Idéologie du FN

Le discours du Front national
Un patchwork idéologique

Le discours du Front National est assez retors. Une écoute rapide pourrait laisser penser que ce parti est sensible aux intérêts populaires, qu’il parle contre la désindustrialisation, voire s’intéresse à la démocratie. Dans la communication du FN, les mots qu’il faut pour ça sont à leur place. Et c’est souvent l’image complaisante que nombre de médias donnent, paresseusement, de la candidate frontiste, « autoritaire mais moderne »...Quand on y regarde de plus près, pour voir comment ça marche, on s’aperçoit que cette rhétorique est un patchwork idéologique, un étrange mélange de références de droite, les « fondamentaux », et de formules de « gauche », l’attrape-gogos, une manipulation qui n’est pas sans écho. Exemple avec le discours programmatique de Marine Le Pen du 19 novembre dernier. ( Ce décryptage utilise les notes et commentaires de Lydia Samarbakhsh, Yann Henzel et Yann Le Pollotec.)

Le ton est catastrophiste : il y a ici un usage constant de vocabulaire mystique (destin, mission, espérance) et militaire, avec la volonté de nourrir la rage que génère un sentiment d’impuissance et d’humiliation. Mobilisant contre toutes les frustrations, Marine Le Pen se veut à la tête d’un combat : c’est « la grande bataille pour la renaissance de notre pays », la « révolution démocratique, pacifique et patriotique à laquelle je vous appelle : la révolution Bleu Marine ». Ce ton d’indignation, de dénonciation, de dramatisation, pousse à l’« élimination » de l’autre, du problème. On use et on abuse de mots comme pillés-pillage-pilleurs ( à onze reprises).

Marine Le Pen se dit du côté du peuple : le mot peuple est cité 48 fois dans le discours. Cette thématique y occupe une place centrale. « La voix du peuple, l’esprit de la France, tel est mon credo » déclare-t-elle. Pourtant, c’est un peuple sans colonne vertébrale, la seule composante un moment identifiée sont les PME-PMI ( un peuple de petits patrons, en somme ?)

Pour le FN, l’ennemi, c’est l’élite : Ce peuple est opposé aux élites traîtresses (six reprises). Mais cette dénonciation demeure dans le flou ; en fait elle vise surtout les représentants des partis politiques au pouvoir « depuis 30 ans » : « des hommes qui sous une étiquette ou une autre ont failli à leur mission (…) qui par incompétence ou par sottise, par cupidité ou par lâcheté, peu importe somme toute ». Bref, les élites, ce sont surtout les élus. Il faudrait réduire leur train de vie, leurs notes de frais, etc ; le FN exploite la vieille veine poujadiste. Pas question ici des beaux quartiers, des grandes fortunes, des riches ; de la même manière, les termes de pauvres, de pauvreté sont absents. Peuple et élites sont évoqués en dehors de toute référence de classe.
Un moment, Marine Le Pen a cette formule : il faut « mettre fin à ce pillage généralisé, avec la plus grande fermeté tant à l’égard des pilleurs du bas que des pilleurs du haut ». Les pilleurs du bas ? Ce sont sans doute les allocataires poursuivis par Wauquiez, tous les déclassés sociaux que le FN, au fond, abhorre.

Une démocratie autoritaire : le FN surfe sur la crise de la politique et parle de remettre les Français « au centre de toute politique » ; il se pique de démocratie (13 occurrences) et prône le recours au référendum ( en vérité pour le rétablissement de la peine de mort et l’interdiction de l’IVG). Une constante du discours frontiste, ultracentralisateur, est de s’en prendre aux collectivités territoriales, devenues « autant de petites seigneuries ».

L’Europe : Le FN prône la sortie de l’euro, « des protections intelligentes », la mise en place d’une nouvelle configuration européenne agrandie à la Suisse et à la Russie, excluant la Turquie, une Europe chrétienne en sorte.

Sauveur suprême : à ce stade Marine Le Pen s’affiche en femme providentielle, jouant sans le dire sa Jeanne d’Arc. Car elle est appelée à un grand destin : « Voilà pourquoi le destin peut-être a décidé que je serai au milieu de vous aujourd’hui candidate à l’élection suprême pour une mission essentielle : vous rendre, peuple de France, votre pays, votre fierté et ainsi vous permettre à nouveau d’exprimer au cours des siècles prochains, votre immense talent. »

Silences : Dans une allocution de plus d’une heure, l’oratrice ne dit rien sur les salaires, le SMIC, l’emploi ou les retraites. Pas plus que sur les luttes. On rappellera que les élus FN en région PACA, ont refusé de voter la résolution de soutien aux Fralib, adoptée par tous les autres conseillers régionaux.

Un discours simpliste, par moments naphtaliné ( cette phrase, par exemple : « (dans mon biberon à moi...) il y avait le respect de nos combattants, de nos stratèges militaires et politiques qui avaient réussi l’équilibre magique d’un Etat libre et une Nation forte »), mais qui lui vaut une certaine reconnaissance. Dans Le Figaro du 23 novembre, Alain-Gérard Smadja, le politologue officiel, consacre une page à « Marine Le Pen ou le retour du bonapartisme ». Elle n’est pas encore tout à fait adoubée par la droite « classique » mais on n’en est pas loin.

Gérard Streiff
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