6 août 2014

Tapuscrit de cartons rouges/Editions du Losange

Un électorat populaire

Il ressort d’une analyse cumulée de 26 vagues d’enquêtes nationales réalisées entre 2000 et 2001 pour le journal Le Monde que, parmi les formations de gauche, le PCF est le parti qui a l’électorat où les ouvriers et les employés sont les plus représentés. 23% des sympathisants communistes sont ouvriers contre 19% des électeurs d’extrême gauche, 15% de ceux du Parti socialiste et des Verts. De même 23% des sympathisants du PCF sont employés contre 19% chez les Verts et à l’extrême gauche et 18% au Parti socialiste. C’est à dire aussi une légère sur-représentation par rapport à l’ensemble de la population où l’on compte respectivement 14% d’ouvriers et 18% d’employés.
L’électorat communiste est également celui où la proportion de chômeurs est forte :6%, au même niveau que le chiffre de l’électorat vert ou d’extrême gauche, supérieur à la représentation des chômeurs au PS (4%).
Si l’on tient compte à présent de la répartition de cet électorat selon le niveau de diplôme, le PCF compte de loin la plus forte proportion d’électeurs ayant un niveau inférieur au bac : 70% contre 58 à l’extrême gauche et 53 au PS (55% pour l’ensemble de la population).
Quant à la répartition par âge, 12% des sympathisants communistes ont entre 18 et 24 ans, ce qui le place devant le PS (11%) et au niveau de l’ensemble de la population ; mais nettement en dessous de cette portion d’électeurs à l’extrême gauche (20%) et chez les Verts (21%).
De la même manière, 18% de l’électorat communiste ont entre 25 et 34 ans ; le PS connaît approximativement le même résultat (19%) et la proportion dans l’ensemble de la population est de 20%. Mais là encore ce résultat est inférieur à ceux des Verts (20%) et de l’extrême gauche (25%).
Ces données ne sauraient rassurer à bon compte. Elles montrent simplement que le PCF, certes affaibli, demeure cependant un vrai parti populaire.

20/6/2001
Lignes de partage

La manière dont a été adoptée la loi de modernisation sociale est riche d’enseignements. On l’a présentée ici ou là comme un bras de fer entre le mouvement social et le gouvernement ou entre le PC et le PS. Ces tensions ont existé et la détermination des opposants aux licenciements boursiers a été payante. C’est une question de rapport de forces, comme on dit. En même temps, il serait sans doute hâtif de n’y voir que cela. Le déroulement de cette affaire montre en effet que ce fut aussi une question de choix. Le débat lancé par le PCF a traversé en vérité toutes les formations de la gauche plurielle ; il a provoqué des remous importants, suscité des lignes de partage.
C’était le cas des Verts, divisés. Alors que Noël Mamère qualifiait le report de la discussion de la loi d’arrangement « fait pour amuser la galerie », Dominique Voynet, elle, observait que « Robert Hue a eu raison de poser le problème des licenciements ». Le parti socialiste était pareillement partagé. Entre un Fabius qui, chattemite, pointait les « questions sérieuses » que lui posait cette loi et le porte-parole du PS qui trouvait « légitime que la gauche plurielle défende (ainsi) les intérêts des salariés », il y avait bel et bien une divergence.
Et cette situation tenait sans doute aussi au fait que des questions comme le refus de la tyrannie des actionnaires, le besoin de droits nouveaux pour les salariés ont dépassé le seul pré-carré communiste, se sont diffusées dans de larges pans de gauche et se trouvent être probablement aujourd’hui des exigences majoritaires dans l’opinion.

27/6/2001
La petite musique de Fabius

« Laurent Fabius cherche à s’imposer dans le dispositif de Lionel Jospinpour 2002 » titrait un journal du soir ces jours-ci. Il est vrai que depuis peu le ministre de l’Economie sait faire entendre très régulièrement sa petite musique. On se souvient de ses « réserves » à l’égard de la loi de modernisation sociale, amendée par les parlementaires communistes. Il explicite sa pensée dans un long texte programmatique, publié dans le journal Le Monde. Cette manière de manifeste électoral pour 2002 est décliné en quatre axes, cinq domaines prioritaires et moult propositions ( 25 000 signes). Le discours est moderniste, le propos se veut ouvert, les formulations variées mais une idée lancinante court tout le long du texte, à savoir : la politique ne peut pas tout. Dit ainsi, ma foi, c’est assez vrai. Mais cela peut s’entendre aussi comme : la politique ne peut pas beaucoup. Et c’est le cas dans ce texte. La financiarisation du « nouveau capitalisme » ? C’est « une mutation technologique contre laquelle nous ne pouvons pas grand chose ». La conjoncture ? « La politique économique ne peut pas maîtriser les aléas ». Le ministre aime fustiger ceux qui pensent que la réalité va « se plier obligeamment à la volonté du politique », ou encore ceux qui croient ( les mêmes sans doute, à ses yeux) « qu’il suffirait d’un article de loi » pour régler les choses. Curieusement, ou symptomatiquement, on s’aperçoit que c’est toujours du même côté que la politique serait impuissante, du côté du marché, de l’argent, des entreprises. Car la rigueur sociale, elle, semblerait plus susceptible de se plier au geste politique, le ministre aimant évoquer par exemple la « maîtrise des comptes sociaux ». Une impuissance très unilatérale, en somme.

4/7/2001
Variations d’août

Les médias ont valorisé cet été les moindres faits et gestes des Verts. Cela ne semble pas avoir trop impressionné l’opinion, c’est le moins qu’on puisse écrire. Au baromètre mensuel Figaro-Sofres d’août, de toutes les formations politiques, c’est celle de Dominique Voynet qui recule le plus (-3%). Selon la même enquête, le PCF grimpe de 3%, soit la meilleure progression de tous les partis cet été. Par ailleurs cette étude teste l’audience de trente personnalités politiques. C’est la cote de popularité de Robert Hue qui monte le plus, toujours pour ce même mois (+4%). Proposons ici une double explication à cette double reprise. Non seulement le PCF est reconnu comme un partenaire utile à la gauche, ce que Le Figaro doit bien admettre : « Le fait de disposer avec son groupe parlementaire d’un droit de vie ou de mort sur la majorité lui vaut la considération des socialistes » écrit le journal.
Mais aussi, et peut-être surtout, il apparaît mieux au sein de cette gauche comme un parti utile aux salariés. Ce fut le cas par exemple sur la question de la lutte contre les licenciements boursiers : on sait à ce propos le rôle déterminant qu’il joua en juin dernier. A sa manière, le patron du RPR, Serge Lepeltier, vient de prendre acte de cette pression accrue de gauche quand il déclare ces jours-ci : « En 1999, Lionel Jospin, avec le plan de licenciement chez Michelin, reconnaissait : l’Etat ne peut pas tout faire. Cette année, avec Marks & Spencer et Danone, il légifère en catastrophe. »

23/8/2201
De la mondialisation

En matière de valeurs économiques, l’opinion française semble parfaitement ambivalente. C’est ce qui ressort du sondage Sofres réalisé pour la presse de province, cet été, et intitulé « Les références idéologiques des Français ». On constate en effet que les quatre thèmes les plus fortement plébiscités par nos concitoyens sont successivement la participation ( positif pour 82% des sondés), la concurrence (77%), le libre-échange (73%) et le syndicat (68%).
Soit, pour dire vite, deux valeurs de gauche (participation et syndicat) et deux valeurs « libérales » (concurrence et libre échange). A un tel niveau d’accord, tous les électorats sont touchés. Ainsi l’opinion des communistes sur ces quatre mots serait massivement positive, de l’ordre respectivement de 81, 70, 70 et 84% ;
Ces chiffres bousculent. Alain Duhamel, qui commente cette étude, en conclut que l’opinion est centriste, ou social-libérale. C’est une façon de voir. Il en est une autre : on constate en effet que des aspirations progressistes fortes sont le lot commun, et c’est une bonne chose. En même temps, les illusions sur l’efficacité libérale demeurent puissantes. Et elles sont bien souvent partagées par les MÊMES personnes.
Tout cela cependant peut bouger. Ainsi le thème de la mondialisation, au fil des ans, est-il de plus en plus condamné par l’opinion. 33% s’en défiaient il y a trois ans ; le chiffre s’élevait à 44% dans l’enquête qui nous occupe ; et dans de tout récents sondages ( Le Monde du 19 juillet, L’Humanité du 3 août), ces chiffres grimpent respectivement à 55 puis 66% !

29/8/2001
Retour au 19è siècle ?

Au moment où Laurent Fabius persiste et signe dans son plan de réduction des impôts, on lira avec intérêt le dernier ouvrage de l’économiste Thomas Piketty, « Les hauts revenus en France au 20è siècle » (Grasset).
Il en ressort – entre autres choses- trois données importantes : les hauts revenus disposent de ressources annuelles égales ou supérieures à 4 millions de francs ; cela concerne 3200 foyers, un sur dix mille (0,01%) que Piketty compare aux 200 familles de l’entre-deux guerres.
Ensuite, si tout a changé en un siècle, rien n’a vraiment changé pour autant : la hiérarchie des rémunérations est restée exactement la même. C’est notamment le cas des salaires : 1% des salariés les mieux rémunérés ont toujours disposé d’un salaire moyen de l’ordre de 6 ou 7 fois le salaire moyen de l’ensemble.
Enfin, et c’est ici que nous retrouvons l’actualité, l’auteur note que la mise en place d’impôts progressifs après guerre, en dépit de ses imperfections et de ses insuffisances, a permis de réduire les inégalités de revenus ; selon lui, les 10% de ménages les plus aisés concentrent aujourd’hui 33% des revenus après impôts contre 47% il y a 70 ans. Piketty, économiste raisonnable, ancien collaborateur de la fondation Saint-Simon, regrette la mise en cause de ce principe d’imposition : c’est la première fois de l’histoire qu’un gouvernement de gauche réduit le taux supérieur marginal, écrit-il ; et il y voit « un retour au 19è siècle ».

5/9/2001

Image floue et idées courtes

Jean-Pierre Chevènement travaille sa communication. C’est ce que nous apprend Frédéric Gershel du Parisien. Un gourou de la « com », lors de séances de « média training », lui inculque les rudiments du parfait-petit-présidentiable, telles que : « On doit privilégier les phrases courtes au lieu de raisonner en concept ; ne pas lever les yeux au ciel quand il se lance dans une explication ; ne pas croiser les bras, signe d’un homme sur la défensive ; éviter de fermer les poings, posture qui dénote une forme d’agressivité » ; et surtout « parler de façon plus affective, condition capitale pour attirer le vote des femmes »…
Voilà pour la méthode. Quant à la ligne, elle est plutôt floue, c’est le moins qu’on puisse écrire. La défense des salariés ? Ce n’est pas vraiment ce qu’on retenu les patrons qui l’ont « longuement applaudi » (Libération) lors de l’Université d’été du MEDEF. Invité par son ancien condisciple de l’ENA Ernest-Antoine Seillière, il y a notamment déclaré qu’il ne fallait pas « diaboliser la finance ».
L’option de gauche ? L’image de l’homme dans l’opinion s’est nettement recentrée à droite, si l’on en croit le Journal du Dimanche ; son compère Max Gallo, dans Le Monde, l‘appelle déjà au second tour « a ne pas être le rabatteur de l’un des deux camps : qu’il laisse ceux qui l’auront rejoint se déterminer seuls ». Au fait, on note parmi ses soutiens l’association « Appel d’R », dont le président d’honneur est… Philippe Seguin.

12/9/2001
Jeunesse rebelle

La rentrée littéraire se caractérise par une impressionnante avalanche d’ouvrages, la chose n’est pas très originale ; ce qui est peut-être un peu nouveau cette année, c’est un certain retour de l’esprit critique qu’on sent poindre ici ou là. Non seulement du côté des « petits » éditeurs indépendants, coutumiers du fait mais aussi chez les « grands » de la profession ; et singulièrement dans leur production en direction de la jeunesse.
Ainsi Fayard, avec la collection « Pacom » (abréviation de « pas comme »), propose une série d’ouvrages « contre le prêt-à-penser » : un couple de parents éduquent leurs enfants dans un esprit résolument anticonformiste, et les initient volontiers à la responsabilité politique.
L’auteur définit son jeune personnage comme « un petit Nicolas revu et corrigé par Attac », et ajoute : » Nous sortons de vingt ans de non-pensée politique. Les années 1980 et 1990 ont fait disparaître toute approche fondamentalement critique. » L’objectif de la collection est de contrer l’idéologie néolibérale, « en proposant aux jeunes citoyens d’autres façons d’envisager le monde ».
Avec un brin d’insolence, voire de provocation, ces textes traitent de la manie des marques ou du respect de l’autre, s’élèvent contre le mimétisme ou les idées reçues.
« Ne prends rien pour argent comptant, juge par toi même, ne deviens pas un mouton », telle est la devise du directeur de collection, Joseph Périgot.
De son côté, Le Seuil sort un dictionnaire du « Petit Rebelle » : histoire de « cultiver chaque jour un fond enfoui de subversion », écrit Le Monde : tout un programme ! Qui ne peut laisser indifférents les communistes.

19/9/2001
Incendiaire

La posture maximaliste est finalement confortable. Et souvent l’extrême gauche s’y complaît. Ainsi Lutte Ouvrière. Au nom de l’anti-Europe, elle laissa passer le traité de Maastricht ; et sous prétexte de grand soir fiscal, elle bouda la taxe Tobin. Cette organisation remet ça avec la loi de modernisation sociale. Grâce aux communistes, les salariés confrontés à des plans sociaux disposent désormais de points d’appui nouveaux. Le MEDEF peste contre cette « interdiction déguisée des licenciements ». Les Echos (7 septembre) montrent des patrons inquiets par cette avancée et se lamentent : « La loi de modernisation sociale, avant même d’être votée, produit déjà certains effets ». Balivernes que tout cela ! écrit cependant LO, l’hebdo d’Arlette Laguiller. Ce journal juge la loi « dérisoire » (LO n°1729, septembre 2001) : il trouve que la proposition de Robert Hue d’un moratoire, « c’est reculer pour mieux sauter », il fustige « les responsables syndicaux, petits ou grands, qui, marchant dans la combine, y compris ceux de la CGT, trahissent leurs mandants ».
Quelle alternative nous sert LO ? Elle est radicale en diable : « Pour mettre un coup d’arrêt aux licenciements, il faudrait justement déclencher l’incendie que le gouvernement et le patronat craignent ».
Qu’en termes violents ces choses là sont dites ! Manière de parler, dira-t-on ; manière de tromper, aussi ; Comme dit le proverbe, « qui aboie ne mord pas ».

26/9/2001
Le grand retour

Ce n’est pas à la réapparition de Valery Giscard d’Estaing dans la compétition de la présidentielle que nous pensons ici mais au retour de l’Etat dans l’économie. Depuis le drame du 11 septembre, et ses répercussions sociales, il est en effet beaucoup question de l’intervention de l’Etat dans la société. Dans un retournement spectaculaire, les thuriféraires du marché, allergiques à la moindre régulation, en appellent aujourd’hui sans vergogne à l’action de l’Etat. Les banques centrales injectent des centaines de milliards de dollars ; le FMI sert de tontine ; les gouvernements subventionnent massivement les secteurs touchés, débloquent des crédits d’urgence. Tous les pays s’y mettent. Bush, Blair, libéraux patentés ou sociaux-libéraux flamboyants, tous semblent oublier les principes de l’orthodoxie financière qui, des années durant, tinrent lieu de modèle indépassable ; tous bousculent les dogmes du libre jeu de la concurrence ; tous mettent entre parenthèses les impératifs de la rigueur budgétaire. Même le « pacte de stabilité » semble moins invoqué dans le discours européen. On reparle de lutte coordonnée contre les paradis fiscaux et l’argent sale. On redécouvre les vertus des services publics. Les valeurs de solidarité semblent à la hausse. En France, les gourous du tout-libéral, les Minc et autre Sorman, se tiennent cois ; dès lors que le bateau tangue, la vanité de leur construction ultralibérale apparaît. Ce n’est pas pour surprendre les communistes, certes revenus d’un tropisme étatiste, mais bien convaincus de la pertinence de la responsabilité publique.

3/10/2001
Panne

La politique aime les symboles. Celui-ci n’est pas mal : la semaine dernière, le monumental compte à rebours lumineux installé il y a peu sur la façade du ministère des Finances, et censé donner le nombre de jours nous séparant du lancement de l’euro, est tombé en panne. Une façon de dire en somme que le « timing » de l’intégration européenne est en difficulté. Certes, officiellement, on ne touche à rien : l’Europe maintient le cap sur la rigueur budgétaire, bride les dépenses publiques, limite les déficits, garde le calendrier initial. C’est encore ce qu’ont réaffirmé Gerhard Schröder et Lionel Jospin ce week-end, en marge d’un Forum franco-allemand à Paris. On ne bouge pas, a dit le chancelier ; Lionel Jospin a répété le message ; toutefois il a conclu son discours, apparemment déterminé, par l’expression… « pour le moment ». On ne bouge pas pour le moment : c’est presque un oxymoron, du genre hâte-toi lentement.
Cette prudence serait-elle une ouverture ? Certes on est encore loin des idées avancées récemment par Robert Hue et proposant que la France joue un rôle actif en Europe afin de desserrer le carcan monétaire, recense les besoins à satisfaire, soutienne les services publics et favorise une relance concertée pour soutenir la croissance ( grands chantiers, grands projets…). Mais il semble que la possibilité de bousculer les dogmes libéraux européens n’a jamais été aussi proche .

10/10/2001
Ligne de campagne

La droite y croit. A lire sa presse, à écouter ses leaders, elle aurait d’ores et déjà gagné la présidentielle. Ou quasiment. Elle hésiterait simplement sur la ligne de campagne.
« A droite toute » propose Nicolas Sarkozy. Ce dernier parle volontiers d’ordre, de discipline, de rigueur. De ce point de vue, il est à l’unisson de nombreux cadres RPR notamment qui ont singulièrement durci leurs propos ces dernières semaines. On les sent d’autant plus remontés qu’ils redoutent une concurrence d’extrême droite toujours menaçante.
« Pas trop à droite » réplique Alan Juppé. « Tenir le discours de la sueur, du sang et des larmes ? » s’interroge le maire de Bordeaux. « On a déjà donné, ça ne marche plus très bien »… L’homme, il est vrai, est un connaisseur. Lui pense qu’il ne faut pas seulement solidifier les 30% de purs et durs de la droite mais « faire 51% : Chirac doit capitaliser, y compris à gauche ».
La tactique mise à part, l’un et l’autre cependant semblent dopés par les sondages qui montrent aujourd’hui un Président, « chef des armées », caracolant largement en tête. Ils s’illusionnent peut-être un peu. Le directeur de l’institut Ipsos, M. Giacometti par exemple, vient de rappeler que « le climat politique actuel est aléatoire » ; des expériences récentes, ajoute-t-il, montrent « la rapidité et la brutalité de l’évolution de l’opinion ». Après tout, Valery Giscard d’Estaing était au mieux de sa forme à l’automne 1980 et la popularité d’Edouard Balladur était au zénith à l’automne 1994. On connaît la suite.

17/10/2001
Grands absents

Le livre d’Olivier Schrameck, « Matignon rive gauche », a énervé la droite. Et agacé ailleurs. Au PS, selon des échos convergents, on grince des dents. « Ce livre, dit un responsable socialiste, c’est « je » gouverne la France avec Lionel pendant que Hollande fait le guignol à la télé ». Il est vrai que dans ce pamphlet, le PS, mais plus généralement tous les autres partis de la gauche plurielle, sont quasiment inexistants. Comme si la vie publique se résumait aux grenouillages de petits comités d’énarques à Matignon. Certes il y a un peu de forfanterie dans la confession de ce directeur de cabinet ; un peu, beaucoup, passionnément, d’ego surdimensionné ; de narcissisme trop longtemps refoulé. Sans doute s’attribue-t-il un peu facilement la paternité de bien des choses. Certes, certes… Mais reste une question : où est donc le pouvoir ? Où se prennent réellement les décisions ? Dans les lieux adéquats : le Parlement ? le gouvernement ? les ministères ? Qui infléchit le cours des choses ? Les élus ? Les partis ? Les associations ? Le mouvement social ? Ou des cénacles de technocrates, experts peut-être mais sans la moindre légitimité électorale ? Vieille histoire en vérité. Et puis surtout, où sont les citoyens dans cette affaire ? Où est leur intervention ? De quels droits disposent-ils ? Ce sont les grands absents de ce livre qui, à sa manière, montre que la démocratie française est bien bancale.

24/10/2001.
Convergence incongrue

« C’est bon pour relancer nos projets en panne » : tel est le petit mot qu’une conseillère en communication transmit à son patron, un important ministre du cabinet Blair, le 11…septembre dernier. La dame ne manquait pas d’à propos. L’affaire connue, elle se fit gronder, dit-on, sans plus.
Il est vrai que la guerre, ça sert aussi à ça ! A profiter que l’attention se focalise ailleurs pour faire passer plus facilement des plans réputés impopulaires.
Les patrons l’ont bien compris. « Pour une entreprise, écrit par exemple Libération du 27 octobre, il n’y a pas de meilleur instant pour licencier ». C’est aussi le moment choisi, on l’a vu, par 56 grands patrons, pour reprendre leur croisade contre le projet de loi de modernisation sociale.
Tout le gotha financier, depuis le pollueur en chef Thierry Desmarest (Total) jusqu’au baron Seillière, a sommé Jospin de renoncer à ce texte décidément trop favorable aux salariés et qui de surcroît porte si fort le label communiste.
Que cette loi dérange les patrons, c’est un peu dans l’ordre des choses. Qu’elle énerve Chevènement, c’est un peu plus étonnant. Sur RTL, le 29 octobre, ce dernier s’en est pris sévèrement au PCF, accusé de « faire fausse route, en se contentant (sic) à travers la loi de modernisation sociale d’une sorte de judiciarisation des luttes sociales et de la vie économique ». Convergence incongrue ? A voir. On se souvient que le candidat MDC fut l’invité vedette – et fêté- de l’université d’été du Medef.

14/11/2001
Seillière candidat

Seillière s’y croit. Le baron n’est certes pas officiellement candidat à la présidentielle. Mais en vérité il fait comme si. Il bat la campagne, avec une série de meetings, d’octobre à janvier. Il rameute ses troupes, se présentant comme le porte parole de 700 000 entrepreneurs. Il édite des brochures. Il martèle son programme, intitulé « En avant, l’entreprise ! En avant la France ! » Bref, il rêve tout haut d’une France gérée comme une entreprise, autocratique, inégalitaire, obsédée par le rendement. « C’est la première fois que le patronat s’investit à visage découvert dans la campagne électorale » note Le Figaro.
On mesure ici la singularité française. Ce pays est sans doute le seul où le patronat, sortant de son strict rôle corporatiste, aborde ainsi le terrain politique pour se faire entendre ; le seul aussi, si l’on en croit ses thuriféraires, où le gouvernement contrarierait les privilèges patronaux. On pourra trouver bien pâlichonne cette résistance gouvernementale aux pressions libérales ; pour ces nantis, c’est encore trop : « Jamais les relations entre une équipe au pouvoir et le patronat n’ont été aussi exécrables » pleure un quotidien économique.
« La construction de la gauche plurielle repose sur l’affrontement contre l’entrepreneur » déclare Seillière. Cela peut se traduire ainsi en français courant : la singularité française, c’est aussi l’existence d’un courant communiste qui donne son sel à la gauche .

21/11/2001
Le mobile homme

Le périple électoral de Noël Mamère dit assez bien la « mobilité » du candidat des Verts. En 1988, il est candidat suppléant PS ; en 1989, on le retrouve sous les couleurs divers gauche ; en 1992, le voici Génération écologie, formation dont il est le porte-parole ; en 1994, il est élu député Energie radicale sur la liste de Bernard Tapie aux européennes ; en 1994, toujours, il lance Convergences Ecologie Solidarité, entité qu’il préside ; en 1997, c’est sous l’étiquette RCV qu’il entre à l’Assemblée ; en 1998, enfin ( ?) il prend sa carte des Verts .
Excusez du peu. On aurait le tournis pour moins que ça. En d’autres termes, on aurait jugé un tel plan de carrière plutôt inconséquent, c’est le moins qu’on puisse écrire. Ou encore versatile, ou changeant…Aujourd’hui, de bonnes âmes diront plus volontiers que ce parcours est symptomatique d’un homme non-dogmatique, ouvert, disponible, voire libre !
N’empêche. Il faut reconnaître à Mamère une certaine persévérance. Quand, sur le site Internet de l’Express, il est interrogé sur son plus beau titre de gloire, que répondit l’impétrant ? Cita-t-il telle avancée environnementale récente ? Telle loi progressiste à mettre à l’acquis de la gauche plurielle ? Tel nouveau pas social ? Voire sa désignation (chaotique, certes, mais enfin…) comme candidat écologiste ? Vous n’y êtes pas. Son bâton de maréchal ? « Avoir pris Bègles aux communistes ».

28/11/2001
Méritoire

« Robert Hue recueille un niveau de soutien méritoire compte tenu de la concurrence qu’il a à supporter » vient d’écrire Pierre Giacometti, le directeur général de l’institut Ipsos, dans Le Figaro (23 novembre).
Le cndidat communiste fait en effet dans les enquêtes d’opinion un score proche de celui qu’il réalisait dans les sondages au début de la précédente campagne présidentielle. Or si les chiffres se ressemblent, les configurations politiques de ces deux étapes de campagne différent radicalement. A l’automne 1994, si l’on reprend par exemple l’étude France 2, Europe 1, Paris Match de novembre de cette année là, le candidat communiste avait peu de voisins significatifs à gauche. Arlette Laguillier oscillait autour de 2,5%, Dominique Voynet, qui n’était pas encore vraiment classée à gauche ne recueillait qu’entre 2 et 3% des intentions de vote. Jacques Delors, unanimement considéré à ce moment-là comme candidat, était la seule autre figure marquante, et très pondérée, c’est le moins qu’on puisse écrire, de la gauche.
Sept ans plus tard, le panorama a bien changé. Laguiller s’appuie sur le petit capital de voix que l’on sait. Chevènement n’a cessé ces dernières semaines d’être hypermédiatisé. Mamère bénéficie d’une certaine aura. Et le candidat socialiste virtuel est, disons, positionné un peu plus à gauche que Delors. Dans ces conditions, comme l’écrit M. Giacometti, que Robert Hue, à cette étape de la campagne, rassemble comme il le fait est bel et bien « méritoire ».

5/12/2001
Le psychodrame de Sarre

Porte-parole de Jean-Pierre Chevènement, Georges Sarre a déclaré, au Figaro, qui en fait un de ses gros titres : « Le parti communiste a rendu un fier service au patronat ». Le service en question, c’est le durcissement de la loi de modernisation sociale en matière de licenciements, obtenu à l’initiative du PCF ! Sur sa lancée, Sarre qualifie la démarche des députes communistes de « spectacle hypocrite » et de « psychodrame ». Heureusement, lui et les siens ne sont pas dupes : ils vont donc voter contre le projet. Après avoir avalisé, il y a un an, le texte non amendé. Comprenne qui pourra…
Sarre, pourfendeur pur et dur du capitalisme ? On croit rêver. Faut-il rappeler que son candidat s’est affiché le 30 août à l’Université d’été du Medef lors d’un exposé sur le thèmes des « valeurs » (sic) aux côtés de Pierre Bellon, Pdg de Sodexho Alliance, de Daniel Bouton, Pdg de la Société générale, de Jean Marc Espalioux, Pdg du groupe Accor, notamment. Tout ce petit monde alors semblait parfaitement s’entendre ; le « républicain », selon la presse unanime, passa même pour le meilleur élève de la classe… Et « depuis septembre », si l’on en croit le journal Les Echos (30 novembre), Chevènement libéraliserait son programme, mettant désormais l’accent sur « la défense de l’entreprise privée ». Ce quotidien, soulagé, note qu’il « ne parle plus des nationalisations » et se montre « hostile aux 35 heures ».
Est-ce enfin un hasard si, dans les enquêtes, les milieux populaires tiennent une place négligeable dans l’électorat de Chevènement, alors que ce dernier fait un score significatif dans les professions libérales et chez les patrons ?

12/12/2001
L’Etat de droite

La droite ne change pas. Elle semble bien n’avoir rien compris. Ni tiré aucune leçon de l’Histoire. Hier, elle a colonisé sans vergogne l’Etat. Les siens ont confisqué les postes clés, accaparé les sinécures. Au point que l’on a pu parler d’Etat RPR. A cinq mois des échéances électorales, voici que cette droite retrouve ses bonnes vieilles habitudes. Gourmande, elle semble déjà en train de se partager les places. Il se dit par exemple que l’antichambre de Nicolas Sarkozy ne désemplit pas. Hauts fonctionnaires, petits potentats et autres mandarins défilent chez le député maire de Neuilly. Car il se murmure qu’en cas de retour de la droite, l’homme serait sinon premier ministre, du moins patron de Bercy ou à tout le moins bien en cour. Alors ça se presse chez lui, les uns pour sauver leur poste, les autres pour faire savoir qu’ils convoitent celui du voisin, les derniers pour prendre la température. On parle par exemple de visites récentes du patron d’Edf, de celui de France Télévision, du Pdg de Gaz de France ou de la patronne du pôle nucléaire français, Anne Lauvergeon, ex-conseillère de Mitterrand. Il est vrai qu’en matière de prébende, Chirac n’a pas perdu la main, poussant récemment Giscard à Bruxelles ou Léotard à l’Inspection des Finances (60 000 francs par mois). Mais il n’est pas sûr que ce ballet obscène de prétendants soit vraiment du goût de l’opinion.

2/1/2002
Premier rôle

Laurent Fabius n’en finit plus de revenir. De manière un peu cyclique, il a fait la « Une » des médias ces derniers mois. On parlait déjà de son retour au printemps où il publia un long texte programmatique libéralo-libéral dans Le Monde et pesta contre la loi de modernisation sociale. Il remit le couvert dans le courant de l’automne, estimant ses positions insuffisamment prises en compte par le gouvernement et le PS. Il boudait et tenait à le faire savoir. Le revoici ces jours-ci, multipliant les sorties en bon père euro. Il a droit – entre autres choses- à une belle couverture du Figaro qui disserte sur ce porte-drapeau « d’une gauche ouverte à un certain libéralisme, au patronat et à la mondialisation de l’économie ». Une pleine page du Monde lui est consacrée. Son programme ? « L’équilibre des finances publiques, la baisse des impôts, la sécurisation des retraites, l’assouplissement des 35 heures ». Sa ligne ? « Il est hostile aux concessions faites au PC » et se montre « de plus en plus réservé sur la gauche plurielle ». Bref, il pousse à droite. Tout cela n’est pas nouveau. Ce qui l’est, en revanche, c’est qu’aujourd’hui, « il semble avoir été rassuré par le premier ministre (…). Il se sent redevenu incontournable ». Au point, titre le quotidien du soir, qu’ « il entend jouer les premiers rôles dans la campagne de M. Jospin ». Voilà, pour dire vite, qui suffirait à expliquer la détermination communiste à pousser à gauche.

9/1/2002
La chevalière aux 100 milliards

Les riches aiment aussi les médailles. La première de la classe, si j’ose écrire, Liliane Bettencourt, a ainsi été élevée au grade de chevalier de la Légion d’honneur dans la promotion de janvier 2002. Cette Mme Bettencourt caracole – depuis des lustres- en tête des premières fortunes de France. Au palmarès de l’opulence, elle arrive loin devant tous ses concurrents. Sa fortune professionnelle (l’Oréal) s’élève à 14 milliards d’euros ! Le double de celle de Bernard Arnault (LVMH), pourtant guère démuni, près de trois fois celle de François Pinault (PPR) ! 14 milliards d’euros, près de 100 milliards de francs ! De quoi voir venir !
Comme en écho à ces chiffres, Le Nouvel Economiste titrait en décembre : « Le moral des riches tient bon ». Ce journal avait sondé les 500 plus grosses fortunes françaises ; les réponses sont sans appel : les cossus sont confiants. 80% des dirigeants-actionnaires estiment que leur société se porte bien, que leur trésorerie a augmenté au cours des six derniers mois. Pour 2002, le pronostic est intéressant : s’ils ont une vision pessimiste de l’économie française, dans le même temps, eux « se voient encore prospérer ».
Ces gens vivent sur une autre planète, étrangers qu’ils sont non seulement aux difficultés du plus grand nombre mais au devenir de leur pays. A l’heure des bilans que l’on tire ici ou là, cette vertigineuse aggravation des inégalités, ce divorce entre les nantis et la nation viendraient peu dans le débat politique s’il n’y avait la voix communiste pour les dénoncer.

16/1/2002
Galerie

Abécédaire de quelques figures croisées dans l’entourage du candidat Chevènement :
ABITBOL William. Ex-directeur de campagne de Charles Pasqua. Ce député conservateur déclarait le 30 novembre 2000 : « La droite devrait comprendre que si elle veut gagner la présidentielle, elle doit changer de champion ».
COUTEAUX Paul-Marie. Député européen pasquaïen. Tendance monarchiste. Quand il n’est pas à un rassemblement de pro-nationalistes serbes, organisé par Balkans infos, il signe dans Le Point un papier complaisant pour Le Pen : « Je n’analyse pas du tout le FN comme un mouvement d’extrême droite mais de la droite « gauloise », qui a d’ailleurs plus de cohérence qu’on ne le dit. Et même bien du courage ».
PINTON Michel. Fondateur de l’UDF, giscardien depuis toujours, homophobe militant. Organisa l’opposition des maires contre le Pacs. Un croisé de l’ordre moral.
POUJADE Pierre. Fondateur en 1956 de l’Union de défense des commerçants. A donné naissance au poujadisme, expression parfaite de conservatisme et de corporatisme.
PUJO. Vieux patron de l’Action Française. S’il ne siège pas dans le staff du candidat, il n’a pas caché pour autant le « préjugé favorable » qu’il accordait à JPC.
Sont-ce ces sombres sirènes qui inspiraient le candidat Chevènement lorsqu’il déclara, samedi, à La Défense : « La tâche LA PLUS URGENTE après le 5 mai sera de mettre un terme au désordre qui s’est installé dans l’Etat » ?

23/1/2002
Embauche

« Fabius et DSK, on les embauche quand ils veulent » vient de déclarer Jean-François Copé, le père du programme du RPR. Il parle d’or. Ces derniers jours, on a pu prendre connaissance en effet de la note de Laurent Fabius à la Fondation Jean Jaurès, où il formule ses recommandations au premier ministre ; des bonnes feuilles de l’essai de Dominique Strauss-Khan « La cendre et la flamme » ; et de l’esquisse de projet du parti chiraquien concocté par JF Copé.
Les similitudes sont frappantes. Ou encore, comme l’écrit Le Journal du Dimanche, « les différences sont ténues ».
Les retraites ? Le premier plaide pour la capitalisation, le second milite pour l’épargne-retraite, le troisième daube « le choix de la répartition ». La fiscalité ? L’un propose d’aligner les règles sur les voisins (libéraux) européens, l’autre demande une ISF « supportable », le dernier parle d’alléger les charges des sociétés. Les services publics tels EDF ? Le RPR en appelle à « une baisse de participation de l’Etat » ; Fabius est favorable à « un désengagement de l’Etat » ; et DSK prône « une part résiduelle de l’Etat ». Les 35 heures ? il faut les modifier ; ou les assouplir ; ou les aménager. Et ainsi de suite.
On s’étonnera ensuite qu’en quelques années, le pourcentage des Français qui ne se situent ni à droite ni à gauche soit passé de 19 à 46%, pour reprendre une récente enquête Sofres-Cevipof. L’originalité du propos communiste vise, aussi, à bousculer cette unicité du discours, cette pensée alignée qui ont fini par détourner tant de Français des urnes.

30/1/2002
La loi

Les hiérarques socialistes se sont bien vite accommodés de la censure par le Conseil Constitutionnel du volet anti-licenciements de la loi de modernisation sociale. C’est le moins qu’on puisse écrire. Non seulement ils n’ont guère porté le deuil mais les voici comme libérés par la décision des « Sages », qui se livrent à une troublante surenchère libérale.
Jacques Delors remettait ces jours-ci le prix du « stratège de l’année » (sic) à Michel Pébereau, président de la BNP dans les salons d’un grand restaurant parisien. Profitant de l’auditoire –patronal- ainsi rassemblé, il lança ce cri du cœur : « Que le politique laisse un peu l’économie tranquille, elle ne s’en portera pas plus mal » !
Message subliminal destiné à sa fille, s’interrogea Le Figaro. Le fait est que Martine Aubry, le lendemain, déclarait à ce quotidien qui en fit son gros titre : « Ma philosophie personnelle n’est pas que tout passe par la loi ». Comme si vraiment le problème était là.
Tout au contraire, alors que le chômage reprend, que les plans sociaux se multiplient, que la Bourse prétend faire la pluie et le beau temps, l’article 107 – censuré- de la loi acquiert une singulière importance.
Ceux qui, à gauche, n’entendent pas capituler devant le diktat des notables du Conseil, les communistes tout particulièrement, se feront donc entendre, le 8 février, et rediront que « l’économie, l’argent, les entreprises doivent servir les êtres humains et non l’inverse ».

6/2/2002
La loi (suite)

Arlette Laguiller adopte volontiers une posture de contestation pure et dure. Plus anticapitaliste, tu meurs ! Mais quand il faut passer à l’acte, c’est une autre paire de manches.
Exemples :
1992. Le référendum sur le traité de Maastricht, ligotant les pays d’Europe dans un carcan libéral et d’austérité, divisait la France. Finalement, le oui l’emporta d’extrême justesse. En partie grâce à la consigne d’abstention prônée alors par LO.
2000. Le Parlement européen était sur le point d’adopter une résolution en faveur de la taxe Tobin. Certes ce projet ne faisait qu’égratigner la masse énorme des profits spéculatifs mais les libéraux, très près de leurs sous, paniquaient déjà, parlaient du risque d’ »insécuriser les marchés financiers ». Le projet fut repoussé à six voix près, notamment grâce aux trois élus LO qui avaient voté contre.
2002. Le volet anti-licenciements de la loi de modernisation sociale, adopté grâce à l’insistance des élus communistes, est censuré. Sous les quolibets croisés de la droite, des chevènementistes… et de LO. Laguiller, toujours aussi martiale, écrit dans l’éditorial de son hebdomadaire (n°1747) : « Ne comptons pas trop sur les lois pour nous défendre »… CQFD.
Sans transition, mais en guise de morale, la revue L’Entreprise de février s’étonne du « score important (de LO) chez les patrons indépendants », 9% selon l’institut CSA.

13/2/2002
Vocation tardive

Alerté par les sondages lui rappelant qu’il ne mordait guère dans l’électorat populaire, Chevènement a décidé de la jouer social. Il vient de sortir un dépliant où il se présente comme « Le candidat du monde du travail ». L’intitulé est martial. Pourtant, à lire l’opuscule, on se demande si le candidat, qui fit les délices de l’Université d’été du Medef en septembre dernier, ne rate pas sa cible.
Ainsi, page 2, Chevènement se présente comme « le seul, son parcours le prouve, à pouvoir redresser le cours des choses ». Et il énumère ses titres de gloire, dont cet aveu : « En 2001, il s’oppose à la loi de modernisation sociale » !
Page 3, il promet « une hausse du SMIC et des bas salaires de 25% sur cinq ans ». Pour financer la chose, il a une idée lumineuse : »La hausse sera obtenue par l’allègement des charges sociales ». En somme les salariés vont se payer leur propre augmentation, les patrons seront exonérés de tout effort. Il suffisait d’y penser…
Au fond, ce « quatre pages » aurait très bien pu s’intituler : « Le candidat du monde patronal ».

20/2/2002
Le nouveau monde, selon DSK

Le porte-parole du candidat Jospin, Dominique Strauss-Kahn, vient de rendre hommage à Tony Blair et « à ce qu’il a fait pour le Royaume Uni » ( France Inter, 20 février, 8h20). Evoquant la politique des sociaux démocrates en Europe, il a salué leur modernité et appelé la gauche française à suivre leur exemple : « Nous n’allons pas être le seul pays à vouloir conserver de vieux instruments pour un monde nouveau ».
Les instruments de Blair ? Parlons en. C’est tout à la fois la dérégulation de l’ensemble des services publics : la santé (en pourcentage du PIB, Blair a moins consacré à la santé que le gouvernement Thatcher) ; l’éducation (les travaillistes veulent obliger les étudiants à payer leurs études) ; les transports (les chemins de fer privatisés connaissent un véritable désastre) ; les postes ( l’acheminement du courrier est ouvert à la concurrence). C’est la casse du statut des fonctionnaires appelés à devenir des « entrepreneurs sociaux ». C’est la quasi fermeture des frontières à toute nouvelle immigration. C’est une politique de va-t-en guerre.
Ces gestes valent à Blair les louanges du Medef local, quoi de plus normal. Sur sa lancée, le travailliste anglais se retrouve même à l’unisson avec Silvio Berlusconi ; il vient de signer avec lui un « pacte libéral » appelant à pousser les feux de la déréglementation en Europe , c’est déjà plus saugrenu. Mais que Strauss-Kahn, gourou du candidat Jospin, puisse entrevoir là un monde nouveau, voilà qui est tout à fait inquiétant.

27/2/2002
La chapelle

Le contraste entre l’hyper médiatisation de la candidate Arlette Laguiller et le secret complet entourant son organisation, LO/Union communiste, est saisissant. Les médias, si prompts d’ordinaire à regarder dans les coulisses, à traquer les moindres indiscrétions, ici se taisent. Ou presque. Manque d’informations ou silence complaisant ? Il existe pourtant des récits, des témoignages sur la vie et le fonctionnement de « l’Union communiste » : « La vraie nature d’Arlette » de François Koch ; « Histoire sans fin » de Gérard Filoche ; voire le roman « Rouge c’est la vie » de Thierry Jonquet. Des textes, trop rares, qui donnent de cette organisation une image finalement peu rassurante : une culture de la clandestinité, une manie de l’anonymat ; une direction opaque ; une hiérarchisation quasi militaire ; une exaltation de la vigilance ; un parcours du combattant pour adhérer ; une défiance à l’égard des « intellectuels » ; des congrès en catimini ; un moralisme pesant baptisé « discipline comportementale » pour les adhérents ; un sens du « sérieux » qui vire à la sinistrose ; des cotisations qui s’apparentent parfois à une taxation ; la recommandation aux militants de s’abstenir d’avoir des enfants : « C’est vrai que la direction conseille plutôt à ceux qui veulent se donner entièrement au militantisme d’éviter d’avoir des enfants » confirmait Arlette Laguiller en personne dans Libération (31 mai 1988, p.10). Cela commence à faire beaucoup.
En choisissant ce candidat, des électeurs pensent peut-être manifester leur colère, ils encouragent en fait une chapelle, sinon une secte.

6/3/2002
Les Dupondt

On connaissait Dupond et Dupont, le couple de détectives qui traversait les recueils de Tintin. Voici Sarkozy et Sarkozy : Nicolas, qui se verrait bien demain premier ministre, est un des patrons du RPR ; son frère Guillaume, industriel, est lui vice-président du Medef. Le duo Sarkozy opère de concert dans cette campagne électorale et traque les voix pour Chirac. Ainsi il haranguait la semaine dernière des patrons du textile. Lesquels lui rappelèrent ce qu’ils attendaient de la droite, c’est à dire beaucoup. Par exemple faire sauter les 35 heures tout en « sauvegardant les allègements de charges sociales » liés à cette réforme ; ou encore casser le Smic en « le régionalisant ».
Le tandem des Sarkozy nous donne un avant-goût de ce que serait le paysage politique français si Chirac venait à l’emporter. Non seulement on hériterait de deux Sarkozy pour le prix d’un. Mais on verrait se remettre en place cette espèce d’Etat-Patrons qui est la marque de fabrique de la droite. Si les frères susnommés sont emblématiques de cette osmose, ils ne constituent pas pour autant un cas isolé. Des vieux barons de la Chiraquie comme Michel Roussin (il préside aujourd’hui le comité Afrique du Medef) à ce jeune loup de l’UDF, Renaud Dutreil, président de la très chiraquienne UEM (son épouse, Christine, dirige la communication du même Medef), les exemples d’un tel mélange des genres ne manquent pas. Grands patrons et notables conservateurs sont souvent de la même parentèle. Je dirais même plus : entre la droite et le Medef, c’est une affaire de famille.

13/3/2002
Exception française

Le Figaro a quelques marottes. Le bal des débutantes. La guerre des banlieues. Ou le déclin du PCF. Ces jours-ci, il consacrait encore une pleine page à ce dernier sujet. Apparemment, rien de neuf, dirait un lecteur distrait. Erreur. Certes l’incontournable Stéphane Courtois brode sur l’agonie communiste. Depuis vingt bonnes années, cette musique est connue. Plus problématique est l’approche de Marc Lazar. Cet historien reconnaît que « la gauche communiste » manifeste « une vraie puissance ». Certes sa façon de définir ce courant est parfois désobligeante. Pour lui, le communisme français, c’est tout à la fois « un refus obstiné de l’économie de marché, un rejet viscéral des Etats-Unis, une défiance profonde envers le réformisme, une passion jamais assouvie pour l’égalitarisme, une attraction irrépressible pour les solutions simplistes aux problèmes les plus compliqués, une préférence avouée pour la protestation permanente, un goût immodéré pour le conflit, une inclinaison continue vers la radicalisation du combat politique ». Passons sur les termes, gardons l’essentiel : l’idée communiste est vivace. L’historien ajoute que ce courant n’est pas isolé : » ses thématiques sont familières à la gauche et nombre d’électeurs et de militants socialistes les partagent ». Lazar juge enfin « ces caractéristiques fortement enracinées en France ». Comme l’indique le titre de son article, il y a bel et bien une « exeption française » en matière de communisme.

20/3/2002
Le magot d’Arlette

Arlette Laguiller, ou du moins le groupe dont elle est la porte-parole, dispose de près de vingt millions d’actifs financiers ! Cette étonnante information figure au Journal Officiel (édition 1999, pages 36190 et 36191), lequel publie régulièrement les budgets des formations politiques. Ce pactole se compose plus précisément de onze millions six cent mille francs de valeurs mobilières de placement et de six millions de disponibilités. Depuis trois ans, avec les intérêts, on doit donc avoisiner les vingt millions de francs ou deux milliards de centimes. Un bon paquet de Smic en vérité.
Ainsi LO boursicote ! L’ami des pauvres n’est guère dans le besoin. L’expropriateur des « gros » est lui-même bien pourvu. L’ennemi du système est bien dans la place, c’est le moins qu’on puisse écrire. Alors que tous les partis tirent le diable par la queue, lui-même laisse dormir des sommes appréciables. Ses électeurs apprécieront. Les autres aussi. Quand le mandataire de cette secte négocie avec son banquier les meilleurs placements, qui des deux rie le plus ? Les deux, sans doute.
En fait cette révélation est doublement symbolique. Du double discours de ces professionnels de la « Révolution », certes. Mais aussi, mais surtout de l’inutilité de cette formation qui, tel un parvenu qui ne sait pas quoi faire de son or, dort sur son capital. Comme Arlette au fond qui somnole sur son magot électoral, entre deux élections présidentielles.

27/3/2002

Arlette Laguiller n’a pas apprécié. Ce billet m’a valu, ainsi qu’à L’Humanité, un procès intenté par LO. Ces tracasseries ont duré plus d’une année. Mais finalement, Lutte Ouvrière a été déboutée par la 17è chambre correctionnelle de Paris. Et entre-temps, des lecteurs vigilants attiraient mon attention sur l’édition 2000 du Journal Officiel ; ce numéro actualisait le bilan financier des formations politiques. J’y découvrais que les valeurs mobilières de placement de LO étaient passées, d’une année sur l’autre, de 11 600 030 francs à 18 965 773 francs…
Les incultes

L’esprit « entrepreneurial » marquerait des points en France. Et nos concitoyens seraient prêts, demain, aux grandes « refondations » d’inspiration libérale. C’est du moins le discours lancinant de la droite ces derniers mois. Une batterie de sondages, un tantinet orientés, a même été préparée en ce sens. Las, les résultats ne correspondent pas toujours aux désirs de leurs commanditaires. Ainsi le Medef, pleinement engagé dans la campagne électorale, tenait beaucoup à montrer que ses propositions étaient populaires. Il vient de rendre publique une enquête en ce sens. Où l’on voit que 68% des sondés refusent son projet de « remplacer les cotisations sociales maladie sur les salaires par une cotisation de type CSG ». Même rebuffade subie par Le Figaro. A la question : « Quelle est la mesure la plus efficace pour préserver les droits des salariés », 61% des sondés répondent qu’il faut sanctionner « les entreprises qui licencient tout en faisant des bénéfices ». Cette mesure, qui rappelle si fort le combat communiste autour de la loi de modernisation sociale, « rallie les électorats les plus opposés », regrette ce quotidien. Voilà qui ne cadre guère en effet avec l’image « moderne » que l’on voudrait donner des Français. Mais Laurence Parisot, présidente de l’Ifop, a trouvé l’explication : ces résultats « mettent au jour la faible culture économique des Français et leurs difficultés à comprendre les flux financiers ». Evidemment !Il fallait y penser. Ainsi, acquiescer à la loi du fric, c’est être cultivé. Y résister, c’est être ignare. Le problème, c’est que 61% d’incultes, cela fait du monde. La droite a du mouron à se faire.

3/4/2002
EDF. Privatisation, acte II

Lors du sommet européen de Barcelone, Jacques Chirac et Lionel Jospin ont notamment donné leur accord à l’ouverture du capital d’EDF après les élections. Rien à voir avec la privatisation, minaudaient alors les deux têtes de l’exécutif. Quelques jours plus tard, cependant, on apprenait par des indiscrétions de presse que François Roussely, président d’EDF, « préparait bel et bien la privatisation partielle du premier électricien mondial et verrouillait peu à peu son dispositif ». Dernier exemple en date ? il vient d’annoncer l’arrivée ces jours-ci à la tête de la « Direction stratégies et opérations financières » du groupe, un département clé dans les mois à venir, d’Anne Le Lorier.
Cette énarque, qui s’était jusque là partagée entre la Direction du Trésor et la holding Fimalac, a un pedigree très particulier : c’est une fidèle d’Edouard Balladur dont elle a été le conseiller économique à Matignon de 1993 à 1995. « Cette nomination, observe Le Figaro, constitue un gage politique vis-à-vis de la droite…et un gage pour les autorités financières ».
Le président Roussely va décidément plus vite que la musique. Non seulement, il a tout l’air de considérer acquis le principe de privatisation, alors qu’aucune décision n’est prise, et que le Parlement n’est ni informé, ni consulté. Mais de surcroît, il fait comme si la droite était bel et bien de retour au pouvoir en mai prochain.
C’est ce genre de technocrates qui doivent trouver très agaçantes les élections. On les imagine se dire : vivement que ce cirque s’achève ! Raison de plus, avec le vote Robert Hue, de s’opposer à toute privatisation d’EDF-GDF ; et dans le même temps de faire entendre à ces énarques que, jusqu’à nouvel ordre, le dernier mot appartient tout de même aux électeurs.

10/4/2002
Le grand secret

Remercions Michel Barnier. Cet ancien ministre chiraquien, actuellement commissaire européen, avait donné, dans une tribune libre de Libération (12 février), passée à l’époque un peu inaperçue, le mode d’emploi de la présidentielle. En substance, il écrivait : il y a ce que les « grands » candidats disent, Chirac singulièrement ; et il y a ce qu’ils feront. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Et ce qu’ils feront est quasiment déjà planifié « à Bruxelles et Strasbourg ». Ils n’en parlent pas : car ce sont « des décisions politiquement difficiles à assumer ». Et de citer Jonathan Swift : « Le mensonge politique est l’art de faire accroire au peuple les faussetés salutaires pour quelque bonne fin ». Barnier appelait cela « le grand secret de la présidentielle ».
Un mois plus tard, le sommet de Barcelone confirmait magistralement ce double langage des dirigeants ; ce conclave européen prenait en effet une série d’engagements en matière économique (libéralisation du marché de l’énergie), budgétaire (fin des déficits publics en 2004) ou sociale (âge de la retraite mais aussi modération salariale ou organisation flexible du travail), fort peu évoqués dans les propos parisiens de Chirac…et de Jospin.
L’autre mérite de Barnier est de rappeler que toutes ces décisions ne relèvent d’aucune espèce de fatalité ; elles sont prises dans des instances politiques « où siège un ministre français ». Ce sont bel et bien des choix politiques. Ce qui veut dire aussi que ce qui a été fait peut être défait.

17/4/2002
Docteur Francis et Mister Mer

Le grand patron de la sidérurgie, Francis Mer, se retrouve donc ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie. A en croire les portraits brossés de lui ces jours-ci, cet homme lige de la nouvelle équipe gouvernementale serait tout bonnement un saint. Des chroniqueurs admettent, certes, que le personnage serait un tantinet autoritaire. Mais si peu. Et pour le reste, on ne lui connaîtrait que des qualités. Il serait ami avec tout le monde, avec la gauche ( voir Roger Fauroux), avec la droite (Alain Madelin), avec le centre (Bayrou notamment). Mer séduirait ses pairs (Medef) et fascinerait les syndicalistes, comme Nicole Notat ; il serait le prototype du capitaine d’industrie mais ferait l’admiration de ses salariés. Ce serait un « visionnaire », « un analyste fin de la mondialisation », un leader « rigoureux », l’apôtre du « dialogue social actif » (Le Monde), « un chrétien convaincu » (Le Figaro) ; etc…
Un vrai conte de fées, en somme ? Ou une façon de se moquer du monde ?
Et de faire passer l’idée que, pour la première fois de son histoire, la France verra le représentant en chef du « comité des forges » piloter son économie. Ce libéral en diable a fermé, racheté, fusionné, avec une aide publique colossale (100 milliards de francs) ; il a cassé le destin de près d’une centaine de milliers de sidérurgistes ; il a ravagé des régions entières, transformées en « Schtroumpfland » et terre à Le Pen.
Bref on voudrait nous faire croire que ce docteur Francis a fait, Mister Mer va le défaire.

15/5/2002
Parlez-vous le Raffarin ?

Le nouveau premier ministre et son équipe s’expriment bien souvent dans une étrange langue. Est-ce pour faire moderne ? Pour marquer la rupture avec la gauche ? Est-ce la trace de besogneux communicants ? Le fait est que les nouveaux dirigeants multiplient les formules aussi insolites que tarabiscotées. Ainsi, on ne s’adresse plus à l’opinion, on lui envoie « un message fort ». On ne parle plus des problèmes des gens mais « des questions majeures sur le terrain » ; on ne met plus en avant « la crise politique », on évoque « notre organisation qui a généré au fil des décennies beaucoup d’impuissance publique ». Plus question non plus de dire agir, on préfère déclarer : « Il faut faire en sorte que » ou encore « Il faut donner un signe du changement d’attitude politique nécessaire aujourd’hui ». On ne dit plus « entendre », on assure : « Cela nous rappelle l’impérieuse nécessité d’être à l’écoute du peuple ». Modeste, la nouvelle équipe n’a plus d’ambitions personnelles ; c’est Raffarin qui a fixé la règle : « Faire en sorte que ma personne ne soit pas, pour moi, un centre d’intérêt » !
Pourquoi parler simple, en effet, quand on peut faire biscornu ?
Mes ministres « ne sont pas des professionnels de la langue de bois », se félicite Raffarin. Peut-être. Mais le fait est qu’il est en train d’imposer un nouveau jargon convenu, un charabia formaté. Qui cache mal, soit dit en passant, un solide mépris pour les gens « d’en bas ». S’il est vrai que l’envie de faire (et de parler) autrement de la politique est forte, ce n’est sûrement pas ce nouveau sabir raffarinien qui va remobiliser les citoyens.

22/5/2002
Les réacs

Réactionnaires : partisans d’idées, d’actions qui s’opposent au progrès social et visent à rétablir l’ordre antérieur, dit le Petit Robert. C’est très exactement la définition que l’on peut donner du nouveau gouvernement. Certes, ce dernier y met les formes, les législatives obligent. Mais sa philosophie est faite et son ennemi est désigné : 1968 !
Les causes de l’insécurité ? 68 ! Les raisons du délitement du lien social ? 68 ! Les racines de l’irrespect ? 68 ! Le pourquoi de l’échec scolaire ? 68 !
Aux lendemains du premier tour de la présidentielle, dans Le Monde, Sarkozy fustigeait encore « ces années où les valeurs ont perdu leur sens, où il n’y avait que des droits et jamais de devoir, où il était interdit d’interdire. » Luc Ferry, nouveau ministre de l’Education, et auteur de pamphlets sur ce sujet, est sur la même longueur d’ondes. Raffarin ne dit pas autre chose lorsque, l’air chafouin, il oppose les vertus provinciales à l’agitation parisienne. Effacer 68 : ce lot d’ordre fédère toute la droite.
Il y a dans cette nostalgie réactionnaire comme une rêverie de retour à une société autoritaire, hiérarchisée, moralisante. D’avant 68. Comme une envie en somme de caserne. Non pas une restauration pure et simple, avec les matraques de Peyrefitte, l’Ortf aux ordres ou la bobine de Guy Lux. Mais un conservatisme nouveau, où des réacs branchés nous expliqueraient qu’on a fait la part trop belle à l’esprit critique, à l’autonomie de l’individu, à la liberté d’expression ; et agiraient en conséquence. Un air de déjà vu. Le combat continue.

29/5/2002
Ceux d’en bas

La droite raffarinienne croit avoir trouvé le sésame avec son slogan : « La France d’en bas ». Elle l’avait d’ailleurs déjà expérimenté l’an passé aux élections municipales. Contre ceux d’en haut, de l’Administration, du Centre, de l’ « Establishment », elle se présente en porte-voix des petits. Salonarde et friquée, cette droite ne manque pas de culot. Mais si le thème rencontre un certain écho, c’est parce qu’il semble répondre à la crise de la politique. Le sentiment que l’activité publique est distante, éloignée de la vraie vie est fort ; et l’envie de proximité, de « terrain » est nette.
Cela ne saurait déconcerter les communistes ; on pourrait écrire qu’avec leur pratique militante, le terrain, ils connaissent plutôt, même si les efforts en ce domaine se sont ralentis ces derniers temps. Mais ils ne mettent pas la même chose que la droite dans ce mot de proximité. Quand la droite parle des « petits », c’est le plus souvent pour les rapetisser, les émietter, rabougrir leurs problèmes, les opposer les uns aux autres. Son basisme fâcheux désarme en fait ceux qu’elle prétend défendre. « Trop de proximité empêche la vue » disait déjà Pascal.
Pour les communistes, au contraire, la démarche est citoyenne. Ils entendent brasser avec les gens tous les problèmes, ceux d’en bas et ceux d’en haut ; retisser le lien social et collectif ; redonner goût à la politique pour bouger les choses. Dans le quartier, la cité, le pays, le monde. C’est plus qu’une nuance dont il s’agit ; c’est toute la différence qu’il peut y avoir entre démagogie et démocratie.

5/6/2002
Coup de pouce

Les patrons s’installent. Au gouvernement, on avait vu un maître des forges prendre en charge l’Economie. La semaine passée, on annonçait l’entrée discrète au cabinet de François Fillon, ministre des affaires sociales, de l’alter égo de Denis Kessler, grand assureur et gourou du MEDEF. Au Parlement, il devrait en être de même. On comptait dans l’Assemblée sortante quarante quatre dirigeants de société et cadres supérieurs du privé, pour trois ouvriers ( ces derniers figurant dans les rangs communistes). Au train où vont les choses, cette sur-représentation patronale pourrait s’amplifier. On peut en effet s’attendre à une arrivée significative de chefs d’entreprise dans les fourgons de l’UMP. Alors que l’on parle tant de proximité, voilà que prend forme un pouvoir des gens d’en haut qui reflète bien mal les contours de la société ; et qui ne risque guère d’être à l’écoute de la France d’en bas.
Un exemple : mercredi dernier, Francis Mer déclarait sur Europe 1 qu’ « en dehors d’un geste symbolique », il n’était pas « personnellement convaincu » qu’un coup de pouce au Smic soit « dans l’intérêt des entreprises ».Il aurait pu dire :… dans l’intérêt du pays ou de la France. Non : « des entreprises ». Anecdote : le même jour, le 6 juin, étaient rendus publics les gains de Jean Marie Messier en 2001 : le Pdg de Vivendi-Universal (VU) a perçu, après impôts et cotisations sociales, 2,337 millions d’euros, soit un coup de pouce, non plus symbolique mais bien réel celui-là, de 66% sur l’année précédente. On n’a pas oublié que les comptes de VU en 2001 s’étaient soldés par une perte de 13,6 milliards d’euros.

13/6/2002
Paresse médiatique

Les médias sont souvent paresseux. Plutôt que de mener un véritable travail d’investigation, on les voit fréquemment reprendre des idées qui sont « dans l’air ». Plutôt que d’ouvrir des pistes nouvelles, ils regardent ce que les autres regardent. Tiraillés par l’audimat, ils courent derrière les mêmes chimères. C’est un peu un monde fermé sur lui-même, utilisant les mêmes clichés, les mêmes expressions.
On se rappelle comment, pendant des mois, ils ont entretenu la fable d’un second tour qui devait voir s’affronter Jacques Chirac et Lionel Jospin ; comment, longtemps, ils ont totalement minoré le phénomène Le Pen ; comment ils ont martelé l’idée que tous les programmes étaient identiques, au risque de faire perdre toute envie de politique ; ou comment encore ces derniers jours, ils ont rabâché le scénario de la mort du PCF.
Certes, ce ne sont pas les médias qui « inventent » ces thèmes. Mais souvent ils font chorus avec et se contentent de les reprendre sans grande précaution. « L’un des rôles des journalistes, rappelle pourtant ces jours-ci dans le quotidien La Croix un universitaire grenoblois, Daniel Bougnoux, professeur de sciences de l’information, c’est de redonner le goût du débat. Les médias, de ce point de vue, ont une tâche de désenchevêtrement, d’élucidation des différences. Il faut réapprendre à choisir. Le retour du politique doit être le retour d’une culture de l’argumentation, du débat critique ».

19/6/2002
Des rassembleurs

Des chercheurs du Cevipof (Centre d’étude de la vie politique française) organisaient mercredi dernier une réunion publique sur les élections législatives à la Maison des sciences de l’Homme.
Dans une communication sur « le vote de gauche », l’universitaire Elisabeth Poirier a notamment montré que si, au deuxième tour, les candidats socialistes, communistes et verts ont en règle générale mobilisé l’électorat de gauche, les postulants communistes ont particulièrement bien rassemblé.
Un indice ne trompe pas : celui qui indique la réduction de l’écart entre la gauche et la droite d’un tour sur l’autre. Ce sont les communistes qui ont le mieux réduit cet écart. En effet, il est passé en moyenne pour les candidats verts de –23,7% à –15% ; pour le PS, il se rétracte de –12,9 à –3,3 ; pour les communistes, ce rapport s’inverse carrément : on passe de –4 à +3,4.
Ce qui indique certes que les communistes sont présents dans les circonscriptions les plus à gauche mais aussi, comme l’a indiqué un participant, que les candidats du PC ont réussi un « formidable travail de mobilisation » et engrangé un « taux de succès phénoménal » au second tour .

26/6/2002
L’Etat (néo) RPR

Le RPR a une manie : dès qu’il se sent les coudées franches, il fait main basse sur l’Etat. Cette boulimie lui a pourtant coûté cher dans le passé. N’empêche : il remet ça. Certes, officiellement, ce parti est en voie de dissolution dans une nébuleuse conservatrice. Mais de fait c’est lui qui continue de tirer les ficelles. Il faut dire qu’il n’a plus guère de concurrent à droite : il a terrassé les ex-alliés de l’UDF ou neutralisé ses bêtes noires (Giscard préside une convention européenne, Léotard pantoufle à l’inspection du travail) ; il détient 65% des sièges de l’UMP (un sigle dont le RPR détient la propriété, déposée à l’Inpi en décembre dernier !) et occupe les postes clés de cette fédération.
Non content de truster toutes les grandes institutions ( son ancien secrétaire général vient encore de rafler la présidence de l’Assemblée), voici qu’il accapare la haute fonction publique. Et vite. Une semaine à peine après les législatives, le conseil des ministres du 25 juin a procédé à une série de nominations de fidèles dans la hiérarchie policière et les administrations préfectorales : dix sept préfectures ont changé de titulaires, dont cinq de région (Bourgogne, Bretagne, Limousin, Lorraine et Picardie). On parle à présent d’un vaste mouvement de chaises musicales dans les rectorats, la diplomatie et la haute magistrature. Le service d’espionnage français devrait changer de tête cet été : selon le journal Le Monde, « plusieurs fidèles du Chef de l’Etat se sont déjà portés candidats ».

10/7/2002
Particules

Parmi ses devoirs de vacances, l’équipe de Raffarin s’est fixée l’objectif d’accélérer la mise en place d’hommes liges aux endroits névralgiques de l’appareil d’Etat. C’est le cas notamment de la diplomatie. Au beau milieu de l’été, un important mouvement a eu lieu au Ministère des Affaires Etrangères. Je livre l’information telle que la presse l’a rapportée . Le nouveau patron de ce secteur, Dominique de Villepin, a ainsi nommé au poste de secrétaire général du Quai d’Orsay Hubert Colin de Verdière. Ce dernier va disposer d’un nouvel adjoint, qui aura également le titre de directeur général des affaires politiques et de sécurité : Stanislas de Laboulaye. D’autre part, dans un des plus prestigieux postes à l’étranger, la représentation de la France auprès des Nations Unies à New York, on trouve désormais Jean-Marc de la Sablière. Quant à l’ancien chef de direction « Afrique du Nord – Moyen Orient », Yves Aubin de la Messuzière, il va partir pour Tunis.
L’ancien numéro deux de l’ambassade de Washington, François Barry de Longchamps, va prendre la direction des Français de l’étranger et des étrangers en France. On parle de Maurice Gourdault-Montagne pour prendre en charge la cellule diplomatique de l’Elysée. Enfin, l’ancien ambassadeur à Washington, François Bujon de l’Estang, est pressenti pour prendre la tête de l’Areva, ex-Cogema. Ne cherchez pas l’intrus, il n’y en a pas. Ce tir groupé de particules, rendu public qui plus est aux environs du 4 août, risque fort de troubler le manant moyen. Et puis, cette énumération fait un peu désordre alors que l’on parle si fort de la France d’en bas et d’ardeur républicaine.

21/8/2002
Electorat typé

Le Cevipof, avec l’aide du ministère de l’Intérieur et de la Fondation des sciences politiques, vient de mettre sur pied un instrument d’analyse de l’électorat ( et de l’abstentionnisme), sur la base d’une enquête portant sur plus de 3000 personnes, soit l’étude la plus large menée à ce jour. Cet organisme a présenté cet été une note intitulée « Panel électoral français 2002 ». Ces premiers résultats permettent de mieux cerner le profil de l’électeur (et de l’abstentionniste) du printemps dernier en général, et de l’électorat communiste en particulier.
Il est de bon ton dans certains médias de se gausser de cet électorat, jugé indécis, en perte de repère, s’étiolant idéologiquement. De cette enquête, il ressort au contraire que l’électorat communiste a des idées bien arrêtées ; bien souvent il est même en pointe. Ainsi, de tous les électorats, il est incontestablement « le plus » attaché au combat contre l’injustice sociale, « le plus » opposé aussi aux mesures autoritaires et répressives.
C’est par exemple l’électorat « le plus » favorable à l’idée selon laquelle, « pour faire face aux difficultés économiques, il faut que l’Etat contrôle les entreprises et les réglemente plus étroitement » (83%) ; c’est celui qui porte le plus haut la valeur consistant à « réduire l’écart entre les riches et les pauvres » (51%) ; celui qui est « le plus » opposé aux idées qu’ « il faudrait réduire le nombre de fonctionnaires » (81%) ou « …rétablir la peine de mort » (82%) ou encore « …supprimer les allocations familiales aux familles de mineurs délinquants pour lutter contre la délinquance » (70%). Il est sur ces thèmes le plus en pointe à gauche, et le plus éloigné de ses adversaires de droite, Madelin sur les questions économiques et sociales, Le Pen sur la démocratie.

28/8/2002
La rentrée des gourous

Les gourous libéraux semblent avoir, cette année, écourté leurs vacances. Dès la mi-août, on les a vus, en effet, dans les médias ou l’édition, multiplier les pamphlets et les manifestes. Un peu comme s’il y avait urgence. Ainsi, Jean-François Revel a publié les bonnes feuilles de son nouvel essai, « L’obsession anti-américaine », où, dixit l’éditeur, « il défend une mondialisation libérale dont les Etats-Unis seraient le laboratoire exemplaire ». Guy Sorman de son côté, à l’occasion du sommet de Johannesburg, peste dans Le Figaro contre ceux qui « ressassent le procès du capitalisme, de la pollution et de l’inégalité entre les nations » et soutient mordicus l’idée que « tout véritable écologiste devrait donc être mondialiste et libéral ». Alain Minc, lui, a martelé, dans Le Monde, l’idée que « nous ne vivons pas, depuis quelques mois, n’en déplaise à certains, la crise finale du capitalisme » et il formule la thèse que le capitalisme actuel serait devenu une « économie d’opinion ».
Chacun à sa manière retravaille le vade-mecum des possédants avec une certaine hâte. La mobilisation générale, en plein été, de ces bonnes âmes peut s’expliquer ainsi : élue par défaut, la droite a besoin de convaincre. Le paradoxe, en effet, c’est que cette famille, adepte zélée du libéralisme, a été « plébiscitée » au moment même où ses recettes libérales se vendaient mal. D’où cet effort renouvelé d’argumentation ; et ce besoin de faire donner ses gourous. La droite a conquis les postes, elle n’a pas gagné les têtes. Elle est fragile, elle le sait. Cette situation ouvre de belles perspectives à tous ceux qui, comme les communistes, entendent lui riposter et faire échec au capitalisme.

4/9/2002
Le piège

Les contours de la vie publique que nous concocte Juppé prennent forme. Avec le lancement de l’UMP et l’annonce de nouveaux modes de scrutin ( tout pouvoir aux listes arrivées en tête aux régionales ; interdiction des triangulaires aux législatives ; régionalisation du scrutin aux européennes), on cherche à installer au forceps un bipartisme à l’anglo-saxonne. Ce tour de passe-passe permettrait aux deux partis « dominants » de rafler la mise alors qu’ils ne totalisent que 35% des suffrages.
Les autres, et ce n’est pas rien, devraient soit s’aligner, soit s’égayer dans une protestation cacophonique et vaine. C’est dit tel que par Philippe Douste-Blazy dans Le Figaro : « Cette évolution à l’américaine va tuer les faux-culs, ceux qui veulent la différence (fausse) et le pouvoir (vrai), comme le PCF. En revanche, elle va exacerber les clivages avec les extrêmes -gauche et droite- qui ne veulent pas du pouvoir mais sont dans la protestation ».
Ce projet a ses partisans à gauche. Ainsi Alain Touraine dans Le Nouvel Observateur plaide pour un parti unique de la gauche, laquelle se résume à ses yeux au PS et aux verts. Un tel plan va immanquablement susciter la structuration d’une gauche de la gauche, souligne-t-il. Qu’importe : elle serait « en dehors du champ proprement politique. Ce risque doit être couru car il est limité ».
Ainsi les uns et les autres rêvent d’une société où des inclus politiques, petite élite centro-centriste, s’occuperaient des vrais problèmes alors que les exclus s’agiteraient dans une posture protestataire, et impuissante. On les laisserait défiler, on les pénaliserait à l’occasion ; mais de toute manière, on les tiendrait à distance du pouvoir. Le piège est très sérieux. Il mérite d’être dénoncé et combattu.

12/9/2002
L’éparpillement vert

Alors qu’un audit interne vient de qualifier les Verts d’organisation « éclatée et faible », on observe comme un éparpillement des cadres de ce parti. Selon le JDD, Dominique Voynet rêverait de « trouver un poste de consultante internationale sur les questions d’environnement. Beaucoup d’écolos veulent le croire : les grandes entreprises ont intérêt à compter dans leurs rangs des politiques reconvertis ». Aux dernières nouvelles, elle intégrerait la nouvelle agence de Nicole Notat. L’ancien secrétaire Jean-Luc Benhamias, qui fut directeur de campagne du candidat Mamère, a été lui embauché à Europe 1 pour parler de football dans « Le match du lundi », l’émission de Pierre-Louis Basse. Son rêve : »Commenter les championnats du monde d’athlétisme ». Stéphane Pocrain, un des porte-parole du mouvement, compte rejoindre la sphère médiatique du côté…d’Arthur ou de Ruquier. Denis Baupin quitterait la direction pour se rabattre sur la Ville de Paris. Lipietz repartirait dans l’associatif. Sans parler de ce cas si singulier de Michel Michelon, conseiller régional vert d’Ile de France, qui vient de passer à l’UDF. Il ne s’agit pas ici de nier l’envie légitime de ces politiques de changer d’air, de bouger, de se renouveler. Mais en l’occurrence, le symptôme pour les Verts est sans doute plus grave. Cette cascade de démissions ressemble en effet à une débandade. Préfigure-t-il un progressif effacement de ce parti ? En tout cas, voici « un coup de blues qui prend des allures de suicide collectif », selon l’expression du journaliste François Bazin.

18/9/2002 (édition spéciale)
Tonique

Il y a des jours où la lecture de la presse est un régal. Ainsi tout au long de la semaine dernière se sont multipliés articles, chroniques et éditos consacrés à la Fête de l’Humanité. Réconfortant. L’essentiel des médias a dû reconnaître l’ampleur du succès de ce rassemblement. « La Fête a fait le plein à La Courneuve » écrit Didier Micoine du Parisien. Le Populaire du Centre parle d’une « affluence exceptionnelle » et titre : « Le parti de la riposte ». Pour L’Est Républicain, « le beau temps aidant, la version 2002 de la Fête de l’Humanité a connu, comme l’édition 2001, un grand succès ». « La Fête tombe à point » estime Libération Champagne, car elle permet au PCF « de prendre la tête de l’opposition à la guerre ». Dans Le Midi Libre, Gérard Courtois voit dans le rassemblement du Bourget « l’occasion pour le PCF de démontrer qu’il est encore capable de surmonter le traumatisme de l’élection présidentielle ». Jean-Marie Deroy du Courrier Picard a vu « la foule répandue dans le Parc de la Courneuve ». « Gros succès populaire » titre de son côté Ouest France qui ajoute « Foule sous le soleil ». L’Yonne Républicaine parle de « près d’un demi million d’entrées ». La Provence estime que « la Fête se refait une jeunesse ». La Tribune de Lyon juge que « la Fête a battu des records ». Tous ou presque mettent l’accent sur le caractère « combatif » (Nord Eclair), « offensif » ( La Dépêche du Midi), « actif » (La Nouvelle République du Centre Ouest), « tonique » (La Dépêche du midi) ou « résistante » (Vingt minutes). Même tonalité dans Nice Matin ou Le Berry. La rentrée des communistes, décidément, a fait événement.

25/9/2002
Passion française

Beau titre que celui du dernier livre de Marc Lazar, « Le communisme. Une passion française », publié ces jours-ci chez Perrin. Dont on ressort avec un sentiment contradictoire. D’un côté, l’auteur n’échappe pas à un certain air du temps qui répète à l’envie que le communisme est mort, enterré. Point à la ligne. Dans le même temps, le chercheur semble nous dire un peu autre chose. D’abord qu’il y a une passion spécifiquement française pour le communisme. Notre pays demeure la principale terre d’élection du communisme en Europe, estime-t-il : »Une forme de communisme continue d’exister » indépendamment des évolutions électorales. D’autre part, ce courant est profondément enraciné : Lazar parle d’une « forme d’empathie » qu’une partie de l’opinion nourrit avec lui ; certes le soviétisme imprima longtemps sa marque mais le communisme en France « s’encastra » dans la société, se nourrissant « des passions – françaises – de la révolution et de l’égalité, pour l’essentiel ». Il voit dans ce communisme français « le produit dérivé de la passion révolutionnaire qui a travaillé le pays sur la longue durée et en profondeur la démocratie française » (1789, 1793, les révoltes populaires, le syndicalisme révolutionnaire..). L’historien montre la filiation de ce courant avec une tradition nationale : « Le communisme en France résulte de la faible imprégnation du libéralisme politique, voire du fort sentiment antilibéral ». Il s’agit aujourd’hui d’un courant affaibli, certes, mais comme le souligne le critique du Monde au terme de sa lecture du livre : « Le communisme reste fort d’une mémoire, d’une culture et d’une conscience morale d’autant moins négligeable qu’elles imprègnent l’ensemble de la gauche française. »

9/10/2002

Les munichois

Pierre Marion n’est pas content. Celui qui fut longtemps le directeur général de la DGSE, l’organisme du contre-espionnage français, n’a pas du tout apprécié que des parlementaires expriment leur refus de voir la France entraïnée dans une aventure américaine en Irak. Commentant l’intervention de Marie-George Buffet à l’Assemblée nationale, il a le toupet d’écrire, dans « France Soir », que « La représentante du PCF oublie ce que son parti a fait en 1940 après l’invasion de la France ». Histoire d’enfoncer le clou, il intitule son papier « Le syndrome de Munich ». Le bonhomme devait se sentir encouragé par des propos de la même veine tenus quelques jours auparavant par François Fillon : ce dernier avait accusé le Front Populaire d’avoir désarmé le pays face à Hitler !
La rhétorique de Marion est aussi ridicule qu’obscène. Obscène car le maître-espion oublie de dire que les Accords de Munich – la France officielle abandonne les Sudètes, puis la Tchécoslovaquie, à Hitler – ont été votés par le Parlement français à l’exception des 73 députés communistes. Seuls. C’est donc du côté des Marion et compagnie qu’il faut traquer le syndrome de Munich, c’est là que l’on trouve les partisans du « lâche soulagement », de la drôle de guerre qui fut une drôle de capitulation, de la « divine surprise » que constitua le vote des pleins pouvoirs à Pétain et à l’extrême droite.
Mais les propos de Marion sont pareillement ridicules. Déplacés. De tels « arguments » disent en fait la fébrilité du camp de la guerre, sa difficulté à vendre son projet, à justifier aussi ce budget pluriannuel insensé du surarmement d’un montant de près de 100 milliards d’euros que le pouvoir nous concocte alors qu’il chante sur tous les tons les vertus de l’austérité.

16/10/2002
Heu-reux

Une campagne bizarroïde colporte ces jours-ci l’idée que la droite et la gauche, ce serait kif-kif, que le gouvernement actuel ne ferait au fond que prolonger l’ancien. La « Une » de Libération, samedi dernier, clamait même : « La droite s’habille rive gauche ». Il y en a un pourtant qui ne s’y trompe pas, c’est le patronat. Lui ne confond pas les genres et sait bien qui fait quoi.
Pendant des mois, sous le drapeau de la « refondation », il a mené une guerilla tenace contre la gauche plurielle ; il a multiplié aux patre coins de la France colloques, conférences de presse et manifestes à cet effet ; il a martelé quelques idées simples : Sus aux lois qui corsètent ! Vive la négociation ! Vivent les acteurs sociaux !
Ce discours était parfaitement opportuniste. Aujourd’hui, le Medef a tourné casaque. La loi ? elle lui va fort bien quand il s’agit de satisfaire sa demande en heures supplémentaires. La négociation ? le dialogue social ? Cela peut attendre. La « refondation » ? Il n’y a pas le feu. Heu-reux. Les patrons sont globalement satisfaits. Et enterrent la hache de guerre… pour un an. Pendant douze mois, le Medef compte faire profil bas. Et laisser le pouvoir faire ses preuves.
Ce faisant, comme l’écrit Claire Guélaud dans une chronique du journal Le Monde, Seillière « donne raison à la CGT qui s’est livrée au printemps dernier à une analyse très critique de la refondation sociale et de son intrumentalisation par le patronat ».

23/10/2002
Le Figaro (se) rassure

Le Figaro fait fort. Sur huit colonnes, vendredi dernier, le quotidien affiche ce citre en gros caractères : « Bouffée d’optimisme chez les Français ». Original. La croissance est en panne, les plans sociaux se multiplient, les bruits de botte se font entendre mais les journalistes du groupe Hersant s’éclatent.
Une vague enquête indiquerait que le moral des ménages en octobre serait un tout petit peu moins porté au pessimisme qu’en septembre et cela a suffi au journal phare de la droite pour sortir le clairon. Alors même que toutes les études pointent une tendance très exactement inverse. En voici trois exemples relevés la semaine passée. La revue patronale « Actualités » s’inquiète : « Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que le climat est de plus en plus tendu ». L’association « Entreprise et travail », qui regroupe les directeurs des ressources humaines, tire ce signal d’alarme : « A force de laisser le social en suspens, on ne ferait que s’enfoncer dans un immobilisme propice à toutes les explosions ». Enfin, dans une analyse sur le climat social à la veille des prud’homales, destinée aux patrons de la métallurgie, Christiane Lot conclut par cette réflexion d’Alexis de Tocqueville : « Les révolutions naissent des causes générales fécondées par le hasard ». Un propos qui n’a guère dû tranquilliser ses commanditaires.
On se dit alors que l’empressement du Figaro à rosir le paysage est à la mesure de l’inquiétude de cette droite : parfois le vertige la taraude. Heureusement Hersant la rassure.

6/11/2002

Le modèle américain

L’Amérique a donc voté. Et si c’était une façon de parler ? Les médias en effet ont été remarquablement discrets- ou carrément muets- sur le taux de participation. Il tournerait autour de 35% ! Soit une abstention oscillant entre 60 et 70% ! Mal élu à la présidentielle, Bush est « plébiscité » - on a parlé de « victoire historique » - par un pan rabougri de l’opinion, pour l’essentiel l’Amérique du troisième âge. Le « Washington Post » note par exemple que ce scrutin attirait d’ordinaire deux fois plus de personnes âgées que d’électeurs de moins de 30 ans. « Les questions qui dominent la vie politique reflètent les préoccupations d’une partie de plus en plus réduite du pays » ajoute ce journal. Pour 2002, une étude de la Fondation Kayser et de l’Université Harvard parle de quatre électeurs de plus de 65 ans pour un jeune adulte !
Mais qui en parle ici ? Qui s’en émeut ? Qui émet des doutes sur la légitimité de tels scores ? Silence, on s’abstient ! C’est le black-out complet, la censure méthodique.
Pire : l’affaire est formidablement banalisée. Comme si ce modèle américain, c’est à dire ce type de vie politique où une majorité d’électeurs est laissée définitivement sur le bord de la route, était entrée dans les mœurs. Et pouvait devenir la règle en France.
Aux lendemains du 21 avril, quelques larmes de crocodile, à droite, à gauche, furent versées sur ce mal abstentionniste. La page est-elle tournée ? Hormis les communistes, beaucoup semblent bien s’accomoder de cette démocratie ratatinée.

14/11/2002

Terrible désenchantement

La crise de la politique semble bien être un mal universel. Un sondage à grande échelle (36 000 personnes interrogées cet été dans une dizaine de pays), effectué pour le World Economic Forum, les initiateurs du Forum de Davos, n’a pas manqué d’inquiéter ses commanditaires. Il indique que les institutions démocratiques ont perdu la confiance de deux citoyens sur trois. Ils sont encore deux tiers à affirmer que les Etats ne sont en aucune façon gouvernés selon la volonté du peuple. Tout est jeté aux orties : les gouvernements, les parlements, les syndicats, les médias, le système juridique, éducatif, le Fonds monétaire, l’Organisation mondiale du Commerce, les transnationales… L’étude parle de « terrible désenchantement face au monde politique et aux milieux des affaires ». Il ajoute : « Les critiques sont sans appel (…). Jamais au cours des trente dernières années le problème ne s’était posé avec une telle acuité : la cassure entre la société et les institutions censées organiser la vie est telle qu’il faudra un effort considérable pour rétablir les choses ».
Comment en est-on arrivé là ? Voici un (petit) exemple récent qui l’explique peut-être. La semaine dernière, le journal Le Monde sollicitait l’avis de la Commission de Bruxelles sur le Forum social qui s’ouvrait à Florence. Réponse d’un commissaire : « On ne va pas se casser la tête avec des communistes » (8/11). Propos hâtif et irrespectueux, si symptomatique de cette universelle arrogance des puissants, qui a nourri l’éloignement de l’opinion.

20/11/2002

Tout ça pour ça

Le débat politique ouvert par le séisme du 21 avril laissait présager un remue ménage considérable tant à droite qu’au PS ; on allait voir ce qu’on allait voir. La droite se promettait de retrouver son identité. Le PS se redécouvrait bien à gauche, parlait de refus de toutes les aliénations. Six mois après, le niveau du débat au sein de ces formation n’est pas toujours à la hauteur des ambitions affichées.
A l’UMP, il est à présent beaucoup question d’un positionnement de centre droit ; le nouveau programme du parti se garde bien d’utiliser le mot de libéralisme ; la première visite à l’étranger du nouveau trio directeur Juppé/Gaudin/Douste a consisté à rencontrer…Tony Blair.
Au PS, on parle de plus en plus d’une posture de centre gauche ; Rocard plaide pour une alliance avec l’UDF ; une longue enquête de la Sofres parue dans Le Figaro de jeudi dernier pousse vivement en ce sens. Une visite à Tony Blair devrait s’imposer.
Alors ? tout ça pour ça ? De doctes commentateurs expliquent que c’est la présidentialisation qui veut ça. Une présidentielle se gagne au centre, c’est bien connu, disent-ils. N’empêche. Le décalage entre le désarroi citoyen et les arrangements en cours, entre les questions lourdes qui tarabustent la société et ces vieilles combines est spectaculaire. Ce n’est sûrement pas de cette façon qu’on va régler le divorce entre le pays et la politique.

27/11/2002
Le poids des idées

Une enquête Ipsos/Antenne 2, publiée le 21 novembre, interroge les électeurs sur les grands enjeux de l’heure ; elle distingue les réponses de « l’ensemble des Français », celles des électeurs socialistes, celle enfin des électeurs de la « gauche parlementaire », logiquement les communistes en sont.
Trois enseignements. Le « durcissement » de l’opinion est perceptible sur un grand nombre de sujets. Exemples : 82% de l’ensemble des Français sont pour un « service minimum » en cas de grève dans le service public ; 60% sont favorables à une modification de la loi sur les 35 heures ; 51% acceptent l’idée d’un système (complémentaire) de capitalisation des retraites.
On mesure ensuite que ces idées marquent, parfois vivement, l’opinion de gauche : 76% des électeurs socialistes seraient pour le service minimum (73% pour la gauche parlementaire) : 43% d’électeurs socialistes souhaiteraient une modification des 35 heures (42% pour la gauche parlementaire) ; 37% ne verraient pas d’un mauvais œil un système de capitalisation.
D’autres indices sont plutôt encourageants : une majorité de l’opinion (50 contre 45) est opposée à la remise en cause des emplois jeunes ; une majorité relative (43 contre 42) est contre la privatisation d’Air France.
Des chiffres qui montrent que le choix électoral du 21 avril prolongeait sans doute un glissement à droite de l’état d’esprit général ; et que la reconquête de l’opinion va passer par une intense bataille d’idées. On s’en doutait. Nous voilà fixés.

4/12/2002
Chiffres et choix

Le budget 2003 de la Défense des Etats Unis s’élève à 335 milliards de dollars. Un milliard de dollars (ou d’euros) à dépenser CHAQUE JOUR.
D’autres chiffres viennent alors en tête. On a (un peu) parlé du Sida la semaine passée : trois millions de décès en 2002. On évalue à 10 milliards d’euros (ou dollars) un programme de lutte efficace au niveau mondial contre le fléau. Soit l’équivalent de 10 jours de dépenses d’armement des USA.
Et la France ? la voici repartie dans la spirale du surarmement. 90 milliards d’euros pour les cinq ans à venir, 18 milliards par an.
Là aussi, des chiffres se télescopent. Un nouveau porte(avions coûterait – si l’on reprend la facture du « Charles de Gaulle »- au bas mot plus de trois milliards d’euros. Trois milliards, c’est le montant du déficit (colossal, dit la droite) de l’assurance-chômage.
Sont tombés ces jours-ci les salaires des patrons. Jean-Luc Lagardère, entre autre marchand de canons, gagne par an 14,7 millions d’euros. Soit plus de 1000 Smic.
Sans vouloir être impertinent, on se dit qu’on pourrait faire d’autres choix avec tout cet argent.

11/12/2002
Histoire suisse

Entre sapin et réveillon, l’histoire vous aura peut-être échappé. Elle mérite pourtant d’être connue. Elle est simple, précise, sèche comme un acte notarial. La société suisse Nestlé vient de réclamer au gouvernement éthiopien six millions de dollars pour la nationalisation d’une entreprise par ce pays il y a vingt sept ans.
Alors que les six millions exigés à Addis Abeba représentent, selon une ONG, Oxfam, un approvisionnement en eau potable pour quatre millions de personnes ou encore la construction de 6500 puits ; que Nestlé a engrangé un profit net en 2001 de 6,15 milliards de dollars ; que l’on parle de 38 millions de victimes potentielles de la faim en Afrique dans les prochains mois ; que les USA viennent de refuser brutalement tout accès du Sud aux médicaments bon marché ; cette histoire de multinationale de l’agroalimentaire réclamant un pactole à un pays au bord de la famine a quelque chose d’exemplaire. Et d’accablant.
Un peu comme si on était passé à un nouveau stade des rapports Nord/Sud. Après l’exploitation, la pénalisation. On taxerait désormais l’affamé.
Ceux qui voudront comprendre comment on en est arrivé là consulteront avec profit l’ouvrage, dirigé par Marc Ferro, qui sort ces jours-ci aux éditions Laffont : « Le livre noir du colonialisme : XVIè-Xxe siècle. De l’extermination à la repentance ». Histoire de remettre les pendules (suisses entre autres) à l’heure.

8/1/2003
Temps de travail

Semaine après semaine, le pouvoir n’en finit plus de placer ses hommes, parfois ses femmes, dans des postes clés de la haute fonction publique : directions d’administration, d’entreprise publique, d’agence, de corps d’inspection… Si l’Elysée donne l’exemple, Matignon n’est pas en reste, les différents ministères non plus. L’exemple le plus récent et le plus flagrant de ce procédé fut le remplacement, très politisé, du directeur de la Caisse des dépôts et consignations. Mais il y a des cas plus modestes même si, toujours, de belles rémunérations sont à la clé. Ainsi serait prochainement nommé à la tête du directoire du Fonds de réserve des retraites un ancien médecin du sport. Un détail : il est vice-président de la région Poitou-Charentes, chère à qui vous savez. Lequel avait nommé, par décret en date du 6 octobre dernier, sa sœur, Françoise Vilain, à la section des finances du Conseil économique et social. Réagissant aux critiques, Raffarin s’est contenté de dire que cette polémique « favoriserait le vote d’extrême droite ». Un peu court comme argumentaire. Il faut dire à sa décharge – relative- que cette pratique est bien installée dans les mœurs politiques. Jacques Attali écrivait dernièrement : « Nommer est un attribut du pouvoir exécutif. C’est même celui auquel tous les présidents de la Ve République ont consacré le plus de leur temps de travail ». (L’express du 5 décembre 2002). Parole d’expert !

15/1/2003
Un courant réel et cohérent.

Les médias font volontiers comme si le courant communiste s’était volatilisé dans le remue-ménage électoral du printemps dernier, comme s’il y avait perdu sa raison d’être. Pourtant, enquête après enquête, on voit bien la persistance dans l’opinion française d’une identité communiste aux caractéristiques marquées.
Dès juillet dernier, l’enquête de la Fondation des Sciences politiques intitulée « Panel électoral français 2002 » montrait bien les singularités de cette sensibilité : de toutes les familles politiques, c’était LA PLUS attachée aux idées d’intérêt général, de régulation économique, de service public, de réduction de l’écart entre les riches et les pauvres ; c’était LA MOINS répressive aussi, LA PLUS sensible aux questions des libertés.
Des études plus récentes indiquent qu’elle est opposée à l’idée d’un parti unique à gauche. Et aux lendemains de l’émission télévisée « Cent minutes pour convaincre » avec Dominique Strauss-Kahn, l’IFOP rappelait que « le réformisme (de l’ancien ministre) était plébiscité » par l’opinion… à l’exception de l’électorat communiste : « Près de 30 points séparent en général l’adhésion des sympathisants socialistes de celle des sympathisants communistes aux propos strausskahniens » . Le Journal du Dimanche devait reconnaître que « pour minoritaire qu’il soit, ce courant apparaît bien réel et cohérent ».

22/1/2003
Lutte des classes

Bush a des lettres. Le fait peut surprendre. N’empêche, le bonhomme connaît ses classiques. Présentant récemment son plan de relance de l’économie, avant tout constitué de somptueux cadeaux pour ses concitoyens les plus riches, il déclarait : « Je sais bien que certains vont présenter ce programme comme un instrument de lutte des classes… » (Les Echos, 17 janvier). Il ne se trompait guère ; les commentaires n’ont pas traîné. La presse d’outre-Atlantique, que l’on ne savait pas si remontée, s’en donne à cœur joie. « Class Warfare ? » - autrement dit : « La lutte des classes ? »- s’interroge sur toute sa Une l’hebdomadaire « Business Week ». Le supplément commun The New York Times/ Le Monde de la mi-janvier nous montre, toujours en Une, un gros bonhomme fumant le cigare et portant un chapeau haut-de-forme, avec ce titre : « USA : Qui sont les riches ? ». Et l’hebdomadaire « Le courrier international » analyse dans un dossier pertinent comment « les très très riches » ont fait « main basse sur l’Amérique ». Ainsi la lutte des classes serait de retour. Bousculé ici ces dernières décennies par le maëlstrom idéologique ambiant, le concept nous revient… par les Etats-Unis. La conclusion ? Nous l’emprunterons à un économiste de la Caisse des dépôts (P. Artus, Les Echos, janvier 2002) qui traitait de la crise américaine ; il avait trouvé à son article un titre prémonitoire : « Karl Marx is back ».

29/1/2003
93%

Les grands patrons ont de moins en moins la cote. 54% des Français disent n’avoir pas confiance dans les chefs d’entreprise aujourd’hui contre 25% en 1985. Selon la Sofres, cette défiance croissante n’est pas une simple réaction aux dernières affaires mais une « tendance lourde » qui n’a cessé de s’amplifier ces dernières années. Majoritairement défiants, les Français sont quasiment unanimes à penser que « les grandes entreprises sont avant tout attentives aux intérêts particuliers de leurs dirigeants » : telle est l’opinion de 93% d’entre eux. Et ce n’est pas l’attitude de Francis Me qui va les faire changer d’avis ; la presse annonçait la semaine dernière que l’ancien gourou du Medef possédait – entre autres choses- 225 000 stocks options Arcelor, l’entreprise qu’il pilota durablement et qui liquide à tour de bras ces jours-ci ses salariés en France et en Europe. A dix euros l’action, je vous laisse faire le calcul, notre homme peut voir venir.
Déjà un tel pactole a quelque chose de déplacé quand on songe au destin des sidérurgistes de Florange et d’ailleurs ; mais l’information devient carrément troublante quand on se dit que le même Mer est ministre de l’Economie. A ce titre, il est – ou sera- amené un jour ou l’autre à mettre son nez dans l’affaire Arcelor. Alors ? Où commence l’intérêt particulier ? Où finit l’intérêt public ? Ce mélange des genres en dit long sur cet Etat-Medef que Raffarin saluait l’autre jour, à Tours.

19/2/2003

Service après vente

Il y avait l’autre jour dans « Le Monde/Argent » deux reportages éloquents. Le premier rendait compte des réactions en temps réel de la Bourse aux discours des inspecteurs de l’Onu ; il montrait comment chaque mot un peu vif était aussitôt interprété comme un signe avant-coureur de guerre ; cela suscitait illico une bouffée d’euphorie des financiers, donc une montée des cours. Le second donnait la parole aux gestionnaires de portefeuilles, comme on dit. « Si la guerre ne se déclenche pas rapidement, les marchés vont continuer à vivoter » déclarait le représentant d’une « banque prestigieuse », probablement le Crédit Agricole. « Une guerre courte devrait s’avérer plus favorable sur le plan économique que l’absence de conflit armé » estimait le cabinet Fortis. Bref, concluait le journal, « les investisseurs ne se cachent pas pour demander le début des hostilités ».
Le marché – Seillière l’a bien dit- s’impatiente. Normal après tout : c’est sa guerre. L’Humanité du 21 février nous apprenait que celui qui a tenu la plume de l’appel atlantiste de Vilnius, cosigné par dix dirigeants de l’Est européen, n’était autre qu’un haut cadre dirigeant de l’avionneur américain Loockheed. Dans la guerre moderne, sur dix personnes engagées au front, on compte neuf soldats pour un civil, un représentant direct de firmes de l’armement. Après avoir poussé au clash, ils assurent le service après vente. Demain, ils « reconstruiront ». On dira ce qu’on voudra mais le capitalisme sait rebondir.

19/2/2003
Les USA jouent gros

La dernière mode aux Etats-Unis est de se livrer à des paris sur la guerre. Des sites de ce genre fleurissent notamment sur Internet ; on peut miser sur tout, la date du début des hostilités, le sort de Saddam Hussein, l’ampleur des dégâts centraux ou collatéraux ou encore les chances des résolutions de l’ONU. Sur Tradesports.com, le « jeu » qui marche le mieux actuellement concerne le pari sur la date de départ du despote irakien : plus de 600 000 dollars ont été gagés, soit l’équivalent des paris pour les matchs de basket, c’est dire.
Comme la Bourse, ces sites yoyotent. Aux dires d’une correspondante de presse française à New York, chaque intervention de Colin Powell ferait monter les enchères de 10 points mais elles rechuteraient d’autant après chaque vote de l’ONU.
Plus les enjeux guerriers se précisent, plus nos parieurs deviennent pointus, plus l’intitulé des questions se « professionnalise ». Genre : Le président annoncera-t-il l’attaque à la télé ? A partir de combien d’hommes engagés pourra-t-on parler de guerre ? (« Ça doit être une attaque majeure, pas un petit truc contre une installation » tranche le site Thecarrott.com). Pourra-t-on garder le contrôle de Bagdad ?
Un détail turlupine nos parieurs : comment s’entendre sur l’heure de l’attaque avec tous ces fuseaux horaires. Réponse sur le dernier site nommé : on prendra comme référence l’horaire de la côte Est des Etats-Unis « parce que tout le monde se fout de Bagdad ». Remarquez, on s’en doutait un peu.

12/3/2003
Le blues du capitalisme

« Ça sent le roussi » clame l’éditorial du Figaro/Economie. Selon ce journal, c’est tout bonnement le capitalisme qui serait en train de brûler. L’intitulé du dossier qui suit est éloquent : « Il faut sauver le capitalisme ». Ce n’est pas là une lubie d’un rédacteur déjanté. Mais un constat qui se répand ces temps-ci : les capitalistes doutent sérieusement de l’avenir du capitalisme, de leurs valeurs et de leurs leaders. Claude Bébéar, Pdg d’Axa, hypercapitaliste s’il en est, sort prochainement un livre qui s’appelle : « Ils vont tuer le capitalisme ». Le « Ils » en question étant les patrons eux-mêmes. Même son de cloche du côté du très conservateur Institut Montaigne : son dernier rapport commence ainsi : « Il arrive que les capitalistes compliquent la tâche de tous ceux qui croient aux vertus du capitalisme ». Même topo outre-Atlantique où le syndrome de « l’éronite » sévit : deux universitaires de Chicago, Rajan et Zingales, publient une étude « Saving capitalism from the capitalists » (faut-il traduire ?).
Certes la conjoncture n’est pas bonne mais le mal dénoncé dans tous ces écrits est ailleurs, plus grave : le capitalisme est entré en crise profonde ; la confiance envers ce système est minée. Ces bons apôtres pensent s’en sortir en désignant quelques boucs émissaires, quelques patrons « voyous ». Mais cette phraséologie n’est pas sans risque pour eux ; comme un boomerang, elle peut se retourner contre elle-même et révéler que c’est tout le système qui tourne à la voyoucratie.

19/3/2003
Libre développement

On parle beaucoup, à l’occasion du Salon du Livre de Paris, d’une avalanche d’ouvrages consacrés au « développement personnel ». Si depuis Dolto, ce genre d’approche n’est plus une nouveauté, en revanche la progression de livres « psy » est, elle, spectaculaire. Ce serait même le « fait marquant » de l’édition 2002 : 584000 ventes contre 350000 en 2001 : +62% en un an.
Surmédiatisation, effet de mode, recherche de gourous, voire charlatanisme ? Pas seulement. La presse n’a pas tort de saluer aussi « ce mouvement planétaire vers l’individualisme psy ou le développement personnel, avec les grandes valeurs d’autonomie, d’indépendance, de liberté, d’expression de soi ».
Inévitablement, des commentaires font remarquer, le très médiatique Boris Cyrulnik par exemple, que cette « littérature de l’intime se développe lorsque la société s’efface au profit de la personne ». Ils y voient le « triomphe du JE sur le NOUS collectif. La disparition des idéologies, le recul de la religion entraînent les individus à privilégier leur bien être personnel » (Le Figaro, 18 mars).
Est-ce si sûr ? Plus exactement, n’y a-t-il pas moyen d’articuler autrement autonomie personnelle et démarche collective ? liberté individuelle et envie d’être tous ensemble ?
N’est-ce pas là après tout le B ?A.BA. du communisme ? Marx n’en définissait-il pas la démarche ainsi : « le libre développement de chacun doit être la condition du libre développement de tous ».

26/3/2003
Compliment

Pourquoi diable « un (ancien) communiste reste en France une personne respectable ? ». Telle est la drôle de question que se pose le politologue Alain Gérard Slama, par ailleurs analyste politique du Figaro, dans ce quotidien daté du 25 mars dernier. Il lui faut bien reconnaître que « la culture politique française » reste « marquée profondément par le communisme ».
Slama reprend à son compte certaines des pistes ouvertes par l’universitaire Marc Lazar dans son ouvrage « Le communisme, une passion française », essai qui vient d’ailleurs de se voir primé. Ainsi il observe que la gauche dans son ensemble « a gardé les réflexes » de cette sensibilité communiste. A l’entendre, non seulement « les communistes continuent de peser sur la gauche du PS » mais « ils marquent toujours de leur empreinte une partie des Verts et des mouvements hostiles à la mondialisation ».
L’originalité du Pcf, estime-t-il encore, est d’avoir repris à son compte, synthétisé et prolongé des courants à la fois nationaux, anticapitalistes, antilibéraux, ce qu’il nomme « une diagonale qui traverse le paysage politique français avec sa double source catholique et jacobine ».
Slama enfin semble prendre au sérieux l’effort de réaffirmation communiste actuelle : il trouve ce positionnement contemporain « presque aussi redoutable que l’ancien ». On prendra cela pour un compliment.

2/4/2003
Capitalisme de connivence

Deux ouvrages sortent ces jours ci sur les nouveaux capitalistes. Claude Bébéar, surnommé « le parrain », signe « Ils vont tuer le capitalisme » (Plon). Le « Ils » en question ne vise ni les anticapitalistes en général ni le mouvement social, encore moins les salariés mais tout ce qui dans la nébuleuse capitalistique exerce un peu de (contre) pouvoir : analyste, audit, juriste, banquier… Patron de droit divin, Bébéar ne supporte pas la contradiction, même celle des siens.
Dans « Grands patrons. La fin d’un monde » (éditions Audibert), le journaliste Frédéric Lemaître brosse, lui, un portrait de groupe, celui des dirigeants capitalistes français. Exit le patron surtout formé dans les grandes écoles (X-Mines ou inspections des finances), fréquentant aussi bien le privé que l’Etat, janséniste sur les bords, bref colbertiste. Arrive le mercenaire, sensible aux modes de gestion à l’américaine, la « corporate gouvernance made in USA » comme on dit, l’homme de réseau, le leader avide, voire cupide, manifestant un « goût immodéré pour les stocks-options et l’enrichissement personnel ». Ce capitaliste du XXIè siècle demeure fondamentalement un capitaliste familial : la famille joue même un rôle grandissant au détriment des « managers ». Et surtout, il a pris ses distances avec l’Etat : au point de considérer « illégitime » toute idée de « contrôle public ». L’économiste Elie Cohen appelle cela un « capitalisme de connivence ». Le mot est bon : qui dit connivence dit complicité, faute cachée, larrons en foire. Des patrons « modernes » en somme.

23/4/2003
Sauver le soldat Blair

Blair reviendrait-il en grâce ? Celui qui passera à la postérité pour le petit télégraphiste de la Maison Blanche, vassal sans état d’âme et politicien sans principe, se retrouve, doucettement, loué, ici ou là, ces derniers jours. Tout se passe comme si une certaine gauche tentait de sauver le soldat Blair, de réhabiliter leur héros. Lundi, Gilles Finchelstein, du Conseil national du PS, vantait, dans Le Figaro, l’efficacité de cet homme et de « sa ligne réformiste », la seule qui permette aux socialistes de l’emporter aujourd’hui, écrivait-il. Mardi, on annonçait qu’à un colloque de Sciences Po Paris, l’universitaire John Crowley allait plancher sur l’équation suivante : »L’échec de Lionel Jospin, la réussite de Tony Blair ». Mercredi, le journal Le Monde détaillait avec complaisance un long portrait du premier ministre britannique où l’on apprenait que le bonhomme était effrayé par l’approche…de la cinquantaine et que son petit dernier, Léo, trois ans, avait débarqué…avec son petit chariot en pleine réunion ministérielle sur l’Irak : tout le monde avait bien ri. Ces propos sont obscènes. La guerre, les carnages, les destructions ? Connaît pas. Oubliés, enterrés. Heureusement, tout le monde n’est pas amnésique. Jeudi, à l’ouverture du festival de Bourges, le groupe britannique Massiv Attack continuait – entre autres- de dénoncer l’attitude irresponsable de leur premier ministre et lui posait cette pertinente question : « Le monde est-il plus sûr ? ».

30/4/2003
Classe en soi, classe pour soi

La classe ouvrière serait-elle de retour ? Plus exactement redeviendrait-elle visible ? La programmation du documentaire de Marcel Trillat, « Les prolos », est un bon exemple qu’il se passe ici quelque chose. Une réalité longtemps ignorée se réinvite dans le débat. Un véritable racisme social a permis cette occultation. Cette forme d’apartheid a rencontré un autre phénomène dont parle le chercheur Louis Chauvel. Selon lui, le processus d’ « effacement » des ouvriers dans le paysage public a commencé au milieu des années soixante-dix. Il s’est amplifié après 1981. Ce n’est pas que l’ouvrier n’existait plus – il constitue toujours avec l’employé la part majoritaire de la population active ; mais sa conviction d’appartenir à un ensemble solidaire s’est effritée. La conscience de classe s’est diluée. Comme on disait en d’autres temps, on est passé de la « classe pour soi », une classe qui revendique son identité, à la « classe en soi »- une classe qui n’a pas conscience de l’être.
S’inscrivant dans un travail entamé par le sociologue Michel Simon, L. Chauvel montra comment l’ouvrier s’est de moins en moins senti appartenir à un ensemble cohérent et s’est de plus en plus reconnu dans une improbable classe moyenne. Répression, désyndicalisation, perte de lien social mais aussi autonomisation, estime Chauvel, ont rimé avec explosion et dispersion. En même temps, le chercheur demeure dubitatif : dans une société qui tolère si mal les inégalités, et à l’heure de la smicardisation des salaires, cette identification à une « classe moyenne » peut-elle durablement fonctionner ? Bonne question.

9/5/2003
Itinéraire

Au royaume des éléphants socialistes, Michel Rocard est à peu près le seul ces jours-ci à barrir en liberté. Sans doute parce que son sort n’étant pas lié au congrès de Dijon, il peut dire tout haut ce que nombre de ses collègues pensent tout bas. Ainsi développa-t-il son argumentaire à RTL l’autre soir. Point un : « le capitalisme a gagné ». Et il serait temps de « s’adapter » à cette réalité. Point deux : « La révolution, c’est fini, ça ne marche pas ». Point trois : le PS doit aller plus loin dans son aggiornamento, cesser de croire à « l’économie administrée » et devenir « expert en régulation de l’économie de marché ».
Hors micro, l’éléphant pousse volontiers, et plus clairement encore, cette logique à son terme. Il déclarait ainsi, la semaine passée, devant le club Vauban de Mme Simone Veil : « Je souhaite très fortement que le gouvernement Raffarin réussisse sur les retraites ». François Fillon, de son côté, le confirme : Rocard l’appelle chaque semaine pour lui dire : »Tenez bon ! ».
L’ancien chancelier allemand Willy Brandt disait jadis : un bon gauchiste à vingt ans fait un bon social-démocrate à quarante. Complétons ici cette maxime : …et un bon conservateur à 73 ans.

14/5/2003
Une mauvaise chose

Un tabou tombe. Et pas des moindres, puisqu’il s’agit d’un des « fondamentaux » du traité de Maastricht, son noyau dur, le pacte de stabilité. Depuis une bonne décennie, on nous a dit, redit, répété, rabâché que ce pacte était le nec plus ultra de la modernité économique. Alors même que les communistes n’ont cessé pour leur part d’en souligner la nocivité, de rappeler que cette entrave aux dépenses publiques bridait l’économie, que ce carcan signifiait austérité, casse de l’emploi, chômage et finalement entravait la croissance.
Et voici qu’on nous annonce – certes sans en faire la « Une »- que Berlin après Paris mettrait ce dogme au frigidaire. Il semble sinon abandonné, du moins repoussé aux calendes. Le ministre de l’économie insinue même que l’objectif de limiter les déficits publics au-delà d’un certain seuil (3% du PIB) a « disparu des réflexions de la Commission ». Dans ce changement de cap (durable ?) des pouvoirs en place, on peut penser que le poids de l’opinion publique a joué. Dans un récent sondage Ifop, les Français n’étaient plus que 36% à penser que « le pacte de stabilité est plutôt une bonne chose parce que l’essentiel est d’assainir les finances publiques et de lutter contre les déficits ». En revanche, ceux qui estimaient que cette bible de l’ultralibéralisme représentait « plutôt une mauvaise chose parce que l’essentiel est de soutenir la croissance et de favoriser les créations d’emplois » s’élevaient à 62%.

21/5/2003
Homéopathique

Plus que deux semaines pour remplir votre déclaration d’ISF ( impôt de solidarité sur la fortune). C’est le 15 juin en effet que tout détenteur d’un patrimoine excédant 720 000 euros doit remplir son chèque après avoir calculé lui même le montant imposé. Conseil ici de pure forme : on peut raisonnablement penser que ceci concerne peu de lecteurs de L’Humanité. Mais la presse financière, elle, bruisse de plaintes et de complaintes sur cet impôt. C’est fou ce que l’ISF peut tracasser le nanti. Dans le dernier éditorial du Figaro/Entreprises, le PDG de Paribas parle carrément de « confiscation du capital ». On y apprend que des cabinets d’avocats sont mis sous pression pour contester l’existence même de la loi. Les notaires sont mobilisés et multiplient les conseils pour contourner la législation. Et tous félicitent Renaud Dutreil, secrétaire d’Etat aux PME, dont la loi dite « pour l’initiative économique » prévoit d’alléger la fiscalité des chefs d’entreprise. C’est que les riches sont près de leur sou. Pourtant cet impôt est plutôt homéopathique. En 2002, il a rapporté 2,5 milliards d’euros. A comparer par exemple à la fortune de l’inoxydable Mme Bettencourt : 15 milliards d’euros. Ou au montant de l’évasion fiscale, cette même année : 38 milliards. Ou encore au niveau de la capitalisation de la Bourse de Paris : 1600 milliards. Mais on doit se dire dans les beaux quartiers qu’un sou est un sou et qu’il n’y a pas de petites économies.

4/6/2003
Ra(t)coleurs

Les publicitaires ont le sens de l’humour, c’est bien connu. Ainsi une agence assure-t-elle ces jours-ci la promotion du travail temporaire en placardant de grands portraits d’un quinqua congestionné et d’une jeune femme indolente, respectivement sous-titrés : « Cet homme est un obsédé… » ou « Cette femme est bonne... ». Ça racole bas. Mais passons, on a vu pire. Que dire alors de cette affiche pour la diffusion d’un film sur les rapports entre un patron et sa collaboratrice. On y voit l’arrière d’interminables jambes de femme, émergeant d’une jupe très mini, dans un collant noir à couture, posées sur des talons aiguilles. La fille, pliée en deux, se tient les chevilles avec ses mains. Ce n’est pas tant l’image qui nous préoccupe ici…que le titre (américain) du long métrage : »La secrétaire », et surtout son sous-titre (français) : « Assumez votre position ». Késako ? De quoi on parle au juste ? De posture érotique ? De position professionnelle ? Comment qualifier ce genre d’humour ? Grivoiserie ? Second degré ? Sexisme ? Harcèlement drolatique ? Ou tout bonnement mépris social ? Reproduite dans le « Figaroscope », cette pub fait face, page suivante, à une photographie d’élégantes aux chapeaux extravagants assistant ce dimanche au prix de Diane-Hermès, sur l’hippodrome de Chantilly, un rendez-vous incontournable de nanti(e)s , fortuné(e)s et autres grand(e)s patron(e)s. Deux images, deux mondes. Deux façons d’assumer sa position, semble nous dire la rédaction du Figaro.

11/6/2003
Trésor caché

La proposition soutenue notamment par les communistes de faire contribuer la finance à une réforme alternative des retraites a eu le don d’agacer une brochette d’économistes distingués. Ils trouvent la suggestion d’un parfait mauvais goût. Ils se gaussent : « faire payer les riches », ressortir ces fables sur « le capital », tout cela relèverait d’un projet parfaitement kitsch. De toute façon, ajoutent-ils, calculette à la main, la ponction demandée ne ferait pas le compte. Vous voyez bien, laissent-ils tomber, condescendants : il n’y a pas de trésor caché ! Ce que personne n’a prétendu, la taxation étant une mesure, juste et efficace, parmi d’autres incitations en faveur de l’emploi et des salaires. Cette agitation est d’autant plus intéressante qu’elle a d’abord été le fait d’économistes sociaux-libéraux . Les premiers, ils sont montés au créneau pour dire : pas touche au gâteau. Pourquoi cette fébrilité ? probablement parce que ces penseurs de la « gauche moderne » sont en difficulté. Comme le reconnaît -et le déplore- l’un des leurs, Elie Cohen, dans Libération, « taxer le capital pour sortir des choix amers qu’impose la dégradation annoncée des comptes de retraite » est « UNE IDEE QUI FAIT SON CHEMIN ». Dernier exemple : il s’est même trouvé un député de droite pour avancer ces jours-ci une proposition identique. Il est vrai qu’il s’est aussitôt fait taxer d’ « hystérique » par son camp qui a promptement noyé le poisson.

25/6/2003
Ça agace

L’anticapitalisme est une valeur en hausse. Et ça en agace plus d’un. Clercs, experts, notables allument des contre-feux. Chacun son style. Il y a le vieux sage désabusé tel l’Ambassadeur socialiste Gilles Martinet. Pour lui, tout cela, écrit-il dans Libération, c’est « posures démagogiques » et « nostalgie de la vieille idéologie ». Et il soupire : « Il est dans la nature du capitalisme de sécréter de l’anticapitalisme ».
Il y a le genre savant estampillé Insee, tel Eric Le Boucher, chroniqueur économique du Monde. Il démontre, vite fait bien fait, combien tout cela, bas salaires, profits fous et compagnie, c’est de la rhétorique. Caché derrière ses statistiques, il assure posément que, non, le capital ne grignote pas le travail, non, les inégalités ne progressent pas, oui, les gens se portent pas mal. Le reste n’est qu’illusion. La panne sociale ? une « impression ». Le moins disant social ? un « sentiment ».
Et puis il y a le look prédicateur teigneux comme Pierre-André Taguieff, « nouveau réac » qui dans les colonnes du Figaro définit longuement les caractères de l’anticapitalisme 2003, « un mélange d’antiaméricanisme et d’antisionisme (sic), sur fond de haine anti-occidentale que vient transfigurer un mixte d’utopie et de messianisme à demi-sécularisé parfaitement résumé par la profession de foi : Un autre monde est possible ». Il fustige le « misérabilisme subversif » et y voit même « une nouvelle pensée unique », propos proprement absurde s’il ne trahissait l’étonnante peur de l’ « établissement ».

9/7/2003

Historique

Le pays trinque et la banque rit. Tel pourrait être un des enseignements de cet été. Au fil des semaines en effet tombent des nouvelles plutôt sombres. Le chômage explose, l’industrie liquide, l’économie déprime, la consommation régresse, la précarité gagne, l’austérité s’installe, les salaires plongent, la fonction publique déguste, les retraites morflent, l’enseignement souffre, l’intermittence peine, la culture dégringole. Partout les indices semblent passer au rouge. Et pendant ce temps-là…, la finance prospère. Comme jamais.
Fin juillet, la BNP Paribas et la Société Générale ont annoncé de substantiels profits pour le second trimestre 2003 : près d’un milliard d’euros pour Paribas, 700 millions pour la Société Générale pour les seuls mois d’avril, mai, juin.
Des chiffres records. La BNP enregistre ainsi « le meilleur résultat opérationnel DE SON HISTOIRE » et le bénéfice avant impôt de sa structure de financement bondit de 88,5% ! La Société Générale voit elle ses profits « presque doubler » selon le journal Le Monde.
Ce qui est agaçant dans cette affaire, c’est peut-être moins l’inégalité de traitement qui veut que la banque se pavane quand les autres s’étouffent, que le mécanisme à l’œuvre, celui des vases communicants : les coffres gonflent en anémiant la société. D’où l’idée qui pointe : et si on inversait le cours des choses ? Si on désengorgeait la finance pour redynamiser le pays ? Contre le tout-financier, ces chiffres apportent en somme de l’eau au moulin communiste.

20/8/2003
Fin de l’argent fou ?

« On sent que le climat de « l’argent fou » est en passe d’être révolu » croit pouvoir écrire Le Monde. Il commentait ainsi les mésaventures de ce bon monsieur Bilger, ex patron d’Alstom, qui assure vouloir rembourser quatre des cinq millions d’euros d’indemnités qu’il s’est octroyé pour avoir mis son entreprise en faillite. Importée des Etats-Unis, la pratique des très hauts revenus patronaux, parachutes dorés et autres stock-options s’est affichée sans vergogne ces dix dernières années. Ces « bacchanales des patrons-voyous », comme l’écrit Bernard Cassen dans Le Monde Diplomatique, commençaient à faire désordre. Les sommes étaient manifestement trop voyantes. Depuis quelques mois, une campagne était lancée au sein même des milieux libéraux sur le thème : cette rapacité dénature le capitalisme, moralisons les choses, chassons les abus. Des députés UMP demandèrent une commission d’enquête. Madelin lui-même critiqua cet état de fait, relayé par une véritable campagne de presse. A l’évidence, les libéraux sont sur la défensive. Est-ce pour autant la fin de l’argent-fou ? On notera en effet qu’une nouvelle vogue, venue des Etats-Unis, met à présent en doute la nature des rémunérations de l’encadrement capitaliste. Microsoft annonce ainsi renoncer aux stock-options. Non pas pour des raisons morales mais parce que les conseils d’administration s’interrogent sur l’ « efficacité » de ces rétributions. La dictature de l’actionnaire veille. Le profit fou a encore de beaux jours.

27/8/2003
Le fardeau

Pour vivre heureux, vivons cachés, assure le proverbe. C’est sans doute ce qu’on doit se dire du côté du ministère des armées ces jours-ci. En cette rentrée en effet, il est beaucoup question de budgets et d’économies. On va grappiller sur tout, le social évidemment, le logement, l’emploi. Sur la fonction publique, sur les retraites. Sur les indemnités chômage. La santé est dans le collimateur. L’école est à peine mieux traitée. La chasse aux jours fériés est ouverte !
Mais qui parle par exemple de la Défense ?
Conformément à la loi de programmation militaire 2003-2008, les dépenses cette année ont dépassé les 13 milliards d’euros, une hausse de 11% par rapport à 2002. Plus onze pour cent ! Qui dit mieux ? Un vrai pactole. Comparaison n’est pas raison mais cela représente, grosso modo, cent fois ce que le gouvernement semble vouloir concéder aux personnes âgées. Ou 25 fois l’aide à toutes les victimes de la sécheresse. Ou cinq fois tout le budget de la Culture. Un fardeau, en somme. Car enfin, est-ce bien raisonnable ? Certes une défense efficace est nécessaire. Mais elle dépend tout autant d’une parole forte et autonome – on a pu le voir ces derniers mois encore- que des canons. L’actuel surarmement où le pouvoir veut plonger le pays est d’un coût proprement insupportable par les temps qui courent.

3/9/2003
Les stakhanovistes du patronat

Le MEDEF s’est installé dans de nouveaux locaux, avenue Bosquet, toujours dans les beaux quartiers comme il se doit. Le siège a coûté la bagatelle de 54,2 millions d’euros, au diable l’austérité. Il accueille le visiteur avec une série de luxueux salons. Chacun d’entre eux rend hommage à un patron, à son entreprise en fait ; il porte son nom, moulé dans une dalle en bronze, et celui de sa devise. Il y a ainsi le salon « Entreprendre » dédié à Cartier, le salon « L’esprit de conquête » pour saluer Dassault ou encore « La passion créative » qui fait un clin d’œil à LVMH. L’attention est charmante ; elle reprend en somme, en l’adaptant, une mode de pays lointains où des travailleurs émérites avaient droit à leur plaque de marbre.
On reste cependant un peu déçu par la galerie de Seillière. Il manque là des noms et des devises fameuses. On pourrait avoir par exemple le salon « Jackpot » dédié à Vivendi, ou « Parachute en or » à Canal+, le salon « Rémunérations astronomiques » à Elf ou « Patrons voyous » pour Flodor, le salon « Impéritie » pour Alstom ou « Plan social » consacré à Metaleurop, « Trou d’air » pour Air Lib ou « Déménagement à la cloche de Bois » pour Parfum Palace. Sans parler de « Profits exponentiels » pour Paribas. Ou encore « Solidarité canicule » pour Danone. Le baron a vraiment manqué d’imagination.

10/9/2003
Eloge du militantisme

Robert Rochefort est le directeur du Credoc, Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie. Souvent ses enquêtes font autorité. Il vient d’analyser le déroulement de la récente bataille des retraites et livres ses conclusions dans le journal La Croix. Alors que le pouvoir considère cette question réglée, l’opinion n’est pas de cet avis. Selon Rochefort, elle se caractériserait par une double attitude : « une résignation un peu fataliste face aux décisions qui s’annoncent ET l’absence de confiance sur la capacité de réforme adoptée pour résoudre réellement le problème ». Autrement dit, les Français ne « croient » pas le pouvoir. Et ici Rochefort avance un argument qui nous intéresse bigrement : en dépit des efforts de « pédagogie » déployés par Matignon, cette parole officielle s’est heurtée à une très forte incrédulité. L’explication venue d’en haut n’a pas convaincu. « Il a manqué, dit-il, à cette réforme des militants sur le terrain capables avec leurs mots de convaincre leurs voisins, leurs collègues ». Bel hommage involontaire au militantisme et à son efficacité.
« Ils » ont tout, l’Etat, la télé, les institutions, et pourtant leur argument est souvent moins fort que le propos du « militant de base » ! Bel encouragement pour les communistes, dans la perspective de la prochaine bataille de la Santé, puisqu’ils ont décidé d’aller vers des Etats généraux à partir d’un travail de terrain. Une tâche que le pouvoir n’est guère en mesure de mener.

17/9/2003
La fabrique de l’information

Les images ne sont pas neutres, les rédactions le savent bien. Dans un raccourci saisissant, elle peuvent soutenir un propos ; elles peuvent aussi mentir. C’est particulièrement vrai de la télé. On se rappelle comment ce média avait largement torpillé la campagne des présidentielles avec ses images glauques de vieillards tabassés par exemple. La manière dont elle traite aujourd’hui du mouvement social, et plus généralement de toute espèce de contestation, est devenue caricaturale.
Une grève d’enseignants ? C’est un parent désemparé devant une école fermée. Un mouvement dans les transports ? Ce sont des passagers entassés sur un quai de gare. L’altermondialisme ? Un casseur coïncé entre une barrière et un flic, qu’il agresse de surcroît. Les intermittents ? Des bruits de casseroles pour saboter un concert. La Fête de l’Huma ? C’est La Courneuve aux aurores avec une avenue quasi déserte. Une image et tout est dit. Les gens sont-ils dupes ? On peut en douter. Ainsi les livres qui dénoncent ces derniers mois « la fabrique de l’information » font un malheur. C’est le cas de « L’omerta française » de Sophie Coignard ou « Bien entendu, c’est off » de Daniel Carton, « Les nouveaux chiens de garde » de Serge Halimi ou encore « Nos délits d’initiés » de Guy Birenbaum. Quelle que soit leur qualité respective, ces ouvrages, qui ont été ou sont en tête des ventes d’essais, donnent la mesure de l’exaspération des téléspectateurs. De leur forte attente aussi d’une autre télévision.

24/9/2003
Vive le progrès !

En ces temps de prêchi-prêcha sur l’austérité nécessaire et l’Etat abominable, voici un sondage qui va vous réconcilier avec l’humanité. Il s’agit d’une enquête de la Sofres pour le magazine Le Pèlerin, intitulé « Les Français, l’Etat et le progrès social ».
A la question : « Parmi les domaines suivants, quels sont ceux qui, selon vous, doivent être financés par l’impôt et les cotisations sociales, quel que soit le prix à payer tant ces domaines vous paraissent importants », les sondés répondent : « l’aide aux handicapés » (76%), « la santé » (74%), « l’aide aux personnes âgées » (72), « l’éducation » (67), « les retraites » (65), « la sécurité » (58), « l’aide à l’emploi » ( 56), « l’aide aux familles » (54), « l’assurance chômage » (50). A noter que les Français placent en dernière position « la défense nationale », laquelle ne mobilise que 33% des sondés.
Les réponses à la seconde question sur le progrès social sont pareillement intéressantes. 50% estiment que « de nouveaux progrès sociaux sont possibles en France car la France est un pays riche » ; ils ne sont que 48% à penser au contraire : « de nouveaux progrès sociaux ne sont plus vraiment possibles en France car la concurrence internationale est devenue trop forte ». Comme quoi la propagande libérale fait sans doute des ravages mais se heurte aussi à un formidable bon sens populaire.

8/10/2003
Responsable, LO ?

RES-PON-SA-BLE ! Depuis la rentrée, Lutte Ouvrière se veut responsable. Arlette Laguiller, dans toutes ses interventions, ces jours-ci, se la joue constructive. Le ton est nouveau, nécessité électorale oblige. Sensible à l’argument que LO, au fond, ne sert à rien, cette formation entreprend « une correction d’image » comme on dit. Jugez nos actes, regardez nos élus, demande-t-elle. Bonne idée. Que nous montre en effet son bilan ? Au nom de l’anti-Europe, lors du référendum clé de 1992, LO s’abstint et laissa passer le traité de Maastricht. Sous prétexte de grand soir fiscal, LO bouda la taxe Tobin, objet de ricanements. Brandissant une conception dite pure et dure de la lutte des classes, LO attaqua la loi de modernisation sociale, la jugeant « dérisoire ». Dans la foulée, la proposition des communistes d’un moratoire sur les licenciements revenait, à ses yeux, à « reculer pour mieux sauter ». Au deuxième tour de la présidentielle, LO, toujours elle, refuse de faire barrage à l’extrême droite. Ne parlons pas du mouvement altermondialiste : de l’anecdotique, dit-elle. Tout comme le phénomène Bové : des enfantillages.
Et quand on se permet, dans ces colonnes notamment, de s’interroger sur le fonctionnement interne, plutôt opaque pour rester poli, de cette organisation, LO répond, très révolutionnairement, en traînant L’Humanité devant les tribunaux.
Alors, LO, responsable ? Oui, mais de l’éparpillement des voix et de la captation d’une colère qui trouverait mieux à s’employer ailleurs. Ici par exemple.

15/10/2003
Les fainéants

La campagne de la droite sur le thème du travail est une fusée à deux étages. Elle a d’abord donné lieu à des disputes pour experts, version light ; on ergotait, un brin salonard, sur « la valeur travail qui n’est plus ce qu’elle était ». Depuis peu, l’expression est moins soft ; elle est même carrément populiste : on laisse entendre que les Français, en somme, seraient des fainéants…
L’antienne n’est pas nouvelle. C’est même un des plus vieux classiques de l’idéologie réactionnaire. L’historien André Gueslin rappelait ces jours-ci que le thème du fainéant, du « mauvais pauvre », est contemporain du capitalisme. Il resurgit dès que le chômage grimpe. Et s’accompagne parfois de drôle de fantasme. L’idée par exemple que le pauvre serait un riche caché, avec un magot sous le matelas. Idée idiote mais que l’on retrouve en partie derrière la rumeur sur les profiteurs d’allocations et autre RMI.
Une partie de l’opinion, tentée par l’ultra-droite, affectionne ce genre de clichés. Il est regrettable de voir ces thèmes de plus en plus volontiers repris à la tête de l’Etat. Fillon tance la « France paresseuse » ; Mattéi traque les arrêts maladie ; Raffarin sucre l’ASS. Avec l’explosion prévisible du chômage et de la pauvreté, ce véritable racisme social risque de faire florès. Déjà la chasse aux faux chômeurs, aux faux malades, aux faux érémistes, aux mauvais mendiants est palpable. La défense des droits et de la dignité des plus démunis est plus que jamais d’actualité.

5/11/2003

Anticolonialiste donc totalitaire !

Le bourgeois se méfie de l’Histoire. Elle risque trop de lui rappeler ses turpitudes. Alors il s’arrange avec sa mémoire. Il réécrit, efface, recompose. La Commune ? Connaît pas. La résistance communiste ? Un mythe. Les colonies ? Un conte de fées. La torture en Algérie ? Une invention. Problème : ce terrain de l’Histoire lui est aujourd’hui sévèrement disputé par des chercheurs qui préfèrent mettre toutes le cartes sur la table. Solution ? Les censurer. Ou les flinguer.
Dernier exemple en date : l’ouvrage de Georges-Marc Benamou intitulé « Un mensonge français. Enquête sur la guerre d’Algérie » chez Robert Laffont. Avec un titre pareil, on pourrait s’attendre à une exploration des nombreuses zones d’ombre de cette sale guerre. Benamou ne critique-t-il pas « l’histoire officielle » ? En fait, il joue sur les mots : l’histoire officielle, selon lui, serait celle véhiculée par « l’extrême gauche tiers-mondiste », entendez : la famille communiste. Il enfonce le clou : « Pourquoi, alors que tous les communismes, les fascismes, les populismes ont été déboulonnés à la fin du siècle dernier, cette statue-là, celle de l’anticolonialisme totalitaire, peut-elle encore subsister ? »
En somme, le bourreau, c’est la victime. Il faut un sacré culot pour avancer une telle thèse. On se dit qu’en ces temps de contestation croissante du mondialisme libéral et de FSE, les bien-pensants aimeraient sans doute couper les ponts entre les anticolonialistes d’hier et les altermondialistes d’aujourd’hui. Diviser, c’est régner, comme dit l’autre.

12/11/2003
Le grand pardon

Berlusconi fait rêver la droite française. Le populiste romain vient en effet d’accorder le « grand pardon » aux fraudeurs du fisc qui planquaient leurs biens en Suisse. Alors, les possédants d’ici soupirent : à quand une amnistie fiscale en France ? Il faut savoir que pour ces seules cinq dernières années, 1792 cas d’exil crapuleux ont été répertoriés et les sommes cachées à l’étranger s’élèvent à onze milliards d’euros. C’est quand qu’on passe l’éponge ? demande donc la presse économique. Mais les libéraux ont beau être au pouvoir, ils sentent bien qu’il y a un « blème » : comment vendre une telle idée à une opinion qui y est allergique ? Car l’incivisme des riches agace et la droite le sait. Les prudences de langage du Figaro à ce sujet sont d’ailleurs amusantes : il estime que « l’idée est loin d’être mûre », que « l’expression (d’amnistie) est mal sonnante », que le mot « fâche » et le projet est « tabou », bref qu’ « en France, le débat ne peut que rester théorique ». Un sondage (février 2003) rappelle que 52% des Français s’opposent à une telle mesure. La presse libérale ne lâche pas pour autant le morceau : il faudra bien, un jour , « réconcilier la France avec ses grandes fortunes », comme elle le dit si bien. On en oublierait presque qu’on nous demande de blanchir des voleurs.

19/11/2003
Camp retranché

« Le retour des intellos » titrait fièrement en « Une » Le Figaro Magazine, la semaine dernière. Ce journal annonçait le come-back d’une intelligentsia de droite, bien décidée à disputer le terrain des idées à ses adversaires. Pour l’occasion, on avait mitonné un colloque sur mesure à Deauville et rameuté les tenants de la pensée conforme. Il y avait là, évidemment, l’américanophile patenté Alain Finkielkraut, ceux qu’on a appelé il n’y a pas si longtemps les nouveaux réacs, Manent, Taguieff, Besançon, Gauchet et puis l’apôtre du déclin français Baverez. (Qu’allait faire dans cette galère l’ancien ministre socialiste des affaires étrangères ?).
La réunion tombant en même temps que le FSE, les débats ont vite tourné au procès en règle de l’altermondialisme. On fustigea ce « happening social », ce « patchwork idéologique ». La palme revint à Joseph Macé-Scaron, directeur de la rédaction du Figaro Magazine : pour lui, « l’idéologie des altermondialistes devait plus au fantasme du bris de machine qu’à une lecture critique et raisonnée du Capital » (Figaro du 19 novembre). Une touchante attention de la part du patron d’une feuille tout de même aux confins de la droite extrême. N’empêche : il fut difficile aux organisateurs de masquer le contraste abyssal entre cette pensée repue de rentiers et la jeunesse, la vitalité intellectuelle des altermondialistes.
Ce jour-là, alors même qu’une foule colorée réenchantait Paris, le symposium de Deauville avait des allures de camp retranché.

26/11/2003

Bertolt est de retour

On répétait, il n’y a pas si longtemps, que Brecht sentait la naphtaline, que ses complaintes étaient ringardes, que ses piques sur les richards n’étaient décidément plus « branchées ». Or le vieux Bertolt est de retour. « L’opéra de quat’sous », par exemple, est monté ces jours-ci à Villeurbanne, à Bobigny, à Paris. Sans parler de sa bio revisitée par Amette et couronnée par le Goncourt. Pourquoi ce retour en grâce ? ce formidable come-back ? L’actualité donne peut-être un bout de réponse. Quand des places boursières abritent des réseaux véreux (voir les dernières arrestations à Wall Street) ; quand les patrons s’autogratifient de manière obscène (« le ratio salaire maximal sur salaire moyen a été multiplié par 30 en dix ans pour atteindre le chiffre effarant de 200 » dixit Le Monde) ; quand le « business » est devenu la valeur d’émancipation par excellence ; quand des mafieux déguisés en marchands prospèrent sur tous types de trafics (drogues, armes, êtres humains) et que les gendarmes sont partout, on se dit qu’on n’est pas très loin de la bande à Mackie, le voyou, du policier Tiger Brown, du roi des bas-fonds Peachum. Leurs descendants chantent aussi le même désir d’en découdre avec ces « races bizarres, jaunes, brunes ou noires, de se les bouffer en steak tartare » et clament la même conviction que « le beefsteak passe avant la morale ». Bourgeois et brigands, même combat ? C’est ce que nous dit Brecht. Au cas où on l’aurait oublié.

3/12/2003
Un râle de droite

L’UMP organise courant décembre une série de meetings départementaux. Objectif : soutenir le gouvernement Raffarin. Problème : de quoi parler lors de ces réunions ? Et surtout, comment dynamiser l’assistance ? En évoquant les questions de l’emploi ? Difficile, vu le bilan du pouvoir. En agitant le retour de la croissance ? Personne n’y croit vraiment. En tricotant le thème social ? Mais ces salles alors baillent d’ennui. Aussi les orateurs ressortent les croquemitaines, les fonctionnaires, les fainéants, les grévistes. On tonne, on gronde et là, le public en redemande. Par exemple, à Paris, l’autre soir, l’UMP réunissait ses fidèles. On s’y ennuyait ferme. Ni Tibéri appelant à « la reconquête de Paris » ni Raffarin qualifiant Juppé de « son père en courage » (sic) n’excitaient vraiment le parterre. Mais quand le sous-ministre Copé s’est lancé dans une diatribe menaçante contre les grévistes du secteur public : « Il est temps de mettre en place dans la première région de France un service minimum dans les transports en commun », alors la salle se réveilla. Et frémit d’aise. Elle réagit ainsi, si l’on en croit Judith Waintraub du Figaro : « Le public poussa un grand « aaaah » de soulagement et d’approbation mêlés ». La droite se donne les petits plaisirs qu’elle peut.

10/12/2003

Où est passé le peuple ?

A partir de janvier prochain, France Télévisions se dote d’un « baromètre qualitatif », un nouvel outil qui devrait permettre aux trois chaînes du groupe de service public (France2, France3 et France5) de mesurer la satisfaction ( ?) des téléspectateurs sur la qualité de leurs programmes. Bonne idée. Mais pourquoi ne pas étendre cette investigation aux journaux télévisés. Là aussi il y aurait à dire. Sur la hiérarchie des informations : partout domine le sang à la « Une » (catastrophes, crimes, accidents, séismes), remisant les nouvelles importantes en fin d’édition, sous forme de brèves. Sur le pluralisme politique : la pensée unique s’affiche sans vergogne, l’esprit critique y est une denrée rare. Sur la représentation sociale enfin : le peuple a purement et simplement disparu des informations. Certes on peut y voir, parfois, des gens en marge, dans le malheur le plus profond ; ou le plus souvent des personnages de l’establishement, experts, nantis, bavards. Mais les salariés en règle générale n’apparaissent que lorsqu’ils disparaissent : licenciements, plan social. Autre cas de figure : l’autre soir, pour un sujet sur le féminisme, on vit s’affronter une victime de « tournantes », superbe de dignité, et de grandes bourgeoises, installées, fatiguées. Mais les autres ? Tous et toutes les autres ? Tout ce qui constitue tout de même l’écrasante majorité du peuple ? Pas là. Hors jeu. Inexistant. Effacé. Privé de parole. Cela ressemble à un conte de Noël, mais noir : la télé a fini par nous inventer un pays imaginaire où le peuple n’existe pas.

17/12/2003

Signe

Le département « Politique et Opinion » de la Sofres suite la « cote de popularité des partis politiques » depuis 1974. Chaque mois, depuis trente ans, cet institut teste l’image des formations françaises. Ce qui, sur la durée, finit par donner des courbes et des tendances tout à fait intéressantes pour les chercheurs mais aussi les politiques.
Que montre la cote du PCF en 2003 ? Elle grimpe à deux reprises, pour atteindre 24% de sympathie. En avril-mai-juin, soit en plein mouvement social, quand les communistes sont manifestement vus dans l’action. Puis en décembre quand est lisible leur effort pour bien se positionner en vue des régionales. Ce dernier indice, publié début janvier, indique par exemple que cette cote passe de 18 à 24%, un gain de six points, la dirigeante communiste Marie-George Buffet progressant également de trois points.
Certes on connaît les limites des sondages, leur caractère aléatoire ; et puis la notion de popularité est bien vague. De l’estime à l’adhésion, de l’adhésion au vote, il y a souvent bien plus que des nuances. N’empêche : on s’accordera à penser que ces données sont utiles, ne serait-ce que pour se faire une opinion en toute connaissance de cause. Même les plus sceptiques admettront qu’un bon sondage est préférable à un mauvais… Et puis on peut y voir un signe, encourageant, en ce début 2004, alors qu’on n’a jamais eu autant besoin de communisme.

14/1/2004

Libéraux, les Français ?

Seillière exulte. « Les Français sont mûrs pour les réformes » répète-t-il dans ses interviews. Il brandit une enquête Sofres qui semble ravir la droite. Et qui autorise un journal de cette mouvance à écrire que nos concitoyens sont « libéraux sur le plan économique ». Il est vrai que l’idéologie de droite a marqué des points ces derniers temps. L’étude le montre : à 75% les sondés sont pour les baisses d’impôts et celles des charges sociales, pour les fonds de pension et le service minimum, pour l’obligation pour un chômeur d’accepter le travail qu’on lui propose.
MAIS la même enquête dit autre chose aussi. Elle souligne par exemple que les Français sont massivement critiques à l’égard des privilégiés de la fortune : 61% sont contre la suppression de l’ISF, 76% contre l’amnistie fiscale, 61% pour taxer la finance en Europe. Ces sondés manifestent aussi un fort besoin de protection sociale, rejettent fortement les pires dérives libérales : ils sont contre l’assouplissement du droit de licencier (81%), contre la fin de la garantie de l’emploi des fonctionnaires (53%) ; pour les 35 heures (56%) ; contre la sélection à l’entrée à l’Université (53%) ; contre la suppression du collège unique (56%) ; pour la participation à l’entreprise (84%).
En ce qui concerne la santé, on les voit très attachés à l’hôpital public (74%) ; opposés à la retraite à 65 ans (78%) ou à toute augmentation des dépenses des patients (83%). Sur ces chiffres, la droite est bien plus pudique. Que les Français soient aussi de fieffés antilibéraux, ça doit l’agacer quelque part.

28/1/2004
De vrais gosses

Excitée comme une puce, la presse financière bruisse de rumeurs, de supputations et d’indiscrétions sur l’OPA Sanofi//Aventis. L’affaire la branche, c’est indéniable. Des pages entières sont consacrées à ce qu’elle appelle le « jeu de batailles boursières » ; on publie des « petits guides » à l’usage des proies et des prédateurs ; on suggère des tactiques de sioux.
Les uns conseillent le recours aux « poison pills » ou pillules empoisonnées : il s’agit de propager des menaces mensongères sur le surenchérissement du capital convoité. Les autres préfèrent la stratégie du « pacman » où l’attaqué attaque l’attaquant, l’arme secrète paraît-il des banquiers d’affaires. Un troisième expert penche plutôt pour la « visite du soir » ou exercice de lobbying en direction des ministères. Un autre encore recommande la tactique du « chevalier blanc » ou la recherche in extremis d’un repreneur miracle. Et ainsi de suite. Montages farfelus et autres coups tordus sont légion. A lire ces délires, nos financiers affairés ont l’air de vrais gosses s’agitant sur des jeux vidéos. Toute cette gesticulation serait risible si on oubliait qu’en jeu, il y allait du sort de cent mille salariés, dont vingt cinq mille en France, et que des milliards d’euros étaient ainsi gaspillés.
On se dit alors que l’entreprise est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux mains des seuls patrons.

18/2/2004
Faut que ça serve

Pour François Héran, ancien responsable des études sur la participation électorale à l’INSEE, « de 1995 à 2002, l’abstention totale, si l’on ajoute les inscrits qui n’utilisent pas leur droit de vote aux citoyens non inscrits sur les listes électorales, n’est passée que de 19,2 à 21,5% ». Ces chiffres surprennent, presque provocateurs. On a tous en tête en effet ces scrutins où l’absentéisme frôle voire dépasse les 50%.
En même temps, ce cadrage nous rappelle que l’électeur n’a pas définitivement déserté les urnes. Son abstention est un choix, et ce choix n’est pas, ou rarement, systématique : pour chaque scrutin, le citoyen observe, calcule, tranche. En somme, l’électeur demeure disponible, encore faut-il qu’il se sente concerné. L’INSEE signale qu’en 2002, sur 39 millions d’inscrits, 9 électeurs sur 10 ont participé au moins à un des quatre tours de scrutin. Toutefois, moins de 1 sur 2 a voté à toutes ces occasions.
Il en est un peu de même côté engagement et bénévolat. L’INSEE, toujours, dans une récente enquête sur le sujet, note que les Français ne sont pas avares de leurs temps et de leur argent, mais aujourd’hui ils sont « solidaires non par devoir mais parce qu’ils le décident » ; leur attitude est « moins charitable, moins dupe, plus méfiante », dit l’enquête ; elle est également « plus exigeante, plus citoyenne ».
Ce que disait récemment M.G. Buffet : »Le désir de participation n’est pas mort. Les citoyens et citoyennes attendent seulement que leur investissement serve réellement à quelque chose en politique ».

25/2/2004
La droite rêve…de Blair

Blair a la cote. Pas tellement dans les couloirs de l’ONU ni même au sein du Parti travailliste mais… chez nous, à droite. Sa manière de faire passer des « réformes » ultralibérales laisse babas nos bobos. Trois exemples récents le montrent bien.
Engagé dans la rédaction d’un texte européen portant notamment sur la réforme du système de protection sociale, Chirac a jugé « l’aide de Londres bienvenue ». Message reçu : « Blair a pris la balle au bond et on indique à Paris que les experts de Downing Street ont montré leur savoir-faire » (Le Monde, 14/2).
La récente réforme britannique des Universités fait rêver Raffarin. Une pleine page admirative du Figaro (25/2) sur l’élitisme affiché du projet, l’entrée du privé dans les facs. Les propos de Blair y sont mis en valeur : « La réforme est juste » dit-il, car elle fait peser « tout le fardeau » du financement sur les étudiants « et non sur les contribuables dont la majorité n’a pas fait d’études supérieures ».
On apprend enfin que l’UMP organise ce 3 mars à l’Assemblée nationale un colloque sur le thème de la pauvreté. L’invité d’honneur ? Peter Mandelson, ministre de Blair. Le chiffre du million d’enfants pauvres en France a marqué les esprits. Mais l’UMP doit se dire qu’on peut toujours mieux faire : on rappellera pour mémoire que le Royaume-Uni affiche le taux de pauvreté le plus élevé de l’Union européenne et que le nombre d’enfants pauvres a plus que triplé ces dernières années, passant de 1,4 million au début des années 80 à 4,4 millions.

3/3/2004
Libéralisme éclairé

Un débat intéressant et significatif est en train de prendre corps au sein du Parti socialiste. Il ne résume pas toute la réflexion actuelle de ce parti et n’engage pas pour l’heure sa direction mais il prend au fil des semaines une ampleur incontestable. Le courant social-libéral semble en effet s’être trouvé un nouveau gourou en la personne de la philosophe Monique Canto-Sperber. Cette philosophe commit l’an dernier un ouvrage : « Les règles de la liberté » (Plon). Sa thèse était simple : le socialisme doit assumer son évolution libérale, il doit oser paraître ce qu’il est. Le PS alors prit de haut le propos. Or Mme Canto-Sperber semble y être ces temps-ci en odeur de sainteté. La dame fut l’intellectuelle vedette d’un colloque social-démocrate franco-germano-britannique qui s’est tenu à Londres à la mi-février. Et elle fait la « Une » de la note de la Fondation Jean Jaurès de mars. Le dirigeant socialiste Laurent Baumel lui emboîte le pas pour estimer que « le libéralisme éclairé n’est pas nécessairement ( ?) l’ennemi du socialisme ». Et dame canto, encouragée, écrit que « les électeurs du printemps 2002 ont montré qu’il n’y a plus de base sociologique assurée pour le socialisme ». Comme dirait un amuseur télévisuel, « ça se discute ». On peut aussi penser que la base sociologique en question s’est largement réfugiée dans l’abstention. Et qu’il convient, à l’heure des mobilisations croissantes et d’une colère à la hausse, de lui redonner goût à la politique, à des choix alternatifs résolument antilibéraux.

10/3/2004
Injure

La France n’est pas libérale, la droite le sait. C’est bien son problème. Elle le mesure tous les jours à la force des résistances que rencontre sa politique. Elle ne ménage pourtant pas ses efforts de persuasion. Via l’information : ses petits experts en libéralisme pullulent dans les médias, monopolisent la parole, martèlent le dogme du « tout marché ».
Via aussi la formation : les libéraux tentent de faire main basse sur l’enseignement de l’économie. Quitte à trop en faire. Lors du dernier concours d’agrégation d’économie, la présidence et le jury mais aussi une bonne partie des candidats sélectionnés sont tous adhérents d’un même club d’obédience utralibérale. L’entrisme est si patent que le Conseil national des Universités vient de dénoncer les conditions d’organisation de ce « concours ». Une démarche inhabituelle, qui alerte bien sur la pression idéologique en cours mais qui montre aussi la forte résistance que ce forcing suscite. Le Figaro, en pétard contre ce refus d’alignement, a ce drôle de commentaire : « On vit en France avec un mur de Berlin tombé partout ailleurs ».
Dans un livre à paraître chez Odile Jacob, « Pourquoi les intellectuels n’aiment pas le libéralisme », le sociologue Raymond Bordon montre – pour le regretter- que l’antilibéralisme est dans notre pays la chose la mieux partagée.
De son côté, Philippe Raynaud, président de la Fondation du 2 mars, regrette ainsi cet état de fait : « La France est la seule nation civilisée (sic) où le mot libéral demeure une injure ».

17/3/2004
Gangsters

« Qu’est-ce qu’on fait ? On le tue tout de suite ou on prend un café d’abord ? » disait Francis Blanche dans « Les barbouzes ». Ce texte d’Audiard ne déparerait pas dans le dossier « Entreprises » du Figaro de ce lundi. Un vrai polar, intitulé d’ailleurs « Les gangsters de Wall Street ». Où défilent patrons voyous, financiers véreux, ripoux notoires. Le monde des affaires, de part et d’autre de l’Atlantique, s’y montre sous son vrai visage, cupide, mesquin. La liste des nominés, il est vrai, n’en finit plus de s’allonger : Metaleurop, Enron, Worldcom, Tyco, Ahold, Parmalat, Merril Lynch, Alliance Capital, une filiale d’Axa, Bank of America, FleetBoston Financial, Shell à présent. Ça commence à faire. Les syndromes se ressemblent : truquages comptables, malversations, bénéfices fictifs, conseils d’administration complices, délits d’initiés, enrichissement crapuleux. L’argent ainsi détourné est bien souvent gaspillé dans des dépenses somptuaires absurdes, obscènes : un directeur se paie cent paires de chaussons chez Harrods ; un autre s’achète un green de golf à 13 millions de dollars ; un financier s’offre un porte-parapluie à 17 000 dollars !…
La droite, ici, s’alarme. Et désigne même quelques indélicats. Mais on la voit venir. Elle dénonce des brebis galeuses pour sauver « l’image des dirigeants d’entreprise en général ». Elle cherche à se rassurer, à circonscrire le malaise. On peut aussi penser que le mal est profond et que le système a failli. Cette idée en tout cas semble bien reprendre corps ces temps-ci.

24/3/2004

Histoire de déclin

Mardi 23 mars. 15 heures. La rédaction d’Europe 1 m’appelle. On me demande une interview pour le journal du soir. J’accepte.
Ayant commis il y a quelque temps un ouvrage sur l’histoire du PCF, je passe aux yeux de cette station pour un expert ès communisme. J’ai laissé dire. Et livré une chronique par exemple sur la mobilisation communiste à l’occasion de la dernière Fête de l’Humanité.
Donc Europe 1, mardi, sollicite « l’expert ». La dame au bout du fil me propose d’intervenir sur… le déclin communiste. Je lui fais répéter la proposition. Elle me commande en effet une séquence sur le déclin du PCF. Je fais part de mon étonnement, lui signale que la dominante de ce premier tour serait plutôt pour ce parti au redressement. Oui, mais regardez A. et B. et C. ( la dame m’énumère des noms de villes de banlieue). J’en prends acte, lui redit que les régionales sont plutôt encourageantes pour cette formation, que les cantonales sont plus contrastées. Mais il y a bien déclin, non ? insiste-t-elle. Je renuance. Donc vous, vous ne parleriez pas de déclin ? Insista-t-elle, plutôt pressante. Non, ce n’était pas vraiment mon sentiment. « Dans ce cas » me dit-elle, elliptiquement. Sous-entendu : vous ne nous intéressez pas. Et elle raccrocha. Je n’ai pas entendu le journal du soir. J’imagine qu’ils ont déniché un expert en déclin. Ainsi va l’information en France en 2004.

31/3/2004
Médusé

Il fait plaisir à voir ces jours-ci le baron Seillière. Vraiment. Il n’a pas du tout apprécié les résultats des élections et encore moins les idées critiques qui sont venues dans la campagne. Son entourage l’a dit « médusé » par le scrutin du 21 mars ( Béatrice Taupin dans Le Figaro). Le terme est fort. Médusé, pour « le Petit Robert », signifie frappé de stupeur, interloqué, sidéré, stupéfait, stupéfié. Pris au pied de la lettre, c’est un peu comme si notre baron, découvrant les scores à la télé le dimanche à 20 heures, avait été pétrifié comme l’étaient jadis les imprudents qui contemplaient le regard de la Méduse, l’une des trois Gorgones à la tête hérissée de serpents. C’est dire si le choc fut rude pour l’héritier De Wendel. Remarquez, on peut le comprendre. Lui qui pensait avoir installé dans le paysage français l’idéologie medefienne, légitimé une fois pour toutes le sacro-saint patron, le voici contraint par exemple de re-polémiquer avec… les communistes ! Ainsi, lors du récent forum « l’entreprise voit jeunes », il aurait, selon la presse, « mis en garde sur la tentation de taper sur les entreprises comme le réclame sans fard le PC. Taxer l’entreprise, c’est mettre à coup sûr le cap sur la pauvreté, la dette, le chômage et accélérer les délocalisations ». Et la semaine dernière, dans une interview, il jure : « Nous sommes attachés au pacte social de 1945 », alors qu’il répétait très exactement l’inverse depuis plusieurs mois. Là encore, la campagne communiste l’aura mis sur la défensive.

14/4/2004
Vieux couple

Dans son « Dictionnaire de la bêtise » (Robert Laffont), Jean-Claude Carrière cite cette « définition » du communisme : »Tu es laborieux et tu travailles ; je ne fais rien et je ne veux rien faire. Tout le socialisme, tout le communisme est là ». Elle est signée Théodore Muret dans « La vérité aux ouvriers, aux paysans et aux soldats » et date de 1849…
La formule nous rappelle la déjà fort longue histoire du communisme à la française ; elle montre aussi que le communisme et l’anticommunisme forment un vieux couple inséparable. Quand l’un bouge, l’autre se réveille. Dans Le Figaro, ces jours-ci, par exemple, un certain Charles Gave, « financier », nous explique que la France étouffe sous le poids de l’étatisme et des droits acquis notamment dans les secteurs suivants : santé, éducation, énergie, poste, télécommunications. Il y voit à l’œuvre « les principes d’une économie communiste ». Conclusion que je me permets de recommander à Jean-Claude Carrière, le jour où il actualisera son livre : « Si l’Union soviétique a sauté, on ne voit pas pourquoi le monde communiste français ne sauterait pas. Il va sauter. Et dans la douleur ». C’est écrit noir sur blanc dans le journal du 13 avril dernier.
Décidément, de 1849 à 2004, on ne peut pas dire que le niveau monte.

21/4/2004

C’est quoi le message ?

Le vétéran Rocard effectue un grand retour. Il a été propulsé pour les européennes en tête de la liste socialiste dans la région Sud-Est qui couvre rien de moins que Rhônes-Alpes, PACA et la Corse. Rappel de sa bio récente : au printemps 2003, il soutient ouvertement la réforme des retraites de Fillon et juge son propre parti « le moins courageux de toute la social-démocratie européenne » (5 mai). L’été suivant, il fustige l’altermondialisme. A l’automne, il s’engage à fond derrière la Constitution Giscard et redit, sur BFM, son inquiétude à propos de la ligne européenne de son parti. En octobre, il flingue les 35 heures et la loi Aubry. Le Figaro titre le 11 décembre : « Rocard soutient le premier ministre ». Ses derniers commentaires sur la réforme de la Sécu laisse entendre qu’en matière de protection sociale, il pencherait plutôt du côté de la régression.
Voilà le personnage, membre éminent du club Vauban de Simone Veil, un de ces lieux de cogitation consensuelle gauche/droite.
Question : comment un homme si discrédité dans le peuple de gauche et, jusqu’au premier tour des régionales, unanimement considéré comme recalé pour ce scrutin, a-t-il pu s’imposer une fois les élections passées ? Hypothèse : le PS parle gauche quand il se voit fragile, il lorgne à droite quand il se sent hégémonique ? Ricard disait jadis : le PCF ne sert à rien. Il sert entre autres à mettre en garde contre le retour d’une politique de compromissions et à proposer une alternative radicale à gauche.

28/4/2004
Débat d’idées ?

Ça bouge, un peu, à gauche, côté idées. Un peu seulement. Le social-libéralisme y est toujours largement dominant mais des petits signes apparaissent ici ou là. Exemple : le dernier livre de Jacques Attali, « La voie humaine », chez Fayard, sur les gauches européennes. Certes le personnage est un électron libre mais on peut penser que son dernier essai traduit un petit mouvement critique à gauche. D’abord il offre un constat sévère sur l’abdication de la social-démocratie : « A droite comme à gauche, les partis dits de gouvernement sont pour l’essentiel des partis conservateurs, soucieux de changer le moins de choses possible dans une société qu’ils estiment privilégiée » ; Tony Blair n’est qu’ « une droite à peine déguisée », les socialistes allemands ne prônent plus que l’austérité et la troisième voie des Italiens ou des Espagnols « n’est plus qu’un autre nom de la droite ». Après le constat, une inquiétude : partisan de « la démocratie de marché », Attali observe que cette alliance est un jeu de dupes : le marché phagocyte la démocratie. Il appelle enfin à refonder un projet de gauche autour de trois valeurs clés : « donner à chacun le droit d’intervenir sur le destin des entreprises, des communes, des nations » ; « offrir à chacun accès au savoir sans lequel tout travail est aliénant et toute démocratie fictive » ; étendre le champ de la gratuité : il parle de sécurité, de santé, d’éducation mais aussi de nourriture, de transports, de logements. Pour l’heure il y a là plus de questions que de réponses mais si l’hirondelle Attali annonçait le printemps d’un nouveau débat d’idées à gauche, les communistes seraient bien sûr preneurs.

12/5/2004
Violence

La rhétorique patronale essaie de nous vendre depuis des années un topo sur l’entreprise éthique, citoyenne, pacifiée, une sorte de conte de fées où l’atelier, le bureau seraient devenus des lieux de convivialité et de créativité. Mais il arrive que le discours se fissure, que des patrons « se lachent ». Ainsi Pierre Blanc-Sahnoun, expert en management, écrit dans le Figaro-Entreprise du 10 mai dernier : « L’entreprise est un lieu violent où la violence est strictement prohibée. Violence du marché, de la concurrence, des objectifs, de l’actionnaire, des plans sociaux. Violence des jugements définitifs, des étiquettes que l’on colle sur chacun, du management, du harcèlement. Violence dans les intentions, dans les mots, dans les pratiques ».
Voilà des propos qui resituent mieux les choses. Les salariés d’ailleurs ne sont pas dupes. Un récent sondage CSA pour Liaisons sociales et France-Info les montre majoritairement soucieux de leurs conditions de travail. Moins d’un salarié sur trois juge satisfaisante l’ambiance au travail ; beaucoup parlent de la non-reconnaissance de leur travail, de charge du travail dégradée, de rapports avec la hiérarchie plus tendus, de climat social détérioré. Comme l’écrit le magazine qui a passé commande de ce sondage : « La qualité de la vie au travail peut encore être grandement améliorée ». C’est ce que l’on peut appeler un euphémisme.

19/5/2004
De la révolte dans l’air

Le journal Le Parisien organisait début mai une consultation de ses lecteurs par internet. Il fallait sélectionner dans une liste de 24 mots « celui qui reflète votre état d’esprit en ce printemps 2004 » leur était-il simplement demandé.
Plus de 2000 réponses sont tombées en quinze jours. Les sondeurs s’attendaient-ils au succès de termes consensuels, au plébiscite de mots sucrés, à des expressions passe-partout ? Surprise : au fil des jours, un mot s’imposa ; il coiffa au poteau ses concurrents ; il faillit même, à un poil près, terminer en tête ; c’est le mot « révolte ».
Après « amour », ce mot s’est imposé à la plupart des lecteurs, loin devant avenir, bonheur, courage, réussite, famille, action, rêve…
La rédaction du quotidien ne cache pas son étonnement : « Ce que ressentent profondément (nos lecteurs), c’est un sentiment de « révolte ». Un mot violent, collectif, bousculant et qui a effectué une remontée surprenante au fil des jours » (Le Parisien du 15 mai).
Appelé à la rescousse, l’ethnologue Alain de Vulpian enfonce le clou : « On note un basculement net vers la révolte depuis trois ou quatre ans. Ras-le-bol, contre-culture, rupture, contestation sont des mots qui jaillissent… Il y a cinq ans, le mot harmonie aurait pu arriver en second. Mais là le divorce est consommé entre les Français et ce monde qui favorise les plus puissants et fragilise les plus pauvres ».
A moins d’un mois d’un nouveau scrutin national, voilà une indication sur l’état de l’opinion qui n’est pas inutile.

26/5/2004
Le syndrome Rato

Lors du récent changement de gouvernement en Espagne, on aura noté, M.G. Buffet le faisait remarquer encore lors de sa conférence de presse du 26 mai dernier, que le socialiste et ultra libéral Solbes, jusque-là commissaire à Bruxelles, avait remplacé le droitier et ultra libéral Rato, un intégriste du Pacte de stabilité, au poste de ministre de l’Economie. Les étiquettes changent, l’orthodoxie libérale demeure. L’affaire n’est pas qu’espagnole, elle est aussi européenne. Début mai en effet, Rato, le battu de l’équipe Aznar, était élu à la tête du Fonds monétaire international, le FMI, proposé à ce poste par les Européens unanimes. Il était à la fois le candidat de l’Espagnol Zapatero et du président Chirac, du travailliste Blair et de la droite autrichienne, du social démocrate Schröder et de la réaction grecque… Bel exemple de « petits arrangements entre amis » comme l’écrit Le Monde mais surtout d’une pensée unique si sûre d’elle même qu’elle s’affiche, noir sur blanc, dans le projet de Consitution européenne. Chaud partisan de ce texte, Michel Rocard, chef de file PS dans le Sud-Est, déclare d’ailleurs, dans Le Figaro du 26 mai, qu’il ne comprend pas pourquoi on s’offusque de voir ainsi consacrés le marché et la libre concurrence : « L’Europe est une zone de libre échange depuis 1957 ». Et d’ajouter : « Sur le plan économique, je défendrai toujours la pédagogie de la responsabilité ». C’est ce qu’on pourrait appeler un discours « Rato-compatible ».

2/6/2004
Un pays de petits boulots

Dans le « Who’s who », Alain Etchegoyan, gourou médiatique, aligne une « bio » qui occupe presque une colonne. Philosophe à la mode, il a un pied à gauche – il a été conseiller des socialistes Claude Allègre et Ségolène Royal-, un pied à droite : Raffarin l’a nommé patron du Commissariat au Plan. Il fait partie de ces intellectuels d’entreprise, à l’Université le matin, dans les conseils d’administration l’après-midi, celui d’Usinor pour ce qui le concerne.
Ce personnage s’exprime cette semaine dans le quotidien La Tribune, sur l’emploi. Edifiant. D’abord, il trouve qu’on exagère en parlant des délocalisations : « Il faut dépassionner le débat autour de la désindustrialisation » ; l’enjeu est moins préoccupant qu’on ne le dit et puis « c’est grâce aux délocalisations que l’on fixe les populations migrantes et qu’on lutte contre l’immigration ».
Ensuite, notre commissaire au Plan présente son remède, sa solution d’avenir pour un « retour au plein emploi » : les « emplois de service », plus particulièrement « le service aux particuliers » ou « emplois de proximité ». Certes ce genre de jobs n’est pas très bien vu par l’opinion, il n’est guère jugé « valorisant ». Le « Plan » va donc redoubler d’efforts pour « améliorer l’image de ces emplois » et encourager « un discours politique fort » sur la question. Nous voilà prévenus : l’avenir de la France dans l’Europe libérale est tout tracé, celui d’un pays de petits boulots. Cette question est aussi un des enjeux des élections européennes. Hormis les communistes, qui en parle ?

9/6/2004
Le message d’Harry Potter

Critiquée, combattue, l’idée libérale n’en fait pas moins preuve d’une belle pugnacité. Et elle emprunte parfois d’étonnants chemins de traverse. Prenez Harry Potter. L’universitaire Ilias Yocaris vient d’analyser le fonctionnement de cette série de J.-K. Rowling. L’univers fantastique de Potter « est un univers capitaliste » écrit-il, où est mise en scène la lutte entre une école de sorcellerie privée et l’Etat. Face à Percy, fonctionnaire coincé, obsédé par l’idée de « réguler » les choses, le banquier Bill Weasley, ouvert, créatif fait plutôt bonne figure. Poudlard est un marché, peuplé de consommateurs pressés, où triomphent les stéréotypes néo-libéraux et le modèle social anglo-saxon. C’est « une jungle impitoyable où règnent l’individualisme, la concurrence exacerbée et le culte de la violence ». L’affrontement, l’état de guerre permanent sont le lot quotidien des habitants ; les institutions ne sont plus en mesure de défendre les individus. I. Yokaris montre dans la foulée comment ces idées influencent l’école de Poudlard et l’enseignement qui y est diffusé, appauvri, utilitariste.
A le suivre, c’est aussi une manière de façonner l’imaginaire. Le message étant : « Vous pouvez imaginer autant de mondes fictifs que vous voulez, ils seront tous régis par les lois du marché. »
Certes ces réflexions ne résument pas le livre ni le film. On peut légitimement prendre un vrai plaisir à se laisser enchanter par ce monde d’elfes et de dragons. On peut aussi se dire que dans les coulisses, il y a peut-être un message qui se promène.

16/6/2004
Moloch et les jeunes

L’Etat est un moloch, l’emploi public une plaie et les fonctionnaires des ronds-de-cuir : ces dernières années, ce discours est omniprésent, « officiel » pourrait-on écrire. Il ne semble pas cependant avoir traumatisé outre mesure la jeune génération. Deux sondages ont été publiés début juin, l’un pour Le Monde, l’autre pour le journal financier La Tribune ; ils disent la même chose : la fonction publique attire les jeunes.
78% des jeunes, note La Tribune, répondent que s’ils avaient l’opportunité de travailler dans la fonction publique, ils s’y engageraient « tout de suite ». Les trois-quarts des jeunes, observe de son côté Le Monde, « aimeraient travailler dans la fonction publique ». « Dans l’idéal », toujours selon La Tribune, 34% des jeunes préfèreraient travailler comme fonctionnaires contre 31% dans une PME, 20% dans une multinationale. La fonction publique ne recueillait que 28% des préférences lors du précédent sondage réalisé il y a un an ; elle gagne donc six points. « Jeunesse frileuse » se plaint le journal financier. Plus nuancé, Le Monde constate que l’enseignement de ce sondage est « la réaffirmation du besoin de sécurité et de proximité manifestée par les jeunes en matière d’emploi ». 60% avancent en effet comme principale raison la garantie de l’emploi et 40% le contact avec le public.

23/6/2004
Un pays décalé

Est « décalé » ce qui ne suit pas les schémas habituels, dit Le Robert. Ainsi la France serait un pays décalé : voilà en tout cas ce qui s’écrit volontiers dans la presse de droite aux lendemains des européennes.
Alors que la grande normalisation libérale semble triompher un peu partout, notre pays, regrette par exemple Claude Imbert du Point, est « décalé » par rapport à ses voisins européens. On continue ici de parler égalité, justice sociale, bref de croire à un « socialisme de grand papa » alors que nos voisins, eux, sont résolument modernes. Imbert voit là « le cœur de l’exception française ». Il s’agace : « Les Français continuent de caresser vaguement les chimères de leurs aïeux. Pour les séduire, il faut encore leur raconter des contes de fées ».
Même vocabulaire, même son de cloche avec Alain Besançon dans Le Figaro. Notre pays, « par rapport à toutes les nations d’Europe et d’Amérique du nord, est décalé en bloc de plusieurs degrés en direction de la gauche ». Le problème, à ses yeux, c’est que « 10 à 15% de notre corps électoral est réellement et sincèrement révolutionnaire ». Son regret : « la lutte, quel que soit son objectif, est ici revêtue d’une valeur sacrée ». Un dépit : « Le mot révolution est pieusement prononcé et commenté aux enfants des écoles comme le trésor le plus précieux de notre tradition ».
Il y a des jours où la prose de droite se lit avec plaisir.

8/7/2004
Un peu plus de bonheur

L’ouvrage des sociologues Guy Michelat et Michel Simon, « Les ouvriers et la politique. Permanence, ruptures, réalignements », sorti cet été aux Presses de Sciences Po, est triplement stimulant : par l’ampleur du travail accumulé puisqu’il synthétise quarante années de recherche ; par la façon d’explorer des sujets politiques essentiels (classe, individu, libéralisme, dépolitisation, enjeux socio-économiques et culturels) ; par les pistes qu’il ouvre, sur la vitalité de la notion de classe sociale notamment.
Ce travail questionne toutes les familles politiques. On sera particulièrement attentif ici aux développements concernant « la fraction la plus ouvrière, la plus « classiste » et la plus à gauche de la population », selon l’expression des auteurs. L’enquête décrit les bouleversements intervenus mais elle refuse la « simplicité biblique de la vulgate ». Par exemple les auteurs doutent qu’il ait jamais existé une « espérance millénariste » (à lire notamment le passage à propos du regard ouvrier sur l’URSS). L’attente, estiment-ils, était plus simple, celle « d’ « un peu plus » de bonheur pour eux et les leurs, plus de justice, une vie plus libre, des rapports sociaux moins durs, une société moins cruelle ». Cette attente demeure, c’est le moins qu’on puisse écrire. Michelat est Simon estiment aussi que « « l’autoritarisme ouvrier », l’intolérance vis à vis des minorités et la crispation sur l’identité nationale, loin de pousser à un « vote de classe » en faveur de la gauche (fut-elle communiste ou « extrême »), constituent un frein considérable à son expression ».

18/8/2004
Le risque d’un débat tronqué

Chirac ne perd pas de temps. C’est le 29 octobre qu’il entend lancer sa campagne en faveur du « Oui » au référendum sur la Constitution européenne. L’annonce figurait dans un papier du Figaro Economie en plein cœur de l’été, sous la rubrique « Médias et publicité ». Histoire de nous rappeler, par parenthèses, que la politique serait devenue une affaire de pub et de gros sous.
Le pouvoir devrait choisir, en effet, courant août, une agence de communication chargée de vendre aux Français les bienfaits de l’Europe libérale. Cette campagne va être « l’objet du plus grand soin » de toute la machinerie étatique, Ministère des affaires européennes, Quai d’Orsay, Matignon et Elysée. Il est d’ores et déjà question de brochures, de promotion sur Internet et, « axe fort », d’une utilisation massive de l’audiovisuel avec « des programmes courts diffusés à des heures de grande écoute avant le journal télévisé ».
Dix millions d’euros ont été attribués à ce poste, soit trois fois plus que la précédente campagne de communication officielle. « L’enjeu est capital » martèle le coordinateur de la communication du gouvernement.
Le risque d’un débat référendaire tronqué est grand, avec cette propagande massive pour le OUI d’un côté, la réduction de la confrontation à un échange entre anciens et modernes, la caricature aussi des positions antilibérales de l’autre. Ces nouvelles inquiétantes donnent encore plus de poids à la démarche de Marie-George Buffet demandant au CSA de veiller dans les mois à venir à la juste représentation de l’ensemble des opinions sur la constitution Giscard.

26/8/2004
Il assume !

Gérard Mestrallet est PDG de Suez. Son salaire annuel s’élève à 1,7 million d’euros. C’est pas mal. Pour situer, cela fait plus de douze millions de francs. Par mois, un million de francs ou encore 100 millions de centimes pour ceux qui compteraient toujours en anciens francs… C’est l’équivalent de 200 SMIC. Mestrallet vaut deux cent ouvriers smicards ! ? La nouvelle hiérarchie des salaires est plutôt vertigineuse.
« Pensez vous le mériter ? » lui demande benoîtement le Figaro Entreprises et le bonhomme a cette réponse délicate : « Ma rémunération est élevée mais je l’assume ». Il assume, le brave homme ! C’est vrai qu’il pourra toujours dire que ses collègues Bernard Arnault de LVMH ou Lindsay Owen Jones gagnent, respectivement, deux fois et quatre fois plus que lui.
Devant une telle démesure, on songe au récent roman de l’américain Iain Levinson, « Un petit boulot » (Diana Levi) où il prête aux requins du Nasdaq cette forte pensée : « L’important n’est pas de gagner de l’argent. La question est : est-ce que vous gagnez autant d’argent qu’il est humainement possible, et sinon, pourquoi ? ».

1/9/2004
Un étrange débat, dit-il

On peut trouver, parfois, le débat d’idées dans ce pays un peu timide. Mais pour les patrons, ça débat encore beaucoup trop !
Deux exemples récents : Xavier Fontanet, PDG d’Essilor et animateur du « comité éthique » du MEDEF, se lamente, dans Les Echos du 30 août. Sur la question du profit, il constate un « divorce » entre l’opinion et les patrons. Des idées reviennent en force, du genre : « le plus grand nombre est exploité », « le profit est une horreur » ou « le marché est aveugle » ou encore le « client est manipulé ». « Le mot libéralisme est devenu difficile à utiliser » se plaint le pauvre homme, qui note que les « anciennes incompréhensions » sont de retour sur l’entreprise.
Même son de cloche avec Michel Pébereau, banquier (CCF, BNP, Paribas, Axa, Dresdner Bank) et accessoirement membre de conseils d’administration ( Lafayette, Lafargue, Saint-Gobain, Elf…), excusez du peu. Il regrette, dans le quotidien La Tribune (31/08), cette contestation diffuse du marché : « La France est l’un des rares pays dans le monde où il existe encore un débat idéologique sur le caractère incontournable du marché et de l’entreprise comme instruments du développement économique et c’est une vraie faiblesse ». Et notre banquier a cette phrase délicieuse, qui en dit long sur le toupet de cette caste : « Ce débat est aussi étrange qu’un débat sur les thèses de Galilée pour savoir si la terre tourne bien autour du soleil ».

8/9/2004
Sarkozy, mode d’emploi

« Comment les idées viennent à Sarkozy ? » : le journaliste Jean Birnbaum a mené sur le sujet une enquête édifiante (Le Monde, 3/9) qui montre comment la droite tente de se refonder. Sarkozy a une marotte : les médias. Obsédé par son image, il passe un temps fou à travailler ses apparitions télévisées et on ne s’étonnera pas de trouver au tout premier rang de ses proches le bétonneur et patron de chaîne, Martin Bouygues.
Sarkozy a un penchant : à droite toute. Cet avocat des riches est entouré d’une phalange de collaborateurs issus de la jeunesse dorée, technocrates dévoués et très réactionnaires. Tel Armand Laferrère qui signe dans la revue Commentaire un « plaidoyer pour George Bush », où il dit son admiration pour le « libéralisme atlantiste et botté » ; ou Emmanuelle Mignon, une « conservatrice » qui « aime l’ordre » et se dit « pour une privatisation totale de l’éducation nationale » ; ou David Martinon qui a « biberonné du Madelin ».
Sarkozy a un tropisme : l’atlantisme. On le surnomme déjà « Sarkozy l’Américain » et il laisse dire. Mieux : il « assume sa réputation de libéral à l’anglo-saxonne ». « L’antiaméricanisme ne concerne qu’une petite partie de l’élite » réagit-il.
Sarkozy, enfin, a un truc, qu’on appelle « l’art du contre-pied ». Cela consiste, dans chaque paquet de mesures qu’il prend, ultraconservatrices, à s’en garder une, plus ambivalente, plus ambiguë, sur laquelle il va focaliser l’attention des médias, histoire de faire écran. On notera encore qu’il adore Céline, affectionne Le Nouvel Observateur et admire Tony Blair.

22/9/2004
De quoi parlent les Français ?

L’Ifop a mis au point avec Paris-Match un nouvel indice d’opinion : « le baromètre des conversations des Français ». Une liste de sujets est proposée aux sondés et il leur est demandé si ces questions ont « animé cette semaine vos conversations avec vos proches, chez vous ou au travail ? » Le politologue Jean-Luc Parodi a tiré, cet été, dans La revue politique et parlementaire un premier bilan de six premiers mois d’enquête. Il note que nos concitoyens parlent volontiers de politique : « Les thèmes relevant de la politique intérieure participent fréquemment, à hauteur moyenne de 67%, aux conversations des Français, résultat qui vient relativiser les discours sur le désintérêt des Français pour la politique ».
Précisant que les sujets « partisans » genre bisbilles UMP/UDF ou carrière de Sarkozy « suscitent un très faible intérêt », Parodi ajoute : « A l’inverse, les sujets politiques non partisans ont animé à un degré beaucoup plus important ces conversations ». Exemples : la laïcité ou surtout les régionales (84%).
Autre enseignement : l’actualité socio-économique revient fort dans les échanges. Mais là aussi il convient de nuancer : « Les Français parlent d’abord de ce qui les touche ou peut les toucher personnellement. A contrario, on constate un faible degré d’intérêt pour ce qui relève de la macroéconomie ou pour la vie des entreprises. » Exemple : si la fusion Sanofi-Aventis a branché peu de monde (18%), l’arrêt des indemnités chômage a provoqué de vrais débatq (60%). Le sport enfin occuperait une place somme toute modeste dans ces conversations.

29/9/2004
La droite redéfinit le riche

La droite a un problème avec l’ISF. Elle rêve de liquider cet impôt mais elle se sait ultra-minoritaire sur la question. Une enquête Sofres soulignait récemment que 93% des sondés trouvent « normal que les plus riches paient proportionnellement plus d’impôts que les moins riches » ou encore que 74% sont d’accord avec l’idée « d’augmenter les impôts sur les grandes fortunes ». Mais la droite est pleine d’astuces dès qu’il s’agit de ses sous. A défaut de changer le peuple, elle va changer le riche. Elle vient d’inventer une nouvelle définition du cossu. Le Figaro en effet interroge les Français sur l’idée qu’ils se font de la richesse. Et à en croire une « moyenne » des sondés, serait riche, en terme de patrimoine, celui qui disposerait de 1,5 million d’euros en biens immobiliers, œuvres d’art ou placements financiers. Voilà une réponse qui vous laissera sans doute dubitatifs. Mais pour le quotidien de Dassault, cette info vaut de l’or. Et il en fait sa « Une ». Car, si pour l’opinion, on (n’)est riche (qu’)à ce niveau, on ne l’est donc pas en dessous. Jusque là, vous me suivez. Or l’ISF taxe les nantis à partir de 720 000 euros. Donc l’ISF est injuste ! CQFD. L’éditorialiste s’enflamme : « Ce sondage offre une bonne raison pour oser enfin s’attaquer à une réforme en profondeur de la fiscalité du patrimoine en général et de l’ISF en particulier ». Partir d’un critère « imaginaire » du riche pour réformer la fiscalité, fallait y penser.

13/10/2004

Economie : ça bouge (un peu) à gauche

« Voilà un livre attendu par toute la gauche » proclame le chroniqueur économique du Monde, à propos de « Dérives du capitalisme financier » de Michel Aglietta et Antoine Rebérioux ( Albin Michel). En fait, ce livre montre assez bien l’état du débat à gauche sur la question, avec ses limites. L’ouvrage critique « la valeur boursière devenue l’alpha et l’oméga de l’activité économique », rappelle que « les salariés sont devenus les variables d’ajustement des entreprises » quand les actionnaires sont intouchables ; il estime que « les crises du genre Enron ne sont pas des exceptions mais la règle » et s’alarme : « les désordres financiers vont continuer, les malversations prospérer, les inégalités enfler et la démocratie dépérir ».
En guise de remède, les auteurs proposent de « subordonner la logique du marché au contrôle de la démocratie ». Cela suppose de considérer l’entreprise comme un « intérêt collectif » qui tiendrait à distance l’actionnaire ; ou encore de mettre sur pied une sorte de super fonds de pension contrôlé par l’Etat, qui permettrait d’aller vers une « socialisation du capital ».
Ce ton change un peu du discours dominant à gauche, ces dernières décennies, très tenté par le modèle américain et la gestion boursière.
En même temps, il reste dans le strict cadre de la propriété capitaliste où seul l’argent légitime le pouvoir et n’accorde pas à la question des droits nouveaux d’intervention des salariés dans la gestion de l’entreprise la place centrale qu’elle mérite.

20/10/2004
Une escadrille de rapports

La politique c’est la guerre, disait récemment Sarkozy à un parterre de patrons « électrisés » ( selon Le Figaro). Il expliquait ainsi que l’important était de bien « vendre » ses idées avant de lancer les « réformes » : « Les choses ont changé. La communication est à l’action ce que l’aviation est à l’infanterie. Il faut gagner d’abord la bataille de la communication et agir ensuite. C’est le grand changement de ces dernières années ».
En d’autres termes, l’aviation, ici, c’est une escadrille de rapports qui, semaine après semaine, vous labourent le terrain : rapport Camdessus, rapport Davos, rapport Virville, rapport de l’institut Rexecode, etc, etc…
L’expertise des rapporteurs importe peu. Prenez le rapport Davos. Il consiste à demander à une brochette de grands patrons ce qu’ils pensent de la France : de leur réponse, on en a conclu que notre pays passait de la 26è à la 27è place au monde en matière de compétitivité. Ou le rapport Rexecode, dévoilé devant un gratin d’officiels : il appelle à une refonte du marché du travail. Problème : Rexecode est lié au MEDEF. Bref, le côté scientifique de ces démarches vous échappera sans doute un peu. L’économie ne serait-elle que de l’idéologie ? Car l’important n’est pas tant la qualité du rapport que l’ampleur du bombardement, son côté massif, répétitif, ce tapis de bombes qui fera la « Une » des médias. L’important, c’est ce qu’on en retiendra au JT de 20 heures, ce qui fera la « une » de la presse, ce qui restera dans les têtes.

27/10/2004
à venir
postface

SOMMAIRE

Un électorat populaire
Lignes de partage
La petite musique de Fabius
Variations d’août
De la mondialisation
Retour au 19è siècle ?
Image floue et idées courtes
Jeunesse rebelle
Incendiaire
Le grand retour
Panne
Ligne de campagne
Grands absents
Convergence incongrue
Seillière candidat
Le mobile homme
Méritoire
Le psychodrame de Sarre
L’Etat de droite
Premier rôle
La chevalière aux 100 milliards
Galerie
Embauche
La loi
La loi (suite)
Vocation tardive
Le nouveau monde, selon DSK
La chapelle
Les Dupondt
Exception française
Le magot d’Arlette
Les incultes
EDF. Privatisation, acte II
Le grand secret
Docteur Francis et Mister Mer
Parlez-vous le Raffarin ?
Les réacs
Ceux d’en bas
Coup de pouce
Paresse médiatique
Des rassembleurs
L’Etat (néo) RPR
Particules
Electorat typé
La rentrée des gourous
Le piège
L’éparpillement vert
Tonique
Passion française
Les munichois
Heu-reux
Le Figaro (se) rassure
Le modèle américain
Terrible désenchantement
Tout ça pour ça
Le poids des idées
Chiffres et choix
Histoire suisse
Temps de travail
Un courant réel et cohérent.
Lutte des classes
93%
Service après vente
Les USA jouent gros
Le blues du capitalisme
Libre développement
Compliment
Capitalisme de connivence
Sauver le soldat Blair
Classe en soi, classe pour soi
Itinéraire
Une mauvaise chose
Homéopathique
Ra(t)coleurs
Trésor caché
Ça agace
Historique
Fin de l’argent fou ?
Le fardeau
Les stakhanovistes du patronat
Eloge du militantisme
La fabrique de l’information
Vive le progrès !
Responsable, LO ?
Les fainéants
Anticolonialiste donc totalitaire !
Le grand pardon
Camp retranché
Bertolt est de retour
Un râle de droite
Où est passé le peuple ?
Signe
Libéraux, les Français ?
De vrais gosses
Faut que ça serve
La droite rêve…de Blair
Libéralisme éclairé
Injure
Gangsters
Histoire de déclin
Médusé
Vieux couple
C’est quoi le message ?
Débat d’idées ?
Violence
De la révolte dans l’air
Le syndrome Rato
Un pays de petits boulots
Le message d’Harry Potter
Moloch et les jeunes
Un pays décalé
Un peu plus de bonheur
Le risque d’un débat tronqué
Il assume !
Un étrange débat, dit-il
Sarkozy, mode d’emploi
De quoi parlent les Français ?
La droite redéfinit le riche
Economie : ça bouge (un peu) à gauche
Une escadrille de rapports


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