BOB Injey/Journal Le Patriote

Article Robert Injey du 11 octobre :
« Marchais avait un genre qui agaçait certains mais il avait aussi une constance qui permit au PCF de dépasser la dictature du prolétariat, le centralisme démocratique et le marxisme léninisme et de devenir un parti d’aujourd’hui » D’emblée Gérard Streiff pose l’ambition de son livre. Donner à voir une image de Georges Marchais qui dépasse les idées reçues et l’image caricaturale que les « nouveaux chiens de garde » n’ont eu de cesse d’essayer d’imposer.

Ces derniers n’ont jamais eu la main légère pour tenter de décrédibiliser Georges Marchais. Gérard Streiff ne manque pas de rappeler, entre autres, les écrits au lendemain de son décès de deux éditorialistes qui sévissent toujours vingt ans après. Pour Laurent Joffrin, « une vie entière dépensée au service de l’erreur », pour le second, Jean-Michel Apathie, « toute sa vie Georges Marchais s’est battu pour un mensonge ». Loin des apôtres de la pensée unique, d’autres éditorialistes pointaient une autre réalité. À l’image de D. Johnson du Guardian pour qui « avec sa rhétorique dialectique, Marchais conservait le vieux communisme tout en annonçant le nouveau ».
 
Marchais devient le premier dirigeant du Parti en 1969 après le retrait de Waldeck Rochet pour cause médicale. Il « hérite » alors d’un « parti électoralement puissant mais un parti sclérosé (...) où la réflexion est souvent gelée après la libération (...), un parti lié au modèle soviétique ». Un parti déjà engagé, sous l’impulsion de Waldeck Rochet, dans l’Union de la Gauche, une « stratégie qui conduit à une recomposition de la gauche au détriment des communistes ». Georges Marchais, avec l’appui de quelques autres dirigeants, en particulier de Jean Kanapa, va devoir gérer ce double héritage et faire évoluer le PCF.
Le faire évoluer à l’échelle internationale dans ses relations avec le PCUS en essayant de se dégager de l’étreinte soviétique et en mettant en avant « une différence de conception du socialisme qui existe entre français et soviétique ». En parallèle il y a la tentative pour un eurocommunisme qui suscita une réelle attente.
Sur le plan intérieur, il y a le style Marchais qui casse les codes, un peu coincés, du monde politique à la fin des années soixante. Il engage un profond renouvellement idéologique pour dépasser l’idée d’un « Parti hostile aux libertés », c’est la publication du « Défi démocratique ».
Il y a enfin une très grande lucidité, dès l’été 71 (lettre à Jean Kanapa) « sur les illusions et les confusions que peut créer la démarche unitaire au sein même du PCF ». Dès 1974, Marchais doit faire face au défi de l’engrenage à gauche du rééquilibrage au profit de Mitterrand et du PS. Refusant le repliement ou la marche arrière, Georges Marchais fait le choix de l’intervention populaire.
Ces années marquées par des innovations fortes voient le PCF confronté au « choc » électoral de 1981 et le décrochage d’une partie importante de son électorat. L’analyse de ce décrochage a fait l’objet d’un vrai travail (Enquête Michel Simpon/Soffres 1983) sur lequel Gérard Streiff revient et qui pointe les difficultés pour le PCF d’incarner efficacement une alternative.
La fin du mandat de Georges Marchais sera moins marquée par les reculs électoraux (le PCF entre les législatives de 1986 et de 1993 se situe dans une fourchette de 9 à 11 %) que par les bouleversements liés à l’effondrement du bloc de l’Est et la disparition de l’Union soviétique. Une période où l’affrontement idéologique est violent et où les médias claironnent que la disparition de l’URSS signerait la mort du communisme. Pour G. Marchais, « les événements d’Union soviétique nous font beaucoup réfléchir mais ils ne peuvent en rien nous détourner de notre engagement ».
Le livre de Gérard Streiff est dense. L’auteur ayant travaillé dès 1973 au cœur même de « l’appareil communiste », il ne lui aurait sans doute pas été très difficile de faire une compilation d’anecdotes et de petites phrases. Tel n’est pas son choix rédactionnel. Avec raison il préfère aller à l’essentiel pour faire ressortir l’apport de Georges Marchais sans occulter les interrogations, les échecs, les regrets. Il donne des clés pour sortir des raccourcis, des caricatures, pour mieux connaître et mieux comprendre cette période.
Ce livre est aussi une invitation pour mieux connaître le personnage Marchais et cette période de l’histoire politique. Hormis les ouvrages à charge des habituels zélateurs de la pensée unique, trois autres ouvrages méritent d’être mieux connus.
 
Il y a la bibliographie de Thomas Hofnung, journaliste à Libération : "Georges Marchais, l’inconnu du Parti communiste français" aux éditions l’Archipel. Un ouvrage qui ne juge pas mais est le fruit d’un travail d’enquête sérieux. Il y a un autre livre de Gérard Streiff Jean Kanapa, 1921-1978, une singulière histoire du PCF (l’Harmattan 2001 deux volumes). Un livre qui donne à voir des rapports entre Marchais et Kanapa, essentiel pour comprendre cette période. Enfin dans le débat du PCF, il y a le livre, plus polémique, de Roger Martelli qui porte un regard différent sur l’après 1981, "L’occasion manquée, été 1984, quand le PCF se referme" aux éditions Arcane 17 (2014).
Ce livre devrait intéresser celles et ceux qui ont connu cette période, mais aussi celles et ceux qui, dans les conditions de ce début du XXIe siècle, poursuivent le combat pour l’émancipation humaine. Car si les recettes de l’avenir ne sont pas dans le passé, celui-ci donne un éclairage, parfois très instructif, sur le présent...

Robert Injey



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