C. Le Nocher/Grognards

http://www.action-suspense.com/2017/12/gerard-streiff-grognards.net-ed.helvetius-2017.html

Gérard Streiff : Grognards.net (Éd.Helvétius, 2017)

Est-il vraiment indispensable de créer un nouveau parc de vacances et de loisirs, en lieu et place d’une forêt, à Châtel-Gérard, du côté de Montretout ? C’est un projet controversé, mais soutenu par des groupes de pression, et par le préfet Chouyet en personne. De nos jours, ces situations conflictuelles entraînent souvent la mobilisation des réfractaires. Là comme ailleurs, une ZAD a vu le jour. Dans la Zone À Défendre, on affiche une opposition plutôt festive, en organisant un pique-nique militant aux abords de la forêt. Mais le préfet décrète qu’il s’agit de troubles de l’ordre public. Ce ne sont pas ces zombies gauchos qui vont contrarier les enjeux financiers du futur parc, quand même ! Dirigeant la manœuvre, le préfet lance l’assaut pour les déloger, usant et abusant des grenades lacrymogènes. Au final, on retrouve un mort. Il est vêtu d’une tenue de grognard, de grenadier napoléonien.

Magali Bourgeade, environ trente ans, est pigiste pour une revue francilienne. Côté vie privée, elle a pour confident et amant occasionnel Raphaël Cineux, dit Racine, historien et libraire, aujourd’hui expert auprès du Crédit Municipal. Cultivé, il possède des relations en divers milieux. Sous le titre "L’insurrection qui revient ?", Magali est chargée d’une enquête journalistique autour des mouvements actuels de rébellion. Une nouvelle phase de la contestation s’installe-t-elle, avec des jeunes générations radicales ? Phénomène qui mérite d’être analysé, sans doute. La ZAD de Châtel-Gérard fournit un bon exemple. Elle se rend sur les lieux, rencontrant des militants méfiants autant qu’enthousiastes. Ils ont même récupéré le coûteux drone que le préfet Chouyet utilisa pour l’assaut. Les zadistes affirment ne pas connaître le mort déguisé en soldat de l’époque de Napoléon.

Lors d’une conférence de presse, le préfet confirme que la victime, Claude Ropert, n’avait rien à voir avec les olibrius de la ZAD. Ce sexagénaire, un haut-fonctionnaire membre de la Chambre des Comptes, faisait partie d’une association d’admirateurs de Napoléon. Ce qui n’explique pas totalement qu’on l’ait trouvé en tenue de grognard. L’arme à feu avec laquelle il a été abattu est un objet historique, dont étaient dotés les soldats d’alors. On a du mal à imaginer qu’il ait pu se suicider grâce à un tel fusil… Le préfet ne perd pas de vue son objectif : les jours suivants, il fait évacuer manu militari la ZAD. Magali retourne dans ce secteur. Si les contestataires ont été déplacés, ils ne semblent pas démoralisés. L’un d’eux, celui qui avait chopé le drone du préfet, manque à l’appel. Convaincue qu’il en sait beaucoup sur le meurtre de Claude Ropert, Magali tente de le retrouver.

Est-ce à cause de sa vie intime plus que tumultueuse et perverse, que l’on a supprimé l’amateur de déguisements napoléoniens ? Possible, mais il faudrait surtout s’intéresser au cursus de la victime. Et au manuscrit dans lequel Ropert racontait des souvenirs, évoquait des amitiés de longue date, où pouvoir et finances étaient mêlées. Le témoignage d’un de ses anciens amis éclairera les secrets de la victime…
Gérard Streiff : Grognards.net (Éd.Helvétius, 2017)

Un instant, elle hésita. Y aller ou pas. Elle repensait à ce que lui avait dit le commerçant barbu, l’autre jour, sur Ropert et ses histoires de libido.
Magali avait fait le premier déplacement sur la ZAD pour son boulot, certes, mais aussi en pensant trouver dans l’incident de Montretout, cette mort d’homme, une forme moderne de lutte des classes, une contestation radicale de l’ordre. Et elle était tombée, probablement, sur une histoire de coucheries. Claude Ropert était un addict du sexe qui s’était mis le canton à dos, façon de parler… Tout ça l’intéressait moyennement. Bref, elle était déçue mais par solidarité, par curiosité aussi, elle reprit son bâton de pèlerin.

Manifester en bon ordre, de façon plus ou moins solidaire, avec des slogans trop souvent répétés, c’est devenu inefficace, selon l’opinion d’un certain nombre de citoyens. Certains optent alors pour des actions concrètes, telle l’occupation de locaux vides pour héberger des personnes ayant besoin d’un toit. D’autres organisent des Zone À Défendre, des ZAD. On comprend en partie leurs arguments : est-il nécessaire de détruire des lieux naturels pour bétonner partout ? On admet aussi que certains projets ont un sens économique, et sont pourvoyeurs d’emplois. Vaste débat, où la complexité des dossiers ne permet pas toujours de se faire une idée juste de la question. Opposants et partisans campent sur leurs positions, pas moins agressifs les uns que les autres. Chaque camp gardant une part d’opacité sur ses motivations réelles, on le remarquera.

C’est ce contexte d’actualité qui sert de toile de fond à l’histoire racontée ici par Gérard Streiff, qui connaît fort bien les sujets sociaux. Un roman qui prend des allures de "conte moderne", car l’auteur ne prétend pas y refléter une réalité, mais un type de situation se produisant de nos jours. Certes, les temps changent, les combats se réorientent, mais les crapuleries de quelques élites n’évoluent pas tellement. Et quand on met le nez dans les "réseaux" de ce petit monde se croyant supérieur, ça sent toujours mauvais. Moins de transparence qu’on nous le dit, peut-être. C’ est avec un sourire quelque peu ironique, que l’on se doit d’observer tout cela, sans être dupes. Un roman fort sympathique.
Editions Helvetius

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