Didier Daeninckx

Bonjour Gérard,

Je viens de terminer ton livre consacré à Georges Marchais, et cette lecture m’a replongé dans le souvenir d’une période où je me suis définitivement éloigné du carcan du PCF pour sauvegarder une vision humaine de l’engagement.
L’un des moments les plus intenses, pour moi, réside dans l’activisme militant d’une partie de l’appareil communiste français, entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1981,et singulièrement en Seine Saint Denis, pour le vote révolutionnaire en faveur de Valéry Giscard d’Estaing. En cela, cette fraction de l’appareil appuyait la démarche de l’ambassadeur d’Union soviétique venu conforter le candidat de la droite française, visite que tu relates sans signaler qu’elle correspondait aux voeux d’un courant. On les retrouvera bien plus tard, approuvant jusque dans les colonnes de l’Humanité, la tentative de putsch identitaire qui a abouti à la destitution de Gorbatchev puis à la dissolution de l’URSS.
Ton livre m’a surtout remis en mémoire trois moments où Georges Marchais a pesé sur mes choix.

Le premier s’inscrit dans la soirée où il est intervenu en direct depuis Moscou, je crois que c’était sur TF1, pour approuver bruyamment l’intervention fraternelle des chars soviétiques en Afghanistan. Ce soir-là, Jack Ralite (qui deviendra ministre mitterrandien six mois plus tard), faisait profession d’anti-socialisme primaire dans le cadre de l’élection présidentielle à venir, et il avait convoqué une assemblée des gens de culture du département dans le hall de la mairie d’Aubervilliers. Encore adhérent pour quelques semaines au PCF, dans la cellule Ho Chi Minh que dirigeait le même Jack Ralite, j’avais pris place dans la salle. L’ordre du jour avait été bouleversé par l’intervention (sans jeu de mot) de Marchais et transformé en écoute collective des propos télévisés du Secrétaire général. J’étais atterré tant par la morgue satisfaite de Marchais que par le suivisme de l’assistance. Jack Ralite avait ensuite commenté positivement et donné la parole au public. J’avais été le seul à prendre la parole pour dire le dégoût profond que m’inspirait la pantalonnade moscovite. Pour me faire taire, Jack Ralite avait pris son air goguenard : « Je te connais bien, Didier, et depuis longtemps. Chacun sait que tu es un enfant du Programme commun ». En clair un social-traître. L’ironie est mordante quand on sait ce qu’il allait incarner, le ministre ébloui par le président, et que les droitiers du PCF allait lui reprocher pendant des années. J’avais rétorqué : « Oui, mais toi Jack, chacun sait que tu es un enfant de Staline ».
Un tac au tac, une punchline comme on dit aujourd’hui, qui est pour moi la vérité profonde de ce personnage, une vérité habilement masquée par les postures. Ton chapitre au sujet de cette intervention télévisée signale que Georges Marchais, bien plus tard, estimait avoir été piégé par les Soviétiques. La même mésaventure était arrivée à Waldeck Rochet, en 1968, tu le rappelles. La trahison brejnévienne avait eu raison de sa raison.

Le deuxième moment gravite autour de la collusion d’une autre partie de l’appareil communiste avec l’extrême-droite, peu après le naufrage de l’URSS, quand les signatures de membres du Comité Central du PCF voisinaient celles de Alain de Benoist, hérault de la Nouvelle Droite, dans les colonnes de l’Idiot International, quand des comités du PCF organisaient des colloques avec ces mêmes individus, quand Edward Limonov pouvait vendre ses papiers abjects sur les guerres yougoslaves aussi bien à Révolution (PCF) qu’au Choc du Mois (extrême-droite), que le PCF ne trouvait pas rédhibitoire que ce personnage reçoive des cours de tirs à la mitrailleuse lourde sur Sarajevo avec le criminel de guerre Karadjic comme instructeur. Effrayé par ce dispositif rouge-brun, j’avais écrit une lettre circonstanciée à Georges Marchais qui m’avait répondu en condamnant ces rapprochements contre-nature, écrivant qu’entre l’extrême-droite et le PCF il y avait du sang. La liste serait trop longue de ceux qui participaient à cette collusion de toutes les perditions. Je ne citerai que le nom de Alain Soral, militant communiste de choc, adhérent de la cellule parisienne Paul Langevin et qui tenait déjà des propos nationaux-socialiste (qualificatifs qu’il revendique aujourd’hui) depuis sa table d’invité au Village du Livre de la Fête de l’Humanité. J’avais confié la lettre de Georges Marchais à un journaliste du Canard Enchaîné, puis Edwy Plenel, dans Le Monde, avait produit six pages d’analyse du phénomène « rouge-brun ». Cette mise en lumière avait provoqué le retour à l’ombre momentané de ces partisans de l’effacement des frontières historiques et idéologiques. Quelques temps plus tard, un nouveau bubon purulent pris le nom de Roger Garaudy, philosophe stalinien, dirigeant du PCF, oppositionnel, khomeniste, passé avec armes et bagages dans le camp des négationnistes de la Shoah. Ils ont depuis trouvé de nouvelles manières de s’acquoquiner.

Le troisième moment est plus cocasse. On sait assez peu que Georges Marchais était lecteur de roman policier, et qu’il ne détestait pas lire ou relire les enquêtes aventureuses d’Hercule Poirot, le détective belge inventé par Agatha Christie. Il avait été assez attristé, comme des millions d’amateurs, de la publication, en 1976, du dernier volet de la série Poirot quitte la scène, roman dans lequel Agatha Christie fait mourir son personnage afin que personne ne puisse lui faire agiter ses petites cellules grises après la disparition de l’auteure. C’est pour protester contre cette destruction injuste d’un héros littéraire qu’à l’adresse de la romancière, il titrera son livre paru en 1980 Laisse Poirot présent que les éditions du PCF retitrerons plus platement L’Espoir au présent.

Amitiés



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