Grigny, 2012

Ecole de l’écrivain / Grigny 2012 : bien mais court

Grigny, on croit connaître, la banlieue, le RER, le centre commercial, les cités. Sur place, la réalité vaut mieux que le cliché.Première surprise : le cadre. En sortant de la gare Grigny centre, station à demi enterrée, si on prend à droite toute, on descend un long escalier puis un petit chemin pentue, on traverse bientôt le parc de l’arbalète. Un promeneur m’interpelle : « Attention, écureuil ! » confie-t-il. De fait un rongeur nous observe, il est tout près.
On poursuit sur une petite sente et on se trouve, plutôt ébaubi, devant un alignement d’étangs qui ce matin là, lumineux, printanier, étaient éblouissants. Dans l’ordre l’étang de l’arbalète, l’étang de la plaine basse, l’étang de la place verte, l’étang de la justice et un cinquième étang encore dont je n’ai pas retenu le nom. Et il y avait du monde dans le coin, des bergeronnettes, des canards colvert, un héron cendré. Ça croule, ça cancane, ça coasse. On se croirait au beau milieu du Perche alors qu’on a le RER dans notre dos.

Demi-tour, remontée de la rue des lacs, on traverse le rond point, on arrive au collège Pablo Néruda (au fait la presse, ce matin-là, signalait que la justice chilienne réouvrait le dossier du décès du poète, elle avait des doutes sur la piste d’un cancer, fatal, une semaine après la venue de Pinochet).
Néruda est un ensemble tout en rondeurs, rondeurs des murs d’enceinte, du hall d’accueil, des couloirs, des hublots.
Premier étage, au fond du couloir à gauche (dans le sens de la marche), le CDI. La salle est vaste, les livres et brochures nombreuses, bien présentées ; c’est l’heure de la récré ; il y a un monde fou qui se presse, choisit, hésite, demande conseil. La sonnerie de reprise des cours retentit, les collégiens signalent, fébriles, le titre du livre retenu à la bibliothécaire. La salle est à nous, à la classe de 3e de Mme Pellerin. On se connaît, l’an passé, on avait déjà expérimenté une telle rencontre.

J’aime ces profs qui ont une autorité indiscutable avec leurs élèves et une totale complicité aussi . Les rapports sont directs et affectueux, rudes et efficaces.
Les élèves, jeunes gens de cette ville-monde, manifestent une attention absolue. On me dira plus tard que leur première réaction fut : un écrivain ? vivant ? à Grigny ? c’est possible ? Ils sont assis serrés les uns contre les autres, ils font bloc, pas pour s’opposer, pour s’encourager peut-être. On parle écriture ; depuis quand ? où je travaille ? combien de temps ? où je trouve mes idées ? quelle différence entre littérature »jeunesse » et l’autre ? le rapport à l’éditeur ? Peu de questions d’argent (droits d’auteur, etc), thème qui revient ordinairement souvent. L’écriture encore : mon livre préféré ( le dictionnaire), le genre policier, mon dernier opus. Ce qui leur a plu dans cet ouvrage , ce qu’ils auraient aimé voir développer. Les critiques sont justes. Je note.
On sent tout de suite qu’ils aiment les mots, qu’on leur en a donné le goût ; je crois qu’ils travaillent en ce moment sur le roman autobiographique, ses différentes écoles.

Le temps passe vite, on se retrouve une semaine plus tard. On entame ensemble l’écriture d’une nouvelle noire. Ils se répartissent par table de quatre, un écrivant par table. On a trouvé une phrase d’ouverture ( on a voté , je crois, sur plusieurs options) , ils attaquent. Ils sont un peu intimidés, chaque table propose un demi-feuillet de récit, c’est modeste. Je pars avec leurs productions, je synthétise ( tout est de leur cru, idées et expressions, j’ai simplement retiré les doublons) .

Je lis ce texte au début de notre troisième rencontre. Ils écoutent, se reconnaissent, applaudissent. Le plaisir, la fierté peut-être, de voir leurs propres mots pris ainsi au sérieux est évident.
On poursuit le récit. Cette fois, plus aucune trace d’intimidation, la confiance est là, l’imaginaire fonctionne. Tout le monde a envie de prolonger l’histoire. L’espèce de réserve qu’on avait pu ressentir lors de la rencontre précédente a totalement disparu ; l’envie d’écrire est là, de s’amuser au jeu très sérieux de l’alignement de mots. On propose un feuillet, deux feuillets. La sonnerie du collège a eu lieu mais les élèves demeurent en place, traînent, peaufinent…
Et déjà un regret : c’est fini ? On peut pas poursuivre un peu l’expérience ?

On va pas se quitter comme ça . A Grigny, on a le sens de l’hospitalité ; des élèves sont venus avec d’énormes gâteaux et biscuits faits-maison. Une maman malienne nous a même préparé un « tieboudien », le plat national de poisson au riz, que se réservent, c’est le privilège du rang, la bibliothécaire, la professeure et l’écrivain.

Gérard Streiff
15 avril 2012

Texte

Deuxième partie

Je me mets à la recherche de Jennifer. L’internat, après l’accident, a décidé de nous renvoyer chez nous pour huit jours, cela doit me permettre d’élucider l’affaire.

Comment retrouver la trace de Jennifer ? A part son prénom, je ne connais rien de cette fille. Chez moi, je n’arrête pas de réfléchir, de penser, je tourne dix fois le problème dans ma tête. Je ne trouve pas d’issue.

Je suis tellement occupé par cette enquête, enfin par ces recherches, que j’oublie que je suis en deuil, que j’ai perdu mon meilleur ami. Il m’arrive de partir au bord du lac pour me calmer, pleurer, crier au monde ma haine et mon dégoût.

Je pose des questions aux gens de l’internat mais personne n’a d’informations sur Jennifer. Le principal doit savoir quelque chose mais il y a un problème, il ne veut rien dire. Paraît que c’est intime et confidentiel.

J’organise une fête chez moi, en invitant le maximum de monde, histoire de les faire parler de cette Jennifer mais cela n’aboutit à rien.

Alors je tente plusieurs pistes.
Joey a une sœur, Jessica. Peut-être qu’elle peut m’aider ?’Il faut que je lui parle. Je suis pressé d’aller la voir. Elle a l’air ravagé par le chagrin et me questionne avec violence.
« Qu’est ce que tu veux ?
« Je comprends ton chagrin mais tu dois absolument m’aider !
« Très bien, parlons.
« Connaîtrais-tu une certaine Jennifer ?
« Oui, je crois que c’était la copine de mon frère mais je ne l’ai jamais vue.
« Tu sais où je peux la trouver ?
« Oui, elle habite 3, rue des Morpions, en ville.Pourquoi ?
« Elle sait peut-être ce qui s’est passé . Merci de l’info ; et j’espère que tu vas aller mieux.
Peu après je sonne à l’adresse indiquée, quelqu’un m’ouvre et me dit qu’il n’y a pas de Jennifer ici.

Je me dis que je dois retrouver le portable de Joey, il va forcément indiquer le numéro de Jennifer. Je vais voir sa mère pour lui demander l’appareil, elle se montre surprise puis accepte de me le donner, sans trop poser de questions. Je trouve un numéro mentionnant J. J’appelle plusieurs fois sans succès ; finalement, un dimanche après-midi, quelqu’un répond :
« Je suis un ami de Joey, dis-je simplement.
« Qu’est-ce que vous me voulez ?
« Juste discuter avec toi. Dimanche prochain, c’est possible ?
« Où ?
« 15h30, face à la grande horloge de l’internat.
« Parfait !

J’attends ce dimanche avec impatience ; la fille se trouve exactement à l’endroit prévu, au moment prévu. Je me souviens d’elle en fait, je l’ai déjà remarqué à l’internat. Je lui pose quelques questions sur Joey :
« Jennifer, qu’est ce qui a bien pu se passer entre vous ?
« Mais je ne m’appelle pas Jennifer, je suis Jeanne, une amie de Joey de l’école primaire, ça fait des mois que je l’ai pas vu.
Elle me répond avec sincérité et sérieux. Je comprends que je me suis trompé. Je ne suis pas beaucoup plus avancé.

Je repense au principal. Je m’approche de son bureau. Quand je le vois sortir, j’entre dans la pièce, je cherche tout ce qu’il peut avoir sur Joey, sur Jennifer aussi..Enfin je trouve des feuilles qui semblent intéressantes.

C’est un rapport de police qui dit qu’il y a eu un scandale chez une certaine Jennifer, on aurait trouvé un bouquet de violette chez elle, elle se serait battue avec un agresseur cagoulé dans son immense pavillon, elle lui aurait planté une fourchette en or sur son épaule droite, le type se serait précipité par la fenêtre la plus proche pour fuir en hurlant »violette », « violette ». Je ne comprends rien à cette histoire et je me dis que le principal n’a pas vraiment d’infos à me fournir.

Je sais aussi que Joey fréquentait l’Agora, c’est là où il donnait ses rendez-vous. Je me rends à la cafétaria en face de la Fnac. Je vois au bar une jeune fille assise, que je connais, elle pleure. Je vais la voir :
« Bonjour.
« Oui ? quoi ? qui es-tu ?
« Il est mort, qu’elle dit, il est mort ; on venait de commander des jus d’orange, puis on sort sur le trottoir ; un mec s’approche, il y a une embrouille avec mon ami, l’autre le fait reculer sur la route quand passe une voiture qui l’écrase.
Mais je comprends un peu tard qu’elle ne parle pas de Joey…

Un peu plus tard, j’entends une autre rumeur ; on dit que ce serait le frère de Jennifer qui aurait envoyé cinq jeunes pour frapper Joey mais cela a mal tourné. Vrai ? Faux ? La même rumeur dit que Jennifer depuis a peur et se cache chez ses grands parents.

A cette étape de l’enquête, je ne sais plus quoi penser. Et puis je croise alors une silhouette , toute vêtue de noir, une quadragénaire qui m’est familière, c’est la mère de Joey. Et là elle m’apprend que Jennifer, en fait n’existe pas. Que derrière ce prénom se cache quelqu’un d’autre ! Mais qui ?



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