme ?

A noter aussi (toujours à Aix) nombre de commentaires sur le thème : le capitalisme contre le marché ! Ou plus exactement le capitalisme contre la Bourse. En effet la politique des fonds d’investissement, des fonds dits souverains (Chine, Russie, Venezuela) et du capitalisme familial viserait à faire sortir de la Bourse les entreprises qu’ils contrôlent.
Force de frappe colossale, en terme de capitaux, de ces trois forces.
Force persistante et même renforcée du capitalisme familial. La revue Forbes (2007) dénombre 946 (familles) milliardaires en dollars au lieu de 50 il y a une génération. Ils brassent 3 600 milliards de dollars. En 2002, Seillère disait : « Il n’y a pas de capitalisme qui ne soit familial. L’anomalie du capitalisme, c’est le marché ».
Voilà qui redonne un peu un visage à un univers capitaliste volontiers flouté, désincarné, presque virtuel.
Question : comment relancer le débat sur le marché ?

• Mondialisation et diversité
Outre la résistace au capitalisme, Aix a beaucoup parlé de la résistance à la mondialisation.
La globalisation capitaliste a bien du mal à conduire à « l’universalisation de la démocratie capitaliste » rêvée par Fukuyama en 1989. Elle se heurte à une diversification croissante du monde. Diversité des modèles capitalistes, voir plus haut ; et puis ( Slama du Figaro a écrit des choses fortes à ce propos), plus les modes de production, les systèmes de financement et les styles de vie se généralisent, plus « les facteurs culturels tendent à se radicaliser et à se fragmenter, en s’enfermant dans l’espace clos de leurs identités ethniques et religieuses » (Le Figaro, 9/7). Selon Slama, cette situation marquerait en quelque sorte l’échec des experts (technocrates) et le retour de la politique. Le cas Sarkozy entre dans ce cadre. Voir le discours d’un Guaino à ce propos (Le Monde, 22 juillet).

La globalisation rime avec mise en concurrence, délocalisations, régressions programmée, etc...En même temps, elle marque des rapports complètement nouveaux entre les peuples, pousse à un développement massif (et sauvage) de zones entières et à l’émergence de continents, à la relégation d’autres. Les experts débattent des conséquences. Des milliards de personnes sont sorties de l’arriération, disent les uns : au 19è siècle, 38% des populations étaient sous le seuil de pauvreté contre moins de 10% actuellement. Faux, la pauvreté s’accroît, disent d’autres.

Il ne s’agit pas de dresser un bilan de la mondialisation ( genre quelle part d’avancée et de régression, de développement et de chantage ?) mais de retourner cet enjeu au profit des salariés, de prendre au mot Jean Viard, directeur de recherche au CNRS et au Cevipof : « la gauche n’a pas encore inventé un humanisme de la mondialisation.(...) Elle joue les forces de l’inertie contre les forces du mouvement.alors qu’il faut politiser le nouveau couple que forme chaque individu autonomisé avec la mondialisation. »

Questions : quid du pouvoir face à la nation (cadre qui demeure complètement pertinent pour le vivre ensemble), à l’Europe, au monde ? Où est-il ? Comment le contrôler, réguler, maîtriser ? Quel nouvel internationalisme ?

• Crise du capitalisme contemporain : en manque d’analyses
Nous sommes en manque d’analyses du capitalisme contemporain, de théorie de la crise, de la mondialisation. Il existe pourtant une multitude de recherches, universitaires notamment, marxistes et novatrices.
Voir, par exemple, le Laboratoire d’Analyse des Mouvements économiques (LAME) de Reims sur les transformations du capitalisme, ou l’atelier François Perroux.
Voir la collection Recherches économiques François Perroux, notamment l’ouvrage collectif (deux tomes) piloté par Jean-Claude Delaunay, Le capitalisme contemporain. 1.Questions de fond ; 2. des théorisations nouvelles ?, L’Harmattan, 2001.
Voir dans la même collection « Politique économique : mondialisation et mutations », Thiery Pouch.
Voir encore le travail de Maurice Decaillot (disponible sur le site Atelier de recherche théorique François Perroux) sur « Les transformations du capitalisme contemporain et la théorie de la valeur-travail ».
Voir encore le colloque à Sciences Eco/Reims sur « Les transformations du capitalisme contemporain : faits et théories. Etat des lieux et perspectives » en 2004. Ce colloque fera l’objet d’une publication, en septembre 2007 chez L’Harmattan, d’un ouvrage double : « Dynamique et transformations du capitalisme » et « Les transformations du capitalisme contemporain » .

Ne serait-il pas opportun d’envisager un colloque ou journée d’étude, faisant le bilan des recherches en cours ( quid depuis le travail sur le CME des années 70 ?), dépassant le seul cadre des économistes ( syndicalistes, philosophes, universitaires, sociologues, international) sur les transformations contemporaines du capitalisme :
• cycles, dépression, expansion ?
• Financiarisation
• changements dans le rapport capital-travail, dans le rapport salarial, en relation avec la révolution informationnelle dans les façons de produire, dans le contenu et les modalités d’organisation du travail
• crises dans leur dimension économique, sociale, institutionnelle et écologique
• évolution du taux de profit
• théorie de la régulation
• crise écologique, crise des rapports homme-nature ou plutôt capital-nature, vers un capitalisme vert ?
• quid de la puissance américaine, de l’impérialisme, crise américaine et crise d’ensemble
• nouvelles réponses institutionnelles que le capitalisme tente d’apporter à ses difficultés persistantes ; recomposition institutionnelle, nouveau compromis socio-politique, poids (accru) de l’Etat, réforme de l’Etat, nouvelles gouvernances
• conduite des politiques économiques avec l’Europe, l’euro
• quelle alternative, quelle marge de manoeuvre ?
• nouvelles gouvernances d’entreprise, liens avec la mondialisation, l’Etat, les services publics, la protection sociale
• alternatives ? nouvelles formes de délibération démocratique, nouvelle économie sociale, nouvelles formes d’organisation autogestionnaire, avenir de la protection sociale, communisme et marché.

• Le capitalisme français
Toujours à l’occasion des commentaires autour des journées d’Aix, quelques papiers interessants sur les transformations du capitalisme français. Un capitalisme longtemps soutenu par l’Etat. Points forts : l’armement naval et électronique, l’aéronautique et le spatial, le TGV, le nucléaire.
Un peu ce que nous appelions le CME. Exemplaire le destin de la Cge d’Ambroise Roux, « le prince des affaires » comme on disait alors, entreprise aujourd’hui disloquée et passée sous les fourches de Lucent, notamment...
Le capitalisme français d’aujourd’hui serait un capitalisme sans capitaux, dit-on, très convoité par les fonds de pension. Voir le destin d’Arcelor. La France est le pays où la part du capital des grandes entreprises détenue par des capitaux étrangers est la plus élevée.

(NB : notons qu’il n’y a jamais eu en France d’études sérieuses sur l’état des patrimoines, Piketty dixit. Sur la propriété industrielle, voir le numéro de juillet de « L’usine nouvelle » sur les propiétaires de l’industrie en France.)

On parle de capitalisme français « décomplexé » (le même terme est utilisé pour caractériser la droite).

Dans le même temps, toutes ces analyses (d’experts économiques) font état d’une certaine allergie française persistante au capitalisme. On sait les réticences (sondages) de l’opinion à l’économie de marché, au libéralisme ; la « singularité française » ; on rappelle aussi que ces 25 dernières années, alors que le CAC 40 a été multiplié par cinq, le nombre d’actionnaires individuels est demeuré « desespérément stagnant », dixit Le Nouvel Economiste : de 5 et 6 millions.

Un système qui accélère le creusement des inégalités ; voir les chiffres du ministère de l’Economie dans la presse du 21 juillet ( notamment Le Figaro) : les foyers concernés par l’ISF s’élèvent à 518 000 en 2007 contre 445 000 en 2006, +17%. Un chiffre qui a triplé en 10 ans.

• La nouvelle politique de Sarkozy
Pour qualifier la rupture sarkozyste, quelques papiers parlent de la fin du « gaullo-communisme ». Il évoquerait la France de l’après guerre et son rapport de forces d’alors, une espèce de partage des tâches (politiques, sociales, économiques, culturelles) entre une technocratie capitaliste néo-gaullienne et un salariat (et une intelligentsia, une gauche, une société...) marqués par les valeurs communistes. Ce « compromis » aurait plus ou moins fonctionné encore jusqu’à Chirac (?). L’élection de 2007 marquerait la rupture...
La notion est très approximative, elle est bien utile à la saga sarkozyste, elle installe accessoirement l’idée de l’extinction inexorable du communisme. En même temps, elle est partiellement pertinente. Il y a bel et bien une « exception » française, qui est une exception du système économique français et partant du capitalisme français.
Mais la page est-elle tournée ? On estime par exemple que 50% du PIB passe par les caisses publiques ; c’est considérable ; on comprend la frustration des libéraux et leur envie de remise en cause des conquêtes de la Libération (privatisations, protection sociale, libertés syndicales, statut de la presse) ; en même temps il y a là une base, et une marge de manoeuvre considérable, pour tout projet alternatif.

S’interroger aussi sur la nature exacte du néo-libéralisme. On remarquera par exemple qu’une des priorités des Sarkozystes consiste à redéfinir le périmètre de l’Etat. On identifie parfois libéralisme à désengagement étatique. C’est une erreur (ou une imposture). Les libéraux (beaucoup) usent de l’Etat mais autrement. Et Sarkozy en est un bon exemple.
Il ambitionne à la fois un Etat fort, plus concentré et se libérant autant que faire se peut de certaines fonctions de l’Etat social (Etat providence). C’est « l’Etat stratège » évoqué par Fillon dans ses écrits.
Etat fort marqué par une hyper-présidentialisation des institutions, un volontarisme évident ( il dispute à l’Europe certaines prérogatives, économiques ou monétaires, cf sa visite à l’Eurogroupe et la polémique avec la BCE ; il reprend aux régions des bouts de pouvoir, cf sa dispute avec la région Ile de France), il relance des idées de politique industrielle (en France, en Europe) via un interventionisme médiatisé (exemples : EADS, Lucent, les poles de compétitivité, etc) ; il installe un appareil répressif très conséquent.
Etat marqué aussi ( à vérifier) par une manière de reconcentration jacobine, en tout cas d’indifférence à l’égard de la décentralisation – régionalisation (qui fut à contrario un thème vedette de Royal !).
Dans le même temps il impose l’esprit managerial dans l’Etat, procède à des coupes sombres dans la fonction publique ; l’entreprise est risquée ( voir l’exemple canadien sans cesse cité en exemple, où la chute des fonctionnaires a engendré une baisse des services, une perte d’expertise ; finalement les canadiens feraient machine arrière et réembaucherait dans la fonction publique, de l’ordre de +10% l’an).

• Valeurs capitalistes et valeurs progressistes
Le triomphe du capital sur le travail est-il aussi un triomphe de ses critères (valeurs ?) : performance, efficacité, talent, gain. Il y a une sorte d’ idéologie du marché qui prétend s’étendre à toutes les activités humaines (calcul, intérêt), une vague utilitariste (combien ça coûte ? Combien ça rapporte ?), une vraie visée anthropologique.
Un idéal de vie aussi qui est proposé dans ce projet sarkozien de faire de la France « une nation de propriétaires ».
L’idée aussi que « la société n’existe pas » ( Mme Thatcher dixit), seuls existeraient les intérêts individuels en concurrence.

Question : quid de la droitisation de la société ? Difficile de dire : il n’y a pas de droitisation selon les sondages d’opinion. Certes les grandes aspirations progressistes ( justice, participation, liberté) demeurent fortes ; en même temps, il y a mélange des genres, ambivalence chez les mêmes individus et de valeurs libérales et de valeurs progressistes. Massivement, les gens, tout au long de la campagne électorale, ont dit qu’ils étaient d’abord habités par des préoccupations sociales ; mais majoritairement ils ont vu dans les critères de droite une réponse plus crédible à ces préoccupations. Le « travailler plus » ne renvoie pas seulement à une question d’heures supplémentaires, il a pu aussi être entendu comme un discours subliminal sur la fatalité libérale, la responsabilité individuelle...

Encore deux citations qui montrent le côté contradictoire des choses :
JM Lamy dans « Le Nouvel économiste » du 7/6 : « Il n’y a pas d’évolution de l’opinion dans le sens du libéralisme économique : le jugement positif sur le mot privatisation est en déclin et même baisse par rapport aux précédentes élections présidentielles ».
Et
Gaël Sliman (BVA) in Libération du 14/6, « Si l’élection de Sarkozy ne s’explique pas par une droitisation de l’opinion, elle pourrait bien l’avoir amorcée ».

Au chapitre complexe de la « droitisation », on retiendra encore que l’icône qui a fait l’unanimité, durant toute la campagne, de Sarkozy à Royal (en passant par Bayrou), l’image vantée partout fut celle de Tony Blair (pourtant en déclin chez lui) et non celle de Thatcher ou Reagan (ou Bush).

La nostalgie. Elle s’est souvent invitée dans la campagne électorale. Elle se présente ici comme une forme (tronquée) de résistance à un air du temps anticapitaliste. Le thème du « La France d’avant, c’était mieux ». Même s’il a baptisé son projet « La France d’après », Sarkozy a su surfer sur ce courant. Voir son discours : c’était mieux avant 68 !
Mais le nouveau pouvoir s’efforce surtout de jouer la « modernité », évidemment libérale, capitaliste... C’est aussi une approche que l’on retrouve chez Parisot ; papier d’elle cet été dans Le Figaro sur le (seul) thème : on n’est pas des vieux schnokes, on voit ce qui émerge...

Autre imposture, emblématique de ces contradictions : l’utilisation par la droite libérale du thème de l’individu. 1968 a sonné la rupture de l’individu avec les liens traditionnels ; cette novation est plus émancipatrice qu’aliénante. Il serait temps pour les marxistes de retenir la valeur positive de l’individu, de renouer en quelque sorte avec le « libre développement de chacun » du Manifeste. Alors même que toute la politique libérale conduit à l’alignement, au formatage, à la mise au moule ( à Big brother).
On aligne même les rêves : voir le phénomène médiatico-marketing Harry Potter (235 millions d’exemplaires !)

Plutôt que de rabacher sur l’opposition individu / collectif, il faudrait ambitionner de construire un collectif qui se construit autrement avec l’individu.
Ce thème est aussi l’objet de débat au PS .
Le management capitaliste se sert (énormément et fort bien, de son point de vue) de l’individualisation pour mieux exploiter ; à l’inverse, l’émancipation n’est-elle qu’une entreprise collective ou ne doit-elle pas recourir à l’individu pour consolider son projet ?
Dans les commentaires sur les suicides de travailleurs de PSA, on pointe (Le Monde, 24/7) « la disparition du lien social ». Exact mais ce lien social retrouvera sa vigueur aussi avec la reconnaissance de l’individu. L’entreprise capitaliste dépense beaucoup d’argent (management, organisation, cellule de crise, psy...) pour faire du salarié un individu morcelé, isolé ; dans une vision alternative, on pourrait très bien investir (beaucoup) pour que l’individu soit reconnu.

• Structures de classes
Le brouillage des repères politiques et la vitalité retrouvée de la droite ont partie liée avec la difficulté d’analyse (et de perception) de la société en termes de classes. Le paradoxe est que la (très) grande bourgeoisie n’a probablement jamais été aussi solidaire d’elle-même et consciente de son rôle ( c’est Neuilly qui dirige, à proprement parler) ; voir les derniers travaux des Pinçon-Charlot.

Ici il faudrait s’intéresser sur la manière dont la bourgeoisie sait fédèrer des forces très diverses en son sein. Le MEDEF par exemple unifie petits et grands patrons aux statuts formidablement divers. Voir l’enquête de l’INSEE sur 23 000 patrons de boîtes de plus de 50 salariés (21 juillet). Quel rapport entre le patron de « base » qui gagne 43 000 euros l’an (deux fois la moyenne des salariés) et les patrons du CAC 40 au salaire moyen de 2,2 millions d’euros ? Et encore : l’enquête ne dit rien des deux millions de patrons qui sont souvent artisans ou commerçants... Or le MEDEF -et sa mythologie capitaliste- unifie fortement – en tout cas il s’y emploie- ces secteurs, consolidant la droite par la même occasion.
(Rappelons pour mémoire ici l’antériorité du travail de rénovation idéologique du Medef sur l’aggiornamento de la droite.)

Dans le même temps, la classe antagoniste a explosé en vol. La diversification de la « classe ouvrière » est un fait ; la perte de conscience collective aussi. Pourtant les divers secteurs du monde salarial connaissent un niveau de vie assez proche les uns des autres (ouvriers-employés), en tout cas incomparablement plus compact (hierarchie interne de 1 à 3 ou 4 ?) que l’incroyable étalement des revenus patronaux (de 1 à 50) ; et ces secteurs du salariat représentent 80 ou 85% de la population active !
Il est temps de remettre ces questions sur l’ouvrage.

Brosser un tableau social de la France de 2007.
Etat du patrimoine. Echelle des revenus.
Redéfinir qui sont en 2007 les « maîtres de la France », les 200 familles de 1936 ? les 30 hommes clés dont on parlait au 22è congrès ? Le CAC 40 ?
Structuration du salariat.
Revenir sur le thème des classes moyennes, à la fois superbe attrape-tout ( se rappeler les chiffres invraissemblables donnés dans la campagne concernant les revenus de cette « classe ») et thème puissant de la bataille d’idées.
Et surtout, comme l’écrit Lojkine in L’Huma du 23/6, « faire une analyse précise des nouvelles contradictions de classe qui émergent du travail de traitement de l’information dans la sphère des services comme dans la production industrielle » et « rechercher l’unification d’un salariat informationnel multipolaire soumis à son tour sous des formes nouvelles à l’exploitation capitaliste ».
Voir en biblio la floraison d’articles et de livres sur le sujet.

• Concentration des pouvoirs versus démocratie
Le trait marquant de l’évolution sociale actuelle est probablement le processus de concentration des pouvoirs ; on précisera aussitôt que ce mouvement aiguise une contradiction explosive avec l’autre processus de dilution, de diffusion des compétences dans toute la société.
Concentration économique (et du savoir) avec l’accaparement du pouvoir de décision par une petite caste de possèdants alors même que l’économie met en branle un nombre croissant, impressionnant d’acteurs. Le prix Nobel Myron S. Scholes ne dit-il pas : « Le capital humain est devenu 10 à 15 fois plus important que le capital financier ». (Aix, Nouvel Economiste)

La question du savoir est aujourd’hui exemplaire de cette contradiction (concentration/démocratie).
Capitalisme, modernité, économie de la connaissance (et son cortège d’innovations), explosion des connaissances et confiscation du savoir .
Course de vitesse entre démocratisation du savoir et main mise du capital et du pouvoir sur ces mutations : priorité donnée à la réforme de l’université, de l’école...

L’accaparement libéral du progrès entraîne un doute populaire sur la notion même de progrès.
Une étude internationale récente (Pew Research Center, Figaro du 26/07) dit que 80% des Français estiment que leurs enfants vivront moins bien qu’eux. Chiffre beaucoup plus pessimiste que dans les autres pays (occidentaux). Paradoxalement, cet affaissement de la notion de progrès joue pour la droite.

Internet entre le profit et le partage ; exemple de Wikipedia versus les sites payants ; de l’informatisation des bibliothèques d’Europe (JN Jeanneney) versus Google.

Réflexion nouvelle à mener sur le marché et l’Etat. Le marché n’a pas de vraies réponses aux défis du futur : démographie, technologie, rareté ; ni sur le changement climatique, la question sociale (?), l’autorégulation.

Concentration des richesses face à une pauvreté qui se normalise.
Chiffres connus (encore que ?) ; inégalités, échelle des revenus, des patrimoines. Dédiabolisation de la richesse, du gain, du luxe.
Modernité de la protection sociale.

Dimensions internationales des inégalités.

Concentration des pouvoirs politiques. La politique sarkozyste est de ce point de vue exemplaire : populisme, présidentialisation, pouvoir personnel et réforme institutionnelle, atteintes aux droits syndicaux, alignement de l’information, censures, flicage, vidéosurveillance.
On lira avec profit le livre de Guy Hermet, L’hiver de la démocratie (Armand Colin, sortie octobre 2007). Il parle de « perte de substance de la démocratie en profondeur » ; dit encore : « Nous vivons comme en 1775 ou en 1785 les dernières années d’un ancien régime. Nous touchons le seuil d’un autre âge politique. Pour le meilleur ou pour le pire ? ».
Une inquiétude qui fait écho à cet autre ouvrage « La démocratie à l’épreuve » de Grunberg/ Mayer/ Sniderman, (Presses de Scienes Po, 2002) faisant état à la fois de l’abstention, du rejet des élites, de rejet de politique politicienne, de défiance à l’égard des dirigeants mais aussi d’ « une revendication de démocratie directe, d’attachement aux valeurs démocratiques. Les Français demandent plus de démocratie, ils la veulent plus sociale, plus forte, plus participative ».
Alors même que l’envie de politique est nette ( même si la crise de la politique, estompée par le résultat du premier tour est intacte) ; que le besoin de participer, de dire son mot est partout.

On pourrait même caractériser le pouvoir sarkozyste comme une osmose de toutes ces concentrations, c’est à dire une exceptionnelle complicité entre grandes entreprises, grandes fortunes, grands médias, grandes institutions.

L’expression de « rejet des élites » traduit le plus souvent une réaction populiste ; en même temps n’exprime-t-elle pas aussi une résistance, confuse, à cette concentration des pouvoirs dans tous les domaines ? N’est-ce pas en partie le sens de la présidentielle de 2002 puis du référendum de 2005 ?

On notera qu’une large partie de l’offensive idéologique de la droite vise à masquer ou justifier ce processus de concentration ; voir les thèmes du chacun pour soi dans l’économie ; la critique de l’assistanat ou de l’égalitarisme social ; du nécessaire pouvoir fort en politique ; les mises en cause des principes démocratiques hérités de compromis dépassés .

• Le communisme : un projet rassembleur

Le projet communiste pourrait consister à remettre l’enjeu démocratique au coeur de toutes ces contradictions, de refonder au plan économique, social, politique, un rassemblement majoritaire. Le Marx du Manifeste parlait du pouvoir comme de « la conquête de la démocratie ». C’était, en partie, et dans des conditions différentes, l’ambition de « l’eurocommunisme ».

BIBLIOGRAPHIE

Revue de presse sur le colloque d’Aix, Le capitalisme du XXIe siècle, La Tribune du 7/7, Le Figaro du 9/7, le Nouvel Economiste du 12/7, Les Echos du 19/7 notamment

Les deux ouvrages (doubles) sur les transformations du capitalisme chez L’Harmattan (2001 et 2007)

Christian Laval, L’homme économique. Essai sur les racines du néolibéralisme, Gallimard (approche moralisante mais utile)

L’hiver de la démocratie, 2007

La démocratie à l’épruve, 2002

P. Cohen Seat, Communisme, l’avenir d’une espérance

Sur la refondation idéologique (notamment) au PS, voir l’appel de dirigeants socialistes dans Libération, cité plus haut, et le texte « Construire une nouvelle perspective à gauche » sur le site www.chouat.fr

Sur la manière dont Sarkozy a cadré le débat d’idées de la présidentielle, on lira avec intérêt « Nicolas Sarkozy, lecteur de Gramcsi. La tentation hégémonique du nouveau pouvoir » de Jérôme Sgard, in la revue Esprit, juillet 2007.

Sur le contenu du libéralisme aujourd’hui, voir « La nature du néolibéralisme : un enjeu théorique et politique pour la gauche » de Pierre Dardot et Christian Laval in Mouvements, juin 2007

Sur le « retour des classes », voir « De nouveaux rapports de classes » de Lojkine, Humanité, 23 juin ; « Inégalités et rapports sociaux. Rapports de classes, rapports de sexes » de Roland Pfefferkorn (La Dispute) ; « Les nouvelles luttes de classe », de Cours-Salies, Lojkine et Vakaloulis, PUF ; le dossier de la revue Mouvements de juin sur les classes avec notamment « La gauche et les classes sociales : de l’éclipse au renouveau » de Stéphane Beaud et « La politique des classes à la française » de Rey, Merklen et Vermeersh.



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