2006 ( 1er trimestre)

Mouvement des idées
N °132 ( 3/1/06)

1)Capitalisme, patriotisme et restructurations

*Le thème du patriotisme économique agité par Chirac lors de ses vœux
occupe une partie du débat d’idées, à droite notamment.*
*Le titre, sur six colonnes, d’une contribution du Figaro (27/12) est
symptomatique d’une droite « sarkozyste » très réticente à cette
thématique : « Arrêtons de nous accrocher à des lambeaux de fausse
souveraineté ! ».*
*C’est la ligne du MEDEF, silencieux sur ce thème chiraquien.*
*Les vrais projets du capital semblent tout différents. Le même journal,
le 31/12, rappelle que l’heure est plus que jamais aux fusions et
acquisitions, internationalisation et délocalisations. Ces fusions ont
coûté en 2005 (dans le monde) 2600 milliards de dollars ( !). Tout
indique que le « boom des fusions et acquisitions va se poursuivre en
2006 », notamment en France, parce ces firmes n’ont jamais disposé
d’autant de cash (500 milliards d’euros en Europe qui sommeillent en vue
de rachats) et qu’elles n’ont jamais « dégagé autant d’autofinancement ».*
*Conclusion du Figaro : voilà « un démenti à tous ceux qui voyaient le
capitalisme démuni de projet, d’audace et d’ambition ».*
*Voir aussi le dossier sur le capitalisme « familial » (Le Monde du 27/12).*

2)Financement de la protection sociale et héritage d’après guerre

*Autre thème des vœux de Chirac : repenser le financement de la
protection sociale. Très nombreux articles sur le thème et déjà la
tendance très libérale à s’en servir pour porter un nouveau coup au « 
modèle français » issu de la Libération. « L’héritage de 1946 » titre Le
Figaro (3/1) qui appelle « à s’interroger sur le système institué après
guerre ».*

3)Les libéraux contre la France

*Bon papier de J.L. Andréani dans Le Monde du 27/12 sur l’origine
libérale du débat idéologique sur le « mal français ». Ou comment les
libéraux ont pilonné ces derniers temps « l’exception française »
responsable de tous les maux (Etat, impôts, politique sociale), le
déclin français, le modèle français désuet. Tout ce qui évoque les
acquis « français » seraient ringards, tout ce qui est libéral ( et
anglais, scandinave, américain…)est moderne.*
*Campagne sans cesse renouvelée ( la dette, les banlieues seraient de
nouveaux symptômes proprement « français »).*
*Avec toutes les outrances que provoque une telle campagne (la France
est « nulle », l’étranger est in) et toutes les récupérations populistes
qu’elle peut susciter (nationalisme, chauvinisme).*
*Pour le journal, « la machine infernale échappe aujourd’hui à ceux qui
ont allumé la mèche » , les libéraux.*
*Cet article montre bien comment les libéraux, pourtant minoritaires
dans l’opinion, ont réussi à grignoter de l’intérieur la droite et à
marquer l’establishement ( médias, institutions…).*

4)Comment vendre la mondialisation ?

*La droite est en difficulté sur le thème de la mondialisation. A lire
par exemple le texte de François Ewald, idéologue du Medef, dans Les
Echos du 20/12. Il montre comment l’actuelle mondialisation est synonyme
pour l’opinion de casse, régression, barbarie ; combien ces idées sont
fortes dans l’opinion ; et comment la droite ne peut se borner à parler
de régulation mais doit construire « une civilisation de la
mondialisation », en parlant d’ouverture, d’échange, de liberté, de
rencontre, de tolérance…*

5)La manipulation Le Pen

*Après la mise au point de Michel Simon ( L’Huma, 19/12)
montrant que Le Monde (15/12) a manipulé le dernier sondage Sofres sur
le FN, Nonna Meyer, spécialiste du FN au Cevipof dénonce à son tour dans
Libération (28/12) cette dramatisation (qui profiterait au PS ?). Sur
neuf thèmes servant à mesurer traditionnellement l’influence de
l’extrême droite, les idées du FN stagnent ou reculent sur sept d’entre
eux. En clair, l’opinion a été plus réac au milieu des années 90 ou en
2002 qu’aujourd’hui ; seuls thèmes en progression : l’anti-Europe ( mais
l’hostilité à l’Europe depuis le 29 mai n’est pas un attribut propre au
FN) et les immigrés : la xénophobie et le sentiment anti-immigrés ont
progressé, c’est vrai.*
*Mayer parle de « faux épouvantail Le Pen » et Simon parle d’un FN
stable dans l’opinion ».*
*P.S. : le médiateur du Monde accuse le coup ; il laisse entendre dans
sa chronique du 31 que les lecteurs n’ont pas apprécié la position du
journal mais se garde bien de leur répondre.*

6)Etat de l’opinion

*Plus généralement, l’opinion est volontiers présentée comme s’étant
droitisée ces derniers temps. Résultat : la droite ne ferait que suivre
ses électeurs ( et la gauche serait bien inspirée de modérer ses
revendications) disent des commentateurs.*
*Les enquêtes ne disent pas tout à fait cela. L’antilibéralisme reste
dominant dans l’opinion. La dernière étude sur la gauche du Nouvel Obs
montre même un (léger) gauchissement de la gauche depuis 2002.*
*Et même le regain d’autoritarisme qui est dans l’air n’exprime pas
forcément un virage de l’opinion.*
*En fait tout se passe comme si une partie de la droite se radicalise
par peur d’un monde qui lui échappe ; elle prête à son électorat un « 
revanchisme » ( colonisation) qui est d’abord le fait de son propre
establishement.*

7)Débat sur les profits

*La proposition d’UFC Que choisir de taxer les 15 milliards de profits
de Total inquiète la droite. Voir par exemple le long argumentaire du
chroniqueur économique du Figaro du 20/12 intitulée « Les profits
énormes ne sont pas hors normes » (sic). Il conclut ainsi : on va voir « 
d’ici quelques semaines resurgir le débat devant l’opinion sur les
profits des grands groupes (…), sur leur partage entre salariés et
actionnaires ».*

8)Les quatre gauches ?

*Une idée, lancée par les sondeurs ( Louis Harris) qui se répète, comme
une évidence : la gauche serait émiettée en quatre familles : les
socio-libéraux ou réalistes, autour de 30% ; et trois autres clans,
d’égale importance : les étatistes, les radicaux et les « n’importe quoi
 », c’est à dire des gens en colère capables de faire aussi bien le choix
de l’extrême gauche que de l’extrême droite.*

9)Engagement littéraire

*Janvier marque désormais le deuxième temps de la rentrée littéraire.
Quelques bons papiers récapitulatifs, notamment Le Figaro Littéraire du
29/12 ; On notera de nombreux romans ( et de nombreux jeunes auteurs)
qui évoquent et critiquent les impasses de la société, parlent des
utopies, dénoncent le cynisme, les dominants, la Bourse. Au point que Le
Figaro titre « Renouveau du roman engagé ? »*
*A signaler encore le prochain Rouaud Jean sur la Commune (L’imitation
du bonheur, Gallimard).*
*Côté essais, retenons : 2006 est l’année anniversaire de la
réhabilitation de Dreyfus ; des ouvrages sur la dette publique, histoire
de relayer la campagne de Breton. *

10) Féminisme : le combat (littéraire) continue

*Signalons que le même dossier du Figaro présente les portraits de 9
auteurs 2006= 9 hommes !*
*Sont annoncées plusieurs livres sur l’identité masculine qui serait
menacée ! L’un d’eux est notamment signé par le chroniqueur politique du
Figaro, Eric Zemmour.*
*Toujours sur ce sujet, un débat qui agite beaucoup les lecteurs de ce
journal : faut-il féminiser certains mots (auteur ? auteure ?) ; très
forte résistance du public à la féminisation, paraît-il…*
*A noter : la sortie (remarqué) d’un petit (premier) roman original
d’une jeune auteure, Boys, boys, boys de Joy Sorman (Gallimard) ou
comment une jeune femme (née en 1973) voit le féminisme aujourd’hui ;
comment elle entend disputer l’espace aux hommes ; un état des lieux
assez efficaces. Page 96, l’auteure dit avoir voté communiste car c’est
« le seul parti à avoir un projet culturel ».*

PS)Louis Althusser bafoué

*A signaler une pièce de théâtre, au « Montparnasse », intitulé « Le
caïman », sur la dernière journée d’Althusser. Interprété par Claude
Rich. Un hommage à Althusser ? Plutôt une lecture ultra-psychologisante
du personnage. Pour résumer, Althusser est un fou, manipulé par sa
femme, une communiste hystérique ; un séducteur et un faiseur
(faussaire) aussi. Le message ? l’utopie, la révolution, l’idéalisme
relèvent de la folie. Vive le bon vieux cynisme de droite. La salle est
pleine, le public applaudit.*

Mouvement des idées
N °133 ( 11/1/06)

1)Le social d’abord

L’enquête « Les priorités des Français pour 2006 » réalisée par l’Ifop
pour « Acteurs publics » montre que l’aspiration très largement
majoritaire est d’ordre social. La priorité des priorités est la baisse
du chômage, 48%, alors que d’autres thèmes (insécurité, égalité des
chances, dette) viennent largement derrière (17,11,11%). La relance de
l’Europe ne turlupine que…4% des sondés !
En matière d’avancées sociales, même chose : c’est d’abord « une
meilleure protection des salariés contre les licenciements » qui est
plébiscitée : 40%, devant les logements sociaux (21), l’accès à l’école
(21) et la revalorisation des minima sociaux (16).
Concernant la politique proprement dite, d’abord un souhait de
rajeunissement.
Autre enquête de CSA pour La Vie sur les conversations des Français en
2005 qui montre un peu la même chose : par ordre décroissant, on a
surtout parlé du travail, des loisirs, de la famille, de politique,
d’économie, de société, d’Europe, des catastrophes, des grèves, du
monde, du logement.
Sur le chômage toujours, sondage IFOP/JDD montrant la lucidité des gens
sur la « baisse » actuelle des chiffres du chômage.
Exactement le même scepticisme dans le sondage BVA/Les Echos (10/1).
Pas trop tard pour attirer l’attention sur le sondage La Croix du 23/12
sur Noël que les Français, à une écrasante majorité, juge « trop
commerciale ».

2)Recomposition politique des « trois France »

Etude Sofres à l’occasion de la journée du livre de l’économie in Le
Monde Economie du 10/1 (pg VII). Pour deux raisons.
D’abord parce qu’on voit bien cette contradiction au cœur de l’opinion :
elle est très attachée au « modèle social », lucide sur les causes de la
crise, très dénonciatrice de la course aux profits ; dans le même temps
on la sent tentée par des mesures répressives, en l’occurrence contre
les chômeurs supposés fraudeurs.
Mais l’étude est surtout utile dans la mesure où elle montre une
recomposition politique à l’œuvre avec « trois France » : un bloc
contestataire (Ext gauche, PC, gauche du PS), un bloc
libéral-autoritaire piloté par Sarkozy ; un bloc « réformateur » (de
Villepin au PS et la CFDT).
Les deux premiers blocs disent : ça ne va pas mais leurs propositions
divergent radicalement. On est sorti, dit B. Teinturier, « du consensus
mou » qui prévalait il y a dix ans.

3)Droitisation de l’ « élite » culturelle ?

A lire toutes affaires cessantes l’étude de la sociologue Monique
Dagnaud in Le Monde, 6/1, sur les réactions du public de France Culture
après un débat Finkielkraut/Bourmeau (Inrockuptibles). Ce débat (28/11)
remet en présence les thèses racistes, ethniques de Finkielkraut et ses
critiques. Le public est exceptionnellement nombreux à réagir : près de
500 mails en deux jours (contre 10 ordinairement).
Dagnaud a eu accès à ces courriels ; ils sont à 75% en faveur de
Finkielkraut ! 75% de « vifs soutiens » contre 25% de « violentes
critiques » !
L’auteure parle du « désarroi intellectuel des couches cultivées » qui « 
seraient en train de changer de logique », de « changement de l’opinion
majoritaire chez les couches cultivées », de « séisme intellectuel ».
Certes, Dagnaud est seule à avoir accès à ce matériel (courriels) ; cela
dit, on doit y lire un signal.
Est-ce un chant du cygne d’une élite dépassée, réactionnarisée ? A lire
l’essai d’Alain Minc, Le crépuscule des petits dieux (Grasset) sur la
disparition de l’élite traditionnelle.

4)Intellos déliés mais non ralliés

Une pleine page « Idéologie » du Figaro du 9/1 (p 17) « Et si la France
des idées ne penchait plus à gauche ? ».
Rappelle les étapes de la « droitisation » : 11 septembre 2001 ; crise
des banlieues ; évoque Finkielkraut, Adler, Glucksmann,Gallo Taguieff.
Mais reste prudent toutefois sur la question du ralliement à droite. « 
Les penseurs français en rupture de ban avec la gauche demeurent des
électrons libres. Déliés mais non ralliés, ils n’ont pas de lien
institutionnel avec la politique ».

5)Révolution…libérale

Les « réacs » se sentent cependant le vent en poupe. Lire la tribune de
rentrée de Rioufol dans Le Figaro du 6/1, après cinq semaines
d’interruption. Ce chroniqueur ultra du journal, toujours à la marge de
l’extrême droite, se félicite de « la révolution des esprits qui serait
en marche ». On note bien chez cet ultra comment l’ultra conservatisme
(xénophobe) s’allie avec l’ultra libéralisme (charge contre les 35h et
la retraite à 60 ans).
Il insiste assez lourdement sur un regain probable des violences
sociales et de réactions à ces violences : « de part et d’autre les
nerfs sont à vif » ou « la guerre civile n’est plus un scénario farfelu ».
Dans le même genre, Gérard Mermet, auteur depuis plus d’une décennie du
rapport annuel « Francoscopie » jouait volontiers au sociologue, à
l’expert et à l’observateur neutre. Il saute le pas dans son dernier
livre « Révolution ! » pour reprendre franchement l’antienne sarkozyste
 : la France est en déclin ; c’est la faute à « l’exception » ; il faut
une rupture ; lui aussi parle de « révolution des esprits ». Et
triompher de « l’ankylose sociale ».
Un nouvel exemple de cette vulgate libérale, hier encore limitée à des
officines, et qui a aujourd’hui littéralement (définitivement ?)
phagocyté l’UMP et toute la droite.
Le mot de « révolution » est désormais dans tous les commentaires libéraux.

6)EURO : une mauvaise image

Plusieurs études convergentes montrent une chute notable de l’image de
l’euro dans l’opinion française et européenne.
La quasi unanimité de l’opinion (93% !) pense que cette monnaie a
accéléré la hausse des prix ; 80% pense qu’elle n’a nullement favorisé
un nouvel état d’esprit européen ; dans les nouveaux Etats, une majorité
(48 contre 43) estime que l’euro n’aide pas à se sentir plus européen.
Une confiance en chute libre dans la zone euro : les français ne sont
plus que 51% à trouver l’opération bonne (chute de 20 points en trois
ans). En Allemagne ou aux Pays Bas c’est même une majorité qui trouve
l’opération négative.
Dans les nouveaux Etats membres, il y a aussi une majorité à trouver
négative l’adoption de l’euro (alors que le soutien était de près de 70%
il y a cinq ans).

7)Onfray effraye

Le « Traité d’athéologie » de Michel Onfray continue de
susciter une avalanche, littéralement, d’ouvrages en réponse.
Les médias prennent parti. Ceux de droite mais aussi (surtout ?) Le
Monde sont très remontés. Les noms d’oiseaux volent. Voir la double page
du Monde du 23/12.

8)Les journalistes, le jeu, l’enjeu

Le politiste JB Legavre traite du rôle des médias dans l’ouvrage dirigé
par D. Matonti, La démobilisation politique, La Dispute ( voir aussi la
revue Sciences Humaines, décembre 2005).
Il traite notamment des médias lors des régionales de 2004 et montre que
l’essentiel du traitement médiatique a porté sur les « jeux »
(stratégies, alliances, hommes politiques) et peu sur les « enjeux »
(contenu des politiques.
Il donne ces chiffres : 77% de ouest France, 88% du monde, 96% de
Libération ont traité des « jeux » !
Bonne évocation de ce monde à part, grégaire, où tout le monde s’épie et
où « traiter du contenu politique fait craindre de passer pour un naïf ».
Sur le même sujet, lire l’étude « l’année d’info » sur le contenu des
médias en 2005 ( in Figaro Médias, 11/1) : les trois sujets de société
dominants sont l’Europe ( référendum du 29 mai), l’environnement ( via
les catastrophes) et la délinquance.

9)Le retour des communistes

Sortie du livre d’Alain Duhamel, « Les prétendants 2007 » (Plon) où il
brosse quinze portraits dont celui de MG Buffet ; ce dernier portrait
serait bien trop favorable, aux yeux du Figaro et J. Abonneau en est
contrariée : » Considérant encore le PCF comme le centre nerveux de la
gauche, A.D. s’autorise parfois quelques raccourcis : le PCF aurait été
la tête pensante de la campagne contre le traité constitutionnel
européen. Et ce retour des communistes dans le jeu politique serait
l’œuvre unique de MG Buffet décrite comme une dure à cuire ».

10)Idées pour demain

Création d’un « think-tank » en ligne proche du PS, « Telos-eu », par
Zaki Laïdi et Pascal Lamy président du comité de parrainage.

Ligne blairiste. « Pour que les intellectuels fassent entendre leur voix
dans le débat public ».

Mouvement des idées
N °134 ( 19/1/06)

1)La guerre des générations

Gros effort déployé par le pouvoir pour culpabiliser les « vieux », leur
opposer l’intérêt des jeunes. C’est le discours sous-jacent à ses
nouvelles propositions de travail précaire.
C’est aussi la trame de son argumentaire sur la dette, qui pèserait sur
les épaules des enfants. Gros effort aussi en matière de « pédagogie de
la dette ».
A propos de la dette, retenir cet argument qu’elle n’est pas perdue pour
tout le monde, les créanciers de la dette publique, les détenteurs des
titres du Trésor Public, les rentiers, empocheront en 2006 42 milliards
d’euros, 12 milliards de plus que le financement de l’emploi.

2)Bonheur individuel, malheur collectif

Autre thème régulièrement exploité, et relancé par les sondeurs : les
Français seraient, individuellement, heureux mais malheureux sur leur
sort collectif.
Grosse enquête (30 pages) sur ce thème de CSA- Challenges (12/1), revue
économique du groupe Nouvel Obs (Perdriel) sur l’état des Français.
Thème « des individus qui vont bien, une collectivité qui se sent mal ».
Une autre façon de militer pour l’individualisme, l’individualisation,
le retrait du collectif.
Un thème repris lors du traitement des résultats démographiques cette
semaine.

3)Le Non progresse

Alors que repart le débat sur la Constitution européenne, à retenir dans
l’enquête Challenges (qui porte sur les Français et le bonheur, le
travail, le progrès, l’Europe, la mondialisation, le capitalisme) cette
indication ( la première fois chiffrée, me semble-t-il) que le Non à
l’Europe aurait grimpé ces derniers mois. Si le référendum se tenait
aujourd’hui, les Français diraient non à 57%.
Chiffre d’autant plus remarquable que le discours dominant depuis le 29
mai a surtout tendu à culpabiliser (crétiniser) le Non.

4)Effet Villepin ?

Convergences de commentaires, à droite mais pas exclusivement, sur un
retour de la croissance, un retour de l’emploi, un retour du moral (chez
les cadres notamment : voir à ce propos l’enquête Louis Harris/Figaro du
16/1 qui parle d’« euphorie » de l’encadrement).
Discours un tantinet euphorisant et assez artificiel, ne semblant guère
mordre dans l’opinion ; les sondeurs s’empressent d’ailleurs de parler
d’une tendance fragile.

5)Valeur travail

Plusieurs séries d’enquête aux résultats apparemment contradictoires.
D’un côté, un doute croissant sur la valeur travail.
Exemple : l’enquête « le travail, les Français y croient-ils encore ? »
par Manpower et Ipsos, où 16% des sondés voient dans le travail une
source d’épanouissement ; pour 60%, la notion est associée à des
réactions négatives, la peur du chômage, le manque de reconnaissance, la
baisse du pouvoir d’achat, le sentiment d’inutilité.
Les auteurs du sondage y voient une raison de changer le mode de
fonctionnement de l’entreprise : « pour être heureux au travail, soyons
plus individualistes »( !).
Dans le même temps attachement confirmé par ces études aux 35 heures.
D’un autre côté, on trouve des sondés (salariés) contents de leur
entreprise. Il se disent heureux au travail à 81% (sondage Challenges).

6)Un MEDEF vindicatif

Le discours de Parisot ( son intégralité est disponible sur le site de
La Croix) était très vindicatif. Une longue charge contre tout règlement
assimilé à de la bureaucratie et de l’ « illisibilité » (c’est le fil
rouge du topo) ; une attaque en règle de toutes les « ouvertures »
chiraquiennes ( genre valeur ajoutée ou sécurité sociale
professionnelle) ; une reprise de l’argument de la dette : il ne s’agit
pas d’œuvrer pour moins de chômage, il faut moins de chômage ET moins de
dette, martèle-t-elle. Un appel à piocher dans la main d’œuvre bon
marché des jeunes, notamment de banlieue. Un culot aussi à la mesure des
nouvelles ambitions de ce syndicat : on se félicite ouvertement du « 
lobbying parlementaire et politique » qui a donné des résultats sur
l’ISF, les baisses de cotisations, etc. Une offensive contre les 35
heures et surtout la durée légale du travail, contre le code du travail
 ; des exigences plus fortes en matière de fiscalité.
Les mots sont forts « insurger » (ce terme est utilisé à plusieurs
reprises), « empêcher ».
Bref un MEDEF gourmand, avec un ton assez sarkozien sur la nécessité de
« façonner le nouveau modèle français » contre « le modèle de la lutte
des classes qui prévaut encore aujourd’hui en France ».
Sur la réorganisation de l’équipe dirigeante, voir Le Figaro du 16/1

7)Des profits gênants

Comment « vendre » à l’opinion l’énormité des profits, comment justifier
ces gaspillages ? Ces questions inquiètent la presse économique ; la
semaine dernière, le chroniqueur de Figaro/Economie se fendait d’un
grand papier sur la légitimité des ces bénéfices ; cette semaine Les
Echos (17/1) traite de « l’encombrante prospérité des banques françaises
 ». Et redoutent ouvertement le slogan Total-Bnp Paribas même combat.
En effet les benefs cumulés de Bnp-Paribas-CA-SG vont atteindre 15
milliards d’euros. Soit le chiffre de profit de Total. Soit 100
milliards de francs !
« Difficile pour les banques de ne pas apparaître comme d’énormes
tirelires sans projet industriel fort ».

8)Crédibilité des syndicats

Enquête Sofres/Dialogues ( une association présidée par Peyrelevade) sur
le regard des salariés sur les syndicats. Enquête qui semble regretter
que le réflexe de défense collectif reste majoritaire à l’entreprise.
Si les salariés s’adressent à la hiérarchie pour défendre leurs intérêts
(45%), « plus de la moitié d’entre eux privilégie encore (sic) la voie
collective, ce qui montre que la notion de solidarité est encore très
vivante »
Apparition d’autres formes de collectifs que les syndicats.
Critique de l’inattention des syndicats aux précaires et aux chômeurs.

9)Minc et la « nouvelle pensée unique »

Portrait dans Le Figaro du 17/1 d’Alain Minc, archétype du premier de la
classe, haut fonctionnaire passé au privé, boursicoteur à succès, pape
de la pensée unique, conseiller de Balladur et patron (côté finances) du
Monde, auteur à la mode, bref « le prophète des classes dirigeantes ».
Traumatisé par le 29 mai, il en fait un livre sur la fin des élites, qui
marque le coup, et dont le thème est : la pensée unique a changé de
camp, elle s’est « attaquisée », le politiquement incorrect désormais,
c’est d’être partisan « d’une France européenne, libérale, cosmopolite
et internationaliste ».
Difficile de faire passer Minc pour un rebelle mais le propos confirme
que les libéraux sont, idéologiquement, sur la défensive.

10)Sarkozysme de gauche

Les proches de Sarkozy insistent sur l’idée que leur leader rassemble
non seulement la droite mais le centre et une partie de la gauche.
Ce thème revient régulièrement dans leur rhétorique. Dernier exemple :
le sondage Ifop/Valeurs actuelles sur la « bonne image » de Sarkozy dans
l’électorat PS/PC… Qui parle de 42% de bonnes opinions. Principalement
les femmes et sur la question sécuritaire. Mais le sondage est prudent
en matière d’intentions de vote.

Mouvement des idées
N °135 ( 27/1/06)

1)Peur du déclassement

Le Monde et « La république des Idées » publie le 3è volet mensuel de
leur enquête sur la nouvelle donne sociale en France. Après une étude
sur la précarité (novembre), la pénibilité du travail (décembre) et
avant l’école (février), la double page de janvier (24) portait sur la
peur du déclassement.
A lire absolument ce travail sur un sentiment massif de fragilisation (à
la fois fragilisation professionnelle et fragilisation des garanties de
l’Etat) dans l’opinion. Et à retenir cette insistance des sociologues :
alors que la vie et la crise rapprochent objectivement les conditions de
vie et de travail, poussent à la solidarité, chaque groupe se défie de
celui qui lui est directement « inférieur », par une sorte de peur
panique d’être entraîné par l’autre dans la spirale du déclin.

2)Des classes « moyennes » plutôt lucides

Sondage Sofres/ Figaro (25/1) sur les priorités des classes moyennes.
Une définition assez « élastique » des classes moyennes. Le sondeur
définit « cette catégorie entre 500 et 1500 euros de revenu mensuel par
tête » ( !). Entre « Français modestes » (moins de 500 euros) et « 
classes aisées (…) bénéficiant d’un revenu mensuel net avant impôt par
tête de plus de 1500 euros ».
Seules 29% de ces classes moyennes pensent que leur situation va
s’améliorer ; elles pensent que les réformes fiscales n’ont profité
qu’aux riches ; elles attendent un mieux surtout d’une hausse des
salaires ou une baisse de la TVA ; elles hésitent à emprunter et ont une
relation « assez austère vis à vis de l’argent « (=pas de dettes !).

3)La grande bourgeoisie mise à jour

Réédition de l’ouvrage des Pinçon-Charlot, « Voyage en grande bourgeoisie
 »(PUF), dont la première sortie est de 1997.
Avec une postface où les auteurs reviennent sur quelques
caractéristiques de cette « classe dominante » : l’endogamie, la place
de la femme bourgeoise « dans le travail de la reproduction sociale »,
la gestion du capital social qui lui est réservée, la force que la
bourgeoisie tire du cumul des différentes richesses, le fruit d’ « une
longue éducation qui fait admettre l’inégalité qui semble sortir des
décrets de la nature », la « somatisation des rapports sociaux »
(aisance, élégance), le « sens du collectif et des intérêts de classe »
de cette bourgeoisie.
Ils montrent que si les médias parlent un peu plus des riches,
l’université reste toujours frileuse pour aborder le sujet.
Ils évoquent le caractère collectif de leur recherche où « la
coopération « entre chercheurs doit passer devant la compétition, trop
souvent à la mode.

4)Pilonnage libéral

Minoritaires dans l’opinion mais suractifs dans la production d’idées,
tels semblent être les libéraux français. Ainsi Nicolas Baverez publie « 
Nouveau Monde . Vieille France » (Perrin).
Il enfonce le clou du « déclin », deux ans après « La France qui tombe
 », livre qui avait accompagné l’essor sarkozyste, avec la même démarche
 : on part de la crise du système libéral ou capitaliste pour revendiquer
plus de libéralisme. Ton très anti-Chirac.
Le titre du livre évoque la critique américaine contre la « vieille »
Europe.

5)La violence discrète de la bourgeoisie

Deux études publiées à quelques jours d’intervalle traduisent bien la
violence feutrée – et dissimulée- de la jeune bourgeoisie.
Une première étude (Le Monde) sur trois établissement huppés de Bordeaux
montre comment la violence s’exerce sur tous les éléments considérés
comme « inférieurs », élèves de milieux populaires, profs de disciplines
considérées « secondaires », employés précaires ( pions ou enseignants
handicapés). Autant de violences cachées par l’administration, voire
présentées comme défouloirs pour ces (bons) élèves.
Une autre étude, le 20 janvier (toujours Le Monde), indique que les ados
des quartiers chics de Paris s’adonnent plus volontiers à la drogue et à
l’alcool que ceux des quartiers populaires.

6)Quel engagement caritatif ?

Les commentaires sur la première encyclique de Benoît XVI « Dieu est
amour » distinguent une partie théologique, l’autre plus pratique, « 
pastorale ». On parle d »’un effort renouvelé au service de la charité »
mais en insistant sur son « identité catholique » ; en fait le pape
critique « l’activisme et le sécularisme dominant de nombreux chrétiens
engagés dans le travail caritatif » ; en somme, trop d’engagement social
sans prosélytisme chrétien…

7)Le patronat et la présidentielle

« Les dirigeants des grandes sociétés françaises sont décidés à peser
sur les débats de l’élection présidentielle » annonce Le Monde, faisant
écho à l’activisme d’un des groupes de réflexion patronale, « L’Institut
de l’entreprise » présidé par Michel Pébereau (BNP). Mises en place de
groupes de travail sur la dette, les déficits publics, la réforme de
l’Etat, la fiscalité, l’éducation, la protection sociale, le marché du
travail, l’impact des réglementations.
Un site Internet, un blog ; auditionne les hommes politiques.

8)Art : retour du réel

Plusieurs commentaires convergents sur l’état de la BD française à
l’occasion du Festival d’Angoulême. Alors qu’une vague (d’outre
Atlantique, genre De vinci code) d’ésotérisme s’installe dans le champ
éditorial, les ouvrages sélectionnés marquent plutôt un retour au réel
et aux enjeux contemporains. L’album primé, « Notes pour une histoire de
guerre » de Gipi évoque la jeunesse confrontée à l’arbitraire et le
conflit ; le prix du Meilleur scénario pour « Les Mauvaises gens » de
Davodeau retrace une histoire de militants ouvriers ( !), les parents du
narrateur. Nominée, Chantal Montellier revient dans « Les damnés de
Nanterre » sur l’extrême gauche des années quatre-vingt.
Sur un thème proche, on lira avec profit « Cinéma comique et air du
temps » de J. Mandelbaum (27/1) ; évoque les grands films comiques
français, caisse de résonance de la société ; flingue la nouvelle
version des Bronzés ; s’interroge sur la « volatilité » de la production
actuelle ; et estime que le cinéma comique est « comme en attente, à
l’instar de la société, de projet et de croyance ».

9)Dior et la Révolution

Curieuse exhibition de John Galliano pour Dior lors du défilé haute
couture cette semaine. Sous le thème de la Révolution. Un défilé très
rouge (du sang frais sur une des traînes !), où la Révolution est
associée au squelette et à la mort, où un manteau est tranché net par un
échafaud, où les filles ont la date « 1789 » marquée au noir sur le cou…
Le Figaro dit du couturier qu’il « prend le contre-pied d’un siècle des
Lumières civilisé »…
A rapprocher du film récent de la fille Coppola sur Marie-Antoinette.
C’est quoi le message ?

10)Partis

UMP : a tenu le 24 janvier sa convention Culture. Sarkozy a fustigé « le
modernisme et la nouveauté » qui videraient les salles. Pour la loi sur
les droits d’auteur sur Internet.
Vote sur la réforme des statuts : 119 128 adhérents ont voté ( sur 215 843).

Harold Pinter, Nobel de littérature

*Discours lu à Stockholm, mercredi 7 décembre 2005, au nom du Prix Nobel
de littérature 2005*
*Art, vérité et politique, par Harold Pinter*

En 1958 j’ai écrit la chose suivante : /"Il n’y a pas de distinctions
tranchées entre ce qui est réel et ce qui est irréel, entre ce qui est
vrai et ce qui est faux. Une chose n’est pas nécessairement vraie ou
fausse ; elle peut être tout à la fois vraie et fausse."/
Je crois que ces affirmations ont toujours un sens et s’appliquent
toujours à l’exploration de la réalité à travers l’art. Donc, en tant
qu’auteur, j’y souscris encore, mais en tant que citoyen je ne peux pas.
En tant que citoyen, je dois demander : Qu’est-ce qui est vrai ?
Qu’est-ce qui est faux ?

La vérité au théâtre est à jamais insaisissable. Vous ne la trouvez
jamais tout à fait, mais sa quête a quelque chose de compulsif. Cette
quête est précisément ce qui commande votre effort. Cette quête est
votre tâche. La plupart du temps vous tombez sur la vérité par hasard
dans le noir, en entrant en collision avec elle, ou en entrevoyant
simplement une image ou une forme qui semble correspondre à la vérité,
souvent sans vous rendre compte que vous l’avez fait. Mais la réelle
vérité, c’est qu’il n’y a jamais, en art dramatique, une et une seule
vérité à découvrir. Il y en a beaucoup. Ces vérités se défient l’une
l’autre, se dérobent l’une à l’autre, se reflètent, s’ignorent, se
narguent, sont aveugles l’une à l’autre. Vous avez parfois le sentiment
d’avoir trouvé dans votre main la vérité d’un moment, puis elle vous
glisse entre les doigts et la voilà perdue.
On m’a souvent demandé comment mes pièces voyaient le jour. Je ne
saurais le dire. Pas plus que je ne saurais résumer mes pièces, si ce
n’est pour dire voilà ce qui s’est passé. Voilà ce qu’ils ont dit. Voilà
ce qu’ils ont fait.

La plupart des pièces naissent d’une réplique, d’un mot ou d’une image.
Le mot s’offre le premier, l’image le suivant souvent de près. Je vais
vous donner deux exemples de répliques qui me sont venues à l’esprit de
façon totalement inattendue, suivies par une image, que j’ai moi-même
suivie.

Les pièces en question sont /Le Retour/^1 et /C’était hier/. La première
réplique du /Retour /est /"Qu’est-ce que tu as fait des ciseaux ?"/ La
première réplique de/ C’était hier/ est /"Bruns"/.

Dans un cas comme dans l’autre je n’avais pas d’autres indications.
Dans le premier cas, quelqu’un, à l’évidence, cherchait une paire de
ciseaux et demandait où ils étaient passés à quelqu’un d’autre dont il
soupçonnait qu’il les avait probablement volés. Mais d’une manière ou
d’une autre je savais que la personne à qui on s’adressait se fichait
éperdument des ciseaux, comme de celui qui posait la question, d’ailleurs.

/"Bruns"/ : je présumais qu’il s’agissait de la description des cheveux
de quelqu’un, les cheveux d’une femme, et que cela répondait à une
question. Dans l’un et l’autre cas, je me suis trouvé contraint de
poursuivre la chose. Tout se passait visuellement, un très lent fondu,
passant de l’ombre à la lumière.

Je commence toujours une pièce en appelant les personnages A, B et C.

Dans la pièce qui est devenue /Le Retour/ je voyais un homme entrer dans
une pièce austère et poser sa question à un homme plus jeune, assis sur
un affreux canapé, le nez dans un journal des courses. Je soupçonnais
vaguement que A était un père et que B était son fils, mais je n’en
avais aucune preuve. Cela s’est néanmoins confirmé un peu plus tard
quand B (qui par la suite deviendrait Lenny) dit à A (qui par la suite
deviendrait Max), /"Papa, tu permets que je change de sujet ? Je
voudrais te demander quelque chose. Ce qu’on a mangé au dîner tout à
l’heure, ça s’appelait comment ? Tu appelles ça comment ? Pourquoi tu
n’achètes pas un chien ? Tu es un cuisinier pour chiens. Franchement. Tu
crois donc que tu fais la cuisine pour une bande de chiens."/ Donc, dès
lors que B appelait A /"Papa"/, il me semblait raisonnable d’admettre
qu’ils étaient père et fils. A, manifestement, était aussi le cuisinier
et sa cuisine ne semblait pas être tenue en bien haute estime. Cela
voulait-il dire qu’il n’y avait pas de mère ? Je n’en savais rien. Mais,
comme je me le répétais à l’époque, nos débuts ne savent jamais de quoi
nos fins seront faites.

/"Bruns."/ Une grande fenêtre. Ciel du soir. Un homme, A (qui par la
suite deviendrait Deeley), et une femme, B (qui par la suite deviendrait
Kate), assis avec des verres. /"Grosse ou mince ?"/ demande l’homme. De
qui parlent-ils ? C’est alors que je vois, se tenant à la fenêtre, une
femme, C (qui par la suite deviendrait Anna), dans une autre qualité de
lumière, leur tournant le dos, les cheveux bruns.

C’est un étrange moment, le moment où l’on crée des personnages qui
n’avaient jusque-là aucune existence. Ce qui suit est capricieux,
incertain, voire hallucinatoire, même si cela peut parfois prendre la
forme d’une avalanche que rien ne peut arrêter. La position de l’auteur
est une position bizarre. En un sens, les personnages ne lui font pas
bon accueil. Les personnages lui résistent, ils ne sont pas faciles à
vivre, ils sont impossibles à définir. Vous ne pouvez certainement pas
leur donner d’ordres. Dans une certaine mesure vous vous livrez avec eux
à un jeu interminable, vous jouez au chat et à la souris, à
colin-maillard, à cache-cache. Mais vous découvrez finalement que vous
avez sur les bras des êtres de chair et de sang, des êtres possédant une
volonté et une sensibilité individuelle bien à eux, faits de composantes
que vous n’êtes pas en mesure de changer, manipuler ou dénaturer.

Le langage, en art, demeure donc une affaire extrêmement ambiguë, des
sables mouvants, un trampoline, une mare gelée qui pourrait bien céder
sous vos pieds, à vous l’auteur, d’un instant à l’autre.
Mais, comme je le disais, la quête de la vérité ne peut jamais
s’arrêter. Elle ne saurait être ajournée, elle ne saurait être différée.
Il faut l’affronter là, tout de suite.

Le théâtre politique présente un ensemble de problèmes totalement
différents.
Les sermons doivent être évités à tout prix. L’objectivité
est essentielle. Il doit être permis aux personnages de respirer un air
qui leur appartient. L’auteur ne peut les enfermer ni les entraver pour
satisfaire le goût, l’inclination ou les préjugés qui sont les siens. Il
doit être prêt à les aborder sous des angles variés, dans des
perspectives très diverses, ne connaissant ni frein ni limite, les
prendre par surprise, peut-être, de temps en temps, tout en leur
laissant la liberté de suivre le chemin qui leur plaît. Ça ne fonctionne
pas toujours. Et la satire politique, bien évidemment, n’obéit à aucun
de ces préceptes, elle fait même précisément l’inverse, ce qui est
d’ailleurs sa fonction première.

Dans ma pièce /L’Anniversaire/ il me semble que je lance des pistes
d’interprétation très diverses, les laissant opérer dans une épaisse
forêt de possibles avant de me concentrer, au final, sur un acte de
soumission.

Langue de la montagne ne prétend pas opérer de manière aussi ouverte.
Tout y est brutal, bref et laid. Les soldats de la pièce trouvent
pourtant le moyen de s’amuser de la situation. On oublie parfois que les
tortionnaires s’ennuient très facilement. Ils ont besoin de rire un peu
pour garder le moral. Comme l’ont bien évidemment confirmé les
événements d’Abu Ghraib à Bagdad. Langue de la montagne ne dure que
vingt minutes, mais elle pourrait se prolonger pendant des heures et des
heures, inlassablement, répétant le même schéma encore et encore,
pendant des heures et des heures.

/Ashes to Ashes/, pour sa part, me semble se dérouler sous l’eau. Une
femme qui se noie, sa main se tendant vers la surface à travers les
vagues, retombant hors de vue, se tendant vers d’autres mains, mais ne
trouvant là personne, ni au-dessus ni au-dessous de l’eau, ne trouvant
que des ombres, des reflets, flottant ; la femme, une silhouette perdue
dans un paysage qui se noie, une femme incapable d’échapper au destin
tragique qui semblait n’appartenir qu’aux autres.

Mais comme les autres sont morts, elle doit mourir aussi.
Le langage politique, tel que l’emploient les hommes politiques, ne
s’aventure jamais sur ce genre de terrain, puisque la majorité des
hommes politiques, à en croire les éléments dont nous disposons, ne
s’intéressent pas à la vérité mais au pouvoir et au maintien de ce
pouvoir. Pour maintenir ce pouvoir il est essentiel que les gens
demeurent dans l’ignorance
, qu’ils vivent dans l’ignorance de la vérité,
jusqu’à la vérité de leur propre vie. Ce qui nous entoure est donc un
vaste tissu de mensonges, dont nous nous nourrissons.

Comme le sait ici tout un chacun, l’argument avancé pour justifier
l’invasion de l’Irak était que Saddam Hussein détenait un arsenal
extrêmement dangereux d’armes de destruction massive, dont certaines
pouvaient être déchargées en 45 minutes, provoquant un effroyable
carnage. On nous assurait que c’était vrai. Ce n’était pas vrai. On nous
disait que l’Irak entretenait des relations avec Al-Qaida et avait donc
sa part de responsabilité dans l’atrocité du 11 septembre 2001 à New
York. On nous assurait que c’était vrai. Ce n’était pas vrai. On nous
disait que l’Irak menaçait la sécurité du monde. On nous assurait que
c’était vrai. Ce n’était pas vrai.

La vérité est totalement différente. La vérité est liée à la façon dont
les États-Unis comprennent leur rôle dans le monde et la façon dont ils
choisissent de l’incarner.
Mais avant de revenir au temps présent, j’aimerais considérer l’histoire
récente, j’entends par là la politique étrangère des États-Unis depuis
la fin de la seconde guerre mondiale. Je crois qu’il est pour nous
impératif de soumettre cette période à un examen rigoureux, quoique
limité, forcément, par le temps dont nous disposons ici.

Tout le monde sait ce qui s’est passé en Union soviétique et dans toute
l’Europe de l’Est durant l’après-guerre : la brutalité systématique, les
atrocités largement répandues, la répression impitoyable de toute pensée
indépendante. Tout cela a été pleinement documenté et attesté.
Mais je soutiens que les crimes commis par les États-Unis durant cette
même période
n’ont été que superficiellement rapportés, encore moins
documentés, encore moins reconnus, encore moins identifiés à des crimes
tout court. Je crois que la question doit être abordée et que la vérité
a un rapport évident avec l’état actuel du monde. Bien que limitées,
dans une certaine mesure, par l’existence de l’Union soviétique, les
actions menées dans le monde entier par les États-Unis donnaient
clairement à entendre qu’ils avaient décrété avoir carte blanche pour
faire ce qu’ils voulaient.

L’invasion directe d’un état souverain n’a jamais été, de fait, la
méthode privilégiée de l’Amérique. Dans l’ensemble, elle préférait ce
qu’elle a qualifié de /"conflit de faible intensité"/. /"Conflit de
faible intensité"/, cela veut dire que des milliers de gens meurent,
mais plus lentement que si vous lâchiez une bombe sur eux d’un seul
coup. Cela veut dire que vous contaminez le cœur du pays, que vous y
implantez une tumeur maligne et que vous observez s’étendre la gangrène.
Une fois que le peuple a été soumis - ou battu à mort - ça revient au
même - et que vos amis, les militaires et les grandes sociétés
commerciales, sont confortablement installés au pouvoir, vous allez
devant les caméras et vous déclarez que la démocratie l’a emporté.
C’était monnaie courante dans la politique étrangère américaine dans les
années auxquelles je fais allusion.

La tragédie du Nicaragua s’est avérée être un cas extrêmement
révélateur.
Si je décide de l’évoquer ici, c’est qu’il illustre de façon
convaincante la façon dont l’Amérique envisage son rôle dans le monde,
aussi bien à l’époque qu’aujourd’hui.
J’ai assisté à une réunion qui s’est tenue à l’Ambassade des États-Unis
à Londres à la fin des années 80.

Le Congrès américain était sur le point de décider s’il fallait ou non
donner davantage d’argent aux Contras dans la campagne qu’ils menaient
contre l’État du Nicaragua. J’étais là en tant que membre d’une
délégation parlant au nom du Nicaragua, mais le membre le plus important
de cette délégation était un certain Père John Metcalf. Le chef de file
du camp américain était Raymond Seitz (alors bras droit de
l’ambassadeur, lui-même nommé ambassadeur par la suite). Père Metcalf a
dit : /"Monsieur, j’ai la charge d’une paroisse au nord du Nicaragua.
Mes paroissiens ont construit une école, un centre médico-social, un
centre culturel. Nous avons vécu en paix. Il y a quelques mois une force
de la Contra a attaqué la paroisse. Ils ont tout détruit : l’école, le
centre médico-social, le centre culturel. Ils ont violé les infirmières
et les institutrices, massacré les médecins, de la manière la plus
brutale. Ils se sont comportés comme des sauvages. Je vous en supplie,
exigez du gouvernement américain qu’il retire son soutien à cette
odieuse activité terroriste."/

Raymond Seitz avait très bonne réputation, celle d’un homme rationnel,
responsable et très bien informé. Il était grandement respecté dans les
cercles diplomatiques. Il a écouté, marqué une pause, puis parlé avec
une certaine gravité. /"Père, /dit-il, /laissez-moi vous dire une chose.
En temps de guerre, les innocents souffrent toujours."/ Il y eut un
silence glacial. Nous l’avons regardé d’un œil fixe. Il n’a pas bronché.

Les innocents, certes, souffrent toujours.

Finalement quelqu’un a dit : /"Mais dans le cas qui nous occupe, des
’innocents’ ont été les victimes d’une atrocité innommable financée par
votre gouvernement, une parmi tant d’autres. Si le Congrès accorde
davantage d’argent aux Contras, d’autres atrocités de cette espèce
seront perpétrées. N’est-ce pas le cas ? Votre gouvernement n’est-il pas
par là même coupable de soutenir des actes meurtriers et destructeurs
commis sur les citoyens d’un état souverain ?"/

Seitz était imperturbable. /"Je ne suis pas d’accord que les faits, tels
qu’ils nous ont été exposés, appuient ce que vous affirmez là"/, dit-il.

Alors que nous quittions l’ambassade, un conseiller américain m’a dit
qu’il aimait beaucoup mes pièces. Je n’ai pas répondu.

Je dois vous rappeler qu’à l’époque le président Reagan avait fait la
déclaration suivante : /"Les Contras sont l’équivalent moral de nos
Pères fondateurs."/

Les États-Unis ont pendant plus de quarante ans soutenu la dictature
brutale de Somoza au Nicaragua. Le peuple nicaraguayen, sous la conduite
des Sandinistes, a renversé ce régime en 1979, une révolution populaire
et poignante.

Les Sandinistes n’étaient pas parfaits. Ils avaient leur part
d’arrogance et leur philosophie politique comportait un certain nombre
d’éléments contradictoires. Mais ils étaient intelligents, rationnels et
civilisés. Leur but était d’instaurer une société stable, digne, et
pluraliste. La peine de mort a été abolie. Des centaines de milliers de
paysans frappés par la misère ont été ramenés d’entre les morts. Plus de
100 000 familles se sont vues attribuer un droit à la terre. Deux mille
écoles ont été construites. Une campagne d’alphabétisation tout à fait
remarquable a fait tomber le taux d’analphabétisme dans le pays sous la
barre des 15 %. L’éducation gratuite a été instaurée ainsi que la
gratuité des services de santé. La mortalité infantile a diminué d’un
tiers. La polio a été éradiquée.

Les États-Unis accusèrent ces franches réussites d’être de la subversion
marxiste-léniniste. Aux yeux du gouvernement américain, le Nicaragua
donnait là un dangereux exemple. Si on lui permettait d’établir les
normes élémentaires de la justice économique et sociale, si on lui
permettait d’élever le niveau des soins médicaux et de l’éducation et
d’accéder à une unité sociale et une dignité nationale, les pays voisins
se poseraient les mêmes questions et apporteraient les mêmes réponses.
Il y avait bien sûr à l’époque, au Salvador, une résistance farouche au
statu quo.

J’ai parlé tout à l’heure du /"tissu de mensonges"/ qui nous entoure. Le
président Reagan qualifiait couramment le Nicaragua de /"donjon
totalitaire"/. Ce que les médias, et assurément le gouvernement
britannique, tenaient généralement pour une observation juste et
méritée. Il n’y avait pourtant pas trace d’escadrons de la mort sous le
gouvernement sandiniste. Il n’y avait pas trace de tortures. Il n’y
avait pas trace de brutalité militaire, systématique ou officielle.
Aucun prêtre n’a jamais été assassiné au Nicaragua. Il y avait même
trois prêtres dans le gouvernement sandiniste, deux jésuites et un
missionnaire de la Société de Maryknoll. Les /"donjons totalitaires"/ se
trouvaient en fait tout à côté, au Salvador et au Guatemala. Les
États-Unis avaient, en 1954, fait tomber le gouvernement
démocratiquement élu du Guatemala et on estime que plus de 200 000
personnes avaient été victimes des dictatures militaires qui s’y étaient
succédé.

En 1989, six des plus éminents jésuites du monde ont été violemment
abattus à l’Université Centraméricaine de San Salvador par un bataillon
du régiment Alcatl entraîné à Fort Benning, Géorgie, USA. L’archevêque
Romero, cet homme au courage exemplaire, a été assassiné alors qu’il
célébrait la messe. On estime que 75 000 personnes sont mortes. Pourquoi
a-t-on tué ces gens-là ? On les a tués parce qu’ils étaient convaincus
qu’une vie meilleure était possible et devait advenir. Cette conviction
les a immédiatement catalogués comme communistes. Ils sont morts parce
qu’ils osaient contester le statu quo, l’horizon infini de pauvreté, de
maladies, d’humiliation et d’oppression, le seul droit qu’ils avaient
acquis à la naissance.

Les États-Unis ont fini par faire tomber le gouvernement sandiniste.

Cela leur prit plusieurs années et ils durent faire preuve d’une
ténacité considérable, mais une persécution économique acharnée et 30
000 morts ont fini par ébranler le courage des Nicaraguayens. Ils
étaient épuisés et de nouveau misérables. L’économie /"casino"/ s’est
réinstallée dans le pays. C’en était fini de la santé gratuite et de
l’éducation gratuite. Les affaires ont fait un retour en force. La
/"Démocratie"/ l’avait emporté.

Mais cette /"politique"/ ne se limitait en rien à l’Amérique centrale.
Elle était menée partout dans le monde. Elle était sans fin. Et c’est
comme si ça n’était jamais arrivé.

Les États-Unis ont soutenu, et dans bien des cas engendré, toutes les
dictatures militaires droitières apparues dans le monde à l’issue de la
seconde guerre mondiale. Je veux parler de l’Indonésie, de la Grèce, de
l’Uruguay, du Brésil, du Paraguay, d’Haïti, de la Turquie, des
Philippines, du Guatemala, du Salvador, et, bien sûr, du Chili.
L’horreur que les États-Unis ont infligée au Chili en 1973 ne pourra
jamais être expiée et ne pourra jamais être oubliée.

Des centaines de milliers de morts ont eu lieu dans tous ces pays.
Ont-elles eu lieu ? Et sont-elles dans tous les cas imputables à la
politique étrangère des États-Unis ? La réponse est oui, elles ont eu
lieu et elles sont imputables à la politique étrangère américaine. Mais
vous n’en savez rien.

Ça ne s’est jamais passé. Rien ne s est jamais passé. Même pendant que
cela se passait, ça ne se passait pas. Ça n’avait aucune importance. Ça
n’avait aucun intérêt. Les crimes commis par les États-Unis ont été
systématiques, constants, violents, impitoyables, mais très peu de gens
en ont réellement parlé. Rendons cette justice à l’Amérique : elle s’est
livrée, partout dans le monde, à une manipulation tout à fait clinique
du pouvoir tout en se faisant passer pour une force qui agissait dans
l’intérêt du bien universel. Un cas d’hypnose génial, pour ne pas dire
spirituel, et terriblement efficace.

Les États-Unis, je vous le dis, offrent sans aucun doute le plus grand
spectacle du moment. Pays brutal, indifférent, méprisant et sans pitié,
peut-être bien, mais c’est aussi un pays très malin. À l’image d’un
commis voyageur, il œuvre tout seul et l’article qu’il vend le mieux est
l’amour de soi. Succès garanti. Écoutez tous les présidents américains à
la télévision prononcer les mots /"peuple américain"/, comme dans la
phrase : /"Je dis au peuple américain qu’il est temps de prier et de
défendre les droits du peuple américain et je demande au peuple
américain de faire confiance à son président pour les actions qu’il
s’apprête à mener au nom du peuple américain."/

Le stratagème est brillant. Le langage est en fait employé pour tenir la
pensée en échec.
Les mots /"peuple américain"/ fournissent un coussin
franchement voluptueux destiné à vous rassurer. Vous n’avez pas besoin
de penser. Vous n’avez qu’à vous allonger sur le coussin. Il se peut que
ce coussin étouffe votre intelligence et votre sens critique mais il est
très confortable. Ce qui bien sûr ne vaut pas pour les 40 millions de
gens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté ni aux 2 millions
d’hommes et de femmes incarcérés dans le vaste goulag de prisons qui
s’étend d’un bout à l’autre des États-Unis.

Les États-Unis ne se préoccupent plus des conflits de faible intensité.
Ils ne voient plus l’intérêt qu’il y aurait à faire preuve de réserve,
ni même de sournoiserie. Ils jouent cartes sur table, sans distinction.
C’est bien simple, ils se fichent éperdument des Nations unies, du droit
international ou des voix dissidentes, dont ils pensent qu’ils n’ont
aucun pouvoir ni aucune pertinence. Et puis ils ont leur petit agneau
bêlant qui les suit partout au bout d’une laisse, la Grande-Bretagne,
pathétique et soumise.

Où est donc passée notre sensibilité morale ? En avons-nous jamais eu
une ? Que signifient ces mots ? Renvoient-ils à un terme très rarement
employé ces temps-ci - la conscience ? Une conscience qui soit non
seulement liée à nos propres actes mais qui soit également liée à la
part de responsabilité qui est la nôtre dans les actes d’autrui ? Tout
cela est-il mort ? Regardez Guantanamo. Des centaines de gens détenus
sans chef d’accusation depuis plus de trois ans, sans représentation
légale ni procès équitable, théoriquement détenus pour toujours. Cette
structure totalement illégitime est maintenue au mépris de la Convention
de Genève. Non seulement on la tolère mais c’est à peine si la
soi-disant /"communauté internationale"/ en fait le moindre cas. Ce
crime scandaleux est commis en ce moment même par un pays qui fait
profession d’être /"le leader du monde libre"/. Est-ce que nous pensons
aux locataires de Guantanamo ? Qu’en disent les médias ? Ils se
réveillent de temps en temps pour nous pondre un petit article en page
six. Ces hommes ont été relégués dans un no man’s land dont ils
pourraient fort bien ne jamais revenir. À présent beaucoup d’entre eux
font la grève de la faim, ils sont nourris de force, y compris des
résidents britanniques. Pas de raffinements dans ces méthodes
d’alimentation forcée. Pas de sédatifs ni d’anesthésiques. Juste un tube
qu’on vous enfonce dans le nez et qu’on vous fait descendre dans la
gorge. Vous vomissez du sang. C’est de la torture. Qu’en a dit le
ministre des affaires étrangères britannique ? Rien. Qu’en a dit le
premier ministre britannique ? Rien. Et pourquoi ? Parce que les
États-Unis ont déclaré : critiquer notre conduite à Guantanamo constitue
un acte hostile. Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous.
Résultat, Blair se tait.

L’invasion de l’Irak était un acte de banditisme, un acte de terrorisme
d’État patenté
, témoignant d’un absolu mépris pour la notion de droit
international. Cette invasion était un engagement militaire arbitraire
inspiré par une série de mensonges répétés sans fin et une manipulation
flagrante des médias et, partant, du public ; une intervention visant à
renforcer le contrôle militaire et économique de l’Amérique sur le
Moyen-Orient et ce faisant passer - en dernier ressort - toutes les
autres justifications n’ayant pas réussi à prouver leur bien-fondé -
pour une libération. Une redoutable affirmation de la force militaire
responsable de la mort et de la mutilation de milliers et de milliers
d’innocents.

Nous avons apporté au peuple irakien la torture, les bombes à
fragmentation, l’uranium appauvri, d’innombrables tueries commises au
hasard, la misère, l’humiliation et la mort et nous appelons cela
/"apporter la liberté et la démocratie au Moyen-Orient"/.

Combien de gens vous faut-il tuer avant d’avoir droit au titre de
meurtrier de masse
et de criminel de guerre ? Cent mille ? Plus
qu’assez, serais-je tenté de croire. Il serait donc juste que Bush et
Blair soient appelés à comparaître devant la Cour internationale de
justice. Mais Bush a été malin. Il n’a pas ratifié la Cour
internationale de justice. Donc, si un soldat américain ou, à plus forte
raison, un homme politique américain, devait se retrouver au banc des
accusés, Bush a prévenu qu’il enverrait les marines. Mais Tony Blair,
lui, a ratifié la Cour et peut donc faire l’objet de poursuites. Nous
pouvons communiquer son adresse à la Cour si ça l’intéresse. Il habite
au 10 Downing Street, Londres.

La mort dans ce contexte devient tout à fait accessoire. Bush et Blair
prennent tous deux bien soin de la mettre de côté. Au moins 100 000
Irakiens ont péri sous les bombes et les missiles américains avant que
ne commence l’insurrection irakienne. Ces gens-là sont quantité
négligeable. Leur mort n’existe pas. Un néant. Ils ne sont même pas
recensés comme étant morts. /"Nous ne comptons pas les cadavres"/ a
déclaré le général américain Tommy Franks.

Aux premiers jours de l’invasion une photo a été publiée à la une des
journaux britanniques ; on y voit Tony Blair embrassant sur la joue un
petit garçon irakien. /"Un enfant reconnaissant"/ disait la légende.
Quelques jours plus tard on pouvait trouver, en pages intérieures,
l’histoire et la photo d’un autre petit garçon de quatre ans qui n’avait
plus de bras. Sa famille avait été pulvérisée par un missile. C’était le
seul survivant. /"Quand est-ce que je retrouverai mes bras ?"/
demandait-il. L’histoire est passée à la trappe. Eh bien oui, Tony Blair
ne le serrait pas contre lui, pas plus qu’il ne serrait dans ses bras le
corps d’un autre enfant mutilé, ou le corps d’un cadavre ensanglanté. Le
sang, c’est sale. Ça salit votre chemise et votre cravate quand vous
parlez avec sincérité devant les caméras de télévision.

Les 2 000 morts américains sont embarrassants. On les transporte vers
leurs tombes dans le noir. Les funérailles se font discrètement, en lieu
sûr. Les mutilés pourrissent dans leurs lits, certains pour le restant
de leurs jours. Ainsi les morts et les mutilés pourrissent-ils, dans
différentes catégories de tombes.

Voici un extrait de /"J’explique certaines choses"/^2 , un poème de
Pablo Neruda :

Et un matin tout était en feu,
et un matin les bûchers
sortaient de la terre
dévorant les êtres vivants,
et dès lors ce fut le feu,
ce fut la poudre,
et ce fut le sang.

Des bandits avec des avions, avec des Maures,
des bandits avec des bagues et des duchesses,
des bandits avec des moines noirs pour bénir
tombaient du ciel pour tuer des enfants,
et à travers les rues le sang des enfants
coulait simplement, comme du sang d’enfants.

Chacals que le chacal repousserait,
pierres que le dur chardon mordrait en crachant,
vipères que les vipères détesteraient !

Face à vous j’ai vu le sang
de l’Espagne se lever
pour vous noyer dans une seule vague
d’orgueil et de couteaux !

Généraux
de trahison :
regardez ma maison morte,
regardez l’Espagne brisée :
mais de chaque maison morte surgit un métal ardent
au lieu de fleurs,
mais de chaque brèche d’Espagne
surgit l’Espagne,
mais de chaque enfant mort surgit un fusil avec des yeux,
mais de chaque crime naissent des balles
qui trouveront un jour
l’endroit de votre cœur.

Vous allez demander pourquoi sa poésie

ne parle-t-elle pas du rêve, des feuilles,
des grands volcans de son pays natal ?

Venez voir le sang dans les rues,
venez voir
le sang dans les rues,
venez voir
le sang dans les rues !

Laissez-moi préciser qu’en citant ce poème de Neruda je ne suis en
aucune façon en train de comparer l’Espagne républicaine à l’Irak de
Saddam Hussein. Si je cite Neruda c’est parce que je n’ai jamais lu
ailleurs dans la poésie contemporaine de description aussi puissante et
viscérale d’un bombardement de civils.

J’ai dit tout à l’heure que les États-Unis étaient désormais d’une
franchise totale et jouaient cartes sur table. C’est bien le cas. Leur
politique officielle déclarée est désormais définie comme une /"full
spectrum dominance"/ (une domination totale sur tous les fronts).
L’expression n’est pas de moi, elle est d’eux. /"Full spectrum
dominance"/, cela veut dire contrôle des terres, des mers, des airs et
de l’espace et de toutes les ressources qui vont avec.

Les États-Unis occupent aujourd’hui 702 installations militaires dans
132 pays du monde entier
, à l’honorable exception de la Suède, bien sûr.
On ne sait pas trop comment ils en sont arrivés là, mais une chose est
sûre, c’est qu’ils y sont.

Les États-Unis détiennent 8 000 ogives nucléaires actives et
opérationnelles. 2 000 sont en état d’alerte maximale, prêtes à être
lancées avec un délai d’avertissement de 15 minutes. Ils développent de
nouveaux systèmes de force nucléaire, connus sous le nom de /"bunker
busters"/ (briseurs de blockhaus). Les Britanniques, toujours
coopératifs, ont l’intention de remplacer leur missile nucléaire, le
Trident. Qui, je me le demande, visent-ils ? Oussama Ben Laden ? Vous ?
Moi ? Tartempion ? La Chine ? Paris ? Qui sait ? Ce que nous savons
c’est que cette folie infantile - détenir des armes nucléaires et
menacer de s’en servir - est au cœur de la philosophie politique
américaine actuelle. Nous devons nous rappeler que les États-Unis sont
en permanence sur le pied de guerre et ne laissent entrevoir en la
matière aucun signe de détente.

Des milliers, sinon des millions, de gens aux États-Unis sont pleins de
honte
et de colère, visiblement écœurés par les actions de leur
gouvernement, mais en l’état actuel des choses, ils ne constituent pas
une force politique cohérente - pas encore. Cela dit, l’angoisse,
l’incertitude et la peur que nous voyons grandir de jour en jour aux
États-Unis ne sont pas près de s’atténuer.

Je sais que le président Bush emploie déjà pour écrire ses discours de
nombreuses personnes extrêmement compétentes, mais j’aimerais me porter
volontaire pour le poste. Je propose la courte allocution suivante,
qu’il pourrait faire à la télévision et adresser à la nation. Je
l’imagine grave, les cheveux soigneusement peignés, sérieux, avenant,
sincère, souvent enjôleur, y allant parfois d’un petit sourire forcé,
curieusement séduisant, un homme plus à son aise avec les hommes.

/"Dieu est bon. Dieu est grand. Dieu est bon. Mon Dieu est bon. Le Dieu
de Ben Laden est mauvais. Le sien est un mauvais Dieu. Le Dieu de Saddam
était mauvais, sauf que Saddam n’en avait pas. C’était un barbare. Nous
ne sommes pas des barbares. Nous ne tranchons pas la tête des gens. Nous
croyons à la liberté. Dieu aussi. Je ne suis pas un barbare. Je suis le
leader démocratiquement élu d’une démocratie éprise de liberté. Nous
sommes une société pleine de compassion. Nous administrons des
électrocutions pleines de compassion et des injections létales pleines
de compassion. Nous sommes une grande nation. Je ne suis pas un
dictateur. Lui, oui. Je ne suis pas un barbare. Lui, oui. Et lui aussi.
Ils le sont tous. Moi, je détiens l’autorité morale. Vous voyez ce poing
 ? C’est ça, mon autorité morale. Tâchez de ne pas l’oublier."/

La vie d’un écrivain est une activité infiniment vulnérable, presque
nue.
Inutile de pleurer là-dessus. L’écrivain fait un choix, un choix
qui lui colle à la peau. Mais il est juste de dire que vous êtes exposé
à tous les vents, dont certains sont glacés bien sûr. Vous œuvrez tout
seul, isolé de tout. Vous ne trouvez aucun refuge, aucune protection -
sauf si vous mentez - auquel cas bien sûr vous avez construit et assuré
vous-même votre protection et, on pourrait vous le rétorquer, vous êtes
devenu un homme politique.

J’ai parlé de la mort pas mal de fois ce soir. Je vais maintenant vous
lire un de mes poèmes, intitulé /"Mort"/.

Où a-t-on trouvé le cadavre ?
Qui a trouvé le cadavre ?
Le cadavre était-il mort quand on l’a trouvé ?
Comment a-t-on trouvé le cadavre ?

Qui était le cadavre ?

Qui était le père ou la fille ou le frère
Ou l’oncle ou la sœur ou la mère ou le fils
Du cadavre abandonné ?

Le corps était-il mort quand on l’a abandonné ?
Le corps était-il abandonné ?
Par qui avait-il été abandonné ?

Le cadavre était-il nu ou en costume de voyage ?

Qu’est-ce qui a fait que ce cadavre, vous l’avez déclaré mort ?
Le cadavre, vous l’avez déclaré mort ?
Vous le connaissiez bien, le cadavre ?
Comment saviez-vous que le cadavre était mort ?

Avez-vous lavé le cadavre
Avez-vous fermé ses deux yeux
Avez-vous enterré le corps
L’avez-vous laissé à l’abandon
Avez-vous embrassé le cadavre

Quand nous nous regardons dans un miroir nous pensons que l’image qui
nous fait face est fidèle. Mais bougez d’un millimètre et l’image
change. Nous sommes en fait en train de regarder une gamme infinie de
reflets. Mais un écrivain doit parfois fracasser le miroir - car c’est
de l’autre côté de ce miroir que la vérité nous fixe des yeux.

Je crois que malgré les énormes obstacles qui existent, être
intellectuellement résolus, avec une détermination farouche, stoïque et
inébranlable, à définir, en tant que citoyens, la réelle vérité de nos
vies et de nos sociétés est une obligation cruciale qui nous incombe à
tous. Elle est même impérative.

Si une telle détermination ne s’incarne pas dans notre vision politique,
nous n’avons aucun espoir de restaurer ce que nous sommes si près de
perdre - notre dignité d’homme.

© La Fondation Nobel 2005.
/Traduction de l’anglais par Séverine Magois./

Mouvement des idées
N °136 ( 2/ 2/06)

1)Non de gauche théorisé

*Après l’avalanche d’ouvrages de ouiouistes depuis le référendum
européen, sortie d’un des premiers ouvrages s’inscrivant dans la ligne
du Non de gauche, qu’il théorise sous le titre « La fin de
l’eurolibéralisme » de Jacques Sapir.*
*Voir de larges extraits in Revue de presse hebdo du 27/1.*
*Réfute la vulgate libérale, s’interroge sur le couple
économie/démocratie, le postcommunisme et le marché.*
*Universitaire, un temps spécialiste de l’Urss et des échanges
Est-Ouest, membre d’ATTAC.*
*Pourrait justifier une audition ( ?).*

2)Uniformisation économique et radicalisation politique

*A retenir de la dernière chronique de Nicolas Baverez dans les Echos
(31/1) cette phrase : « la mondialisation n’est pas une loi d’airain
universelle mais obéit à un mouvement dialectique : loin de
s’uniformiser, la planète se radicalise en même temps qu’elle se
rétrécit, les identités s’exacerbent et les sociétés divergent en même
temps que les économies s’interpénètrent ».*
*Bel aveu d’échec de la part d’un de ces théoriciens de l’idée :
mondialisation = civilisation.*

3)La nouvelle famille française

*Publication du rapport parlementaire sur la famille dont on retiendra
un recul sensible du mariage ; une fragilisation de toutes les formes
d’union (on pense au détournement qu’en fait Parisot : l’amour est
précaire, pourquoi pas le travail) ; une augmentation des naissances
hors mariage (près le la moitié des enfants). Bref « la France est l’un
des pays européens où le déclin du modèle traditionnel est le plus fort ».*

4)L’obsession de la réforme de l’Etat

*La réforme de l’Etat est une question qui revient en tête de tous les
travaux, conseils, recommandations des divers clubs de la droite et du
patronat ces derniers temps. Sous la triple argumentation : de toute
façon, l’Etat n’a plus d’argent pour payer ses agents et ses activités ;
l’Etat ne peut pas tout faire, elle doit externaliser et privatiser ;
l’Etat ne doit plus être un gendarme ( !) mais un simple tuteur.*

5)Droite et patronat : surenchères et convenances

*Nombreux commentaires sur le dernier discours de Parisot devant l’AG du
MEDEF. Dérapage ? Maladresse ? Longue analyse du Figaro du 22/1 sur la
communauté de vues droite/patronat, sur les suspicions réciproques et
les précautions du pouvoir. Le journal parle « d’immaturité » française,
« d’exception française », »une de ces exceptions qui pourraient bien
enfin voler en éclats avec le RV électoral de 2007 »( ?).*
*Sur le MEDEF, sondage CSA/France Europe Express montrant que la
majorité des sondés (61%) sont mécontents des patrons (soit +5 points en
un an) ; à noter un électorat communiste particulièrement remonté contre
les patrons : 92% (contre 77% à gauche et …65% à l’extrême gauche !) ;
les sondés ne font pas confiance au Medef pour les délocalisations
(71%), les salaires (70), les emplois (62%), la croissance (55).*

6)Syndicalisme de circonstance et contestation radicale

*Note du cabinet d’audit social « Epsy » (_www.epsy.com
<http://www.epsy.com/> _) sur « la fin d’une forme de syndicalisme » ;
parle d’effacement, de panne idéologique et de nouvelles formes de
contestations (procédures, internet, blogs) d’ »un syndicalisme de
circonstance avec peu de règles et des moyens de communications nouveaux
et performants ».*
*Sur un thème proche, un peu dans le prolongement des formes radicales
de lutte ( exemple : usine Callatex ; voir « Les vivants et les morts »
de Mordillat), on notera cette vague d’incendies contre les agences
d’ANPE, l’arrestation aussi à St Nazaire d’un conseiller de l’agence
cégétiste qui donnait sur le net l’adresse de son agence « à cramer » ;
voir aussi l’émotion dans le milieu des chômeurs face à l’arbitraire de
l’agence ( dénoncé dans la presse par l’écrivain JJ Reboux).*

7)Banlieue et électorat communiste

*Sondage du Parisien du 30/1 montrant que l’écrasante majorité estime
qu’aucune solution n’a été trouvée à la crise des banlieues (82%), que
des événements semblables peuvent se reproduire (86).*
*Curieusement l’électorat communiste serait un peu moins pessimiste dans
les deux cas (74% chaque fois).*
*Sur cette question des banlieues, les sondés font confiance aux
associations (83%), services sociaux (81), municipalités (73), école
(73), aux banlieusards (63), aux parents (59), aux services publics
(57), aux syndicats (35), au gouvernement( 32), aux militants politiques
(24), aux mouvements religieux (24).*
*Si l’on prend les réponses des communistes, ceux-ci accordent leur
confiance aux associations à 92%, aux services sociaux à 96%, aux
municipalités à 58% (quasiment le plus bas score de toutes les
familles), à l’école à 96%, aux banlieusards à 71%, aux parents à 82%,
aux services publics à 71%, aux syndicats à 64%, au gouvernement à 17%,
aux militants à 43% (très nettement au dessus de toutes les autres
familles), aux religieux à 24%.*
*Bref un investissement très fort dans le « social », dans l’engagement
et le militantisme et comme une défiance à l’égard des élus.*

8)Electorat PCF et diversité de la population

*Dans un sondage proche (CSA/Parisien), l’électorat communiste se
singularise en étant la famille politique qui estime le plus massivement
que : le débat sur la colonisation est un débat d’actualité (55% contre
42 en moyenne) ; la diversité est une caractéristique française (86
contre 73 en moyenne) ; c’est une richesse (98% ( !) contre 73).*
*Interrogé sur les structures les plus à même d’aider à l’intégration,
les communistes attendent beaucoup des associations et de l’Etat
(réponse PC la plus massive de tous les électorats), attente très
moyenne à l’égard de l’école, attente nulle des municipalités ( !).*
*Cette dernière réponse est étonnante ; est-elle liée à la défiance face
aux élus pointée plus haut ?*

9)Les JT ou la culture de la panique

*Chronique de Marcabru dans Le Figaro sur les JT, la façon dont ils
annoncent quotidiennement des horreurs, sans la moindre place à « 
l’espérance » dit-il ; il parle d’une culture de la panique qui entrave,
et dont on peut jouir comme d’un spectacle ; mais il dit encore que le
citoyen, pour survivre au malheur d’autrui, développe un égoïsme, une
indifférence, un cynisme, autant de fruits de cette « culture de la
panique ».*

10)Partis

*Madelin : relance ses cercles libéraux, entend peser sur la droite en
2007, ne choisit pas entre les candidats, estime que l’important n’est
pas la réduction des déficits mais la croissance ; reproche à Sarkozy « 
ses propositions comme la sécurité sociale professionnelle, la
préférence communautaire, la politique industrielle européenne, la
défense des services publics, la fiscalité écologique ».*

*LO-LCR : plusieurs articles sur l’ « indifférence » des trotskistes sur
la crise de la banlieue, notamment Le Parisien du 21/1.*

Mouvement des idées
N °137( 10/ 2/06)

1) « Patriotisme » et pensée unique

Grande similitude de la presse de droite et de gauche sur l’affaire
Arcelor, le « patriotisme » de de Villepin et les perspectives. Des
éditoriaux quasi identiques dans Le Monde du 5/1 et Le Figaro du 6. Qui
consiste à moquer le rôle de l’Etat, à sa gausser du « patriotisme »
officiel assimilé à du « conservatisme », à reconnaître la primauté de
l’actionnaire et le poids des capitaux étrangers en France. « L’avenir
de la France passe de plus en plus par l’attraction de capitaux
étrangers » (Le Monde).
Sur « l’impuissance » de l’Etat en matière industrielle, on rappellera
les travaux du Nobel américain d’Economie Joseph Stiglitz (Note 123) sur
la manière dont l’Etat américain soutient ses poulains…

2) « Racisme antifrançais »

A l’opposé de cette morale de boursicoteurs se développe, derrière le
mot d’ordre de patriotisme, une rhétorique nationaliste digne de « 
Superdupont », qui va d’Ivan Rioufol, chroniqueur du Figaro, qui
critique (3/2) « le racisme antifrançais » à Max Gallo, lequel sort
cette semaine chez Fayard « Fier d’être français » : il appelle à « la
survie de la nation » et écrit que « nos élites sont devenus les
pédagogues du renoncement national ».
En passant par « Adieu ma France » de Bigeard (Rocher) ; l’ouvrage du
nonagénaire « caracolerait en tête des ventes », dixit Le Figaro.

3)OPA : réactions socialistes

Plusieurs prises de position anti OPA de dirigeants socialistes. Celle
de Montebourg, dans son face à face avec Madelin, in Les Echos du 7/1,
où il propose que le politique reconquiert le terrain gagné par le
marché, revitaliser la direction de la concurrence, rétablir les
autorisations données par le ministère de l’Economie.
Même Rocard clame (Libération, 7/1) le droit de l’Europe de dire Non par
la loi. Au passage il se livre à une critique forte du capitalisme
actuel, expliquant même –et pour la première fois- que cette critique
aurait provoqué le refus du référendum.

4)Rechute du moral des cadres

Le Figaro Economie avait parlé le mois dernier (et commencé à théoriser
sur) d’une embellie du moral des cadres. Patatras ! Sévère rechute en
février de l’indicateur Louis Harris. A noter un rejet massif du CPE
(65% des cadres, 75% des cadres de gauche) du CPE, source de précarité
et inefficace pour l’emploi.
L’international serait aussi pour beaucoup dans cette rechute ( Chine,
non-croissance américaine, Mittal Steel…).

5)Sauver le soldat Finkielkraut

Retour de Finkielkraut dans Libération à l’occasion de la polémique sur
les caricatures ; longue tribune en sa faveur d’une universitaire dans
le Monde ; huit pages d’interview et la Une de « Tribune juive » :
l’auteur de propos racistes, partisan d’une lecture ethniciste des
banlieues est l’objet de vives sollicitudes. Il ne renie rien, confirme
tout mais plus prudemment formulé. Ses thèses sont ouvertement,
tranquillement conservatrices, voire réactionnaires. Il faut « Sauver le
monde plutôt que le changer », titre de l’entretien in TJ ; la racine du
mal, ce « qui nous empêche de penser l’événement, c’est cette vulgate
rousseauiste selon laquelle le mal résulte de l’oppression ».

6)Communautarisation des intellectuels juifs ?

C’est du moins la thèse, dans le même numéro de Tribune juive, du
dossier « Idéologie. Que sont nos intellectuels devenus » ou « Comment
peut-on être intellectuel et juif et français ? ». Longue historique de
l’intelligentsia juive pour arriver à la thèse : »On peut dire sans
risque de se tromper que la vraie ligne de fracture qui s’est creusée en
France dans le monde intellectuel ne sépare plus la gauche de la droite,
entre ceux qui seraient plus sociaux et ceux qui seraient plus libéraux,
non, ce qui clive le débat français, c’est le rapport à Israël, entre
ceux qui le détestent et ceux qui l’aiment ». Tout est lu à cette aune.
Conclusion : « Pour avoir porté l’estocade là où ça fait mal, A
Finkielkraut est vilipendé. Cependant c’est grâce à lui que la « défaite
de la pensée » n’est pas le plus sûr avenir. »

7)L’inégalité donne des couleurs aux sociétés…

Thème récurrent de la vulgate libérale, l’éloge de l’inégalité s’affiche
plus ouvertement. Dernier exemple la longue chronique de Ralf
Dahrendorf, économiste anglais, in Les Echos du 31/1. Titre : « Les
inégalités= un prix à payer ». Au moins la chose est dite franchement :
« L’inégalité donne des couleurs et de la diversité aux sociétés.(…) Si
nous voulons la liberté, alors les inégalités sociales et économiques
sont un prix légitime et nécessaire à payer ».

8)Souffrances physiques et morales au travail

Plusieurs initiatives qui évoquent la souffrance au travail (et
démentent les sondages euphorisants sur les Français sur leur lieu de
travail). A savoir le film documentaire terrible « Ils ne mourraient pas
tous mais tous étaient frappés » de Sophie Bruneau et Marc-Antoine
Roudil : une caméra filme les salariés dans le bureau d’un médecin et
d’un psy.
Sur un sujet proche sortie au PUF du livre « L’idéal au travail » de
Marie-Anne Dujarier : « Soumis à la normalisation de leurs tâches, les
salariés abdiquent leur professionnalité ».
On rappellera le dossier Le Monde-La république des Idées de décembre
dernier sur « la pénibilité du travail ».

9)1789 : le débat continue

« La Révolution redeviendrait-elle à la mode ? Après le purgatoire qui
suivit les polémiques déclenchées par la fièvre commémorative de 1789,
on pourrait le croire » : ainsi commence un article du Monde des Livres
(10/2) qui recense plusieurs ouvrages récents sur le sujet et s’en « 
étonne ».
Parmi eux celui de Michel Vovelle ( La Révolution expliquée à ma petite
fille. Seuil)) que le journal canarde (« tradition ancienne pour ne pas
dire archaïque ») ; suit un commentaire très méchant et un appel du
journaliste à ne pas oublier Furet, le seul penseur digne à ses yeux de
1789 !

10)Partis

PS : annule sa campagne de « com » initiale sur Bolkestein, jugée
insuffisamment critique.

calendrier de ses Etats Généraux : banlieues, 4 mars, Clichy ;
recherche-éducation, 18 mars, Marseille ; décentralisation-logement, 1
avril, Lille ; égalité sociale, 8 avril, Rennes ; réunion conclusive,
Paris, 3 juin.

Direction pléthorique ? Papier de Libération du 2/2 détaillant les
effectifs pléthoriques de la direction, 285 dirigeants, une inflation de
titres, des postes doublonnant …

Article du Figaro du 28/1 sur la vie du militant de base au PS…

Au JT de la 2, mardi 7 soir, Hollande a plaidé pour une « sécurité
emploi/formation ».

Le PS diffuse sur le net une lettre d’info quotidienne.

FN/MPF : nombreux commentaires sur les rapports et les vases
communicants entre les deux partis ; le MPF aurait pris 3000 militants
au FN ; mais le FN parle de 7000 nouvelles adhésions…

Mouvement des idées
N °138( 17/ 2/06)

1)Profits, bataille d’idées et pensée unique

Des rédactions s’engagent très directement, et sans retenue, pour
soutenir le bien fondé des profits. Edito du Figaro « Vive les
super-profits » ; chronique de Le Boucher du Monde sur le thème : « il
est faux de dire que les entreprises font des profits » (12/2).
Une certaine fébrilité sur un thème jugé sensible.
On relève en fait une double tendance dans les commentaires économiques
ces temps-ci, notamment dans les médias « de gauche ». D’un côté, une
sorte de raidissement des sociaux-libéraux sur leur argumentaire.
Voir Eric Le Boucher, déjà cité : sa dernière chronique consiste à dire
que le CPE (et la politique Villepin) « va dans le bon sens, celui de la
souplesse nécessaire dans une économie en mutation » et que la France, « 
un pays économiquement simpliste », sort enfin d’« une tradition
gaullo-communiste nationale » en matière économique ( !).
D’un autre côté des expressions critiques à l’égard du capitalisme se
multiplient (souvent pour proposer de nouveaux aménagements au système).

2)Inhumaine entreprise

Sortie du film de Fabienne Godett « Sauf le respect que je vous dois »
sur le harcèlement moral à l’entreprise, les souffrances sociales ;
excellents commentaires (dans le JDD du 12/2) de la psychiatre
Marie-France Hirigoyen (Le Harcèlement moral, Syros) : « le management
par le stress et la pression, c’est la règle aujourd’hui » ; le
libéralisme favorise le harcèlement et CPE porte en germe la menace de
harcèlement moral : « L’un des moteurs du harcèlement, c’est la peur. La
peur de perdre son emploi, la peur de ne pas être conforme à ce que l’on
attend de nous, la peur de l’autre. Tout ce qui va dans le sens d’une
précarisation risque de provoquer des situations de harcèlement moral ».
A rapprocher d’un article d’un spécialiste du management dans Le Figaro
Entreprise du 13/2, p11 ; cet homme pourtant appelé à euphémiser la
situation doit faire état « d’un monde de l’entreprise contraignant,
difficile et complexe », « un monde de plus en plus radical et pesant
pour la personne », des « menaces continuelles », d’une gestion de « 
plus en plus inféodée à l’actionnaire et aux contraintes financières »,
de « brutalité imposée », de « radicalisation des acteurs », « de
mercenaires »…et de besoin de plus en plus fort « d’humanité ».

3)Les médias en question

Un débat semble se chercher sur le rôle des médias. Il reste un peu
confus mais on pointe quantité de papiers, commentaires, critiques,
documentaires sur les médias et le pouvoir ( docus sur France 5), les
médias et les pressions économiques, les médias et l’affaire d’Outreau,
les médias et la question des caricatures, les médias et Bolkestein…
Alors même que la crise à Libération ou à France Soir continue, que la
concentration de la presse de province inquiète.
Sortie chez Michalon de « La démocratie télé-guidée » de JM Cotteret,
ancien du CSA, critique sur la télévision (et la démocratie).
Rappelons le débat avorté, après le référendum, sur le décalage entre
médias et opinion, sur médias et pluralisme.

4)Sarkozy veut mobiliser les intellos

Sortie du livre « A moi le ministère de la parole » de Devedjian
(L’Archipel). Ce personnage s’impose de plus en plus comme l’idéologue
et le propagandiste de Sarkozy. Il dit d’ailleurs vouloir être son bras
armé dans « la lutte idéologique », annonce la création prochaine d’un « 
collectif de la rupture » réunissant « des intellectuels qui donneront
un contenu à ce concept », ajoutant « Pendant trop longtemps
l’infériorité de la droite dans le débat politique s’est expliquée par
son complexe d’infériorité dans le débat d’idées ».

5)Capitalisme= mue et encanaillement

La trajectoire récente de la prestigieuse banque Lazard est probablement
emblématique d’une mue, et d’un encanaillement ( ?), d’un certain
capitalisme français : groupe discret, très lié au premier cercle du
pouvoir, Lazard a changé de cap en 2005 avec l’entrée en Bourse,
l’évincement des familles fondatrices ( David Weil) ; à présent Lazard
s’acoquine à un raider américain pour des opérations douteuses (cf Le
monde du 15/2). Pour l’heure, ça marche : +56% côté bénéfices.

6)Arcelor, patriotisme et capitalisme= le débat continue

Longues tribunes d’experts sur le dossier Arcelor. A « gauche » (Elie
Cohen, Le monde, 15/2), pour souligner que « La France perd un grand
centre de décision industrielle » et que désormais ce « sont toutes les
valeurs du CAC 40 qui sont à l’encan » ; aucune proposition alternative
si ce n’est l’actionnariat salarié, des administrateurs indépendants au
CA, et limiter les conditions d’autorisation des OPA.
A droite (Yves de Kerdrel, Le Figaro, 15/2) on souligne surtout la
totale impuissance du politique, des pouvoirs publics démunis, ne
disposant d’aucun titre Arcelor ; le journaliste pense que l’agitation
du pouvoir (gesticulation patriotique) finira par se retourner contre
lui quand on s’apercevra qu’il n’a rien pu faire : »Cela va
inévitablement apporter de l’eau supplémentaire au moulin de tous ceux
qui dénoncent déjà à grands cris la mondialisation ».
A lier aux récentes propositions de Breton d’accorder aux actionnaires
des prérogatives nouvelles d’autodéfense.

7)Caricatures et droite de la droite

Pour la droite de la droite, et un chroniqueur (hebdo) du Figaro Ivan
Rioufol est emblématique de ce courant, la seule info qui vaille ces
derniers temps, c’est l’affaire des caricatures. Cette famille accuse
l’Europe d’être « capitularde » et de céder devant les islamistes. La
résistance à l’islamisme est devenu la référence majeure, « des clivages
politiques s’estompent ». Rioufol récupère ainsi une pétition
d’écrivains (Le Monde de mardi) pourtant marqués à gauche ( Daeninckx,
Raynal, Paula Jacques) qu’il lit comme un appel anti-Islam…

8)Culture en baisse

Gros dossier du Monde du 17 sur la baisse de la consommation des
produits culturels (cinéma, musique, livre, DVD, CD). Des arguments sont
avancés : téléchargement pirate ? profusion d’œuvres, d’où leur
banalisation ? L’enquête semble oublier qu’en ces temps de crise et de
disette, on se privera prioritairement sur la culture.

9)Où va l’Eglise catholique ?

Nombreux papiers sur l’avenir du catholicisme. Avec souvent une
insistance sur « le retour de l’identité ». C’est ce que dit Marcel
Gauchet dans un entretien au Figaro (16/2) ; on parle beaucoup d’une
radicalisation « intégriste » de l’Eglise polonaise ; et d’un retour des
lefebvristes dans le giron papal…

10)Partis et organisations

UMP : Nouvelle campagne sur le thème « Imaginons la France d’après » ;
prochaines conventions nationales sur l’éducation, la santé, le sport,
les institutions…

Mobilisation des différents clubs (Tendance libérale de Novelli ;
Gaullistes de Fillon ; Centristes de Méhaignerie) pour faire entendre
leur petite musique différente…mais convergeant sur Sarkozy.

UFC-Que choisir : l’organisation persiste et signe avec sa taxe
exceptionnelle de 40% des profits des pétroliers pour le développement
des transports en commun.

Mouvement des idées
N °139( 24/ 2/06)

1)2007, pire que 2002 ?

C’est la thèse d’Erwan Lecoeur, directeur de l’Observatoire du débat
public, dans un long entretien publié dans Le Monde, 19/2. Il pense que
la mise en condition de l’opinion est pire qu’en 2002 :
catastrophisation permanente, rôle des médias, impuissance des
politiques. Parle de « forme de mutinerie permanente » de l’opinion, de
« tentation de la ruine », de « situation préinsurectionnelle ». Reste
la famille. Mais même là, on a « peur du jeune ». Forte demande de « 
retour à l’autorité ». Parle du partage, souvent chez la même personne,
entre retour à l’ordre et besoin de renouvellement. Trouve que Sarkozy
et Royal véhiculent cette idée. On oublie chez Sarkozy son libéralisme
économique pour ne retenir que sa « posture » de rupture. Mais rappelle
aussi que les gens vont rejeter « ceux qui sont plébiscités par les
sondages » et soutenus par les médias. Vont gagner ceux qui disent Non.
L’affaire de Bagneux nourrit ce besoin d’ordre.

2)Des non-consommateurs

Intéressante radiographie des Français à travers leur consommation in La
Tribune du 23/2. Une France qui vieillit. Qui vit en solitaire (10
millions vivant seuls ou en famille mono-parentales sur 24 millions de
foyers !). Pour la majorité des commentateurs ( sauf Lipovesty), on est
en face de gens passés « en résistance » ( aux marques, aux modes, à la
publicité). Une culture « alter » qui se répand : 24% des Français « 
opposants à une culture marchande ». Une véritable « contre-culture ».
Une « société de la peur ». Un « nonisme » qui traduit « une insurection
des consciences faces aux dérives de la modialisation »

3)Culture :retour du politique

Nombreux papiers sur le retour de l’engagement en art, en culture, sur
le contenu politique d’œuvres ces derniers mois. C’est notamment le cas
pour le cinéma.
A commencer par le cinéma américain. Voir le bon dossier du Monde du
22/2. Exemples : les derniers Clooney sur le maccartysme ou sur la
corruption des pétroliers. Déclic joué par Michael Moore en 2004.
Cela vaut pour le cinéma britannique où les producteurs indépendants
multiplient les films sur le naufrage de l’Afrique ; sans parler du
récent « Lord of war » sur le trafic d’armes. Voir l’analyse du Monde (12/2)
En France, on pense au dernier Chabrol inspiré de l’affaire Elf.
On parle aussi beaucoup d’un « palmarès politique » pour la dernière
Berlinale : primés des films sur Sarajevo, sur le 11 septembre.
Dans la même rubrique, mais plutôt sur un mode nationaliste, voir le
très spectaculaire triomphe en Turquie d’un film de guerre…anti-américain.
Pour la musique : voir le contenu, fort, des chansons de rap de Diam’s
sur les cités (Le Monde, 21/2).

4)Justice, politique et médias

Sont volontiers avancées la thèse que, derrière l’affaire de la
commission d’enquête sur Outreau, le politique retrouverait sa
légitimité mais aussi l’idée ( cf le juriste Guy Carcassonne, Le Monde,
19/2) que se noue une sorte d’alliance entre politiques et journalistes
contre les magistrats, après une première phase = politiques + juges
contre les journalistes, puis = juges et journalistes contre les politiques…

5)Etat de la jeunesse

Sondage de la JOC auprès de 30 000 jeunes (15/30 ans). « Inquiets,
désabusés, pessimistes ». Sévères sur la formation suivie, très forte
envie de travailler, sans illusion sur l’avenir de leur génération,
ignorants d’une bonne partie de leurs droits sociaux. Hésitants sur
l’engagement collectif, décidés à s’en sortir seuls. On retrouve le
divorce de leurs aînés entre un pessimisme massif sur l’avenir de la
jeunesse (70%) et une confiance sur leur propre avenir (70%).
Le sociologue Louis Chauvel souligne « la décote de la valeur du jeune »
 : »En 1977, l’écart de salaire entre les 30 et les 50 ans était de 15% ;
il est aujourd’hui de 40% ».
Problème particulier des jeunes pour louer ou acheter un appart ;
l’immense majorité des 2 millions de demandes de logement social émane
des moins de 40 ans ».
Papiers convergents sur la peur du jeune (en Angleterre, on a invité une
arme à ultra son, uniquement perceptibles par les ados, pour leur donner
la chasse dans les cités…)

6)L’info alignée

La censure de l’émission Capital fait parler, un peu. Deux sujets
coupés, l’un sur la Logan, l’autre sur La Française des Jeux.
Voir les commentaires de Daniel Schneiderman in JDD, 19/2.
En l’occurrence une censure moins politique qu’économique ; comme si
désormais les publicitaires faisaient les programmes.
Voir la chronique désabusée ( rien de changé en matière de contrôle de
l’info) de Marc Dugain In le Figaro du 22/2.
Sortie du livre de Monique Dagnaud, les artisans de l’imaginaire, Armand
Colin. Cette universitaire, ancienne du CSA, enquête sur les fabricants
de la télé, les réseaux, les demandes du public, les réponses des
producteurs.
Voir in Libération 23/2 les liens Elkabach- Sarkozy…

7)Machisme : de beaux restes

Alors que l’info sur les violences conjugales (une femme en meurt tous
les quatre jours…) est passée sans faire trop de vagues, quelques échos
d’un retour affirmé de machisme.
Pleine page du Figaro pour saluer l’ouvrage de son éditorialiste
politique, Eric Zemmour, le premier sexe, Denoël ; il dénonce « 
l’effacement des hommes » et l’envahissement de la société par « le
féminin » (9/2).
Sortie d’un roman de la même eau sur la prétendue « dévirilisation »
ambiante : La guerre sexuelle, de Frédéric Pajak (Gallimard).
On apprend qu’en Russie, Poutine vient de remettre à l’honneur ( date
fériée !) « le jour de l’homme »…(presse du 23/2)

8)Entreprises : CAC40 et PME, le fossé s’élargit

Article du chroniqueur économique du Figaro (24/2) s’inquiétant du fossé
qui se creuse dans le monde de l’entreprises entre les vedettes du CAC40
et la masse des PME.
Quelques chiffres : on compte en France 2,4 millions d’entreprises ; 2,3
soit 96% ont moins de vingt salariés ; 80 000 entre 20 et 250 ; 5000 ont
plus de 250 salariés.
600 sont en Bourse dont 40 au CAC.
70% des PME n’ont pas lancé de nouveaux produits depuis 5 ans.
Le monde des uns « n’a rien à voir » avec celui des autres ; leurs
relations sont schizophréniques : d’un côté les PME sont des « 
sous-traitants actifs », de l’autre ils subissent de fortes « tensions »
des grandes firmes.

9)Stéphane Courtois de retour

L’ineffable Stéphane Courtois, le coordinateur hystérique du « Livre
noir du communisme » revient avec « Le jour se lève. L’héritage du
totalitarisme en Europe. 1953/2005 », Rocher.
Sa thèse : la jeunesse d’Europe à nouveau séduite par « les vieux démons
hitlériens, staliniens ou guévaristes » ! « Les idées de violence et
d’utopie, de révolution et de dictature de la pensée trouvent à l’aube
du XXIe siècle un nouveau souffle »
A réussi à réunir 22 historiens et politologues pour cet essai où l’on amalgame « les saluts fascistes dans les stades de football aux tee
shirts à l’effigie du KGB en passant par la profanation des tombes »…

10)Partis

UMP : Sarkozy expose son projet pour l’école (Figaro, 22/2), expression
d’un ultralibéralisme sans vergogne ( éclatement, concurrence,
inégalités) mais sa proposition d’abandonner la carte scolaire suscite
un débat.

UDF : sortie du livre « La croissance ou le chaos » de Christian Blanc,
qui montre la parfaite similitude de vues libérales entre UMP et UDF.

LCR : sortie aux Presses universitaires de Rennes d’un livre sur « la
LCR, 1968/1981 » de JP Salles. Pic d’adhérents en 1977 (3800) ;
privilégie l’adhésion de jeunes (et faiblesse ouvrière).

Internet : nombreux papiers sur le PS qui recrute par Internet.

Selon Le Figaro du 18/2, l’université de technologie de Compiègne a
réalisé une « cartographie » de 260 blogs politiques ; ceux de droite
seraient plus organisés, militants, efficaces ; ceux de gauche plus
dispersés…

MEDEF : installation de D. Gautier-Sauvagnac à la tête de l’UIMM
(Métallurgie), un homme d’appareil et non un patron ; nomination
interprétée comme une façon de bétonner en « période troublée ».

CFDT : recul confirmé dans le privé lors du renouvellement des CE en
2004 ( 20 points, -2,2 points, soit –10% de son électorat) , son score
de 1980, alors que la participation est à la hausse (65%).

Mouvement des idées
N °140( 3/3/06)

1)Banlieues : la désespérance s’élargit

La révolte des banlieues est l’objet de plusieurs recherches.
Une semaine d’étude à l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences
sociales).
La sortie d’ouvrages collectifs : « Banlieues, lendemains de révolte » à
La Dispute ; et « Quand les banlieues brûlent, retour sur les émeutes de
novembre 2005 », notamment de l’excellent sociologue Laurent Mucchielli,
à La Découverte.
Ce dernier insiste surtout sur « la source quotidienne du sentiment
d’injustice et d’humiliation » des jeunes, « leur relation à la police »
(leur haine des « keufs ») qui a été le détonateur (plus que la
solidarité avec les deux jeunes morts de Clichy).
Autre excellent chercheur, Stéphane Beaux (et Michel Pialloux), à La
Dispute, souligne que la révolte a montré que « la désespérance sociale,
autrefois réservée aux membres les plus dominés du groupe, semble bien
avoir gagné d’autres fractions du groupe des jeunes de cités, les jeunes
ouvriers et les bacheliers, qui en étaient jusque là un peu mieux
protégés ».
Sortie aussi de l’ouvrage « La révolte des banlieues ou les habits nus
de la République » de Moulier Boutang Yann aux éditions Amsterdam (voir
revue de presse hebdo du 24/2).

2)Qui se cache derrière les « déclinologues » ?

Intéressante enquête sur deux pages du Monde du 25/2, « Pour qui roulent
les déclinologues » ? Montre comment, lancée par l’historien droitier
Baverez en 2003, la campagne a fait tache d’huile, engendre une moisson
de livres, de rapports, de romans même ! Comment cette campagne traverse
tout l’Occident (il n’y a jamais eu autant de livres sur le déclin
américain aux USA…) ; comment elle est pilotée par les libéraux (Bébéar
et l’Institut Montaigne, Camdessus), comment elle droitise la droite
(UMP), comment Sarkozy surfe sur le courant pour conforter l’idée d’une
rupture libérale.

3)Emploi en tête

Batterie de sondages dans la semaine qui tous indiquent ou confirment
que la question du chômage est de très loin la préoccupation n°1 des
Français, loin devant les autres questions. Dans un rapport de 2 à 1
entre emploi (40%) et sécurité (20%).
Or ( ?) les médias accordent à ces sujets un intérêt très exactement
inverse ; idem pour la rhétorique sarkozienne, ciblée sur la sécurité,
discrète sur le social.

4)Pensée unique en Europe, suites.

A lire l’enquête du Figaro du 1/3 sur l’aggiornamento en préparation du
parti conservateur britannique, décidé à disputer au « centre » le
terrain de Tony Blair. Sur fond de libéralisme, ce parti entend adopter
un discours de « compassion » et de préoccupations sociales.
Même tonalité en Allemagne où l’alliance droite-SPD produit un discours
consensuel et « centriste ».
Nombreux papiers aussi sur l’Italie où subsiste la droite berlusconienne
mais on remarque le soutien spectaculaire de Helmut Khol …au discours « 
centriste » de Romano Prodi.

5)Pébereau, gourou de Breton

Dossier dans Le Figaro Economie du 28/2 sur Thierry Breton et son « 
agitateur d’idées », Michel Pébereau. Le patron de BNP Paribas, présenté
comme « le parrain » du capitalisme français, préside l’Institut de
l’Entreprise ; auteur du rapport sur la dette.
A noter : Michel Pébereau signe régulièrement dans le JDD une chronique
consacrée… aux livres de sciences-fiction !
Dans la rubrique « gourous », notons que le social libéral Alain Minc,
gourou du journal Le Monde, se fait épingler par Le Figaro (2/3) pour
avoir été le conseiller financier de l’italien Enel dans son Opa contre
Suez.

6)Sectarisme anti-Onfray

Jean Ristat a raison, dans son édito des « Lettres » (28/2) de souligner
la violence du sectarisme du Monde contre Michel Onfray. Le chroniqueur
philosophique, Roger Pol Droit, parle de « démagogie », de « 
paléoniaiseries », assimile Onfray à Jdanov et Staline ! Qualifie de « 
fable » l’idée d’une « philosophie dominante ».
N’empêche : au hit-parade 2005 des essais, c’est le traité d’athéologie
d’Onfray qui arrive en tête.
Alors qu’Onfray est ainsi invectivé, retour en force après un bref
purgatoire de Finkielkraut dans les grands médias ; conforté à présent
par Luc Ferry (voir sa sortie sur les violences faites aux femmes par
les musulmans, in LCI).

7)Politique et cinéma

A lire l’analyse de Thomas Sotinel in Le Monde du 2/3 sur le « retour »
du politique dans le cinéma et surtout sur le décalage entre les cinémas
français et américain, « le contraste entre la réticence des
réalisateurs français à faire irruption directement dans le débat
politique et l’enthousiasme des Américains à le faire ».
Le papier souligne le poids de l’héritage communiste … à Hollywood : « 
Les sympathisants communistes qui avaient apporté sur les plateaux
californiens les leçons de l’agit-prop apprises sur les scènes de
théâtre new-yorkaises ont été envoyés en exil ou en prison par le
maccarthysme, l’enseignement est resté, tout comme la conviction que les
œuvres d’art pouvaient influer sur le cours de la vie publique ».
Sortie en France du film turc « anti-américain » déjà mentionné ici.

8)Déprime dans les campagnes

Plusieurs papiers ( dont longue analyse dans Figaro du 3/3) sur « 
l’étrange sinistrose qui ronge les campagnes » ; on parle de « desamour
entre les paysans et le pays, de non-reconnaissance des paysans, de
non-intégration, de « racailles des champs »…

9)Antiféminisme

La double page du dossier Livres du Monde sur les femmes est
significative d’un air du temps anti-féministe. Il y est question d’un
livre d’Alain Touraine (Le monde des femmes) où l’on parle beaucoup d’un
« grand retour du sujet », d’un « retour sur soi, sur le corps » ; un
ouvrage américain (Les femmes et la vie quotidienne) où le féminisme est
qualifiée de « déraison progressiste » et où on prône le « renouveau
domestique » ; enfin un « Livre noir de la condition des femmes », un
collectif plutôt socialisant vu les auteur(e)s, mais dirigé par
Christine Ockrent ( !) qui dans la préface assimile « altermondialisme »
et tolérance pour « l’excision ou la polygamie »…

10)Partis

PCF : légère remontée de MGB et du PCF dans le baromètre Figaro Sofres
de mars ; plus généralement, le même indicateur montre une petite
relance de la gauche et un recul général de la droite.

Mouvement des idées
N °141 ( 10 / 3/ 06)

1)Communautarismes

C’est un des sujets les plus traités ces jours-ci dans les commentaires
et analyses. Il y a le sentiment qu’une nouvelle étape aurait été
franchie dans la désagrégation du tissu national avec (l’échec de) la
manifestation pour Ilan. Du repli de chaque communauté sur elle même.
Voir l’édito de JF Khan in Marianne (4/3) ; ou l’analyse de Piotr
Smolar, « L’adieu à la nation », in Le Monde, 4/3.
L’opinion des cadres, interrogés par Louis Harris et Le Figaro (6/3),
reflète sans doute un sentiment assez général : 70% sont hostiles à la
tendance au communautarisme mais 70% également jugent inéluctable ce
phénomène.
Instrumentalisation politique des communautés par Sarkozy, voir
l’enquête du Monde, 8/3/6 ; ou par Larcher qui oppose jeunes des cités
et jeunes des manifs (Figaro 9/3).
Progressive sensibilisation sur le crime raciste de Lyon.
Sur les minorités « visibles » comme on dit, plusieurs papiers estimant
que TF1 a marqué un point sur le service public ( !) en nommant un
journaliste martiniquais comme remplaçant occasionnel de PPDA.
Page du Monde (10/3) sur une candidature noire en 2007.

2)Les Français et les fonctionnaires

Sondage IFOP-Le Monde (7/3) à l’occasion du Salon de l’emploi public,
montrant l’attachement des Français au maintien des effectifs des
fonctionnaires ; le rejet de l’idée qu’il y aurait trop de
fonctionnaires ; 96% ( !) rejettent notamment cette idée concernant les
hôpitaux publics.
En fait plus l’administration est proche du citoyen et rend un service
concret, plus l’envie de voir les effectifs maintenus ou renforcés est
forte.
Massivement opposés au moins d’Etat mais partisans du mieux d’Etat.
Majoritairement favorables aux discriminations positives en matière de
recrutement dans les administrations (pour les femmes, les habitants des
quartiers, les Français d’origine étrangère).
82% de parents encourageraient leurs enfants à postuler dans le public.

3)Exception française et antilibéralisme

Long entretien avec le politologue américain Ezra Suleiman (Figaro,
10/3) qui dénonce « l’exception française », cet attachement à l’Etat,
aux fonctionnaires, « l’exigence irréaliste qui ne se manifeste dans
aucun autre pays : échapper à la précarisation inhérente à tout parcours
professionnel » ; »l’antilibéralisme est spontané dans de larges franges
de la société, inculqué dès le plus jeune âge. Et le beau mot de libéral
est presque devenu une insulte ». « L’antilibéralisme est hégémonique »
 ; Dit encore que le PS n’est pas à la hauteur ; la raison ? « Le PCF est
toujours là »…

4)Le « patriotisme » fait débat à droite

Les choix économiques du gouvernement et sa rhétorique « patriotique »
font débat à droite. Dans Le Figaro notamment, plusieurs papiers
d’analyse sur les risques d’un retour à « l’économie mixte », les
dangers d’un retour de l’Etat dans les choix industriels et d’une mise
en cause « des groupes étrangers », alors que ces derniers occupent une
large part de l’économie française. Et aussi « le risque d’entamer la
crédibilité de l’ensemble du capitalisme français dans l’opinion » (4/3)
Parisot du Medef dans les Echos du 8/3 estime que « le patriotisme
économique n’est pas la meilleure façon de créer de la croissance ».

5)Fragilité de la famille populaire

Intéressant entretien du sociologue Louis Chauvel (7/3) sur le sacrifice
de la jeunesse ; bons chiffres sur la paupérisation en cours, sur les
inégalités entre jeunes ; au passage, et alors qu’un discours moraliste
sur la famille fait florès, de Sarkozy à Royal, il montre combien la
solidarité intergénérationnelle ne peut guère fonctionner dans les
familles les plus pauvres : « les ruptures familiales sont plus
nombreuses en milieu populaire ».

6)La droite européenne se recentre ?

La convention nationale du Parti populaire espagnol ce week-end à Madrid
semble confirmer, après les évolutions du parti conservateur britannique
et ceux de la démocratie-chrétienne allemande, un certain « recentrage »
de la droite européenne. Look modernisé, nouveau programme ( vote des
immigrés aux municipales, rôle de l’Etat pour défendre l’énergie…), il
s’agit de « revêtir les habits d’un parti centriste modéré » dixit Le
Figaro (6/3).

7)Furet (et Arendt) réfuté

Sortie chez Albin Michel de « Le révisionnisme en histoire. Problèmes et
mythes » de Domenico Losurdo. Ce philosophe italien, marxiste de gauche
comme il dit, membre de Rifondazione comunista, réfute les thèses de
Furet pour qui la Terreur (et la Révolution) était le résultat de
l’idéologie « égalitaire ». Etude comparative des révolutions française,
américaine et anglaise. Et réhabilitation du modèle révolutionnaire
français.

8)USA : une société de plus en plus inégalitaire

Etude de l’association « En temps réel » (*_http://entempsreel.org
<http://entempsreel.org/> _*), intitulée « La préférence américaine pour
l’inégalité ». Deux économistes pointe l’augmentation des inégalités, la
détérioration du sort des plus démunis ; depuis 1980, 5% des plus riches
ont vu leurs revenus doubler, 5% des plus pauvres n’ont rien vu ; entre
1990 et 2001, les patrons ont quadruplé leur rémunération, quand le
salaire minimum est tout juste stabilisé. « Les populations à faibles
revenus auraient été mieux traitées en France » dit l’étude.
Aggravation des inégalités à l’école : aux USA, l’école est financée par
une taxe foncière liée au prix de l’immobilier ; les écoles des
meilleurs quartiers sont mieux dotés…
Quant au marché du travail, il n’est pas aussi performant qu’on le dit.
« En temps réel » est l’héritière de la (sociale-libérale) Fondation St
Simon.

9)Le retour de BHL ?

Très nombreux commentaires sur la tournée américaine de BHL et son
dernier livre « American vertigo » (Grasset).
Tendance à assimiler anticapitalisme et antisémitisme, ce qui ne fait
que retourner un argument antisémite. Redit dans le JDD (26/2) : Je
disais déjà dans L’idéologie française que le cœur du fascisme résidait
dans la haine phobique de l’argent et de l’Amérique ».
On retiendra à son propos cette citation du directeur des Inrockuptibles
 : »La figure de BHL incarne l’état de profond délabrement de l’espace
public :comment peut-il être tenu pour imposteur par 99% des
universitaires et soutenu par 99% des journaux ? Voilà une assez bonne
mesure de la crise de légitimité qui affecte la presse dans notre pays ».

10)Partis, associations.

UMP : le courant libéral continue de s’y structurer ; a obtenu le
soutien de barons (Balladur, Gaudin, Méhaignerie) ; une Mutualité le 7/3
(800 personnes) pour définir leur programme : fiscalité, baisse dépenses
publiques, privatisation assurance-maladie, interdire à l’Etat
d’intervenir dans la négociation sociale, désormais du seul ressort des
« partenaires sociaux ».
Asnières, laboratoire sarkoziste : article sur la gestion de la ville
par Mnuel Aeschlimann,prof de Sciences Po et stratège du patron de l’UMP
(Le Monde 8/3)

Villepin cassé : sortie très médiatisée de « La Tragédie du président »,
le dernier livre de Franz-Olivier Giesbert, patron du Point, qui casse
de Villepin (« prince de la dissimulation ») et épargne Sarkozy.

Cadres : Moral en chute libre. C’est ce qu’indique le sondage
Figaro/Louis Harris.

Mouvement des idées
N °142 ( 17 / 3/ 06)

1)L’état de l’opinion 2006

Sortie du nouvel annuaire de la Sofres : « L’état de l’opinion » (Seuil)
 ; on retiendra notamment l’article « Valeurs idéologiques : la France à
la recherche d’elle même » d’Emmanuel Rivière. Pessimisme collectif au
plus haut niveau ; forte attente (insatisfaite) à l’égard des
politiques, attente de changements ; doutes qui traversent la société en
matière de choix économiques, de références identitaires, de choix
éthiques ; un terrain fertile, dit l’auteur, pour le discours sur le
déclin national.
A noter les développements sur « la fracture générationnelle » et « la
France qui doute de sa jeunesse », sur la peur de la mondialisation et
sur l’attachement à l’Etat.

2)Valeur travail

Dans le même annuaire, lire l’article de Eric Chauvet sur « les
salariés, le travail et l’entreprise ». Une analyse déjà connue, qui
conforte toutes les enquêtes récentes et que l’auteur résume ainsi : « 
Constat plutôt désabusé des salariés interrogés : il ne s’agit pas d’une
crise de la valeur travail mais bien d’une crise de confiance à l’égard
de son entreprise et plus précisément d’une crise des anticipations :
une large partie des salariés semblent penser aujourd’hui que
l’entreprise ne reconnaîtra pas leurs efforts et dès lors s’interrogent
sur la pertinence de leur investissement professionnel ».

3)Les mots de la propagande libérale

Succès de librairie de l’ouvrage « LQR. La propagande du quotidien » de
Eric Hazan , éditeur, chez « Raisons d’agir », la maison d’édition du
fils Bourdieu. LQR = Lingua Quintae Respublicae, la langue de la Ve
République, est un glossaire des termes du libéralisme qui se sont
invités dans le langage courant. Genre exlus, personnes de condition
modeste, demandeurs d’emploi, mouvements sociaux, entrepreneurs,
valeurs. Ou la langue de bois libérale qui peu à peu envahit le paysage
(et le 20 heures).

4) Retisser le lien avec la banlieue

Un nombre impressionnant d’articles (et d’initiatives) sur les multiples
tentatives qui se tissent pour renouer les liens avec les cités (et les
jeunes concernés).
Sur la question collatérale des musulmans en France, on lira une étude
de « International Crisis group », think tank européen (Le Monde, 11/3)
qui montre que leur malaise est politique et non religieux ; les
propositions formulées sont toutes politiques : « Reconstruire des
formes de médiation non autoritaire entre les autorités et la
population, par exemple en redynamisant l’animation sociale et repensant
la police de proximité » ; « revoir l’allocation de logement social en
veillant au brassage ethnique » ; « définir les attributions du CFCM
comme organe de gestion du culte et non organe représentatif des
musulmans de France », »freiner les politiques de nature clientéliste et
communautaire à tous les niveaux de l’Etat ».

5)Capitalisme de connivence

Bonne dénonciation de Laurent Mauduit du Monde (11/3) du capitalisme de
connivence à la française, des liens organiques entre un certain
personnel politique et les chefs d’entreprise, l’arbitraire avec lequel
ils sont en train de liquider le service public. Mais l’alternative
qu’il propose, c’est le respect « des règles ouvertes du marché ».

6)Débat d’historiens sur 14/18

Enquête du Monde (pp 20/21) sur le vif débat qui traverse les historiens
sur la guerre de 14/18. Pas vu de telles batailles depuis les
affrontements Soboul-Furet des années 70/80.
Enjeu de pouvoir (les « installés » dans la machinerie parisienne genre
Annette Becker et consorts – plutôt deuxième gauche- contre des
chercheurs plus jeunes, plus provinciaux aussi –plus radicaux) ; enjeu
idéologique : les « officiels » insistent sur le sacrifice consenti des
poilus, la brutalisation intégrée, les critiques mettent l’accent sur
les contraintes, la répression, l’ordre des classes dominantes. Le
journal parle de la « défaite » des Becker and co.

7)Les ouistes sur Internet

Site internet « Telos » lancé par l’universitaire Zaki Laïdi, proche de
Pascal Lamy. Objectif : fédérer les intellos réformistes partisans du « 
oui » (une centaine), fournir aux « décideurs » des articles argumentés,
viser leur publication dans la presse.
Laïdi avait animé pendant trois ans « En temps réel », un club de
Strauss-Khan.

8)Retour des adhérents ?

Bon papier de JA Nielsberg dans l’HD sur « les partis politiques (qui)
font de nouveau recette ». Il rejoint plusieurs articles sur ce thème :
campagne d’adhésions au PS ; battage sarkosiste sur les adhésions
nouvelles à l’UMP ; à ce propos, l’UMP (Le Monde, 16/3) parle d’un « 
rythme d’adhésions et de réadhésions de 3500 par jour » ( ?). A noter le
souci umpiste de donner une visibilité à ses adhérents. Par exemple dans
les tribunes libres du Figaro, il n’est pas rare que des contributions (
de jeunes notamment) soient signées : « Adhérent de l’UMP ».

9)BHL (suite)

Déploiement médiatique en faveur du dernier livre de BHL sur son périple
aux USA. Interrogé l’auteur revient systématiquement sur la situation
française ; il se désole du discrédit de l’idée libérale ; et pointe ce
qu’il appelle la conjonction du maurrassisme et du jacobinisme. Un
discours entendu lors du référendum européen pour qualifier les
partisans du Non.
Sur BHL, on lira plus volontiers « Une imposture française » de Nicolas
Beau et olivier Toscer aux éditions Les Arènes.

10)Partis

PS : difficultés persistantes à organiser les états généraux du projet
du parti ; huit rendez vous étaient programmés ; le lancement prévu
début mars est repoussé au 25/3 (à Bondy) sur « la société solidaire » ;
la réunion prévue le 18/3 sur l’éducation est repoussée au 20 mai.

MEDEF : réelles tensions entre le clan des industriels (UIMM) et celui
des financiers et des services (Parisot) ; long commentaire du Figaro
Economie du 17/3.

Villiers : enquête Ifop qui indique que de Villiers gagnerait dans les
milieux ouvriers et FN ( Le Figaro, 16/3).



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