La droite, revue Ras l’front

Article Revue Ras l’front (?)

Radicalisation de la droite
Projet, thèmes et limites

Gérard Streiff, journaliste, historien. Communiste.
Auteur de « Jean Kanapa. Une singulière histoire du PCF », L’Harmattan, 2001.

PROJET

La radicalisation de la droite est un phénomène qui s’observe aux quatre coins du monde. Le mouvement est parti des pays anglo-saxons, il y a un quart de siècle, déjà. A l’aube des années 80, il fut initié par le Républicain Ronald Reagan aux Etats-Unis et par la conservatrice Margaret Thatcher en Grande Bretagne. Leur programme ? ultralibéralisme, autoritarisme, démantèlement de l’Etat social. A cette époque, la droite (parlementaire) française est prise à contre-pied : alors que le monde occidental vire à droite, la France passe à gauche ( 1981, expérience Mitterrand…). La droite, battue, est en crise et divisée. Une caractéristique de cette droite française, en effet, est son fractionnement, durable, inscrit dans l’histoire, entre plusieurs courants, plus ou moins structurés. Ainsi, en ce début des années 80, on repère assez bien les néo-gaullistes, les démocrates-chrétiens et les libéraux, lesquels sont alors minoritaires au sein de cette famille ( voir les déboires persistants d’un homme comme Alain Madelin notamment).
Dans le seconde moitié des années 80 ( l’offensive dite des « quadras ») puis durant la décennie 90 (avec la tentative Balladur), le courant libéral tente de s’imposer à droite. Mais les divisions internes, les résistances diverses du « modèle français » vont contrarier ces efforts ; en tout cas la droitisation de la droite ne s’opérera pas au rythme voulu par ses auteurs.

On assiste, depuis quelques mois, au sein de ce courant, à une accélération de ce travail de radicalisation. Parce que la droite doit gérer les impératifs nouveaux nés de la mondialisation, de ses échecs répétés ( régionales, européennes, référendum mais aussi la présidentielle de 2002), du poids persistant de l’ultra-droite ainsi que des ambitions politiciennes ( l’opération sarkoziste).
On voit donc la droite se chercher ouvertement une doctrine. Certes, ses divisions demeurent patentes entre souverainistes, centristes, chiraquiens ; le rapport de forces entre ces tendances peut bouger ; mais pour l’heure le courant sarkoziste prétend à l’hégémonie et formule le plus clairement cette volonté de radicalisation. Il ne s’agit plus d’une adaptation ponctuelle de son programme mais d’une remise en cause globale du « modèle français », tel qu’il est issu de la Libération, et plus généralement du modèle social européen ( voir les efforts parallèles de la droite allemande). Il en appelle à la « rupture » et à une sorte d’alternance au sein même de la droite.
Il ne s’agit pas d’ un simple « coup » circonstanciel mais du prolongement d’une longue évolution qui chemine à droite depuis vingt ans.
Ce renouvellement doctrinaire semble s’opérer avec méthode.
On se cherche des références théoriques. Il y a bien sûr Raymond Aron. Le récent centenaire de sa mort a donné lieu à quantité de papiers à la gloire de ce « penseur pour le XXIe siècle ». En même temps, Aron ne semble pas suffire à la tache. Françoise Fressoz, dans les Echos (11/3/05) rappelait par exemple que Sarkozy et les siens piochent volontiers, outre Aron donc, dans Tocqueville, Schumpeter, Mounier et John Rawls ; ce dernier est très apprécié pour sa théorie des inégalités efficaces. On parle encore de Benjamin Constant, de Pierre-Paul Royer-Collard, d’Adam Smith, de JB Say, de David Ricardo, B. de Jouvenel, Jacques Rueff et, last but not least, Fridriech von Hayek.
L’UMP, depuis plusieurs mois, tente de se doter, pan par pan, de nouvelles références sur les terrains de l’école, du travail, de l’immigration, de la fonction publique, de la politique économique, des valeurs, etc, au cours de Conseils nationaux spécialisés où planchent ses experts. Elle mobilise ses universitaires, ses chercheurs, ses économistes libéraux ; certains d’entre eux viennent de gauche voire d’une ultra-gauche, comme François Ewald, passé des maos à l’UMP via le haut patronat.
Elle s’appuie sur une machinerie partisane, des clubs de réflexion, des médias ; elle puise largement dans les travaux du patronat, lui même « radicalisé » depuis quelques années au sein du Medef ; elle trouve son énergie dans une classe habituée à dominer et bien décidée à durer.
Puisqu’il s’agit de sortir du modèle français, on s’intéresse de près, à droite, aux modèles étrangers, le modèle anglo-saxon singulièrement. (Le modèle danois a connu une gloire éphémère au printemps dernier ; il est un peu oublié aujourd’hui car la droite mesure mieux le coût de l’accompagnement social de cette politique… ). Le blairisme est suivi avec attention ; le savoir-faire de Blair en matière de privatisations, de gestion des inégalités, de communautarisme, d’atteinte aux libertés, de pression sécuritaire est ouvertement vanté par la nébuleuse sarkoziste. Tant il est vrai que cette droite radicalisée rêve de reconquérir non seulement du côté frontiste mais aussi au centre, voire à gauche.

THEMES

A suivre le discours de l’UMP, à lire sa presse, on distingue assez bien les fils rouges de cette radicalisation. Trois axes méritent d’être mentionnés.

1)Le démantèlement de l’Etat dans sa composante sociale au sens large. La droite est en guerre contre l’Etat social. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de la part d’une famille si durablement étatiste. Son discours est à deux vitesses : accroché à sa conception de l’Etat-flic, l’Etat régalien, la droite multiplie les attaques contre l’Etat régulateur, protecteur, et pousse à son désengagement dans toutes les sphères de l’économie et du social. Dans le même ordre d’idées, elle pilonne cette partie du salariat liée à l’Etat, tente d’enfoncer un coin entre le privé et le public comme on dit, joue de la défiance et du discrédit à l’égard des fonctionnaires, chercher à casser les convergences populaires. On a vu à l’œuvre cette stratégie lors de la « réforme » des retraites.
L’Etat social, c’est l’assistance ; il faut au contraire « réhabiliter le travail ». Ce mot d’ordre vient de loin. Raffarin s’y est essayé. Les mots clés ? Mérite, réussite, performance, récompense, initiative.
La chasse est donnée à la notion d’égalité, remplacée par celle d’équité.
Extraits du discours de Sarkozy au congrès de l’Ump (fin 2004) : « L’objectif de la France, ce n’est pas le partage des richesses » ou « On n’a pas à s’excuser d’avoir un patrimoine ».

2)La tentative de mise au pas des forces de résistance, à commencer par les syndicats. Ce n’est pas un hasard si la première mesure prise par Margaret Thatcher, au début des années 80, fut de casser la grève des mineurs, humilier leur puissant syndicat et sa figure emblématique Arthur Scargill. La répression fut violente : 5987 personnes arrêtées, 1039 condamnées, parfois jusqu’à neuf mois d’emprisonnement. Pour fait de grève. A peu près au même moment, le 3 août 1981, Ronald Reagan est confronté au mouvement de 13 000 contrôleurs aériens ; ils revendiquent pour le salaire, le temps de travail, la retraite anticipée. Reagan déclare la grève illégale, refuse de négocier et licencie tout le monde !
Cette détestation des syndicats est très présente dans la rhétorique sarkoziste, et la presse de droite nourrit en permanence le discrédit du monde syndical. La chasse aux militants semble recherchée ( voir les mesures prises contre les postiers de Bordeaux notamment). Et dans Les Echos du 5 septembre dernier encore, le directeur de l’Institut Hayek donnait en exemple les précédents de Reagan et de Thatcher pour pousser le pouvoir français à « ne pas céder » aux syndicats et à leur « marxisme de cuisine » (sic), à résister à leurs « vociférations » : « Voilà ce à quoi les politiques européens doivent se préparer. »

3)Autoritaire, cette droite a dans le collimateur 1968, date symbole, date butoir assimilé au laxisme, à l’irresponsabilité, au laisser faire. Elle entretient une sorte de nostalgie sur l’avant-68. La lutte contre « l’héritage 68 » est devenu un refrain très prisé dans ces cercles.
Cela vaut par exemple pour l’école. Le discours sarkozien est réactionnaire au sens propre, celui de retour au bon vieux temps : « Il n’y a pas si longtemps, on évoquait avec respect le nom de son maître. Aujourd’hui le mot même n’est plus utilisé » regrette le patron de l’UMP (fin 2004). Et il martèle les mots de règle, discipline, travail, effort.
Ce discours rétrograde ( ce qui ne veut pas dire inefficace car il rencontre des oreilles attentives) sur les valeurs est bien rodé, ces « valeurs oubliées par habitude, par démission, par faiblesse, que nous allons incarner, leur donner une nouvelle force » (Sarkozy).
On voit se dessiner, dans la prose droitière, la perspective d’une société redoutable, déjà en germe.
Il s’agit d’une société éclatée, communautarisée. Sarkozy a accordé une attention toute particulière à la structuration de la communauté musulmane par exemple. On dit que ce communautarisme a d’ores et déjà été testé sur ses terres, à Asnières par exemple, ville dont le député-maire est un certain Manuel Aeschlimann, prof de Sciences Po, que ses propres amis appellent « le killer ».
C’est ce personnage qui sert volontiers de gourou à Sarkozy, présidant une commission de suivi de l’opinion et consultant beaucoup. Il alimente le chef de l’UMP en notes, sur le scepticisme européen des Français ( dès février 2005, dit-il, il signale à Sarkozy le risque de victoire du Non), ou sur la variable économique dans la détermination du choix électoral, ou l’appartenance religieuse, la volatilité des électeurs du FN, etc. Lui estime que le vote idéologique est largement remplacé par un vote sur enjeux ; c’est là qu’il faudrait intervenir, avec une stratégie électorale adaptée et des argumentaires ciblés ( et dépouiller du même coup le FN). Aux dernières nouvelles, il préparait des dossiers sur les beurs, les femmes et les salariés du service public.

Cette droite radicalisée rêve d’une société délaïcisée, obscurantiste : le seul livre récent de N. Sarkozy (octobre 2004) s’intitule « La République, les religions, l’espérance » (Cerf). Le patron de l’UMP plaide pour une « adaptation » de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat pour permettre le financement d’édifices religieux sur des fonds publics, ou pour des avantages fiscaux en faveur des fidèles souscrivant au denier du culte ! Il s’y livre – il vient de le redire devant l’Académie des sciences morales- à une distinction byzantine entre « intégrisme » (les méchants) et « fondamentalisme » (les bons), car, dit-il, « un croyant croit fondamentalement » ! S’inspirant de l’exemple bushien, cette droite fait donc un appel du pied aux églises pour qu’elles s’ingèrent plus directement dans la vie de la cité.
La société de la droite radicalisée exalte la compétition tous azimuts : la concurrence est devenue la valeur de référence, des jeux de la téléréalité à la vie boursière, de l’école au travail. C’est une société fliquée, chargée de traquer l’étranger, le jeune, le pauvre, le marginal, l’autre. Le poids de cette police, sa primauté sur la justice, sont proprement inquiétants. C’est enfin une société amnésique avec l’installation d’un nouvel ordre moral et culturel qui mise surtout sur une « culture de masse » entretenant un imaginaire appauvri.

La rhétorique de la droite pour justifier sa radicalisation est très travaillée ; on biffe les mots qui fâchent, on positive. Certes on ne s’exclut pas le recours à des mots-tocsin comme le fameux « Karcher » pour plaire aux plus durs ; on aime les rodomontades, jouer des mécaniques : « Si nos lois ne plaisent pas, nul n’est obligé de les subir en demeurant en France » (Sarkozy). Mais de manière générale, la phraséologie est moderniste, ciblée, propre. On ne dira pas qu’il faut casser le droit du travail mais qu’il faut libérer, innover, ouvrir, réussir, créer, inventer, inciter.
Ce souci du mot « juste » n’est pas anecdotique ; il permet parfois à la droite d’obtenir de réels gains politiques. Elle a ainsi remporté une indéniable victoire idéologique en récupérant le terme de « réforme », longtemps entendu avec un contenu progressiste évident, et mis aujourd’hui au service du glissement ultra-libéral. De la même manière, on tente d’accoler à la droite l’idée de mouvement et à la gauche celui d’immobilisme, de statu-quo, voire de conservatisme. On fustige « la pensée unique » qui, bien sûr, serait à gauche.
Ces jeux de mots ne sont pas vains ; ils peuvent provoquer dans des consciences de très réelles confusions.

LIMITES

En même temps, cette radicalisation de la droite se heurte à certaines limites.
La première et la plus importante est que la droite a beau faire, le libéralisme n’est pas populaire en France. Plus exactement, la composante « morale » de son offensive, son côté gendarme, son propos sécuritaire peuvent, par moments, rassembler ; mais ses propositions sociales, qui sentent le jargon technocratique, celui qui ne s’adresse qu’aux gagneurs, aux managers, heurtent trop directement les intérêts populaires pour séduire. Cette idéologie du chacun pour soi charrie trop d’insécurité sociale pour convaincre vraiment et largement.
Toutes les enquêtes, tous les sondages répétés ces dernières années montrent que cette droite peut sembler par moment (faiblement) majoritaire dans l’opinion sur tel ou tel mot d’ordre (exemple : le service minimum dans le service public en cas de grève ou la venue de la police à l’école), mais elle n’emporte jamais la majorité sur ses fondamentaux libéraux en matière économique et sociale. Casser l’Etat social ? L’opinion est contre et réclame aide, protection, solidarité. Discréditer les syndicats ? ils apparaissent pourtant nécessaires aux yeux des salariés. Jouer le communautarisme ? les Français de confession musulmane par exemple sont peu empressés à s’y engager. Mobiliser l’Eglise ? les sondés trouvent le poids pris par les religions ces derniers temps excessif.
La mésaventure que vient de connaître l’hebdomadaire sarkosien « Le Figaro Magazine » en cette rentrée est de ce point de vue significative. Ce journal, très marqué à droite, voulait faire son premier numéro de septembre avec une enquête choc sur « la fin des tabous », entendez les tabous sociaux genre droit du travail, service public, protection sociale, aide aux chômeurs, etc, toutes ces vieilleries qui nous entravent, le refrain est connu. Donc la rédaction a commandé à la Sofres une grosse enquête (50 questions, 1000 interviewés), probablement fort coûteuse, destinée à appuyer son argumentation sur « le désir d’ouverture sur la modernité ». Patatras ! Les sondés n’ont pas joué le jeu ; ils se montrent très attachés aux acquis sociaux (SMIC, emploi, code du travail…) et très allergiques aux délocalisations, aux privatisations, aux inégalités salariales, aux licenciements arbitraires, bref au libéralisme. Le Fig Mag en est marri. « Dans la majorité comme dans l’opposition se manifestent d’importantes résistances à tout ce qui pourrait modifier le modèle social français » regrette la journaliste de service (10/9). Qui dit encore : « La protection du secteur public et de l’emploi reste une exigence pour beaucoup de Français. L’idée selon laquelle plus l’Etat se désengage, plus la situation économique et sociale s’améliore, n’est pas encore dans toutes les têtes, loin de là ». Le journal doit même constater que d’une année sur l’autre, les positions antilibérales se sont renforcées sur certains sujets : ainsi les partisans des fonds de pension ou de la sélection à l’université ont respectivement chuté de 15 et de 7 points. D’où ce soupir de nos nantis : « Au total la société n’avance pas assez vite dans la prise en compte des contraintes de la logique du profit ».
En fait, la solution idéale pour la droite serait de faire du libéralisme sans le dire. C’est très exactement le conseil que donne Dominique Reynié, prof à Sciences Po Paris, dans le Figaro du 2 septembre. Le journal lui demande : « Comment la droite peut-elle penser une émancipation de la tutelle de l’Etat qui ne serait pas reçue comme une menace par l’opinion ? » et Reynié de répondre : « Le faire sans le dire. Il est vraisemblable que nous y serons contraints. » Autre manière de dire que cette droite radicalisée est en difficulté dans la bataille des idées.

Ajoutons une ultime remarque : la rhétorique libérale semble omniprésente dans la vie économique et sociale, dans les médias (où les commentateurs en place lui sont tous acquis), dans le débat politique. Cette idéologie surfe dans des lieux inattendus ( voir les commentaires sur la Chine ou le Brésil). Des droites radicalisées semblent prendre du galon aux quatre coins de la planète. Pour autant, ce libéralisme musclé rencontre-t-il le triomphe annoncé ? correspond-il vraiment à une attente populaire et aux besoins des sociétés contemporaines ?
Le chacun pour soi libéral a paru répondre à un nouvel air du temps dans les années 80 ; il a semblé incarner alors la modernité, celle de « la fin de l’Histoire » ; il a même rebondi, dans les années 90, aux lendemains de la chute du mur de Berlin. Mais garde-t-il toujours la même « force propulsive », pour reprendre une formule célèbre (Berlinguer en 1977 à propos du soviétisme) ? Ce à quoi nous assistons actuellement ne ressemble-t-il pas plutôt à une fin de vague ? Ne remarque-t-on pas des résistances renforcées un peu partout et l’émergence de valeurs communes appelées à (re)devenir majoritaires comme l’entraide, la coopération, le partage, la solidarité et la sécurité sociale ? C’est ce qu’a montré fortement le résultat du référendum européen. Alain-Gérard Slama, talentueux idéologue de droite, observait récemment (Le Figaro du 6 juin) : « L’attachement de l’opinion au modèle français, qui n’est pas seulement social mais plus encore culturel, dans sa conception des institutions, de la laïcité, de l’école et du droit, vient encore d’être rappelé à l’occasion du référendum ».
Si cette leçon vaut pour la France, n’assiste-t-on pas aussi à des évolutions intéressantes dans le monde ?
Au Japon, on nous a décrit l’incontestable succès électoral de Koizumi comme celui d’un ultralibéral bon teint. Certes, mais un expert du Japon comme l’universitaire Patrice Geoffron nuance aussitôt le propos et montre que le premier ministre japonais ne fera pas ce qu’il veut « car la décennie en cours se prête mal au « tout marché » et à un effacement complet de l’Etat dans les tâches de coordination économique ». (Le Monde, 20/9)
En Allemagne, l’insuccès de la CDU est interprétée comme la sanction d’un affichage de propositions ultralibérales : « Les idées libérales de la droite lui ont coûté la victoire » titre la presse (Le Monde, 20/9) , qui ajoute « On voit la difficulté d’imposer un virage libéral dans un pays qui veut sauver son modèle plutôt que d’en changer ».
Aux Etats Unis même, le désastre qu’a connu le Sud de ce pays n’est pas sans conséquences sur le débat d’idées. Le monde entier a pu voir, au cœur même de la superpuissance, La Nouvelle Orléans abandonnée à son sort des jours entiers, sans moyens de transport, sans nourriture, sans eau, sans aide médicale et sans sécurité. Les ravages de l’ouragan Katrina ont mis brutalement à nu les ressorts d’une société ensauvagée et disloquée par overdose libérale. Un prof de Sciences Po à l’Université de Stanford, Terry Lynn Karl, écrivait dernièrement (Le Figaro, 9/9) : « Les idéologies de privatisation, qui empêchent de gouverner efficacement et permettent aux privilégiés de sauver leur peau alors que les pauvres doivent grimper sur les toits, doivent être remises en question ».
Même un homme comme Bernard Guetta, ardent partisan pourtant de la Constitution libérale européenne, note dans l’Express du 15 septembre : « Trente ans après que les révoltes californiennes contre le fisc leur eurent donné leur envol, les dogmes libéraux ont défait Keynes mais le paradoxe est qu’ils viennent d’être au même moment mis en question ». Et ce commentateur ajoute : « Car enfin que vient-on de voir à La Nouvelle-Orléans ? Que s’y est-il passé si ce n’est l’échec d’un Etat incapable de secourir ses citoyens, la rupture de digues que les restrictions budgétaires avaient empêché d’entretenir et le déferlement des eaux sur tous ceux qui n’avaient pas de voiture pour fuir par eux-mêmes ? Ce sont les trois dogmes libéraux selon lesquels l’impôt est un poison, chacun doit se débrouiller par lui-même et « l’Etat n’est pas la solution mais le problème » qui viennent d’être cruellement démentis. Sur tous les écrans du monde, c’est le moins d’Etat et non plus le trop d’Etat qui est au banc des accusés. Trente ans après la Californie, la Louisiane renverse les termes du débat ». Il précise encore : « La gauche pourrait en être remise en selle. Elle tient là tous les arguments d’une reconquête idéologique ». Mais ceci est un autre débat.

Gérard Streiff



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